Intervention de Elisabeth Doineau

Commission des affaires sociales — Réunion du 8 novembre 2017 à 9h05
Projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2018 — Examen du rapport

Photo de Elisabeth DoineauElisabeth Doineau, rapporteure pour la branche famille :

Cette année, et pour la première fois depuis dix ans, les comptes de la branche famille retrouvent l'équilibre et connaissent même un léger excédent de 300 millions en 2017.

Comme nous tous, je suis attachée à notre politique familiale, dont certains de nos voisins cherchent aujourd'hui à s'inspirer. Ce retour à l'équilibre est donc, a priori, un motif de satisfaction. Il résulte, d'une part, de l'amélioration de la conjoncture économique et de transferts de charges vers l'État et, d'autre part, des mesures d'économies mises en oeuvre depuis 2012 et dont l'impact approcherait en 2017 1,5 milliard.

Ces efforts demandés aux familles ont principalement porté sur les plus aisées d'entre elles, les familles modestes bénéficiant de revalorisations ciblées dans le cadre du plan pluriannuel de lutte contre la pauvreté. Néanmoins, les classes moyennes n'ont pas été épargnées par les ajustements de prestations sous condition de ressources.

On constate ainsi une concentration de la politique familiale sur les familles les plus vulnérables, dans une logique de lutte contre la pauvreté, alors que la politique familiale a historiquement été construite dans une logique de compensation des charges que représente l'éducation d'un enfant.

Cette évolution remet en cause l'universalité, qui est un principe fondateur de notre politique familiale. Elle semble davantage résulter d'une série de mesures d'économie que d'une orientation assumée. Alors que s'ouvre un nouveau quinquennat, un certain nombre de questions doivent donc être posées.

Doit-on renoncer à l'objectif de compensation des charges de famille et concentrer les aides sur les seules familles en risque de pauvreté ?

À niveau de revenu équivalent, une famille aisée avec enfants doit-elle être aidée davantage qu'un couple sans enfant ?

Enfin, si la politique familiale doit être réorientée vers la lutte contre la pauvreté, cette logique a-t-elle vocation à être étendue à d'autres domaines, comme l'assurance maladie par exemple ?

Ce questionnement autour de l'avenir de la politique familiale intervient dans un contexte de baisse inquiétante du nombre de naissances depuis plusieurs années.

Ce premier projet de loi de financement du quinquennat contient peu de mesures concernant la branche famille. Il tient compte d'un excédent qui dépasserait 1 milliard en 2018 et progresserait tendanciellement pour atteindre 5 milliards d'euros en 2021.

La majoration du montant de l'aide apportée aux familles monoparentales qui font garder leurs enfants par un assistant maternel ou un salarié à domicile, prévue à l'article 25, est une mesure consensuelle. Il s'agit en effet d'aider spécifiquement un public largement féminin et éloigné de l'emploi, davantage touché par la pauvreté et généralement exclu des aides destinées aux familles nombreuses. Il convient toutefois de ne pas exagérer la portée de cette mesure. En effet, près de la moitié des parents isolés qui perçoivent actuellement le complément de libre choix du mode de garde, ou CMG, ont déjà un reste à charge de 15 % et ne verront donc pas leur aide augmenter. Par ailleurs, les modes de garde financés par le CMG sont les plus coûteux et donc les moins accessibles pour les familles monoparentales modestes. Enfin, le coût des modes de garde n'est pas le seul facteur d'éloignement de l'emploi des mères seules. Au demeurant, le coût de cette mesure est limité à 10 millions l'année prochaine et à 40 millions en année pleine.

À l'inverse, la baisse des plafonds et montants de l'allocation de base et de la prime à la naissance, qui font partie de la prestation d'accueil du jeune enfant (Paje) représente une économie qui atteindrait 500 millions par an au terme de sa montée en charge. Au vu de la situation excédentaire de la branche famille, une telle économie pose question, alors que les justifications avancées par le Gouvernement ne semblent pas pertinentes. Certes, les montants et les plafonds de l'allocation de base et du complément familial sont proches et leur alignement renforcerait la lisibilité du système du point de vue du gestionnaire, pour autant, le choix d'une harmonisation par le bas est particulièrement discutable et toucherait des familles modestes et issues des classes moyennes qui ont déjà eu à subir d'autres ajustements de la PAJE depuis 2012. Cette question se pose au vu de l'excédent de la branche. En outre, l'abaissement du plafond de la prime à la naissance n'est pas justifié. Il aurait pour conséquence collatérale d'abaisser les plafonds du CMG pour toutes les familles, y compris les familles monoparentales, en contradiction avec l'objectif poursuivi par l'article 25.

Une réflexion d'ensemble sur l'architecture des aides aux familles est souhaitable ; elle est annoncée pour 2018. C'est dans ce cadre qu'il conviendra de s'interroger sur la mise en cohérence des différentes prestations et non en opérant des coups de rabot ponctuels.

Je vous proposerai donc de supprimer l'article 26, qui a d'ailleurs à lui seul motivé l'avis défavorable donné au projet de loi de financement de la sécurité sociale par le conseil d'administration de la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf).

La branche devrait enfin réaliser près de 500 millions d'économie en 2018, au titre, notamment, de la lutte contre la fraude et de la réduction de ses frais de gestion. Ces économies doivent découler de la prochaine convention d'objectifs et de gestion (COG) dont la négociation n'a pas encore débuté et sont donc relativement incertaines. Le calendrier électoral et des contingences propres à la gouvernance de la Cnaf ont retardé le début de ces négociations, ce qui fait craindre que, comme en 2017, un certain nombre de projets soient décalés dans le temps. Nous pourrions même profiter de cet éventuel décalage pour mener le grand débat sur la famille et sur la nécessaire prospective en matière de soutien à l'éducation des enfants.

Je souhaiterais par ailleurs dire un mot du décalage du versement de la prime à la naissance au second mois suivant la naissance de l'enfant au lieu du septième mois de grossesse. Cette mesure, prise par voie réglementaire par le gouvernement précédent, a permis en 2015 une économie de trésorerie purement artificielle, mais crée des difficultés bien réelles pour les familles qui ont à engager des dépenses avant la naissance de leur enfant. Les avances et les prêts que consentent les caisses d'allocations familiales sont des pis-aller qui nécessitent une démarche supplémentaire pour les allocataires. Le rétablissement de la situation antérieure apparaît donc souhaitable, même s'il requiert une avance de trésorerie importante.

La nouvelle COG devra notamment traiter de la question des solutions d'accueil des jeunes enfants. Des objectifs ambitieux avaient été fixés pour la période 2013-2017 et ont débouché sur des résultats médiocres, voire inquiétants. En effet, moins d'un cinquième des 275 000 places envisagées auront été créées. Le nombre de jeunes enfants scolarisés connaît même un reflux, tout comme l'accueil par des assistants maternels. En outre, la progression de l'accueil collectif est tirée par les ouvertures de micro-crèches financées par le CMG, qui ne sont soumises à aucune régulation de la part de la Cnaf ou des collectivités territoriales et qui ne procèdent donc pas nécessairement d'une analyse des besoins locaux, ainsi que cela a été rappelé lors des auditions.

Au-delà des aides financières, il faut s'interroger sur l'évolution des formes d'action sociale et de soutien à la parentalité afin de répondre à l'évolution des besoins et des attentes des familles. En matière de politique familiale, les chantiers sont immenses et ce PLFSS est certainement trop précoce pour y faire face. Je forme donc le voeu que le débat national qui doit s'ouvrir en 2018 offre l'opportunité de s'interroger sur les objectifs et les moyens que nous souhaitons collectivement lui donner. Il importe de faire la part belle à la famille, qui est à mes yeux le socle fondamental sur lequel repose l'éducation de nos enfants.

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