Intervention de Nicolas Hulot

Réunion du 7 novembre 2017 à 14h30
Fin de la recherche et de l'exploitation des hydrocarbures — Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Nicolas Hulot :

Monsieur le président, madame la présidente de la commission des affaires économiques, monsieur le président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, madame le rapporteur de la commission des affaires économiques, monsieur le rapporteur de la commission du développement durable, saisie pour avis, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, chers amis, le projet de loi mettant fin à la recherche ainsi que, à terme, à l’exploitation des hydrocarbures conventionnels et non conventionnels, selon l’expression consacrée, et portant diverses dispositions relatives à l’énergie est l’une des pierres angulaires de la stratégie de la France pour lutter contre le changement climatique.

Cela n’est pas un tout ni un aboutissement, c’est un axe qui doit guider, orienter nos politiques publiques dans les décennies à venir.

Il y a quelques jours, vous ne l’ignorez pas, le programme des Nations unies pour l’environnement a publié, comme par un fait exprès, un nouveau rapport ; malheureusement les rapports se succèdent et se confirment les uns les autres, ce qui fait que nous entrons dans une sorte d’accoutumance aux mauvaises nouvelles. Ce rapport indique que, sans ambitions supplémentaires de la communauté internationale – non pas seulement de notre pays, qui est plutôt en pointe sur ce sujet – par rapport aux engagements pris dans l’Accord de Paris, les chances de rester en deçà d’une augmentation de 2 °C sont proches de zéro.

Aussi je crains que, après avoir été victimes pendant des décennies d’une forme de scepticisme, nous basculions petit à petit, de manière indolente, dans une sorte de fatalisme. Pourtant, paradoxalement, nous ne pouvons pas être plus informés que nous ne le sommes sur les conséquences irréversibles d’un phénomène qui peut lui-même devenir irréversible ; mais la fenêtre d’opportunité dont l’Humanité, dans sa grande diversité, peut bénéficier pour empêcher cette irréversibilité est, c’est vrai, de plus en plus étroite…

Aujourd'hui encore, comme on l’a fait de tout temps, on me dit : « À quoi bon ? », « Pourquoi le faire tout seul ? », « On en fait trop… », « On n’en fait pas assez… », « Cela ne sert à rien… » ; mais, d’ajournement en résignation, de résignation en renoncement, nous sommes arrivés à un moment déterminant. Et ce texte nous permet de prendre notre part dans le rehaussement de nos ambitions ; j’espère, et même je ne doute pas, que, s’il est voté, si cette ambition est confirmée, elle fera contagion.

Voilà quelques jours, j’ai fait un aller-retour aux Fidji, non pas pour mon plaisir personnel, mais pour affirmer notre solidarité vis-à-vis des pays qui constatent clairement la menace et les conséquences des changements climatiques, même si nous ne sommes pas nous-mêmes épargnés. Je voulais simplement leur dire, dans la perspective de la COP23, qui a débuté cette semaine à Bonn, que la France est à leurs côtés, aux côtés de tous ceux qui subissent sans les avoir forcément provoquées les conséquences des changements climatiques.

C’est dans ce cadre, dans cet esprit, face à cet enjeu, auquel on risque de s’accoutumer, que ce projet de loi s’inscrit.

Peut-être aurez-vous à cœur de me dire, dans les discussions qui vont suivre, que ce texte seul ne suffit pas. Oui, ce projet de loi seul ne suffit pas, il vient se greffer sur d’autres dispositions.

La France a été incontestablement leader dans le partage du diagnostic et dans la prise de conscience ; il faut lui reconnaître que, dans l’Accord de Paris, qui tient presque du miracle diplomatique, elle a permis l’établissement de cette feuille de route ; mais une feuille de route ne vaut pas succès et nous entrons maintenant dans la mise en œuvre. Là aussi, nous devons être exemplaires.

Le principe même de l’Accord de Paris est de créer une dynamique irréversible, de nous mettre en mesure de faire collectivement et individuellement toujours plus, jusqu’à ce que nous retrouvions la trajectoire qui maintient le réchauffement en dessous de 2°C. Cette cible n’est pas un totem, les scientifiques, ainsi que la Banque mondiale et le Fonds monétaire international eux-mêmes, affirment que, au-delà de cette limite, nous perdrons la main sur notre propre destin.

Ainsi, avec ce projet de loi, nous sommes, on peut le dire – les mots ont un sens –, à un carrefour de civilisation. Dit autrement, soit nous laissons l’avenir décider à notre place, soit nous nous mettons en situation, au travers de ce texte et de bien d’autres instruments qui en compléteront le dispositif, de décider nous-mêmes ce que nous voulons faire de l’avenir.

En rédigeant cette intervention, je pensais à cette phrase de Jean Monnet selon laquelle « les hommes n’acceptent le changement que dans la nécessité et ils ne voient la nécessité que dans la crise ». Nous sommes déjà dans la crise climatique, qui a frappé durement, ai-je besoin de le rappeler ?, les Caraïbes, où s’est rendu le Premier ministre – il nous en a fait un compte rendu il y a quelques instants en conseil des ministres –, et qui ne cessera hélas de nous rappeler à l’ordre. La démonstration qui en a été faite à Saint-Martin et à Saint-Barthélemy, qui nous a probablement plus touchés en raison de notre proximité géographique, citoyenne et culturelle, n’est qu’un sinistre échantillon de ce qui risque de se répéter dans un avenir proche.

La tentation, face à la complexité de l’effort, que je ne sous-estime pas, serait de céder à la résignation, et c’est à cette tentation que je souhaite que nous essayions ensemble de renoncer, au-delà de nos divergences et de nos différences.

C’est en tout cas le choix du Gouvernement, et la France confirmera avec ce texte son souhait d’entrer dans l’ère de l’après-pétrole, de l’après-énergies fossiles, en devenant l’un des premiers pays à bannir de l’ensemble de son territoire la recherche de nouveaux gisements d’hydrocarbures, et à en limiter l’exploitation jusqu’à l’horizon 2040 ; notre pays aura ainsi définitivement renoncé à l’exploration d’hydrocarbures.

Pourquoi est-ce que j’insiste sur ce point ? Parce que, si l’on veut engager dans cette transition nos concitoyens, les acteurs économiques et les responsables, il faut faire preuve de cohérence. Je m’aperçois, je le dis sans procès d’intention, que, si tout le monde partage l’inquiétude et la volonté d’agir contre le changement climatique, je ne rencontre pas la même adhésion quand il s’agit d’entrer dans une dimension plus opérationnelle. Autrement dit, on est pour lutter contre les changements climatiques, mais on est parfois contre ce que cela implique.

Que nous disent les scientifiques, résumant ainsi l’équation assez lourde mais qui, bien appréhendée, peut faire d’une contrainte une opportunité ? Ils affirment que, pour avoir une chance de gagner la bataille climatique, une chance de ne pas entrer dans ce phénomène irréversible, nous devons renoncer volontairement à exploiter 70 % à 80 % des réserves d’énergies fossiles que nous avons, facilement accessibles, sous nos pieds.

Difficile de renoncer volontairement à une telle aubaine, tant nos sociétés ont été inféodées, associées aux énergies fossiles, et même dopées et aliénées par elles depuis cent cinquante ans. Mais si les énergies fossiles ont représenté, en partie, la solution, nous découvrons brutalement qu’elles seraient en passe de devenir plutôt le problème.

Cela dit, plus tôt nous nous mettrons en mesure d’organiser, de planifier, de projeter cette sortie des énergies fossiles, plus facile sera la transition et plus nous en tirerons, selon moi, les avantages économiques. Gardons-le à l’esprit, la transition énergétique, justifiée notamment par l’impératif climatique, est à l’œuvre, elle est partie. À quel rythme ? Qui sera dans les wagons de tête ? Qui sera dans les wagons de queue ? Telles sont en fait les seules questions qui se posent.

Pour être fidèles à l’Accord de Paris, nous devons atteindre aussi vite que possible, au milieu de ce siècle, la neutralité carbone, soit le fait de ne pas émettre plus de gaz à effet de serre que ce que les écosystèmes ont la capacité naturelle d’absorber.

Nous devons donc entrer, pardonnez-moi l’expression, dans une sorte de cure de désintoxication, et nous libérer progressivement mais irrévocablement de notre dépendance aux énergies fossiles.

Avec l’adoption du plan Climat, la France a déjà fait sien l’objectif de la neutralité carbone à l’horizon 2050. Vous le savez, ce plan décline un certain nombre de moyens et d’actions permettant de réduire notre dépendance aux énergies fossiles.

Je me permets au passage une petite réflexion supplémentaire. Si l’impératif climatique ne nous précipitait pas dès maintenant dans l’obligation de sortir des énergies fossiles, nous aurions été de toute façon invités, à terme, à nous préparer à l’après-pétrole, à l’après-énergies fossiles, ne serait-ce que par l’épuisement naturel des ressources. Mais il est d’autres bénéfices à la sortie des énergies fossiles ; ainsi, j’essaierai de vous démontrer que cette contrainte, qui alourdit un peu le fardeau de nos sociétés, constitue aussi, certains d’entre vous en sont peut-être déjà convaincus, une opportunité qui tombe à pic.

D’abord, une dirigeante de l’Organisation mondiale de la santé l’a elle-même indiqué à plusieurs reprises, lutter contre les changements climatiques est aussi un agenda de santé publique. C’est d’ailleurs par ce biais que la Chine est entrée dans cette dynamique, en raison de la pollution et de ses conséquences sociales et sanitaires.

En outre, en nous affranchissant progressivement des énergies fossiles, si nous y arrivons, j’ai le sentiment que la France se libérera aussi de dépendances que nous avons vis-à-vis d’un certain nombre de puissances. C’est une raison supplémentaire pour produire à terme notre énergie à l’intérieur de nos frontières, grâce notamment aux énergies renouvelables ; cette indépendance énergétique, cette perspective de souveraineté, est un argument supplémentaire qui s’ajoute à l’enjeu climatique.

Pour réduire notre consommation, je propose un certain nombre de mesures. La première consiste à mettre fin à la production d’électricité à base de charbon d’ici à 2022, …

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