Nous sommes très heureux de recevoir aujourd'hui M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé du numérique. Cette audition, reportée en raison d'un certain nombre de contraintes d'agenda, ne s'inscrit pas dans le cadre des auditions qui ont actuellement lieu pour la préparation du budget. Elle est destinée à permettre à M. le secrétaire d'État de nous présenter son action, ses priorités et peut-être de nous expliquer la structure gouvernementale en matière de numérique, qui implique l'intervention de plusieurs ministres ou secrétaires d'État.
Je rappelle, monsieur le ministre, que votre compétence et votre implication de longue date sur le numérique ne sont plus à démontrer. Vous avez d'ailleurs été président du Conseil national du numérique, et aviez auparavant créé et dirigé plusieurs entreprises pour favoriser l'innovation grâce au numérique.
Je demanderai à nos collègues, toujours très mobilisés sur la question du déploiement des infrastructures, de ne pas vous interroger sur ce point, car il n'entre pas dans le champ de vos compétences. MM. Jacques Mézard et Julien Denormandie nous donneront plus de précisions à ce sujet la semaine prochaine.
En revanche, vous avez beaucoup à dire sur les usages et sur ce que les territoires peuvent attendre de ce domaine, qu'il s'agisse de leur attractivité ou du maintien des services publics. D'ailleurs, plus vous insisterez sur les possibilités offertes par ces usages, plus notre impatience, en termes de déploiement des infrastructures, sera grande. Pourriez-vous nous préciser votre feuille de route et nous présenter la stratégie de l'État en matière de déploiement des usages ?
Sur l'initiative de Patrick Chaize, nous avons introduit dans la loi pour une République numérique le principe de l'élaboration d'orientations nationales pour le développement des usages et services numériques dans les territoires. Le Sénat a souhaité que l'État apporte aux collectivités des lignes directrices. À ma connaissance, ce document-cadre n'a pas encore été publié. Pourriez-vous nous indiquer ce qu'il en est ?
Par ailleurs, vous évoquez régulièrement le concept de médiation numérique. Qu'entendez-vous par là et que peut-on en attendre ?
Merci de m'accueillir et de consacrer du temps à ce sujet du numérique, auquel je consacre ma vie avec grand plaisir. Mon secrétariat d'État est désormais rattaché au Premier ministre, afin qu'il puisse se saisir de toute l'universalité que représente le numérique dans la transformation économique et sociale de notre pays.
Le champ d'action de mon secrétariat d'État repose sur cinq piliers. Le premier est le pilier économique, autour de deux éléments majeurs, les start-up et la French Tech. Le précédent gouvernement a beaucoup avancé sur ce sujet, avec un bilan très positif. L'enjeu pour nous est de poursuivre cette action tout en gardant ce niveau d'exigence et de performance. Nous voulons en outre ajouter des éléments nouveaux, à savoir la mixité, afin que plus de femmes s'investissent dans le numérique, et la diversité sociale avec le doublement de l'action French Tech Diversité, pour que plus d'entrepreneurs viennent des quartiers populaires et ruraux. Cette question de la diversification de nos entrepreneurs n'est pas seulement sociale, elle est aussi économique.
La situation des TPE-PME est la priorité absolue que j'avais mise au centre de l'action du Conseil national du numérique lorsque j'en étais le président. J'ai d'ailleurs retrouvé la recommandation que nous avions remise au Gouvernement dans cette optique. Nous avons nommé la semaine dernière une personnalité qualifiée pour lancer au 1er septembre 2018 un véritable engagement national pour la numérisation des TPE-PME, sujet sur lequel nous sommes seulement au seizième rang européen.
Près de 80 % des emplois dans ces entreprises ne sont pas situés dans une grande ville, contre 50 % pour tous les emplois français. Et pour maintenir notre équilibre territorial, il faut que ces entreprises traversent les mutations à venir. Sinon, elles disparaîtront comme cela s'est produit à l'étranger, au profit de plateformes ou des grands groupes. Je rencontre régulièrement les acteurs concernés afin que nous avancions sur notre projet.
Le deuxième pilier est la transformation de l'État, au travers de plusieurs objectifs, dont celui, à l'horizon 2022, de 100 % des démarches numérisées, avec une plateforme numérique de l'État où les données sont partagées de façon sécurisée, outre une identification unique permettant à tous les citoyens de se connecter facilement à tous ces services publics.
Avant d'en arriver là, nous devons gérer une phase de transition portant sur des dizaines de milliers d'applications numériques existantes qui ne communiquent pas forcément entre elles, des cultures différentes au sein de l'État, nécessitant notamment une nouvelle relation informatique entre l'État et les collectivités locales. Les dépenses globales avoisinent 10 milliards d'euros par an. C'est le coût de l'engagement numérique public, mais malheureusement, peu de crédits sont affectés à l'innovation, l'essentiel va au maintien des systèmes existants. Pour nous, l'enjeu sur ce sujet est à la fois de construire la vision de demain et de travailler sur ces cycles.
Nous pourrons faire des économies en mettant fin à certains systèmes grâce à la mutualisation, et gagner du temps en faveur de nos directeurs des systèmes d'information (DSI), qui doivent parfois gérer 250 systèmes hébergés différents. Cette mutualisation renforcera aussi la sécurité et la performance.
La transition peut passer par une phase d'investissement dans l'innovation, laissant perdurer les systèmes quelques années supplémentaires. Tel est l'objet du travail que j'ai voulu réaliser de manière coopérative et active avec les DSI eux-mêmes. Nous effectuons des bilans très réguliers, qui doivent nous permettre de produire des recommandations sur huit chantiers et guider notre action pour les années à venir. Parmi ces chantiers, la plateforme numérique de l'État est essentielle, y compris pour les collectivités locales. Elle suppose la capacité à partager, protéger les données et à s'identifier grâce à un portail unique. Ainsi, les services départements ou communaux n'auront pas à redévelopper des dispositifs d'identification ou de paiement déjà mis en oeuvre et offriront plus de services publics numériques à nos concitoyens.
Le troisième pilier est l'inclusion numérique qui dépend des infrastructures, à savoir le réseau mobile et le réseau fixe. Lors de la création du grand ministère de la cohésion des territoires, nous avons voulu nous assurer qu'il serait capable de dialoguer avec les collectivités locales. C'est pourquoi nous avons choisi que le sujet des infrastructures soit piloté par ce ministère, porté par MM. Jacques Mézard et Julien Denormandie. Nous travaillons aussi avec M. Benjamin Griveaux, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances, pour que, face aux opérateurs et aux régulateurs, l'État s'exprime d'une seule voix sur le numérique, l'économie et la cohésion des territoires.
Les Français manifestent une exigence légitime d'avoir plus rapidement accès à ces réseaux. Les objectifs essentiels à nos yeux ont été rappelés par le Président de la République lors de la Conférence nationale des territoires, à commencer par un réseau mobile de qualité en 2020 pour tous les citoyens sur la quasi-totalité du territoire, hormis certaines zones spécifiques.
Quant au réseau fixe, notre objectif est de parvenir à un haut débit en 2020 pour tous les Français, et à un très haut débit dès 2022. Nous avons incité au maintien des grands équilibres dans les réseaux d'initiative publique (RIP), à rappeler les engagements déjà pris et à s'engager pour les cofinancements. Les tentatives de déstabilisation des RIP ne nous atteignent pas, mais nous agirons pour empêcher les déséquilibres grâce au dialogue et à la négociation. C'est ainsi que nos opérateurs pourront se comporter de façon optimale dans des zones rentables pour eux, car en partie non couvertes.
Le second volet de l'inclusion numérique repose sur les usages. Or pour 20 % des Français, soit 13 millions d'entre eux, il est presque impossible de procéder à une démarche numérique en ligne. Cela reste difficile pour 50 % de nos concitoyens, par manque d'habitude ou parce que les processus utilisés sont nouveaux. Que fait-on pour améliorer les choses aujourd'hui ? De très nombreuses initiatives existent sur le territoire, dont celles qui émanent du public, notamment pour les démarches préfectorales liées aux véhicules automobiles qui sont désormais numérisées. À chaque nouvelle initiative, on découvre des familles exclues du numérique. Les raisons en sont variées : non-maîtrise de la langue, handicap, très grand âge ou faible utilisation du numérique dans son cadre professionnel durant plusieurs décennies. Les inégalités se cumulant, les personnes les plus éloignées de l'emploi sont aussi les plus réfractaires au numérique. Pour ces Français, les start-up, les services et la banque en ligne, la communication avec sa famille, les services publics, toutes ces nouvelles révolutions restent une fiction. J'emploie souvent cette métaphore : à quoi sert de voir un train passer très vite au fond de son jardin, si la première gare est à 400 kilomètres ?
Si l'on veut que les deux premiers piliers soient des succès et que notre économie et nos services publics se transforment par le numérique, il faut s'occuper de ces 13 millions de Français. Cela a fait l'objet au sein de la Conférence nationale des territoires d'une réflexion sur la stratégie nationale d'inclusion numérique, laquelle sera très courte, car son unique ambition est d'être bien définie territorialement, à mon sens au niveau du département. Pourquoi ? Parce que de nombreux acteurs sont capables d'identifier cette exclusion numérique. Je citerai les grands opérateurs sociaux tels que la Caisse d'allocations familiales, Pôle emploi, les grand opérateurs nationaux tels que les services des impôts, et les opérateurs territoriaux à l'instar des départements et des centres sociaux, outre les préfectures qui délivrent et assurent des services publics de guichet : chacun d'entre eux identifie les publics qui rencontrent des difficultés dans l'utilisation du numérique et y apporte une solution individuelle.
Aujourd'hui, si vous n'avez pas su effectuer la déclaration en ligne de vos revenus, vous serez accueilli par la CAF et orienté : soit vous ferez les démarches en autonomie, soit vous serez assisté par des agents et, en cas de besoin, obtiendrez un rendez-vous de guichet. La CAF investit pour réaliser cette médiation. Malheureusement, cette aide du médiateur de la CAF n'est pas valable à Pôle emploi, et inversement. La préfecture et les centres sociaux agissent de même. Nous devons réfléchir à la coordination des services, notamment entre les services publics territoriaux et nationaux et entre ceux-ci et les services privés. Les grands mutualistes ont tout intérêt à ce que leurs clients maîtrisent mieux le numérique, ce qui leur épargnera des rendez-vous et des appels téléphoniques.
La situation est la suivante : des personnes publiques ou privées rendent des services au public et ont intérêt à cette numérisation, des publics sont défaillants sur l'utilisation du numérique et doivent être accompagnés, et un réseau d'accompagnement existe au travers d'actions de formations des associations et du mouvement de l'économie sociale et solidaire en faveur de l'inclusion et de la médiation numériques.
L'accompagnement revêt différentes formes, qu'il s'agisse d'une aide directe immédiate ou, plus souvent, comme lorsqu'on apprend à pêcher, d'un soutien sur plusieurs semaines ou quelques mois à devenir autonome. Toutes ces actions ont un coût pour ces différents acteurs, associations, services publics territoriaux, maisons du service au public, mais aussi acteurs privés territoriaux, petites entreprises qui pratiquent l'accompagnement numérique au quotidien.
Cette stratégie nationale vise à trouver des points d'accord entre tous les acteurs sur le financement des services offerts à ces 13 millions de Français. Tout le monde en a besoin et le Gouvernement est mobilisé sur le sujet. J'ai participé à de nombreuses réunions avec les régions de France, les représentants des départements, le ministère de l'intérieur et le ministère de la santé. J'espère, à l'issue de la Conférence nationale territoriale de décembre, pouvoir proposer une initiative qui sera portée par tous ces acteurs.
Le quatrième pilier est la cybersécurité. Ma dernière audition ici même, lorsque j'étais président du Conseil national du numérique, portait sur ce thème, notamment sur la sécurité des bases de données. Ce sujet est encore plus d'actualité aujourd'hui.
Les axes pour 2018 et 2019 portent sur les moyens de sécuriser le socle de la pyramide, sachant que le haut de la pyramide est l'État et que, entre les deux, on trouve les organismes d'intérêts vitaux (OIV), peu nombreux mais majeurs d'un point de vue stratégique. L'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (Anssi) a pour mission de protéger les systèmes d'information de l'État et d'inviter à protéger les systèmes d'information de ces opérateurs vitaux.
En dessous, aucune volonté politique d'une protection systématique n'existait. Or la menace a changé de forme : c'est maintenant une micro-menace qui peut se démultiplier, avec des infections massives d'ordinateurs. Le plus grand risque encouru est une infection massive de nos PME plus qu'une attaque majeure sur un dispositif très protégé. Si demain 100 PME sont atteintes, la France se relèvera ; mais si 100 000 d'entre elles sont contaminées, c'est toute l'économie qui est mise en danger.
Nous travaillons donc aujourd'hui à l'analyse et à la définition des différents risques encourus. À cet égard, nous avons lancé avec l'Anssi de nouveaux volets à destination des TPE-PME, notamment grâce à la création d'un partenariat public-privé au travers du site cybermalveillance.gouv.fr. Il s'agit par exemple de faire face à une infection massive d'ordinateurs assortie d'une demande de rançon. Désormais, cette plateforme aidera l'entrepreneur à régler la situation.
Enfin, le cinquième et dernier pilier a trait à la fiscalité internationale liée au numérique, par conséquent à la souveraineté et au dialogue avec les plateformes. Quelle est notre vision de l'Europe dans un monde où des acteurs de plus en plus importants agissent différemment des entreprises traditionnelles sur des éléments stratégiques de notre économie ? Disposons-nous de tous les outils du droit de la concurrence pour maîtriser ces transformations ? Qu'en est-il des outils intellectuels et technologiques pour faire face à la situation ?
Je vous remercie de cet exposé très complet qui prouve votre implication et votre détermination à faire avancer les choses.
Je me joins à ce propos. Il me paraît indispensable de coordonner les usages et les infrastructures, notamment en ce qui concerne les difficultés d'inclusion numérique. Sans dévoiler les secrets des négociations, il serait intéressant que vous nous fassiez part de l'état d'avancement de la feuille de route du Gouvernement, étant entendu que, depuis le début de ce chantier, sont intervenus un certain nombre d'événements, dont quelques déclarations d'opérateurs qui ont perturbé le jeu et la stabilité des discussions.
Dans le cadre de la loi pour une République numérique, nous avions intégré le principe d'un schéma des usages à l'échelon des collectivités locales. Finalement, cette ouverture n'a pas vraiment été suivie d'effets. Quelles actions le Gouvernement compte-t-il mener pour accompagner les collectivités ?
Cet accompagnement devrait être encadré par un objectif national, mais aussi comporter des mesures financières. L'objectif d'une dématérialisation totale des procédures en 2022 est ambitieux, mais cohérent avec le Plan France très haut débit. On ne peut que s'en féliciter. Je souhaiterais vous alerter sur le risque de voir apparaître des sites qui viendraient interférer dans cette démarche. Je citerai l'exemple très concret de la demande de certificat d'immatriculation sur Internet. Avant de trouver le site adéquat, le client est démarché par de nombreux sites qui proposent des services payants. Il accepte la plupart du temps la proposition, car cela lui semble plus simple. Sans vouloir supprimer ces sites, ne pourrait-on pas remonter les sites des services publics dans les propositions avancées ? Ou bien prévoir un moyen d'accès aux services publics plus direct ? De plus, si le vendeur n'a pas effectué la démarche dématérialisée, l'acheteur ne peut rien faire. C'est une vraie difficulté qu'il faut prendre en compte.
Merci, monsieur le secrétaire d'État, de votre présentation. Je souhaiterais revenir sur les infrastructures et en particulier sur l'agressivité des opérateurs privés dans les RIP. C'est le cas dans le Nord où des collectivités territoriales sont séduites puis débauchées pour quitter les réseaux qui ont fait l'objet de financements publics importants. Vous avez évoqué la négociation pour détourner l'attention de ces opérateurs privés, mais permettez-moi d'exprimer un doute quant à l'efficacité de cette méthode, au moins dans le court terme. Avez-vous envisagé des méthodes plus coercitives à l'encontre des opérateurs privés ?
La réflexion que vous menez et votre action répondent aux défis urgents que notre territoire doit relever. Effectivement, tout le monde doit pouvoir avoir accès au très haut débit. Or quand nous avons reçu l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (l'Arcep) récemment, celle-ci nous a indiqué avoir été mandatée par le Gouvernement pour trouver un accord avec les opérateurs. A été soulevé le problème de l'impossibilité d'une contrainte juridique pour les obliger à remplir leurs engagements. Quel sont les moyens d'action possibles ?
Pour ce qui est des entreprises, 80 % des emplois en France ne sont pas situés dans une grande ville. Il est urgent que les TPE-PME réussissent cette transformation numérique et que celle-ci soit réalisée au bénéfice des territoires les plus éloignés des centres urbains. Cela est essentiel pour préserver une dynamique dans ces zones. Vous vous êtes engagé sur ce sujet, mais l'accès au très haut débit est compliqué. Comment conjuguer la nécessité de maintenir la vie au sein de nos territoires ruraux avec cette difficulté d'accès à la couverture numérique ?
Monsieur le secrétaire d'État, on sent la fougue qui vous anime ! Celle-ci repose sur différents piliers, dont deux m'intéressent particulièrement : le pilier économique et celui sur l'inclusion sur lequel vous avez beaucoup insisté. Ces préoccupations rejoignent l'une de celles des TPE-PME, à savoir la formation professionnelle continue, car les organismes de formation agréés utilisent très peu les outils numériques. L'enjeu est très fort pour les TPE, qui sont sans doute les plus éloignées de la formation professionnelle numérique et pourraient tirer profit de la digitalisation. Comment comptez-vous agir avec votre collègue Muriel Pénicaud ?
J'admire également votre enthousiasme et votre fougue à plus de 30 mégabits, monsieur le secrétaire d'État !
Sur ce dossier, je rejoins Nelly Tocqueville sur la situation des territoires ruraux, notamment la difficulté d'intéresser les toutes petites entreprises au numérique. La situation n'est pas claire concernant la répartition des compétences. Les chambres consulaires dispensent les formations, mais nous, élus locaux, ne savons pas à qui nous adresser pour relayer l'information auprès des entreprises et des particuliers.
Pour ce qui est des particuliers, les maisons de service au public peuvent jouer un rôle, à condition que l'État apporte un soutien aux personnes employées pour former les clients au numérique.
Enfin, les French Tech sont très urbaines. Comment faire en sorte qu'elles soient un peu plus présentes dans les territoires ruraux, non pas dans les toutes petites communes, mais dans les pôles de centralité des anciens cantons, afin qu'ils puissent bénéficier de cette dynamique de création et d'innovation ?
Merci, monsieur le secrétaire d'État, de votre présentation. Je partage les propos de mon collègue : dans le nord du Lot, territoire très rural, une entreprise spécialisée dans la conception et la fabrication de lanceurs de laboratoire, dont les dispositifs équipent les centres de recherche, est installée dans une commune de 1 000 habitants, loin de tout, à trois quarts d'heure de Brive et une heure et demie de Cahors. Cette entreprise innovante et compétitive subit des débits trop faibles pour transférer des logiciels de calcul et se trouve dans l'impossibilité de communiquer avec des clients internationaux, notamment asiatiques. S'y ajoute un problème de sécurité lié à la gestion de dossiers défense pour d'autres pays, à tel point qu'un déménagement est envisagé. Comment mettre à la disposition des entreprises les moyens disponibles actuellement, à savoir des supercalculateurs ? Cela représenterait un bon levier de développement en faveur des entreprises technologiques en milieu rural, avec la fibre en prérequis. Pouvez-vous préciser les modalités du Plan France très haut débit pour maintenir la compétitivité de nos entreprises rurales ?
Merci pour votre intervention, très professionnelle. Au World Electronics Forum d'Angers, vous avez présenté votre stratégie nationale de l'inclusion numérique, et vous avez même rendu visite à une personne âgée éloignée du numérique, notamment parce qu'elle n'avait pas d'enfants pour l'y connecter. La maîtrise de l'outil est essentielle, vu la numérisation massive des procédures administratives. Parmi les 15 % à 20 % de personnes éloignées du numérique, certaines font la démarche de se former mais se voient opposer un refus. Comment enrayer leur découragement ? Le Président de la République a déclaré que tous les territoires ne seront pas desservis par le numérique. Cela risque de mener à la désertification de certains territoires, et à des votes d'exclusion : dangereux ! La dimension humaine est importante dans ce domaine.
Merci pour votre exposé, très clair. Vous dites qu'il n'y a pas assez de femmes dans les start-up et les entreprises du numérique. Avez-vous des chiffres plus précis ? Nous avons entendu l'Arcep, mais quel est votre objectif en matière de couverture du territoire ? Est-ce 2020, ou après ? Pourquoi ne pas créer des ambassadeurs du numérique, qui se déplaceraient chez les personnes âgées les plus éloignées de ce secteur, au moins dans un premier temps ?
Merci pour votre exposé clair et dynamique, qui donne envie de vous suivre. En Charente, il n'y a pas de RIP. Les agglomérations sont correctement couvertes mais les zones rurales, mal ou pas du tout. Nous voyons d'un bon oeil la démarche de SFR, qui travaille avec des communautés de communes pour fibrer le plus loin possible dans les territoires, et dans des délais acceptables. Apporterez-vous une garantie à ces collectivités territoriales ?
Merci pour votre exposé, et votre volonté de créer un accès au numérique pour tous. Pour l'heure, des zones blanches subsistent en zones rurales. Pour les très petites entreprises, comme de nombreuses démarches passent par internet, cela pose un vrai problème, qui vide petit à petit nos territoires. Prenons-y garde. Le problème n'est pas la compétence mais l'outil. Je souhaite aussi vous sensibiliser aux délais de plus en plus longs d'intervention des opérateurs en cas de problème. Ainsi, les Deux-Alpes et l'Alpe d'Huez ont dû vivre deux jours sans internet ! Cela bloque tout, y compris les systèmes de paiement... Et ce genre d'incident se répète.
Nous aimerions partager votre optimisme, et espérons que les opérateurs prendront conscience de nos besoins. L'impression est que les investissements sont décidés en fonction du nombre de clients - et que l'État utilise la même clé de répartition ! Or il faudrait mettre des moyens non là où il y a des clients mais là où il y a des besoins. La fibre crée une fracture territoriale : en ville, elle est disponible ; en zones rurales, il faut s'organiser pour la faire venir, et la payer.
Merci pour votre présentation claire. Votre deuxième pilier comporte la numérisation d'un maximum de services de l'État. En tout, 10 milliards d'euros de crédits de fonctionnement y sont consacrés. Avez-vous évalué les économies qui en résulteront ? Le numérique est-il un levier d'économies ?
Il est réconfortant de voir que vous maîtrisez votre sujet et que vous l'abordez avec un enthousiasme communicatif - cela n'a pas toujours été le cas ! Dans mon département, les cyberattaques contre Saint-Gobain ont mis des centaines de salariés au chômage technique pendant des semaines. Une plateforme est mise en place pour accompagner les entreprises concernées, tant mieux. Pour les petites et moyennes entreprises, quel dispositif d'information allez-vous déployer ?
Je crains une grande désillusion sur la téléphonie mobile car les gouvernements successifs ont multiplié les promesses. Le Président de la République a dit que le problème serait résolu en 2020 : on a peine à le croire ! D'ailleurs, le président de l'Arcep ne parle plus que d'amélioration, et c'est aussi la position de l'agence nationale du numérique. Vous avez annoncé qu'en 2020 il y aurait un réseau mobile pour tous les citoyens. Nous prenons note ! Vous êtes plus nuancé pour les territoires, et évoquez leur quasi-totalité. Il faut être clair très rapidement en prévoyant un planning précis et un contrôle des opérateurs. La téléphonie mobile est la première préoccupation de nos concitoyens.
Le sujet le plus brûlant est effectivement la téléphonie mobile car les usages évoluent et l'ordinateur du salon est délaissé au profit des terminaux mobiles, même par ceux qui ne les utilisaient pas jusqu'à présent. Le très haut débit, s'il fait défaut, manque cruellement - mais l'absence de réseau mobile est une insulte quotidienne. L'été dernier, j'ai voyagé en France pendant douze jours, et l'on m'a parlé, avant tout, de ce problème - en des termes plus ou moins diplomatiques !
Le régulateur a une position nuancée, mais c'est son rôle. Nous avons voulu un régulateur indépendant, au niveau européen comme dans chaque État-membre, pour sortir de pratiques qui n'aboutissaient pas à une qualité optimale. Pour autant, le régulateur doit aussi tenir compte des exigences de nos concitoyens, et de celles formulées par le Gouvernement. Or, une fenêtre de discussion avec les opérateurs s'ouvre, puisque nous devons renégocier les concessions des fréquences hertziennes pour les dix prochaines années. Si nous demandons un prix trop élevé, nous devrons céder sur les obligations. C'est ce qui a été fait jusqu'ici.
Nous sommes dépositaires d'une exigence non-négociable de nos concitoyens, et il me paraît inenvisageable de ne pas progresser sur ce sujet. Cette exigence devra se refléter dans le prix, les obligations et les clauses de pénalité. Tel est le mandat de l'Arcep. Les quatre grands opérateurs avec lesquels elle négociera sont d'ailleurs les mêmes qui fournissent le très haut débit. Les discussions devront aussi déterminer combien de nouveaux poteaux seront nécessaires.
Nous devons respecter l'indépendance des négociations. J'ai souhaité, avant d'être nommé, une couverture de 100 % du territoire. Je suis désormais plus réaliste, et préfère que 100 % de nos concitoyens soient couverts, et la plus large part possible du territoire, ainsi que les grands axes de circulation et d'activité agricole et industrielle.
La cartographie de l'Arcep est formidable, mais elle ne correspond jamais aux endroits où je me rends. Nous devons développer une mesure plus participative, car l'administration n'a pas les ressources pour faire une cartographie exhaustive. Les maires, les collectivités territoriales, les citoyens même, doivent partager l'information. Je pense que nous atteindrons nos objectifs.
Certains territoires n'ont pas de RIP. Si un opérateur s'engage à aller jusqu'à la dernière ligne, c'est la solution la plus intelligente ! Les zones AMII doivent être équipées. Quant à la zone grise, ni AMII ni RIP, et qui concerne deux millions de lignes, les opérateurs doivent y prendre de nouveaux engagements et les territoires, non pas commune par commune mais plaque par plaque, doivent dialoguer et négocier avec les opérateurs. Et les délais de déploiement ne doivent pas concerner que le début de déploiement... Le Gouvernement ne mettra pas les RIP en danger. Les quatre opérateurs ont là matière à investir, et ils en ont les moyens puisqu'ils ont fini d'équiper les grandes villes. Un contrôle citoyen doit s'organiser pour surveiller la qualité des réseaux. Ministre de l'économie, Emmanuel Macron avait engagé l'installation de 3 000 nouveaux poteaux, mais le processus était trop complexe. Nous devons devenir plus agiles pour faire du numérique !
Julien Denormandie viendra vous voir prochainement pour en parler ; je suis en contact quotidien avec lui.
Avec Mme Pénicaud, nous engageons un choc de transformation en investissant 15 milliards d'euros pour développer les compétences des Français. L'essentiel concernera deux transformations : numérique et environnementale. Tous les citoyens doivent accroître leurs compétences numériques. Il faut également financer la transition pour les emplois qui disparaissent - ceux de la manipulation de données, par exemple. Nous devons enfin former des spécialistes du numérique. Nous avons des chercheurs, des ingénieurs, mais il nous manque des techniciens et des assistants-techniciens. La grande école du numérique expérimente depuis deux ans la labellisation de centaines de formations hétérogènes, sans sélection à l'entrée. On y trouve aussi bien l'étudiant de 18 ans qu'une personne de 40 ans en reconversion. De fait, dans le numérique, aucun insider ne crée de barrières à l'entrée. Ces formations durent entre quatre mois et deux ans, ne sont pas reconnues par le cursus LMD ni par les classifications professionnelles, mais débouchent à 95 % sur un emploi. Des Universités créent aussi en leur sein des formations « grande école du numérique ». Nous croyons beaucoup en cette expérience.
Dans le numérique, une entreprise sur dix est créée par une femme. Insoutenable ! Cela dit, j'ai récemment remis un prix lors d'une cérémonie où il n'y avait que des femmes... L'association Wifilles envoie des cadres femmes chaque semaine auprès de collégiennes, pour un programme de formation exigeant. Le taux de succès est incroyable. Nous devons tout tester, pour que nos entrepreneurs ne se ressemblent pas tous. C'est comme en politique ! Et une start-up créée par une femme a trois fois plus de chance d'avoir résisté après trois ans...
Le numérique est-il un levier pour faire baisser les dépenses de l'État ?
La transformation de l'État repose sur deux piliers : performance et humanité. A service égal, nous devons baisser le coût. Et nous devons rendre davantage de services avec le numérique - sans jamais exclure.
Oui, mais ce n'est pas l'objectif principal - même si c'est la perspective du plan action publique 2022. Pour la Justice, par exemple, il faut simplifier avant de numériser. Sinon, nous numériserons de la complexité. L'objectif est de libérer du temps humain pour la prise de décision, en automatisant la transmission d'informations.
Il y aura une plateforme unique. Les usagers ne se connecteront qu'à un seul dispositif - portail, portefeuille, coffre. Il s'agira d'une sorte de compte citoyen où chacun retrouvera l'ensemble de ses services publics. On aura ainsi la garantie que les services sont vraiment officiels.
Mais pendant la phase de transition, il n'y a pas de cohésion globale de l'expérience utilisateur. Aujourd'hui, chacun des services a fait sa propre expérience utilisateur : certains demandent un numéro, d'autres un e-mail. Seuls les formulaires Cerfa sont standardisés ; si le document n'est pas officiel, on s'en aperçoit tout de suite. Certains sites officiels sont même moins bien que les faux ! Nous allons donc identifier les interfaces les plus utilisées par les Français et engager une démarche d'unification. Notre ambition, encore une fois, est un accès unique et une sécurisation unique.
J'ai également posé une question sur les schémas directeurs d'usages et de services numériques (SDUS). L'État devait donner un cadre aux collectivités. Y a-t-il des avancées ? L'État a-t-il prévu des accompagnements pour les collectivités ?
Il y a aussi la question des orientations nationales qui devaient être données par l'État.
Tout cela sera unifié dans le travail sur l'inclusion numérique. Il faudra aller plus loin. À l'heure actuelle, les schémas directeurs régionaux varient d'une région à l'autre. Au niveau départemental, il existe une trentaine de schémas de pratiques différents. C'est un sujet de discussion avec des collectivités. Plusieurs scénarios sont possibles, je ne sais pas vers lequel nous nous dirigeons. En décembre, nous demanderons aux préfets de réunir tous les acteurs pour parvenir, sur une période de trois à six mois, à élaborer un schéma. De nombreux départements ont avancé sur le sujet, mais chacun l'a fait à sa manière. Il faut un cadre, mais il ne s'agira pas non plus d'imposer un schéma universel à tous les départements. En revanche, nous leur imposerons de discuter avec tous les acteurs. Chacun devra s'adapter à sa réalité territoriale, mais tous devront trouver une solution pour la mi-2018.
Les collectivités ont fait de gros efforts sur les structures. En revanche, c'est plus inégal sur les usages.
Je vous ai interrogé sur les entreprises en milieu rural qui n'ont pas la fibre ; elles sont à la peine.
Nous ne pourrons pas maintenir les emplois sur les territoires sans la fibre. Permettez-moi de corriger un malentendu. Le calendrier ne sera pas remis en cause : 2022, le très haut débit pour tous, avec ou sans la fibre ; 2025, la fibre pour tous. Quoi qu'il en soit, le très haut débit est aujourd'hui déjà accessible sans la fibre. L'objectif de 2022 est bien le très haut débit partout dans le cadre du mix technologique.
Nous vous remercions.
La réunion est close à 12 h 30.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.