Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, avant de répondre à un certain nombre d’interrogations que vous avez soulevées – je ne serai pas exhaustif : nous aurons l’occasion, pendant l’examen des amendements, de reprendre certains points –, je veux apporter quelques petites précisions.
J’ai entendu à deux ou trois reprises le mot « dogmatique » – je vous rassure, je ne suis pas susceptible –, mais je ne crois pas l’être. Je peux d’ailleurs en faire la démonstration : tout à l’heure a été évoqué un objectif qui a été inscrit dans une loi dont nous ne sommes pas responsables, mais que j’ai en partie soutenue, à savoir la loi relative à la transition énergétique, votée durant la précédente législature. Dans cette loi figure, entre autres objectifs, celui de ramener la part du nucléaire dans la production d’électricité à 50 % d’ici à 2025. Si j’étais dogmatique, je m’entêterais sur ce calendrier et sur cet objectif. Or j’ai annoncé ce matin – j’ai été le premier, pardon de l’expression, à soulever le lièvre – que s’obstiner dans ce calendrier serait pure folie. Une telle obstination se ferait au détriment de nos autres objectifs et nous ferait perdre notre crédibilité s’agissant de l’ensemble de la transition.
Autrement dit, je fais mienne une forme de pragmatisme, laquelle doit évidemment se conjuguer avec une forme d’exigence, parce que la situation climatique nous oblige à ne pas baisser la garde et à faire le maximum. Et si je devais m’obstiner sur cet objectif, au risque de repousser la fermeture des centrales à charbon ou même de rouvrir des centrales thermiques pour parer aux risques d’approvisionnement, c’est à bon droit que vous me taxeriez de dogmatisme.
J’ai conscience de la difficulté ; j’entends les arguments des uns et des autres, dont aucun, précisément, ne me semble dogmatique. Ces arguments sont parfois, individuellement, recevables, mais collectivement discutables. Nous sommes en effet face à un enjeu universel ; si nous attendons que chaque pays adopte la même stratégie au nom de la fameuse réciprocité, nous pouvons toujours espérer…
Avec ce texte, nous nous attelons à l’élaboration et à la mise en œuvre de notre propre contribution. À Paris, 196 États se sont, avec une forme de sincérité, fixé des objectifs. Au moment où nous travaillons à leur réalisation, eux, de leur côté, font de même. N’allez pas imaginer que nous serions le seul pays qui, unilatéralement, déciderait de se pénaliser lui-même, les autres se contentant de fixer des objectifs sans définir de stratégie propre : d’autres pays, vous le verrez, renonceront, à un moment ou à un autre, à exploiter 80 % des réserves d’énergies fossiles qui se trouvent sous leurs pieds, parce que chacun a conscience des enjeux.
Nous sommes en train de travailler sur ce qui relève de notre propre responsabilité, mais ne doutons pas que d’autres nations font de même. Ce serait leur faire injure que de penser que nous sommes les seuls à nous pénaliser et à tenir nos engagements. Je tenais à faire ce rappel.
Comme cela a été dit tout à l’heure, que ce soit dans le cadre de la COP23 ou dans d’autres circonstances, à l’occasion du sommet du 12 décembre prochain ou de la COP24 notamment, je suis convaincu que chaque État s’inspirera des initiatives que les autres pays auront prises, des stratégies qu’ils auront définies, des dispositions qu’ils auront adoptées. Si nous attendons que tous s’accordent sur la même stratégie, je crains que nous ne perdions la bataille, dans laquelle nos chances de réussite sont déjà assez aléatoires.
Si, en 2040, il s’avère que notre effort s’est simplement limité à mettre fin à l’exploitation de 1 % de notre consommation d’hydrocarbures, cet effort – je veux bien l’entendre – aura été inutile. Le cas échéant, pour le coup, nous aurions définitivement perdu la bataille climatique. J’en profite pour dire – ce point a été évoqué et suggéré à plusieurs reprises – que cet objectif n’est pas simplement symbolique. Le terme « symbolique » est réducteur et caricatural. Lorsque l’homme a marché sur la Lune, c’était symbolique, mais ça n’a pas été une petite expérience ! Ce 1 % est plus que symbolique : il aura un effet d’entraînement.
L’histoire nous montre que la contrainte n’est pas l’ennemie de la créativité ; elle en est la condition. Nous devons nous fixer un certain nombre de contraintes. L’année 2040, c’est proche, je l’ai dit ; néanmoins, compte tenu des impacts en termes de transformations d’emplois, cette échéance nous laisse largement le temps. Et il y aura beaucoup plus de gagnants que de perdants, si tant est même qu’il y ait des perdants – simplement, des personnes ou des secteurs seront probablement obligés, le moment venu, de se reconvertir. Mais cela ne se fera pas du jour au lendemain. Le calendrier prévu nous permettra, humainement, socialement, économiquement, via notamment l’organisation des formations nécessaires, de faire cette transition. Et je suis convaincu, pas par vue de l’esprit, mais au regard du potentiel de créativité que j’ai observé dans nos entreprises, quelle que soit leur taille, que les bénéficiaires seront beaucoup plus nombreux que les secteurs éventuellement impactés.
En outre, ce projet de loi est conçu pour additionner ses dispositions à d’autres objectifs déjà définis, qui figurent pour la plupart dans la loi relative à la transition énergétique et dont le calendrier ne sera pas remis en cause. Le seul calendrier qui sera réévalué pour être rendu compatible avec nos ambitions, c’est celui des 50 % de nucléaire en 2025 ; nous allons travailler, dans le cadre de la programmation pluriannuelle de l’énergie, à revoir la faisabilité de cet objectif d’une manière totalement réaliste.
Par ailleurs, certains semblent avoir un peu oublié que nous nous sommes déjà fixé un objectif, dont la satisfaction conditionne tous les autres succès dans ce domaine : celui de réduire de 50 % notre consommation énergétique d’ici à 2050, de 20 % d’ici à 2030, et de réduire notre consommation d’énergies fossiles de 30 % d’ici à 2030. Aucune science exacte là-dedans : la société va devoir se mettre en ordre de marche, et les investissements devront être au rendez-vous. C’est pourquoi je souhaite aussi travailler sur un grand plan destiné à doper le développement et l’efficacité des énergies renouvelables. Il ne suffit pas, en effet, de se fixer de tels objectifs pour qu’ils soient immédiatement réalisés ; mais nous allons créer les conditions de la réussite.
Bien entendu, tout cela s’additionne et, en 2040, nous aurons largement réduit nos importations d’énergies fossiles.
Au passage, j’ai bien entendu un sénateur du groupe communiste s’inquiéter à juste titre des risques inhérents à la signature du CETA. Je n’ignore rien de ce risque, qui est celui de l’incohérence, puisque j’ai moi-même été l’un de ceux qui ont tiré la sonnette d’alarme.