Intervention de Nathalie Loiseau

Commission des affaires européennes — Réunion du 26 octobre 2017 à 9h00
Institutions européennes — Audition de Mme Nathalie Loiseau ministre auprès du ministre de l'europe et des affaires étrangères chargée des affaires européennes sur le conseil européen des 19 et 20 octobre

Nathalie Loiseau, ministre :

S'agissant des travailleurs détachés, monsieur Marie, je rappelle qu'il n'existait pas, auparavant, de plafond de durée. On ne peut pas dire qu'il ne sert à rien de retenir un plafond de douze mois quand la durée moyenne est de quatre mois. Parce que précisément, ces quatre mois ne reflètent qu'une moyenne ; selon les secteurs, cette durée peut varier de quelques jours à beaucoup plus de quatre mois. Il est impératif de rendre à ce statut de travailleur détaché son vrai caractère de statut du travailleur temporaire.

Vous exprimez des craintes sur la question des transports routiers. Je puis vous assurer que nous avons été fermes et ambitieux dans la négociation du lourd paquet « mobilité », sur les évolutions duquel nous restons à votre disposition pour vous tenir informés. La codécision permettrait-elle d'apporter des améliorations ? J'observe que le rapport du Parlement européen était moins ambitieux quant à la durée, puisqu'il retenait 24 mois. Il était plus exigeant sur les transports, mais la rapporteure, Elisabeth Morin-Chartier, reconnaît que les pays de l'Est, l'Espagne, le Portugal, pèsent d'un grand poids, au risque d'un détricotage du texte actuel. On peut se poser la question - et j'encourage vivement le Parlement européen à le faire - de la durée de transposition de la directive, sur laquelle on devrait être plus ambitieux. Il reste que le texte auquel nous avons abouti représente une avancée très significative.

Sur les accords commerciaux, je vous rejoins pleinement : nous avons besoin d'une stratégie d'ensemble. Vous évoquez un défi démocratique. Nous avons réuni hier le comité de suivi de la politique commerciale. Avec Jean-Baptiste Lemoyne et Brune Poirson, nous sommes attentifs à la nécessité d'associer la représentation nationale et la société civile aux questions touchant à ces négociations et à la mise en oeuvre des accords - sur l'évolution desquels nous sommes en débat avec la Commission et les autres États membres. Nous ne sommes pas favorables à voir la Commission se concentrer sur des accords non mixtes, où elle aurait une compétence exclusive et où le seul contrôle démocratique émanerait du Parlement européen. Notre position fait-elle consensus ? Certains États membres ont une vision idéologique du libre-échange, et tendent à considérer que tout nouvel accord est bon par essence et doit être encouragé. Je partage la vision exprimée par le sénateur Gattolin sur la nécessité de faire des choix géostratégiques, en allant vers les partenaires qui nous intéressent. De ce point de vue, il est positif d'avoir un accord avec le Canada, car cela est positif pour beaucoup de secteurs économiques français, y compris dans le domaine agricole. Soyons vigilants sur sa mise en oeuvre, soyons plus exigeants dans les prochains accords sur les aspects environnementaux, mais cessons de nous faire peur !

Il nous revient de convaincre les États membres les plus réticents, et de peser sur la Commission dont on sait que l'objectif est de terminer son mandat, en 2019, en ayant bouclé le maximum d'accords. Nous resterons attentifs et exigeants, surtout quand les mandats ont été donnés il y a longtemps et que la donne a changé.

Vous m'interrogez sur le groupe de travail du Conseil des droits de l'Homme des Nations unies à Genève. Sans être experte, je sais que l'on y examine les propositions de manière constructive, pragmatique, en recherchant une mise en oeuvre équitable et universelle des normes. La France n'a pas à rougir puisqu'elle a voté, en mars 2017, sa loi sur le devoir de vigilance des entreprises. Je pourrai vous fournir, si vous le souhaitez, une réponse plus détaillée par écrit.

Vous avez abordé, madame Mélot, la question du numérique, qui vous est chère, et je vous en remercie. Nous sommes très favorables à voir avancer le marché unique du numérique, qui a pris du retard, mais pas à n'importe quel prix : il s'agit d'être vigilant sur les questions du partage de la valeur et du respect des droits d'auteur - sur lesquels nous finissons par avoir gain de cause, mais après avoir été très seuls, preuve que, pour certains États membres, protéger les industries culturelles et la création n'est pas une évidence. Ce qui n'est pas une raison pour baisser la garde, bien au contraire.

S'agissant de la fiscalité des géants de l'internet, comment faire alors que l'unanimité est requise et que certains États membres, peu nombreux mais déterminés, ont bâti leur modèle économique sur un accueil pour le moins généreux de ces entreprises ? On constate, cependant, une vraie détermination de la Commission, comme on l'a vu avec les actions intentées par Margrethe Vestager, y compris auprès de la Cour de justice de l'Union européenne. J'ajoute que les acteurs de l'internet eux-mêmes font preuve d'un intérêt marqué : une grande entreprise, plutôt que passer entre les gouttes sans savoir de quoi demain sera fait, a surtout besoin de visibilité. Le fait qu'il commence à y avoir une masse critique d'États membres favorables à une fiscalisation des GAFA fait que ceux-ci sont prêts, désormais, à s'asseoir autour de la table. Ce sera long, complexe, et devra peut-être passer par une coopération renforcée même si nous sommes, pour le moment, plus ambitieux que cela, mais le simple fait que le sujet ait été débattu et que la Commission ait été mandatée pour faire une proposition représente un changement de paradigme. Nous sommes déterminés, même si nous n'espérons pas atteindre dès demain le Graal fiscal, à entrer dans une logique de plus en plus constructive.

En ce qui concerne l'organisation des élections européennes, notamment le choix de la circonscription électorale, la décision n'est pas prise. Je serais presque tentée de vous interroger sur vos idées...

Monsieur Gattolin, merci de ce que vous avez dit sur les travailleurs détachés : il est toujours agréable d'obtenir un résultat quand on a beaucoup travaillé. Quand j'ai pris mes fonctions, on m'avait prédit un échec. Ce résultat contribue à créer un climat plus positif en Europe et met fin à la résignation au moins-disant.

Comme vous l'avez dit, on a tendance à diaboliser le CETA à cause du TTIP. Vous avez raison de rappeler qu'il faut mettre l'accent sur la dimension géostratégique des accords plutôt que sur le libre-échange à tout crin, comme la Commission le fait parfois. Des accords en cours de négociation sont très intéressants, notamment celui avec le Japon : l'accès aux marchés publics japonais est un pas en avant très significatif et notre secteur agricole devrait également y trouver son compte.

Je ne reviens pas sur la Catalogne, puisque j'ai déjà rappelé la position du Gouvernement.

Enfin, il y a bien une revue à mi-parcours du cadre financier pluriannuel. Le retard pris dans la nouvelle programmation est dû au Brexit.

Monsieur Ouzoulias, vous vous êtes montré sévère quant à la position de l'Union européenne sur le glyphosate. Je vous aurais donné raison jusqu'à récemment, mais les prises de position des divers États membres, de la société civile, du Parlement européen font que la Commission a abandonné sa proposition d'un renouvellement de l'autorisation pour 10 ans. La réunion du comité d'experts d'hier n'a pas été conclusive parce qu'un certain nombre d'intervenants n'avaient pas d'instruction. En effet, la situation a évolué, notamment en raison de notre prise de position très claire au début de l'été. L'Allemagne elle-même change d'avis et la constitution d'une coalition gouvernementale qui intègre les Verts n'y est pas étrangère ; l'Italie est sur la même ligne que nous. Une solution doit être trouvée d'ici le 15 décembre : nous souhaitons un renouvellement d'autorisation pour une période de moins de 5 ans, parce qu'il faut un plan de sortie, une interdiction immédiate n'étant pas envisageable pour les utilisateurs. De plus en plus de pays nous entendent : j'ai été frappée par le très faible nombre de pays favorables à une reconduction de 10 ans, ce qui n'était pas le cas auparavant. La situation n'est pas parfaite, mais les enjeux environnementaux sont de mieux en mieux pris en compte. La Commission avait raison de reprocher aux États membres de se défausser : c'est moins vrai et la vigilance de la société civile n'y est pas pour rien.

Madame Harribey, vous avez très justement rappelé le projet de règlement qui vise à renforcer l'ENISA. En revanche, nous refusons de confier à cette agence le contrôle du schéma de validation et de certification, car il s'agit d'une compétence nationale. J'ai constaté avec intérêt, lors du dernier Conseil Affaires générales, que notre position sur ce point était très partagée, car il s'agit de vraies questions de souveraineté. L'Europe a du retard sur ces sujets par rapport aux États-Unis.

Il est hors de question d'abandonner la politique de cohésion, bien sûr, et elle reste prioritaire car elle est importante pour tous nos territoires, y compris l'Île-de-France. En revanche, nous devons examiner qui en bénéficie et pourquoi les crédits sont si mal consommés, afin de réévaluer les critères utilisés pour les attribuer. Cohésion signifie convergence : faut-il attribuer ces fonds à un pays qui décide de baisser son taux d'impôt sur les sociétés à 9 % ? Pour nous, c'est non. Convergence fiscale, sociale, environnementale, démocratique : peut-on impunément décider de ne pas respecter les mêmes règles que les autres et venir ensuite demander 10 milliards d'euros ou 13 milliards d'euros ? Il est indispensable d'avoir cette discussion, qui risque d'être très animée, mais nous sommes déterminés.

Monsieur Bonnecarrère, vous avez souligné le retour de la France en Europe. Il ne s'agit pas seulement d'un ressenti franco-français : les institutions européennes et nos partenaires constatent un changement de discours, la formulation de propositions très concrètes. Vous avez beaucoup contribué à la réflexion sur les effets extraterritoriaux des sanctions américaines. Des instruments européens avaient été utilisés en réponse à la loi Helms-Burton dans les années 1990 : ils ont besoin d'être remis à jour et nous faisons des propositions en ce sens. Le sujet est posé et je pense que notre position sera partagée.

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