Intervention de Raymonde Le Texier

Réunion du 5 mars 2009 à 15h00
Loi pénitentiaire — Article 20

Photo de Raymonde Le TexierRaymonde Le Texier :

Avec l’article 20, nous abordons l’une des problématiques cruciales de l’univers carcéral : je veux parler de la santé en prison.

Chacun se souvient des remarquables travaux effectués par le président Louis Mermaz en 2000. Six ans après les progrès enregistrés grâce à la mise en œuvre de la loi du 18 janvier 1994 relative à la santé publique et à la protection sociale, chacun estimait alors indispensable de pérenniser cette dynamique d’amélioration de la prise en charge sanitaire des personnes incarcérées.

Près d’une décennie plus tard, dans un contexte où la surpopulation, dans certains lieux de détention, peut atteindre le chiffre sans précédent de 200 %, qu’en est-il ?

Nous le savons tous, la santé de la population carcérale est globalement moins bonne que celle du reste de la population. Ce déficit n’est pas automatiquement la résultante de l’incarcération, mais il s’inscrit plus généralement dans des parcours individuels fragiles, où les situations de précarité et d’exclusion se sont accumulées. Ainsi, le rapport établi en 2005 par le collège des soignants intervenant en prison dressait le constat suivant.

En prison, on compte 3, 5 fois plus de cas de sida, 7 fois plus de cas d’hépatite C, de suicides et de cas de schizophrénie, 21 fois plus de cas de dépression, 20 fois plus de pathologies psychiatriques.

Plus synthétique, le professeur Didier Sicard, président du Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé, estimait, dès 2004, que la prison ressemblait à un véritable « laboratoire épidémiologique de maladies transmissibles et d’infections », et ce alors que nous ne connaissions pas encore l’actuelle et endémique surpopulation de nos prisons.

Ces chiffres sont dramatiques : ils sont le reflet d’un univers pénitentiaire qui concentre des difficultés énormes et d’un système qui hypothèque, faute de moyens idoines, la finalité même de la peine, à savoir la réinsertion. Car comment concevoir une telle mission si les détenus ne peuvent pas, dans les faits, bénéficier d’un accès aux soins de qualité ?

Voilà vingt-cinq ans, comme le disait notre collègue Robert Badinter, nous comprenions « qu’il ne pouvait exister une médecine pratiquée pour tous, puis une médecine carcérale et un traitement carcéral des maladies. Devant la maladie, tout être humain doit être également traité. »

En effet, au nom de quoi la pertinence de la logique qui a permis l’instauration de notre système de protection sociale s’arrêterait-elle aux portes du monde carcéral ? Pourtant, il s’agit non seulement de renouer dans le verbe avec une dynamique d’amélioration de l’efficience du système de soins pénitentiaires, mais également de l’inscrire dans les faits.

Relever le défi de cette amélioration est un impératif de tout premier ordre, d’autant que le bulletin de santé de la population carcérale s’est considérablement dégradé.

À ce titre, je voudrais appeler votre attention, mes chers collègues, sur l’urgence qui existe à prendre en considération le problème majeur qu’est la santé mentale de cette population.

Dès juin 2000, la commission d’enquête du Sénat sur les prisons observait que, en raison « d’une dérive psychiatrique et judiciaire, des milliers de détenus atteints de troubles psychiatriques errent ainsi sur le territoire national, ballotés entre les établissements pénitentiaires, leurs quartiers disciplinaires, les services médicopsychologiques régionaux, les unités pour malades difficiles, les unités fermées des hôpitaux pénitentiaires ».

Au-delà de ce constat, la froideur des chiffres renvoie à la nature même de cette problématique, qui mêle politique psychiatrique, pénitentiaire et judiciaire.

Selon une étude de 2004 du ministère de la justice portant sur 800 détenus, 80 % des hommes et 70 % des femmes présentent au moins un trouble psychiatrique, la majorité en cumulant plusieurs.

Face à cette réalité, les établissements ne disposant pas de services médicopsychologiques régionaux concernent 60 % de la population carcérale. Dans ce cas, des équipes réduites issues du secteur psychiatrique général du centre hospitalier le plus proche dispensent les soins les plus courants. Mais, selon les études menées sous la direction du professeur Rouillon, qui portent sur 1 000 détenus de 23 établissements différents, 56 % des détenus connaissent des troubles dépressifs, 24 % des troubles psychotiques et 2 % présentent une schizophrénie ou une psychose de type chronique ; ces chiffres recoupent ceux de l’étude du docteur de Beaurepaire, chef de service du SMPR de Fresnes en 2004.

Cette inquiétante actualité renvoie à la faillite de la psychiatrie de secteur public, à la suppression de 55 000 lits en vingt ans, aux restrictions budgétaires qui contraignent de plus en plus à limiter les hospitalisations à la seule période de crise aiguë.

Dans un tel contexte, comment s’étonner que la souffrance mentale s’oriente de plus en plus vers la rue, vers la prison ? Or il n’appartient pas à l’institution pénitentiaire de faire face à ce tsunami de pathologies, de suppléer aux manquements avérés d’une politique sanitaire aux conséquences désastreuses. À défaut, ce serait revenir au temps où les marginaux, les mauvais sujets, se trouvaient cadenassés pour protéger la société.

Dans cette perspective, certains n’hésitent pas à se demander si la prison n’est pas en train de devenir l’asile du XXIe siècle. Elle ne doit pas le devenir. Elle doit recouvrer sa mission première tout en permettant aux détenus dont l’état de santé n’est pas incompatible avec l’incarcération d’accéder, c’est fondamental, à des soins de qualité.

Tel est l’objet de l’article 20 et notre groupe fera des propositions afin d’en améliorer le contenu.

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