Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le vice-président de la commission des lois, madame la rapporteur, mes chers collègues, le texte de loi qui nous préoccupe aujourd’hui est hautement attendu par de nombreux élus, notamment en Haute-Savoie.
Ce n’est d’ailleurs pas une coïncidence si les trois sénateurs de la Haute-Savoie et ceux qui les ont précédés ont, tour à tour, déposé des questions orales ou écrites, rédigé des propositions de loi et interpellé, comme je le fais depuis trois ans, les différents ministres de l’intérieur qui se sont succédé.
Madame la ministre, je vous remercie d’avoir répondu favorablement à ma demande de nous recevoir au ministère de l’intérieur avec l’ensemble des acteurs concernés par la thématique des gens du voyage. Vous avez pu constater que la situation sur le terrain était préoccupante et que nous sommes assis sur une véritable poudrière, qui peut s’embraser à tout moment, d’un côté comme de l’autre.
Afin de clarifier mes propos, je voudrais apporter quelques précisions.
Tout d’abord, nous devons différencier les gens du voyage qui respectent les règles et représentent une très large majorité de ceux qui, au contraire, se comportent comme des délinquants et ne respectent pas les lois de la République et les arrêtés des communes ou des EPCI.
J’ai été maire d’une commune rurale de 1 500 habitants de 2008 à 2016, et pas une année ne s’est écoulée sans que je sois concerné par des installations illicites, ce qui a été le cas de nombreux maires cette année encore. Je connais donc bien le sujet, et il est important que je puisse relayer auprès de vous de façon factuelle le quotidien de ces élus de terrain, que comprend forcément moins bien l’administration.
Les installations illicites se font durant des périodes de plus en plus longues : en Haute-Savoie, cette année, c’est le cas depuis février. La tension est de plus en plus importante : toujours en Haute-Savoie, nous avons connu, ces dernières années, deux incidents majeurs, à Neydens et Pers-Jussy, avec des menaces à l’arme à feu sur un maire et un gendarme.
Madame la ministre, les élus et les services de l’État s’investissent dans leurs missions. Les élus de mon territoire respectent leurs obligations légales, décidées dans le cadre du schéma départemental des gens du voyage. En effet, mon département dispose à ce jour de 16 aires d’accueil offrant une capacité de 488 places. Avec l’ouverture de l’aire de Reignier, l’ensemble du département est en conformité avec le schéma 2011-2017 concernant les aires d’accueil et de grands passages.
Malgré cela, certains groupes semblent s’affranchir de droits fondamentaux, tels que le droit de propriété, qui est régulièrement bafoué.
Concernant les petits groupes de gens du voyage, les troubles générés par les occupations illicites ont été particulièrement forts cette année en Haute-Savoie : 57 communes du département en ont subi au moins une et 103 demandes d’arrêtés de mise en demeure ont été formulées depuis le début de l’année, contre 89 en 2016 – plus de 70 % sont le fait de deux familles.
Concernant les grands passages, certains groupes se sont imposés, dans le département, par le nombre et la force, bien qu’un refus de séjour leur ait été notifié en début d’année, puis réitéré lorsqu’ils se sont annoncés la veille pour le lendemain. D’autres groupes arrivent aussi à leur convenance, méconnaissant les dates officielles de réservation.
Les élus locaux n’en peuvent plus de passer des jours et des nuits à gérer les installations illicites, à subir invectives, menaces et intimidations, à constater des dégradations sur des terrains de football ou des aménagements municipaux, sans jamais pouvoir se retourner contre ceux qui dégradent volontairement ces espaces.
Lorsque j’étais maire d’Arthaz-Pont-Notre-Dame, j’ai vécu, par trois fois, des installations illicites sur mon terrain de football : elles ont eu pour conséquence une détérioration totale de cette surface, alors que la commune venait d’effectuer 30 000 euros de travaux et que les licenciés reprenaient l’entraînement. Bien sûr, puisqu’il est impossible d’attaquer un groupe, nous ne pouvons pas porter plainte, et les dégâts sont à la charge de la commune. Il faut que cela change !
Les élus doivent aussi gérer les interrogations de la population, qui fustige une justice à deux vitesses et qui considère que nos lois sont bien trop permissives.
Les propriétaires privés ne comprennent pas que l’on puisse s’installer en toute impunité sur leur terrain et qu’ils doivent entamer des procédures longues.
Les chefs d’entreprises sont également concernés. Des groupes s’installent par exemple sur des parkings de commerces, provoquant leur fermeture provisoire et une baisse du chiffre d’affaires. Certains chefs d’entreprise se trouvent dans l’obligation de faire appel à des services de sécurité privés.
Autres professionnels lourdement importunés : les agriculteurs. Ils sont excédés, subissent des dégradations de leur outil de travail, avec toutes les nuisances que cela entraîne : pertes de récoltes, dégâts dans les champs dus aux détritus – lames de rasoir, déchets plastiques, etc. – et impact sur les appellations d’origine contrôlée. Je comprends ceux qui crient à l’aide et manifestent, comme récemment à Viry ou lors de la grande journée de mobilisation organisée en Haute-Savoie. J’étais, durant ces deux journées, à leurs côtés.
Les gendarmes aussi sont épuisés par cette situation : face à de grands groupes, ils sont mobilisés avec des effectifs limités, pendant des périodes de plus en plus longues, alors qu’ils ont de nombreux autres dossiers à suivre. Même s’ils ont un devoir de réserve, nous pouvons aisément sentir, sur le terrain, leur exaspération.
Les préfets et sous-préfets sont lassés de devoir continuellement répondre sur ce sujet aux élus locaux, à la population ou aux agriculteurs et de devoir lancer des procédures d’expulsion toujours plus nombreuses.
Vous l’aurez compris, madame la ministre, il y a urgence ! Urgence à légiférer sur un nouveau texte, utile et applicable, grâce auquel l’État pourra mettre des moyens à disposition.
Comme je vous l’indique et comme vous l’avez déjà entendu de la part de l’ensemble des intervenants qui sont venus vous rencontrer place Beauvau, la situation est grave, très grave, et elle empire d’année en année. Nous frôlons le drame chaque semaine entre les communautés de gens du voyage et les gendarmes, élus locaux et paysans. Nous craignons que cela ne se solde par un cas mortel.
La proposition de loi de mon collègue Jean-Claude Carle, dont je suis cosignataire et qui a été inspirée par le sénateur honoraire Pierre Hérisson, et celle de Loïc Hervé visant à soutenir les collectivités territoriales et leurs groupements dans leur mission d’accueil des gens du voyage apportent des réponses concrètes. Je souhaite aussi remercier ma collègue Catherine Di Folco de la qualité de son rapport.
Je souligne que ce texte comble un vide législatif important, en répondant aux problèmes rencontrés par les élus locaux à l’occasion des grands rassemblements et passages des gens du voyage.