Intervention de Mounir Mahjoubi

Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable — Réunion du 9 novembre 2017 à 11:5
Audition de M. Mounir Mahjoubi secrétaire d'état auprès du premier ministre chargé du numérique

Mounir Mahjoubi, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé du numérique :

Merci de m'accueillir et de consacrer du temps à ce sujet du numérique, auquel je consacre ma vie avec grand plaisir. Mon secrétariat d'État est désormais rattaché au Premier ministre, afin qu'il puisse se saisir de toute l'universalité que représente le numérique dans la transformation économique et sociale de notre pays.

Le champ d'action de mon secrétariat d'État repose sur cinq piliers. Le premier est le pilier économique, autour de deux éléments majeurs, les start-up et la French Tech. Le précédent gouvernement a beaucoup avancé sur ce sujet, avec un bilan très positif. L'enjeu pour nous est de poursuivre cette action tout en gardant ce niveau d'exigence et de performance. Nous voulons en outre ajouter des éléments nouveaux, à savoir la mixité, afin que plus de femmes s'investissent dans le numérique, et la diversité sociale avec le doublement de l'action French Tech Diversité, pour que plus d'entrepreneurs viennent des quartiers populaires et ruraux. Cette question de la diversification de nos entrepreneurs n'est pas seulement sociale, elle est aussi économique.

La situation des TPE-PME est la priorité absolue que j'avais mise au centre de l'action du Conseil national du numérique lorsque j'en étais le président. J'ai d'ailleurs retrouvé la recommandation que nous avions remise au Gouvernement dans cette optique. Nous avons nommé la semaine dernière une personnalité qualifiée pour lancer au 1er septembre 2018 un véritable engagement national pour la numérisation des TPE-PME, sujet sur lequel nous sommes seulement au seizième rang européen.

Près de 80 % des emplois dans ces entreprises ne sont pas situés dans une grande ville, contre 50 % pour tous les emplois français. Et pour maintenir notre équilibre territorial, il faut que ces entreprises traversent les mutations à venir. Sinon, elles disparaîtront comme cela s'est produit à l'étranger, au profit de plateformes ou des grands groupes. Je rencontre régulièrement les acteurs concernés afin que nous avancions sur notre projet.

Le deuxième pilier est la transformation de l'État, au travers de plusieurs objectifs, dont celui, à l'horizon 2022, de 100 % des démarches numérisées, avec une plateforme numérique de l'État où les données sont partagées de façon sécurisée, outre une identification unique permettant à tous les citoyens de se connecter facilement à tous ces services publics.

Avant d'en arriver là, nous devons gérer une phase de transition portant sur des dizaines de milliers d'applications numériques existantes qui ne communiquent pas forcément entre elles, des cultures différentes au sein de l'État, nécessitant notamment une nouvelle relation informatique entre l'État et les collectivités locales. Les dépenses globales avoisinent 10 milliards d'euros par an. C'est le coût de l'engagement numérique public, mais malheureusement, peu de crédits sont affectés à l'innovation, l'essentiel va au maintien des systèmes existants. Pour nous, l'enjeu sur ce sujet est à la fois de construire la vision de demain et de travailler sur ces cycles.

Nous pourrons faire des économies en mettant fin à certains systèmes grâce à la mutualisation, et gagner du temps en faveur de nos directeurs des systèmes d'information (DSI), qui doivent parfois gérer 250 systèmes hébergés différents. Cette mutualisation renforcera aussi la sécurité et la performance.

La transition peut passer par une phase d'investissement dans l'innovation, laissant perdurer les systèmes quelques années supplémentaires. Tel est l'objet du travail que j'ai voulu réaliser de manière coopérative et active avec les DSI eux-mêmes. Nous effectuons des bilans très réguliers, qui doivent nous permettre de produire des recommandations sur huit chantiers et guider notre action pour les années à venir. Parmi ces chantiers, la plateforme numérique de l'État est essentielle, y compris pour les collectivités locales. Elle suppose la capacité à partager, protéger les données et à s'identifier grâce à un portail unique. Ainsi, les services départements ou communaux n'auront pas à redévelopper des dispositifs d'identification ou de paiement déjà mis en oeuvre et offriront plus de services publics numériques à nos concitoyens.

Le troisième pilier est l'inclusion numérique qui dépend des infrastructures, à savoir le réseau mobile et le réseau fixe. Lors de la création du grand ministère de la cohésion des territoires, nous avons voulu nous assurer qu'il serait capable de dialoguer avec les collectivités locales. C'est pourquoi nous avons choisi que le sujet des infrastructures soit piloté par ce ministère, porté par MM. Jacques Mézard et Julien Denormandie. Nous travaillons aussi avec M. Benjamin Griveaux, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances, pour que, face aux opérateurs et aux régulateurs, l'État s'exprime d'une seule voix sur le numérique, l'économie et la cohésion des territoires.

Les Français manifestent une exigence légitime d'avoir plus rapidement accès à ces réseaux. Les objectifs essentiels à nos yeux ont été rappelés par le Président de la République lors de la Conférence nationale des territoires, à commencer par un réseau mobile de qualité en 2020 pour tous les citoyens sur la quasi-totalité du territoire, hormis certaines zones spécifiques.

Quant au réseau fixe, notre objectif est de parvenir à un haut débit en 2020 pour tous les Français, et à un très haut débit dès 2022. Nous avons incité au maintien des grands équilibres dans les réseaux d'initiative publique (RIP), à rappeler les engagements déjà pris et à s'engager pour les cofinancements. Les tentatives de déstabilisation des RIP ne nous atteignent pas, mais nous agirons pour empêcher les déséquilibres grâce au dialogue et à la négociation. C'est ainsi que nos opérateurs pourront se comporter de façon optimale dans des zones rentables pour eux, car en partie non couvertes.

Le second volet de l'inclusion numérique repose sur les usages. Or pour 20 % des Français, soit 13 millions d'entre eux, il est presque impossible de procéder à une démarche numérique en ligne. Cela reste difficile pour 50 % de nos concitoyens, par manque d'habitude ou parce que les processus utilisés sont nouveaux. Que fait-on pour améliorer les choses aujourd'hui ? De très nombreuses initiatives existent sur le territoire, dont celles qui émanent du public, notamment pour les démarches préfectorales liées aux véhicules automobiles qui sont désormais numérisées. À chaque nouvelle initiative, on découvre des familles exclues du numérique. Les raisons en sont variées : non-maîtrise de la langue, handicap, très grand âge ou faible utilisation du numérique dans son cadre professionnel durant plusieurs décennies. Les inégalités se cumulant, les personnes les plus éloignées de l'emploi sont aussi les plus réfractaires au numérique. Pour ces Français, les start-up, les services et la banque en ligne, la communication avec sa famille, les services publics, toutes ces nouvelles révolutions restent une fiction. J'emploie souvent cette métaphore : à quoi sert de voir un train passer très vite au fond de son jardin, si la première gare est à 400 kilomètres ?

Si l'on veut que les deux premiers piliers soient des succès et que notre économie et nos services publics se transforment par le numérique, il faut s'occuper de ces 13 millions de Français. Cela a fait l'objet au sein de la Conférence nationale des territoires d'une réflexion sur la stratégie nationale d'inclusion numérique, laquelle sera très courte, car son unique ambition est d'être bien définie territorialement, à mon sens au niveau du département. Pourquoi ? Parce que de nombreux acteurs sont capables d'identifier cette exclusion numérique. Je citerai les grands opérateurs sociaux tels que la Caisse d'allocations familiales, Pôle emploi, les grand opérateurs nationaux tels que les services des impôts, et les opérateurs territoriaux à l'instar des départements et des centres sociaux, outre les préfectures qui délivrent et assurent des services publics de guichet : chacun d'entre eux identifie les publics qui rencontrent des difficultés dans l'utilisation du numérique et y apporte une solution individuelle.

Aujourd'hui, si vous n'avez pas su effectuer la déclaration en ligne de vos revenus, vous serez accueilli par la CAF et orienté : soit vous ferez les démarches en autonomie, soit vous serez assisté par des agents et, en cas de besoin, obtiendrez un rendez-vous de guichet. La CAF investit pour réaliser cette médiation. Malheureusement, cette aide du médiateur de la CAF n'est pas valable à Pôle emploi, et inversement. La préfecture et les centres sociaux agissent de même. Nous devons réfléchir à la coordination des services, notamment entre les services publics territoriaux et nationaux et entre ceux-ci et les services privés. Les grands mutualistes ont tout intérêt à ce que leurs clients maîtrisent mieux le numérique, ce qui leur épargnera des rendez-vous et des appels téléphoniques.

La situation est la suivante : des personnes publiques ou privées rendent des services au public et ont intérêt à cette numérisation, des publics sont défaillants sur l'utilisation du numérique et doivent être accompagnés, et un réseau d'accompagnement existe au travers d'actions de formations des associations et du mouvement de l'économie sociale et solidaire en faveur de l'inclusion et de la médiation numériques.

L'accompagnement revêt différentes formes, qu'il s'agisse d'une aide directe immédiate ou, plus souvent, comme lorsqu'on apprend à pêcher, d'un soutien sur plusieurs semaines ou quelques mois à devenir autonome. Toutes ces actions ont un coût pour ces différents acteurs, associations, services publics territoriaux, maisons du service au public, mais aussi acteurs privés territoriaux, petites entreprises qui pratiquent l'accompagnement numérique au quotidien.

Cette stratégie nationale vise à trouver des points d'accord entre tous les acteurs sur le financement des services offerts à ces 13 millions de Français. Tout le monde en a besoin et le Gouvernement est mobilisé sur le sujet. J'ai participé à de nombreuses réunions avec les régions de France, les représentants des départements, le ministère de l'intérieur et le ministère de la santé. J'espère, à l'issue de la Conférence nationale territoriale de décembre, pouvoir proposer une initiative qui sera portée par tous ces acteurs.

Le quatrième pilier est la cybersécurité. Ma dernière audition ici même, lorsque j'étais président du Conseil national du numérique, portait sur ce thème, notamment sur la sécurité des bases de données. Ce sujet est encore plus d'actualité aujourd'hui.

Les axes pour 2018 et 2019 portent sur les moyens de sécuriser le socle de la pyramide, sachant que le haut de la pyramide est l'État et que, entre les deux, on trouve les organismes d'intérêts vitaux (OIV), peu nombreux mais majeurs d'un point de vue stratégique. L'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (Anssi) a pour mission de protéger les systèmes d'information de l'État et d'inviter à protéger les systèmes d'information de ces opérateurs vitaux.

En dessous, aucune volonté politique d'une protection systématique n'existait. Or la menace a changé de forme : c'est maintenant une micro-menace qui peut se démultiplier, avec des infections massives d'ordinateurs. Le plus grand risque encouru est une infection massive de nos PME plus qu'une attaque majeure sur un dispositif très protégé. Si demain 100 PME sont atteintes, la France se relèvera ; mais si 100 000 d'entre elles sont contaminées, c'est toute l'économie qui est mise en danger.

Nous travaillons donc aujourd'hui à l'analyse et à la définition des différents risques encourus. À cet égard, nous avons lancé avec l'Anssi de nouveaux volets à destination des TPE-PME, notamment grâce à la création d'un partenariat public-privé au travers du site cybermalveillance.gouv.fr. Il s'agit par exemple de faire face à une infection massive d'ordinateurs assortie d'une demande de rançon. Désormais, cette plateforme aidera l'entrepreneur à régler la situation.

Enfin, le cinquième et dernier pilier a trait à la fiscalité internationale liée au numérique, par conséquent à la souveraineté et au dialogue avec les plateformes. Quelle est notre vision de l'Europe dans un monde où des acteurs de plus en plus importants agissent différemment des entreprises traditionnelles sur des éléments stratégiques de notre économie ? Disposons-nous de tous les outils du droit de la concurrence pour maîtriser ces transformations ? Qu'en est-il des outils intellectuels et technologiques pour faire face à la situation ?

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