Intervention de Brigitte Gonthier-Maurin

Réunion du 5 mars 2009 à 15h00
Loi pénitentiaire — Article 20

Photo de Brigitte Gonthier-MaurinBrigitte Gonthier-Maurin :

L’article 20 modifié par l’amendement que nous avons déposé et qui a été adopté par la commission des lois porte sur la prise en charge de la santé des détenus.

Il traite, notamment, de la prise en compte par l’administration pénitentiaire de l’état psychologique des personnes détenues au moment de leur incarcération et pendant leur détention.

Ce point est fondamental ; je souhaite m’y arrêter un instant en évoquant le cas d’un jeune Polonais de 23 ans incarcéré à la maison d’arrêt de Nanterre. Ce jeune homme s’est suicidé le 26 mars 2008 en se pendant dans une cellule du quartier disciplinaire. Il souffrait de troubles psychiatriques importants. Saisie par notre collègue Louis Mermaz, la Commission nationale de déontologie de la sécurité, la CNDS, a rendu un avis, le 9 février dernier, sur les circonstances de ce suicide. Si mon collègue me le permet, je souhaite en dire quelques mots. §

Ce jeune Polonais avait été écroué le 31 décembre 2007 après une condamnation pour vol avec violence. Le soir de son incarcération à Nanterre, il s’est ouvert les veines. Ce geste a nécessité son extraction médicale et une intervention chirurgicale. Il a réintégré sa cellule dès le lendemain.

Deux mois plus tard, le 2 mars, à la suite d’une agression sur un surveillant, ce détenu a été placé en quartier disciplinaire pour quarante-cinq jours. C’est dans cette cellule qu’il s’est pendu, dans la nuit du 26 au 27 mars. Trouvé vers quatre heures quinze par le rondier, il n’a pas pu être ranimé.

Quelles sont les observations de la CNDS sur les conditions d’incarcération et de détention de cet homme ?

Incarcéré un 31 décembre dans la soirée, il n’a pu voir un médecin que le 2 janvier et un psychiatre le 3, date à laquelle il a été placé sous surveillance spéciale.

Comme le note la CNDS, de nombreuses études sur la prévention du suicide en prison décrivent le choc carcéral des premiers jours comme la période où les passages à l’acte sont les plus nombreux.

Dans son avis, la CNDS déplore qu’après une tentative de suicide ayant nécessité une intervention chirurgicale, et ce le soir même de son arrivée à la maison d’arrêt, cet homme ait été renvoyé en cellule dès le lendemain.

Depuis janvier 2007, il existe dans cet établissement pénitentiaire un questionnaire psychiatrique standardisé auquel tous les détenus arrivants sont soumis et qu’un psychologue ou un psychiatre doivent renseigner.

La précision de ce questionnaire nécessite, pour les détenus étrangers, la présence d’un interprète ou une bonne connaissance de leur langue. Le détenu en question n’a pas été soumis à ce questionnaire.

La CNDS s’interroge « sur la pertinence d’examens psychiatriques de détenus étrangers ne parlant pas le français effectués en l’absence d’un interprète ».

Par ailleurs, la CNDS « déplore que, même après sa tentative de suicide le jour de son arrivée en détention, ce détenu n’ait pas bénéficié du suivi nécessaire, en n’étant pas soumis au questionnaire psychiatrique » que je viens de mentionner.

Elle estime également, « anormal » que le médecin psychiatre n’ait appris que le 25 mars la présence de ce détenu au quartier disciplinaire, dans lequel il était placé depuis le 3 mars.

En effet, le psychiatre s’est rendu au quartier disciplinaire le 25 mars après avoir été alerté par les surveillants, inquiets de l’état du détenu. Il a vu ce dernier sans interprète, et le contact s’est révélé très « difficile », rapporte la CNDS. Il a alors décidé de le revoir deux jours plus tard avec un interprète pour évaluer s’il existait un trouble psychologique délirant pouvant expliquer ses actes hétéro-agressifs.

Interrogé par la CNDS, le médecin psychiatre a précisé que « dans ce cas, elle envisageait, le 27 mars, de demander une hospitalisation d’office ».

Concernant le placement en cellule disciplinaire, la CNDS « condamne le maintien en quartier disciplinaire d’un détenu suffisamment malade pour qu’une hospitalisation d’office ait été envisagée lors de sa dernière consultation, moins de deux jours avant son suicide ».

De nombreuses études ont montré que le risque suicidaire était accru en quartier disciplinaire : selon l’Étude sur les droits de l’homme en prison de la Commission nationale consultative des droits de l’homme, rendue publique en mars 2004, « le risque suicidaire est sept fois plus important en quartier disciplinaire que dans le reste de la détention ».

Ce rapport indique aussi que la « sursuicidité au quartier disciplinaire implique que les autorités lui substituent d’autres formes de sanction ».

Sans compter que la maison d’arrêt de Nanterre subit, elle aussi, une surpopulation carcérale – 900 détenus pour 600 places – et ne dispose que de trois médecins psychiatres à mi-temps, dont l’un pour la toxicomanie.

Ainsi, la CNDS, à l’issue de l’examen des conditions du suicide de ce détenu, a considéré qu’il n’avait « pas bénéficié de la surveillance spéciale que son état psychique nécessitait ».

Cet exemple nous montre bien que la prévention du suicide en prison, sans les moyens adéquats, reste inopérante, surtout lorsqu’il s’agit de détenus étrangers, dont la prise en charge est beaucoup plus difficile.

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