Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le vice-président de la commission des lois, madame le rapporteur, mes chers collègues, il y aurait, dans notre pays, des sujets plus difficiles à aborder que d’autres ; si difficiles d’ailleurs que le législateur devrait être précautionneux, tant et si bien que l’abstention devrait prendrait le pas sur l’action. Assurément, c’est le cas du sujet de l’accueil des gens du voyage.
Peut-être en est-il ainsi parce qu’il s’agit de la vie quotidienne de nos compatriotes, peut-être parce que notre rapport à cet accueil reste complexe, sans doute parce que nous craignons d’être nous-mêmes victimes de nos représentations et préjugés.
D’emblée, je veux tordre le cou à une forme d’inversion des responsabilités. On nous explique que les torts seraient du côté des élus qui, ne respectant pas la loi Besson et les obligations du schéma départemental, seraient ipso facto les responsables d’une situation dans laquelle ils se seraient eux-mêmes placés.
Eh bien, il faut regarder la situation en face : dans nos départements, les élus, au travers de leurs communes, des syndicats compétents, des intercommunalités, ont, conformément au schéma départemental, engagé des investissements considérables dont ils assument aujourd’hui les charges et déficits de fonctionnement. Ce sont des choix difficiles qu’il leur faut assumer devant leurs concitoyens.
Je parle en connaissance de cause, puisque, dans la communauté de communes dont je suis le président pour quelques heures encore, la construction de trente places d’accueil, il y a deux ans, a coûté la somme rondelette d’un million d’euros, hors foncier.
En Haute-Savoie, territoire par territoire, nous sommes en conformité avec le schéma départemental ou en passe de l’être sur tous les sujets : aires d’accueil, aires de grand passage, aires de sédentarisation. La Haute-Savoie est un département de lacs et de montagne, un département dynamique et frontalier, un département accueillant et attractif, y compris pour les gens du voyage. Pourtant, chaque année, souvent dès le mois de février, comme l’a rappelé Jean-Claude Carle, de très nombreux stationnements illicites sont constatés sur tout le territoire, sur des parcelles agricoles, sur des tènements économiques, interrompant parfois l’activité des entreprises –cela a été le cas dans ma commune cette année –, sur des équipements publics, en empêchant même la jouissance paisible par les associations et nos concitoyens. Si notre département est ouvert sur le monde et accueillant, ne nous leurrons pas : l’offre d’aires aménagées ne répondra jamais à une demande toujours croissante.
La réalité haut-savoyarde qui est notre quotidien n’est qu’un exemple de ce qui se vit ici où là dans le pays. Les contributions à la rédaction tant des propositions de loi que des amendements de nombre de collègues, cosignataires de l’un ou l’autre des textes, originaires de tous les départements, l’ont démontré.
Au-delà de l’apport des collègues cosignataires, que je remercie, je précise d’ailleurs que c’est au travers d’un travail de fond avec les élus, mais aussi avec les acteurs de la justice, de l’éducation nationale ou de la sécurité, comme les gendarmes, que nous avons élaboré des propositions de nature à répondre concrètement aux difficultés suscitées par les stationnements illicites.
En prévoyant d’ouvrir aux forces de l’ordre la possibilité d’exiger le paiement immédiat d’une amende forfaitaire délictuelle, nous tentons de redonner aux policiers, aux gendarmes, mais aussi aux élus locaux un moyen d’action concret et efficace. Aujourd’hui, nos concitoyens ont trop souvent le sentiment que ces acteurs sont de simples spectateurs de ces occupations illicites, dépourvus de tout moyen d’action…
Aujourd’hui, c’est la réalité de terrain qui nous appelle à légiférer de nouveau. Le texte résultant des travaux de la commission des lois dont nous allons débattre est issu de deux propositions de loi rédigées par mon collègue Jean-Claude Carle et moi-même. Nous avons pour point commun d’être tous deux élus du département de la Haute-Savoie, de même que Cyril Pellevat, qui interviendra tout à l’heure dans la discussion générale. C’est bien la réalité quotidienne vécue par les élus qui nous a alertés et poussés à regarder ce qui, dans la loi, pouvait être encore amélioré.
Oui, au travers de nos propositions de loi, de nos prises de parole, ce sont de très nombreuses communes et leurs élus qui interpellent le Sénat et qui réclament une prise en compte de ce qu’ils vivent. Certains de ces élus sont présents en tribune cet après-midi pour écouter nos débats ; je les salue cordialement.
Dans tout le pays, de nombreux maires, présidents d’intercommunalité ou de syndicat, de bonne volonté et respectueux de la loi, font face chaque année à des situations difficiles dans lesquelles cette même loi est ouvertement bafouée, comme le sont les droits des riverains, des dirigeants économiques, des agriculteurs, des collectivités, et ce des semaines durant, les dégradations se chiffrant souvent en dizaines de milliers d’euros d’argent tant privé que public.
À ceux qui sont dubitatifs et aux esprits chagrins, j’indique que ces propositions sont concrètes et mesurées. Je le dis clairement, elles ne sauraient encourir le reproche d’une prétendue « stigmatisation ».
Certains pensent qu’il faudrait complètement récrire la loi Besson. Ce n’est pas mon cas, et je ne crois pas utile de revenir sur les fondements de ce texte.
En revanche, clarifier le rôle de l’État et celui des collectivités territoriales et des EPCI, améliorer l’information, moderniser les procédures d’évacuation des terrains occupés illicitement me paraît assurément indispensable, de même qu’adopter les mesures qui permettront de renforcer l’arsenal pénal et de rendre plus effectives les peines prononcées.
Je tiens à remercier très sincèrement Mme le rapporteur, Catherine Di Folco, de son travail d’analyse, de synthèse et d’enrichissement. Chacune des mesures proposées a été pesée et consolidée juridiquement ; je m’en réjouis.
Madame la ministre, vous êtes très bien informée des remontées du terrain. Vous avez d’ailleurs pris le temps de recevoir élus et agriculteurs de la Haute-Savoie à la fin du mois de juillet. Vous savez les difficultés suscitées par certains stationnements illicites des gens du voyage, vous savez que cette situation inquiète les élus, parfois même les épuise. Vous savez aussi que cette question pose problème au regard de notre pacte social.
Madame la ministre, l’État de droit existe quand la loi votée par le Parlement est appliquée par l’administration et l’autorité judiciaire dans les décisions qu’elles prennent ou rendent. Il faut dès lors que la loi soit rédigée de manière à résoudre les troubles à l’ordre public ou les atteintes à la propriété privée.
L’État de droit existe quand les décisions administratives ou judiciaires donnent lieu à une exécution rapide. Quand le sentiment d’impunité se répand, c’est la République qui s’affaiblit et c’est la force même de la loi qui en pâtit.
Il y va de la crédibilité de l’État, du Parlement, de la justice, des élus locaux, de la police et de la gendarmerie. Disons-le, il y va finalement de notre crédibilité collective, c'est-à-dire de la crédibilité de tous ceux et de toutes celles qui exercent une autorité publique au service de nos concitoyens.