Les crédits consacrés à la recherche sont répartis dans sept programmes qui dépendent de cinq ministères différents. Dans le projet de loi de finances pour 2018, ils s'élèvent à 11,49 milliards d'euros en autorisations d'engagement (AE) et 11,55 milliards d'euros en crédits de paiement (CP), soit une hausse respectivement de 3,6 % pour les autorisations d'engagement et de 4,6 % pour les crédits de paiement par rapport à la loi de finances pour 2017. En tenant compte des crédits de recherche du programme 150 « formations supérieures et recherche universitaire », qui s'élèvent à près de 3,9 milliards d'euros en AE et en CP, le budget de la recherche s'élève en réalité à plus de 15 milliards d'euros.
Quelles sont les grandes lignes de ce premier budget de ce nouveau quinquennat ?
En dépit du renouvèlement de l'exécutif, ce budget ne constitue pas une rupture par rapport à la politique initiée par l'ancien Secrétaire d'Etat à la recherche, Thierry Mandon, avec ses forces et ses limites.
Parmi les points positifs, il faut noter le souci d'une réelle sincérité budgétaire et l'augmentation des crédits d'intervention de l'Agence nationale de la recherche (ANR).
La Cour des comptes a critiqué la sous-budgétisation chronique de la contribution de la France aux organisations internationales scientifiques et aux très grandes infrastructures de recherche, alors même qu'il s'agit de dépenses obligatoires, gérées par des accords internationaux. L'actuel Gouvernement s'est engagé à mettre fin à ces pratiques. Concrètement, les crédits liés à la contribution de la France aux organisations internationales augmentent ainsi de 150 millions d'euros en CP. Cette démarche avait été entamée partiellement l'année dernière. Elle est pleinement appliquée dans le projet de loi de finances pour 2018.
De même, la hausse importante de la contribution de la France au développement des satellites de météorologie EUMETSAT (+ 25,2 millions d'euros par rapport à 2017 pour atteindre 83,3 millions d'euros) et à l'agence spatiale européenne ESA (+ 132 millions d'euros par rapport à 2017 pour atteindre 965 millions d'euros) constitue un signe fort en direction de nos partenaires européens et témoigne de la priorité accordée par la France à une politique spatiale d'envergure.
Le principe de sincérité budgétaire est également appliqué aux grandes infrastructures nationales de recherche qui bénéficient de 8,1 millions d'euros supplémentaires ainsi qu'aux mesures « Fonction publique » adoptées en fin de législature par le précédent gouvernement. 44,9 millions d'euros supplémentaires y sont consacrés, même si ce montant pourrait évoluer à la baisse en raison du report de certaines mesures pour 2019. Les arbitrages sont en cours de discussion.
Autre mesure phare : la poursuite de l'augmentation des crédits d'intervention de l'ANR qui s'élèveront en 2018 à 706 millions d'euros en AE et 743 millions d'euros en CP.
Je rappelle que ces crédits étaient tombés à 515 millions d'euros en 2015 et 2016, avec pour corollaire un taux de sélection des projets qui avait chuté à 9,5 %, remettant en cause l'utilité de l'ANR aux yeux des chercheurs. Si on ajoute à cette diminution drastique des crédits des modalités de sélection complexes, souvent défavorables à la sélection des projets de recherche les plus innovants et une gouvernance contestée, on comprend mieux la crise de confiance qui régnait entre l'ANR et la communauté scientifique.
Le Gouvernement semble avoir pris conscience de la gravité de la situation. Le taux de sélection devrait désormais atteindre 13 % en 2018 pour les appels à projet génériques. En outre, les réformes entreprises pour simplifier et clarifier le processus des appels à projets ainsi que la nomination prochaine d'un nouveau président à la tête de l'ANR permettront de lui donner une nouvelle impulsion. Il sera néanmoins nécessaire de poursuivre l'augmentation de son budget pour atteindre le taux de 20 % défendu par la communauté scientifique, qui correspond au taux appliqué globalement par les agences de recherche étrangères.
Au-delà de ces éléments positifs, on peut s'inquiéter de la diminution constante de la subvention en investissement accordée à Universcience par le ministère de la culture à travers le programme 186. En 2018, celle-ci diminuera encore de 5 millions d'euros pour atteindre 3,1 millions d'euros, alors que parallèlement 23,4 millions d'euros d'investissements sont prévus pour faire face à un grand nombre d'opérations d'entretien courant en raison du vieillissement des bâtiments d'Universcience. Le fonds de roulement sera donc de nouveau sollicité, mais cette pratique n'est pas viable à long terme.
Plus généralement, on peut regretter que les crédits proposés pour 2018 ne permettent pas de remédier à l'érosion constante des budgets des opérateurs de recherche. Alors que les subventions pour charge de service public stagnent, voire baissent, les opérateurs de recherche sont confrontés à l'augmentation croissante de leurs dépenses de personnel liée notamment au glissement vieillesse-technicité (GVT). Pour faire face à cet effet ciseaux, les opérateurs de recherche ont réduit le nombre de leurs agents depuis une dizaine d'années. Pour autant, leur marge de manoeuvre ne s'est pas améliorée, les contraignant à diminuer constamment leur budget de fonctionnement et d'investissement. Ainsi, en dépit d'une diminution de 9 % du personnel scientifique à l'INRIA depuis 2013, la subvention disponible pour l'établissement hors masse salariale accuse une baisse de plus de 20 % depuis 2010. Cette forte contrainte budgétaire ne permet pas aux établissements de dégager les financements nécessaires à leurs équipes pour développer des projets de recherche autonomes d'envergure.
Certes, le développement des financements sur appels à projets - par le biais de l'ANR, de l'Europe, des crédits du Programme d'investissements d'avenir (PIA) ou des contrats avec les entreprises ou les collectivités locales - compense en partie cette situation. Toutefois, l'activité de recherche des organismes reste très dépendante du montant de la subvention pour charges de service public, qui représente entre 70 et 85 % du budget selon les organismes et reste très stable dans le temps.
Les opérateurs de recherche souffrent également du fait que les ressources contractuelles ne financent les projets qu'à leur coût marginal. Concrètement, ne sont inclus que les moyens complémentaires nécessaires à la réalisation du projet. Les coûts indirects (comme les coûts de fonctionnement et de structure, ou l'amortissement des investissements) ne sont pris que partiellement en compte. La restauration d'un bon équilibre entre financement de base et financement sur projets nécessiterait une prise en compte du coût complet des projets financés sur appels d'offres compétitifs, incluant les coûts directs et indirects.
Autre limite des ressources contractuelles : elles sont aléatoires. Or, les grandes avancées scientifiques sont souvent le résultat de stratégies de recherche de longue haleine qui ont bénéficié de financements récurrents sur une longue période. Les ressources contractuelles peuvent efficacement soutenir un projet de recherche en renforçant les moyens d'action du laboratoire. Toutefois, elles ne peuvent se substituer aux dotations de base et restent complémentaires.
En ce début de quinquennat, quelles sont donc les attentes en matière de recherche vis-à-vis du nouveau Gouvernement?
Interrogés sur ce sujet, les opérateurs de recherche sont unanimes et réclament tous une meilleure visibilité à moyen terme. Plusieurs d'entre eux ont utilisé le terme de « contrat de confiance sur plusieurs années ». Afin d'assurer une recherche de bonne qualité, les opérateurs ont besoin de connaître les montants financiers dont ils disposeront sur une période de trois à cinq ans afin de pouvoir calibrer leurs actions et leurs investissements en conséquence. Tel devrait être le rôle des contrats d'objectifs et de performance (COP) signés entre les organismes de recherche et l'Etat. Ce n'est malheureusement pas le cas aujourd'hui. Si le projet de loi de programmation pour la recherche publique, préconisé par mon collègue Michel Berson, a été abandonné, il semblerait néanmoins que la nouvelle ministre chargée de la Recherche, Madame Frédérique Vidal, défende cette nécessité d'une visibilité à cinq ans. Il faudra désormais s'assurer que cette volonté trouve une application concrète. Le futur contrat d'objectif et de performance que devrait signer l'Etat avec le CNRS pour la période 2019-2024 pourrait servir de test avec la mise en place d'une véritable contractualisation des objectifs et des moyens entre l'opérateur de recherche et sa tutelle.
Les organismes auditionnés se sont également prononcés pour une clarification des choix stratégiques de l'Etat en matière de recherche. En effet, l'Etat renonce trop souvent à son rôle de stratège, comme en témoigne le résultat en demi-teinte du Plateau de Saclay. Forte de ses deux universités, de ses neuf écoles et de sept organismes de recherche, la Communauté d'Universités et Établissements (COMUE) Paris-Saclay, créée en janvier 2015, devait devenir un « cluster » scientifique et technologique de rang mondial, avec près de 20 000 chercheurs, plus de 30 000 étudiants et 9 000 doctorants, stagiaires et post-doctorants. Pourtant, les problèmes de gouvernance entre Polytechnique et la COMUE ont fait échouer ce projet. Il y a une semaine, le président de la République a pris une décision pragmatique en actant la constitution de deux pôles, l'un autour de l'Université Paris-Sud, l'autre de Polytechnique, et nous sommes nombreux à toujours espérer l'émergence d'un nouvel acteur mondial intégrant recherche, enseignement supérieur et innovation, capable de figurer dans les premières places du classement de Shanghaï.
Dans d'autres cas, l'Etat assume son rôle de stratège, mais il n'en tire pas les conséquences au niveau financier. C'est ainsi que l'INSERM a été chargé par l'ancien gouvernement de plusieurs projets tel que le lancement du consortium REACTing pour coordonner la recherche en cas d'émergence infectieuse, le pilotage du plan France Médecine Génomique 2025, ou encore la mise en place d'une infrastructure de service au bénéfice de la communauté de recherche dans le cadre du Système national des Données de Santé (SNDS) pour ne citer que ces trois projets. Ces programmes ont été annoncés à grand renfort de communication mais leur financement n'a pas été assuré et a dû être pris en charge par l'INSERM à travers le redéploiement de ses propres ressources. Les arbitrages pour 2018 n'ont pas encore été rendus, mais il serait très regrettable que l'Etat ne respecte pas ses engagements.
Pour assumer pleinement son rôle de stratège, l'Etat doit au préalable répondre à la question suivante : quelle recherche pour quelle France ? Avec une dépense de recherche et développement de la France représentant 2,24 % du PIB, notre pays n'a jamais atteint l'objectif de la stratégie de Lisbonne de 2000, qui fixait ce taux à 3 % du PIB. Les moyens pour y parvenir sont connus : investir davantage dans la recherche publique, mais également encourager le développement de la recherche privée. Aucun gouvernement toutes majorités confondues n'y est parvenu. Au cours de la campagne présidentielle, le candidat Emmanuel Macron s'y est engagé. Nous observerons donc avec attention l'action de l'actuel Gouvernement et ses résultats dans ce domaine. D'ores et déjà, une piste devrait être privilégiée : renforcer davantage les Instituts Carnot qui assurent avec efficacité le lien entre recherche et innovation et incitent les entreprises, et notamment les PME, à investir dans la recherche.
Une autre action doit être menée en parallèle, à savoir la définition de priorités claires en matière de recherche. C'est ce qui explique le succès de l'Espagne et du Royaume-Uni dans le cadre des appels à projet européens ou encore le rayonnement de la recherche du Royaume-Uni ou des Pays-Bas au niveau international, alors même que ces pays investissent proportionnellement moins d'argent dans la recherche que notre pays. C'est un chantier délicat, mais indispensable, auquel le Gouvernement semble vouloir s'attaquer. Nous verrons si, au-delà du constat partagé, les actes suivront.
En conclusion, vous l'aurez compris, je proposerai d'émettre un avis favorable sur les crédits de la mission « recherche et enseignement supérieur ». Compte tenu des contraintes budgétaires fortes, je salue les réels efforts de sincérité du Gouvernement. J'aurais également souhaité que celui-ci nous présente dès cette année sa stratégie en matière de recherche sur le quinquennat. Toutefois, j'ai conscience que depuis sa prise de fonction, la ministre a dû consacrer la plupart de son temps et de son énergie à l'enseignement supérieur. Pour autant, les discussions que j'ai menées avec son cabinet laissent penser qu'une vraie réflexion est à l'oeuvre sur la recherche, dans un double souci d'efficacité de la recherche et de visibilité par rapport à la communauté scientifique, notamment au regard de la précarité qui touche de nombreux scientifiques.