C’est dans le même esprit que nous avons annoncé la fin, d’ici à 2040, de la vente des véhicules émettant des gaz à effet de serre, avec, disons-le, un soutien assez spontané et rapide, dès lors que les règles du jeu ne changent pas, des constructeurs automobiles, qui y voient une chance unique de rupture technologique et d’innovation.
Là aussi, force est de constater qu’une dynamique internationale s’est créée très rapidement : la Norvège, le Royaume-Uni, l’Inde, la Chine se sont dotés dans la foulée d’objectifs ambitieux en matière de véhicules électriques ou de fin de production de véhicules émettant des gaz à effet de serre, avec parfois des calendriers plus serrés que le nôtre. J’ai écrit au commissaire européen chargé des transports pour l’encourager à adopter une réglementation plus ambitieuse pour l’Union en 2025 et en 2030.
C’est bien cet état d’esprit qui doit prévaloir, celui d’une France qui montre la voie et qui entraîne ses partenaires sur la voie de l’ambition. Je sais que l’on m’objectera, comme on l’a fait à l’Assemblée nationale, l’argument du « à quoi bon » : à quoi bon placer la France seule dans cette situation, qui peut paraître pénalisante dans un premier temps ?
D’abord, je ne pense pas qu’elle soit pénalisante, car elle nous permettra de nous mettre le plus rapidement possible en ordre de marche pour bénéficier des opportunités de cette transition énergétique. Ensuite, je ne peux pas me priver du plaisir de partager un mot d’un homme qui a siégé ici, bien avant vous. Victor Hugo disait ainsi : « Ce que Paris conseille, l’Europe le médite ; ce que Paris commence, l’Europe le continue. » J’espère qu’il en ira de même avec ces objectifs.
Ce projet de loi s’inscrit donc dans une logique d’ensemble qui vise à nous redonner, c’est très important, notre liberté de choix en matière de politique énergétique. Cette logique d’ensemble s’appuie sur deux piliers. Le premier consiste à réduire la consommation d’énergies fossiles, c’est la clef de notre indépendance. Le second consiste à construire la sortie progressive de la production de ces énergies ; c’est le sens de ce projet de loi.
Les énergies fossiles sont au cœur de notre économie, mais aussi, il faut le souligner, de la géopolitique mondiale. Notre dépendance aux hydrocarbures nous place aussi dans une situation de dépendance vis-à-vis des pays producteurs. En nous libérant des hydrocarbures, j’espère que nous nous libérerons de ce lien, qui ne nous donne pas toujours une liberté de parole ou d’action.
Cette dépendance est d'abord économique, puisque, chaque année, nous dépensons plus de 50 milliards d’euros pour acheter du gaz et du pétrole, un somme qu’il serait plus judicieux d’injecter dans notre économie plutôt que de la dépenser à l’extérieur de notre pays !
Mais cette dépendance est aussi géopolitique, parce que, comme la plupart des ressources naturelles, les énergies fossiles ne sont jamais très éloignées des sources de conflits auxquels nous avons assisté depuis la Seconde Guerre mondiale. J’ai tendance à penser que, en nous libérant de cette dépendance, nous nous soustrairons à autant de sources de conflits à venir.
C’est pourquoi je considère ce projet de loi comme un pilier d’une stratégie beaucoup plus globale, qui vise à rendre la France indépendante et autonome sur le plan énergétique. Cet objectif fait sens. Il est ambitieux, mais réaliste.
C’est le sens de la transition énergétique que le pays a entamée avant que j’accède à mes responsabilités et que j’espère accélérer sous ce gouvernement. Cette transition doit nous emmener vers une France peut-être pas exclusivement – l’avenir le dira –, mais majoritairement tournée vers les énergies renouvelables, dont on observe, contrairement à toutes les prédictions, qu’elles deviennent économiquement totalement envisageables, ce que je n’aurais pu affirmer de manière aussi nette voilà encore quelques années.
C’est dans ce cadre que je présenterai, dans les mois qui viennent, ce que j’ai appelé, pour une meilleure compréhension, un green New Deal – vous me pardonnerez, mesdames, messieurs les sénateurs, cette petite entorse à la langue française. Celui-ci doit viser à faire de notre pays un pionnier des énergies propres, dans le domaine du stockage, mais aussi dans celui de l’hydrogène. Nos petites, moyennes et grandes entreprises et nos industries couvrant l’ensemble de ces domaines, je suis intimement convaincu que nous pouvons également créer de nombreux emplois à l’occasion de cette transition.
J’en viens à un autre point important : avec ce projet de loi, le Gouvernement vous propose tout simplement d’aligner enfin notre droit avec nos objectifs de lutte contre le changement climatique, dans un souci de cohérence.
Jusque-là, malgré quelques avancées, permises notamment par la loi Jacob, qui a interdit la fracturation hydraulique et à laquelle je rends hommage, notre droit ne nous permettait pas de refuser des permis, alors même que nous avions adopté l’Accord de Paris.
De ce non-choix, de ce flou juridique a résulté une situation intenable, puisque nous étions contraints, par les simples injonctions de la justice, de renouveler les permis et d’en attribuer d’autres, tout en sachant bien que cela n’était pas conforme à notre ambition de chef de file dans la lutte contre le changement climatique. Ce texte aura entre autres mérites de clarifier la situation. Lorsque j’ai pris mes fonctions de ministre, j’ai moi-même découvert cette situation où prévalait un droit inadapté aux enjeux de notre siècle, où le droit de suite régnait en maître et empêchait le Gouvernement de refuser tout nouveau permis, alors même que nous savions que c’était contraire à nos objectifs de lutte contre le changement climatique.
Je veux maintenant vous préciser rapidement ce qu’est la philosophie du Gouvernement, pour que cette transition puisse être assumée.
Se pose d'abord la question des entreprises, des filières industrielles et des emplois. D’ici à 2040, une échéance à la fois proche et lointaine – c’est la vertu de la progressivité de ce projet de loi –, je pense que nous aurons le temps de construire, avec les entreprises, les salariés et, parfois, les collectivités, les évolutions nécessaires, pour ne laisser personne de côté.
Nous allons vite. Nous avons d'ores et déjà commencé à dialoguer avec les acteurs qui s’y préparent, pour identifier les compétences qui vont devoir se transformer et, dans le même temps, appréhender les reconversions possibles.
Je ne doute absolument pas que les énergies renouvelables puissent offrir des solutions de reconversion intéressantes, par exemple avec la géothermie. Des passerelles peuvent et devront être tissées entre ces acteurs. Cependant, et c’est d’ailleurs un sujet que j’ai évoqué avec Muriel Pénicaud, il faudra évidemment que des formations puissent également être proposées aux salariés.
Nous travaillerons avec les territoires qui seront concernés, pour que leur avenir ne dépende plus de la seule exploitation des énergies fossiles, mais s’appuie bien sur une diversité de ressources et d’activités.
En fait, tout bien considéré, ce projet de loi ne fait qu’accélérer un rythme normal, qui est celui de l’exploitation des ressources naturelles : il y a toujours eu des gisements qui s’épuisaient et des exploitations qui s’arrêtaient.
Ce sera aussi la logique des contrats de transition écologique que nous souhaitons élaborer, en 2018, avec, pour commencer, une quinzaine de territoires, dont certains pourraient justement faire partie de ceux qui sont concernés par l’arrêt de l’exploitation des hydrocarbures.
Pour être très franc avec vous, mesdames, messieurs les sénateurs, le contenu de ces contrats est encore à inventer. Il doit être élaboré collectivement, avec les territoires et les entreprises concernés. Les contrats doivent présenter une certaine souplesse pour pouvoir s’adapter à chacun des cas, mais ils reposeront évidemment sur une mobilisation interministérielle des services nationaux, mais aussi, et surtout, territoriaux de l’État, avec l’aide de l’ensemble de nos opérateurs.
Ce sont environ 3 500 emplois qu’il faudra réinventer d’ici à 2040. C’est beaucoup, mais cet objectif ne me semble pas hors de portée compte tenu des gisements d’emplois qui pourront aussi se développer dans les autres domaines. Ainsi, l’éolien a permis, pour la seule année 2015, la création de près de 2 000 emplois. Le solaire, qui a connu un repli dans les années 2010-2014, repart à la hausse et crée lui aussi, chaque année, de nombreux emplois, lesquels sont répartis de manière assez équitable sur l’ensemble du territoire.
J’en profite d’ailleurs pour préciser que le Gouvernement a déposé, à l’Assemblée nationale, un amendement, qui a été adopté, visant à simplifier le raccordement des installations d’énergies renouvelables en mer.
Mais ce projet de loi est aussi une partie de notre réponse à ceux qui, notamment de l’autre côté de l’Atlantique, ont tenté de faire dérailler l’Accord de Paris, sans y parvenir tout à fait – mais ils ont entravé quelque peu son mouvement. En effet, contrairement à ceux qui jouent en solitaire, nous préférons être une nation solidaire.
Nous sommes donc là pour démontrer, qu’on le veuille ou non, que le train de l’Accord de Paris va quitter la gare, laissant sur le quai ceux qui pensent que l’économie du XXe siècle est la solution. J’espère que, grâce à vous – j’ai bien conscience que cela ne se fera pas sans vous –, cette dynamique va s’accélérer.
Oui, il faut maintenir l’Accord de Paris dans son intégrité. Cet accord est irréversible, d’abord parce que l’on ne négocie pas avec l’avenir de nos enfants ! Au-delà de cette formule usitée, si les mots ont un sens, si les rapports scientifiques en ont un, c’est bien cela qui est en jeu. C’est bien pour cela que, au-delà des différences culturelles, politiques, économiques, il serait presque indigne que, sur un tel sujet, d’habituelles divisions ou postures puissent resurgir – cela n’empêche pas des divergences d’appréciation –, au moins sur l’importance de l’objectif, qui conditionne tout ce qui est important à nos yeux.
En effet, si l’on regarde les scénarios du pire, dont nous ne sommes pas si éloignés, tous les acquis démocratiques et civilisationnels seront mis à mal par l’effet domino des conséquences des changements climatiques.
Ce projet de loi comporte aussi plusieurs dispositions qui permettent de répondre aux défis du climat, mais aussi de la sécurité de l’approvisionnement énergétique que nous devons aux consommateurs. Il ne vous a peut-être pas échappé, mesdames, messieurs les sénateurs, que, l’hiver dernier, nous ne sommes pas passés très loin d’un problème d’approvisionnement.
Ainsi, les articles 4 et 5 du projet de loi vont permettre d’engager, et c’est très important, une réforme du stockage souterrain de gaz naturel, pour à la fois améliorer notre système de stockage et mieux le réguler, préciser les compétences de la Commission de régulation de l’énergie et favoriser une concurrence juste et, surtout, sans surrémunération de certains acteurs.
Quant aux articles 6 et 7, ils transposent simplement des directives européennes. La première porte sur la qualité des biocarburants, afin simplement d’éviter que ceux-ci aient une empreinte carbone trop élevée, en provoquant, par exemple, la déforestation. La seconde directive prévoit la réduction des émissions de certains polluants de l’air, toujours avec ce même souci de protéger les Français et la planète.
Enfin, la prochaine étape, que je tiens à évoquer ici, pour avoir été interpellé à plusieurs reprises sur un certain nombre de sujets qui ne figurent pas dans le projet de loi, sera une réforme du code minier. Cette dernière s’appuiera notamment, dans le courant de l’année 2018, sur les débats qui ont déjà été menés au Sénat sur ce dossier, particulièrement sensible et, du reste, volumineux.
Aujourd’hui, avec le présent projet de loi, je pense que nous mettons fin, même si ce n’est peut-être pas de manière définitive, à cette hypothèque sur notre nature et sur notre futur. Nous donnons une chance à notre pays, qui n’a pas que des idées pour remplacer le pétrole, mais qui a bien aussi un projet de société et toute une gamme de solutions.
J’aspire à un consensus sur ce projet juste, humaniste, solidaire qui, s’il en est encore besoin – je pense toutefois que ce temps est révolu –, va démontrer que non seulement l’environnement – ou l’écologie, peu importe le vocable – n’est pas l’ennemi du développement de l’économie, mais qu’il en est justement la condition et l’opportunité.
C’est cette volonté d’une transition écologique et solidaire que j’aimerais construire et porter avec vous.