Nous avons signalé l'importance de l'attractivité de la fonction militaire, car nous sommes parfaitement conscients de la singularité du choix, personnel et professionnel, qu'est l'engagement dans cette carrière. Et nous ne perdons jamais de vue que nos ambitions se fondent, en dernière analyse, sur des hommes et des femmes qui opèrent sur le terrain. Les conditions matérielles ont leur importance, et elles figurent en bonne place parmi les priorités de la ministre. Les conditions familiales comptent aussi, tout comme le statut. Mais il y a autre chose : nos armées ont besoin de sentir derrière elles une forme de cohésion nationale - ce qui est plus difficile à développer par des mesures pratiques ! En la matière, la responsabilité est collective, et notre rencontre n'est pas anodine à cet égard. Tout affaiblissement d'un consensus minimal sur les grandes orientations nuit à l'attractivité de la fonction militaire. Soyons-y attentifs.
Général François Lecointre, chef d'état-major des armées. - Les ressources nouvelles doivent être réparties de façon équilibrée entre conditions de vie, restauration des capacités existantes et préparation de l'avenir. Les armées françaises, ce sont vos armées. La dimension humaine y est essentielle. Le Parlement peut nous aider à promouvoir des mesures interministérielles, qui ne coûtent rien : par exemple, favoriser la mutation dans la fonction publique du conjoint d'un militaire contraint de s'adapter à la mobilité de celui-ci.
Nous avons recensé les signes de montée en puissance de la Chine comme acteur aux ambitions globales. Tout en se réclamant du multilatéralisme, la Chine instrumentalise volontiers cette référence au multilatéralisme pour promouvoir son propre agenda. Il nous faut donc un dialogue lucide et exigeant avec elle, surtout dans le domaine maritime. Membres du conseil de sécurité de l'ONU, nous veillons attentivement aux développements en mer de Chine, même si nous n'y sommes pas un acteur de premier plan. Notre marine est en mesure d'agir - ce qui suscite l'intérêt de nos partenaires européens, y compris britanniques ! L'accès à la Méditerranée que s'ouvre la Chine et son expansion dans l'Océan indien nous préoccupent également. Il convient de noter l'activité de ses contingents dans les opérations de maintien de la paix en Afrique. Sans oublier les projets de la route de la soie numérique - là aussi, nous devons être attentifs.
Sur l'Allemagne, il est vrai que nous avons sans doute été un peu lents à prendre la pleine mesure de ce que signifie le framework nation concept. Elle a su agréger plusieurs pays d'Europe centrale et orientale sur le plan capacitaire pour développer des solidarités profitant à son industrie de défense. Ne soyons pas naïfs : les hausses de budget spectaculaires à venir bénéficieront d'abord à l'industrie de défense allemande. Nous pouvons le déplorer, ou tâcher de faire servir cette évolution aussi en partie à nos intérêts, par des partenariats industriels soigneusement définis et par une meilleure coopération sur les théâtres extérieurs, où les Allemands ne pourront jamais jouer notre rôle, mais où ils peuvent apporter un soutien important. D'ailleurs, l'engagement allemand au Sahel n'est pas près d'être remis en question.
Il existe une revue spécifique consacrée à Barkhane. Nous n'allons pas nous désengager, mais changer nos modalités d'engagement. Mon opinion est qu'il faut adapter notre dispositif avec souplesse. La situation au centre du Mali se dégrade. Le Nord est structurellement instable, et notre effort militaire n'y changera rien - peut-être même aggrave-t-il la situation. Au centre et au Sud, en revanche, l'articulation de Barkhane et de la Minusma peut être constructive. Je partage votre crainte d'un afflux de djihadistes, qui ne s'arrêteront d'ailleurs pas au Mali mais gagneront l'Afrique de l'Ouest, ou le prosélytisme islamiste, soutenu par de considérables puissances financières, bouleverse déjà la sociologie.
Général François Lecointre. - La revue de Barkhane a été confiée au ministre de l'Europe et des affaires étrangères et à la ministre des armées. C'est donc un travail interministériel, et nous en conduirons un semblable pour le Levant. Nous en rendrons les conclusions demain au Président de la République. Permettez-moi de lui en réserver la primeur des conclusions. La question : « Que se passerait-il en l'absence de Barkhane ? » suffit à indiquer que la France ne compte pas se désengager. Le Président de la République nous a demandé de fixer la nouvelle ambition opérationnelle des armées. Ce sera le lien entre la revue stratégique et la loi de programmation militaire.
Oui, notre présence maritime est fondamentale, même si la marine ne réclame pas une hausse exponentielle de ses moyens. Le déploiement des B2M a été tardif et je le regrette car nous devons disposer de moyens adaptés aux missions à conduire dans nos Outre-Mer et dans notre ZEE.
La militarisation de la sécurité intérieure est un sujet sensible et j'admets regarder cela, à titre personnel, avec beaucoup de circonspection. J'ai même été parfois très critique. Je reste convaincu que la lutte anti-terroriste sur le sol national concerne avant tout d'autres moyens que ceux des armées : renseignement, police, sécurité intérieure, justice, éducation, services sociaux, etc. Pour autant, les moyens militaires ont leur utilité, et l'adaptation en cours de Sentinelle est bienvenue, car elle recentre l'action des militaires sur leur vraie plus-value.
Les moyens de la dissuasion sont contraints, et le resteront. L'équilibre entre ambitions et réalisme sera l'enjeu du prochain exercice. Notre revue est raisonnable, je crois. Il existe des programmes sur les moyens exo-atmosphériques. Ce type de recherche doit être conduit en priorité dans un cadre européen, car son coût est considérable.
Sur la Syrie...