Intervention de Christian Cambon

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 18 octobre 2017 à 15h05
Projet de loi de finances pour 2018 — Audition du général jean-pierre bosser chef d'état-major de l'armée de terre

Photo de Christian CambonChristian Cambon, président :

Général, pourrez-vous également dire un mot du service national universel ?

Général Jean-Pierre-Bosser. - Tout d'abord, la disponibilité technique des matériels apparaît comme un sujet récurrent, à la fois dans les domaines terrestre et aéronautique.

Je note une amélioration de la disponibilité technique de nos aéronefs. Sur 300, une centaine était auparavant disponible. Aujourd'hui, on en est à 125 appareils. Les effets de la création du pilier de l'aérocombat dans l'armée de Terre commencent à se faire sentir.

Airbus Helicopters est cette année au rendez-vous en termes de livraisons et de visites. L'objectif des visites fixé en début d'année devrait être atteint. Un certain nombre d'efforts ont été consentis en matière de recrutement de jeunes mécaniciens aéronautiques. Cette augmentation des effectifs se ressent déjà.

La mise à jour de documents relatifs à la navigabilité, qui a été améliorée, et l'élargissement de certaines visites, en accord avec l'industriel, améliorent également la disponibilité technique.

À ce stade, la disponibilité de nos hélicoptères en opération est très bonne, alors qu'il s'agit parfois de conditions difficiles. Il faut se rappeler que le Caracal a été acheté pour servir sur des plateformes pétrolières, et qu'on l'utilise aujourd'hui au Nord de Madama : ce n'est pas tout à fait le même environnement !

Toutes les mesures qu'on a pu prendre sont plutôt bonnes. Je pense donc que la sécurité des vols n'est pas engagée à ce stade pour nos hélicoptères.

Quant à la disponibilité terrestre, les résultats sont très bons en opérations extérieures, mais c'est le territoire national qui « paie la différence », la majorité des pièces détachées servant prioritairement aux véhicules engagés sur le terrain. Par exemple, la dichotomie est très forte entre la disponibilité technique des VAB au Mali et celle que l'on connaît en France, de l'ordre de 60 % en France contre 90 % au Mali.

Plus généralement, ceci pointe la difficulté d'entretenir voire de reconstruire des matériels anciens. Aujourd'hui, le VAB de 1972, qui est reconstruit en VAB Ultima, coûte cher et est souvent indisponible.

J'ajoute que la régénération de matériels anciens prend du temps. Ainsi, ce n'est qu'en fin d'année que l'on aura achevé toute la reconstruction des VAB rentrés d'Afghanistan depuis 2012. Ces VAB viennent progressivement alimenter le parc. Faut-il reconstruire des véhicules ou accélérer l'arrivée du Griffon ? C'est la question. C'est le même industriel et à peu près le même coût, mais le niveau de protection, l'action tactique et l'autonomie sont bien supérieurs pour le Griffon.

On peut donc légitimement s'interroger. Un VAB Ultima représente une protection 4 pour nos soldats. Un Griffon, c'est une protection 5. Il faudra en discuter avec le CEMA et le DGA. Ces choix me paraissent majeurs.

Pour ce qui est du projet MCO terrestre 2025 dont je vous ai parlé tout à l'heure, il n'est pas entièrement financé. Le projet de loi de finance 2018 consacre un effort de 506 millions d'euros de crédits de paiement à l'entretien programmé des matériels terrestres, dont une partie viendra financer ce projet MCO-Terre 2025, ce dont je me réjouis, même s'il manque encore pour la seule année 2018 environ 50 millions d'euros pour garantir un financement complet et contribuer à la remontée d'activité.

Par ailleurs, j'ai pris des mesures en matière de politique d'emploi et de gestion des parcs (PEGP). Mon objectif vise à redonner du matériel aux régiments, en cohérence avec les maintenances opérationnelle et industrielle. En y incluant les mécaniciens, on a aujourd'hui des gains à trouver.

S'agissant de la préparation opérationnelle interarmes, il est vrai que le niveau général a chuté considérablement en 2015 et 2016. L'armée de Terre est passée de quatre-vingts quatre journées de préparation opérationnelle en 2014 à soixante-quatre en 2015, puis soixante-douze journées de préparation opérationnelle en 2016, alors que la norme s'établit à 90. Cette année, on espère remonter à plus de 80 jours.

Cela étant dit, j'insiste sur le fait qu'un soldat qui n'a pas satisfait à la formation initiale ou à la formation opérationnelle n'est pas engagé en opération extérieure, et en toute hypothèse aucun soldat n'est engagé avant six mois de formation et d'entrainement sur le territoire national.

Monsieur le sénateur, vous avez évoqué la qualité de nos soldats. Ils n'ont rien de plus que les jeunes Français qui vivent au quotidien dans notre pays. Nous sommes très fiers de les voir agir. Cela peut illustrer les valeurs et l'exemple que promeut l'armée de Terre.

Par ailleurs, les soldats du 35e régiment d'Infanterie blessés le 9 août lors de l'attaque de Levallois-Perret sont tous sortis d'affaire aujourd'hui. S'ils n'avaient pas porté leur gilet de protection ce jour-là, les choses auraient été plus graves, car ils ont été percutés violemment par un véhicule de forte puissance.

Pour ce qui est du programme Scorpion, il faut être plus précis. Il s'agit en fait de remplacer le VAB par le Griffon et, demain, la gamme AMX-10 RC par le Jaguar, qui constituent le segment médian, après le Leclerc et le VBCI, qui représentent le segment dédié aux engagements face à un ennemi symétrique disposant d'unités blindées.

Le programme Scorpion, c'est une bulle dans laquelle on trouve des systèmes de commandement, des matériels du génie, et d'autres matériels qui concourent à l'environnement.

Faut-il accélérer le programme Scorpion ? La question est de savoir ce que l'on veut accélérer à l'intérieur du programme lui-même. Le programme Scorpion est en effet un terme très générique, au sein duquel se trouvent beaucoup de choses.

Personnellement, à l'intérieur du programme Scorpion, je souhaite l'accélération du Griffon, afin de ne pas s'épuiser à reconstruire des VAB. Je souhaite également que l'on accélère les études relatives à l'environnement. Le programme Scorpion comporte toute une partie liée à l'environnement et aux travaux qui doivent être menés en matière d'innovation et de recherche pour atteindre l'objectif que l'on s'est fixé - infovalorisation du commandement, digitalisation, etc. Pour intéresser les industriels et rester dans la course à l'innovation, il me semble nécessaire de densifier notre ambition de recherche et développement. Je pense que l'on trouvera ainsi de jeunes entrepreneurs qui voudront travailler pour ce projet.

Bref, vous l'avez compris, il existe bel et bien deux niveaux dans l'accélération du programme Scorpion. C'est le message que je vais développer jusqu'à Noël.

S'agissant de la réserve, je suis très heureux de la manière dont les réservistes se comportent. On est même au-dessus de la courbe de recrutement. On n'aura donc aucune difficulté pour recruter les 24 000 réservistes qui constituent notre cible.

Chaque jour, ce sont plus de 600 réservistes qui viennent appuyer l'armée de Terre, en participant à la protection du territoire national. Je vise un objectif de 700 l'an prochain. Il existe deux types d'emplois : ceux qui viennent renforcer les états-majors - ils représentent environ 10 % - et ceux qui servent dans les unités, les 90 % restant.

Le réserviste qui a ouvert le feu à Marseille avait suivi la même préparation opérationnelle que ses camarades d'active. C'est une belle réussite.

L'armée de Terre privilégie aujourd'hui l'intégration de ses réservistes dans ses unités d'active. On aurait pu adopter un modèle apparenté à la garde nationale aux Etats-Unis, avec un système de réserve qui aurait paru autoporté, mais je n'y crois pas à ce stade. Il faut un fort soutien des militaires d'active afin de préparer, contrôler les réservistes avant de les engager sur le territoire national. Les autres schémas me paraissent quelque peu risqués.

Pour ce qui est de la fidélisation, il faut relativiser les chiffres présentés dans le rapport du Haut Comité d'évaluation de la condition militaire. Je ne les partage pas tous. D'ailleurs, les taux de renouvellement à la fin du premier contrat sont plutôt à la hausse dans l'armée de Terre. C'est une bonne nouvelle pour nous.

On s'interrogeait sur le côté éphémère de la volonté des jeunes de s'engager après les attentats. Il n'en est rien. La fidélisation reste cependant un sujet. On a fait le choix d'une armée de jeunes contractuels. C'est ce qui nous différencie des autres nations européennes. Certains de mes homologues européens aimeraient bien pouvoir bénéficier d'une telle dynamique.

Toutefois, il faut accepter le revers de la médaille et admettre que nos soldats peuvent partir quand ils veulent. La question est de savoir comment les aider, et ce qu'ils vont faire. Le monde civil les attend. Peu de jeunes se retrouvent au chômage en quittant l'armée. Ce qu'on a pu leur apprendre - la ponctualité, la loyauté, la capacité à vivre en groupe - représente des qualités recherchées à l'extérieur.

Cela ne me choque pas de voir les jeunes partir, mais on a besoin de conserver des hommes et des compétences. On dépense beaucoup d'énergie à les former, dans un monde où les technologies progressent sans cesse. Si on les laisse s'en aller trop vite, notre modèle n'est pas rentable. Mais il faut aussi veiller à leur offrir de bons outils de reconversion. C'est déjà le cas, mais on peut encore progresser, de manière à les rassurer. Je ne suis pas inquiet.

Nous sortons d'une période dans laquelle nos jeunes ont beaucoup souffert. Entre 2015 et 2017, nos soldats et leur famille ont été soumis à de fortes pressions. En 2016, plus de 17 000 soldats de l'armée de Terre ont passé plus de 150 jours loin de chez eux - sans compter les stages de formation. Aujourd'hui, avec un SMIC, quel Français accepterait de s'éloigner plus de 150 jours de chez lui ? Ce sont les familles qui sont le plus touchées par ces rythmes. Elles sont donc l'objet de toute notre attention.

Pour ce qui est de l'évolution de l'opération Sentinelle, je vais employer l'image de la couverture de risques par une assurance : on n'a changé ni d'assureur - c'est toujours principalement l'armée de Terre - ni le coût de la police d'assurance, qui représente 10 000 hommes. En revanche, on a élargi notre capacité à faire face à un certain nombre de risques. Le contrat a donc un peu évolué.

Vous avez compris que dans le nouveau dispositif Sentinelle qui se met progressivement en place, il y a trois échelons : le premier composé d'hommes déployés de façon permanente sur des sites jugés sensibles - on pense par exemple aux grands monuments de Paris -, le deuxième que je souhaiterais davantage dédié à l'anticipation, et enfin le troisième composé d'une réserve stratégique d'environ 3 000 hommes. Le deuxième échelon pourrait renforcer le premier lors de grands événements, mais il serait également chargé de préparer les scénarios de crise les plus importants. La cuirasse absolue n'existe pas et l'on peut bien déployer 10 000, 20 000 ou 30 000 soldats, si nous devons être attaqués, nous le serons. Reste que si l'on peut accepter d'être pris par surprise, d'être « bousculés », nous n'avons en revanche pas le droit d'être pris en flagrant délit d'impréparation.

Je prône donc d'utiliser ces hommes pour suivre encore plus la vie de la cité, conduire des exercices en terrain libre, notamment dans les déserts militaires français où les forces armées ne vont plus, et préparer les scénarios de crise qui ont été bien identifiés par le Secrétariat général de la défense nationale (SGDSN), sur lesquels nous travaillons à mon sens insuffisamment.

Tous les mois, l'armée de Terre réalise un exercice avec d'autres - forces de sécurité intérieure, PAF, douanes - autour de nos propres scénarios. Je souhaite pousser d'autres services, notamment ceux de l'État, à nous solliciter pour travailler sur des scénarios de crise dans leur environnement. Tous les retours d'expérience démontrent en effet qu'en cas de crise, qu'il s'agisse d'une menace terroriste ou climatique, l'armée de Terre est engagée avec ses hélicoptères, ses spécialistes, etc. À Saint-Martin, nous avons ainsi déployé quarante métiers différents. Il faut donc qu'on y travaille.

Quant à l'infrastructure, beaucoup a été fait. Le plan d'urgence engagé en 2014 pour traiter notamment des « points noirs » identifiés, c'est-à-dire des infrastructures de vie présentant un état de dégradation impactant les conditions de vie et de travail du personnel, se poursuit. Les réseaux sociaux se sont faits l'écho de critiques à propos des conditions d'installation de nos soldats dans le cadre de l'opération Sentinelle. C'était vrai en 2015. Ce n'est plus le cas aujourd'hui.

En revanche, on paie l'absence de maintenance courante de l'infrastructure. Il faut faire quelque chose, car chacun sait que si l'on tarde, on doit ensuite recourir à des masses financières importantes pour réaliser de la maintenance lourde.

J'espère que ceci sera pris en compte dans la LPM. Restera Paris, qui demeure un point noir. Il manque environ 400 logements en région parisienne pour accueillir les familles de façon correcte.

Par ailleurs, concernant votre question sur le renforcement du renseignement, j'ai été directeur d'un service de renseignement : tout ce qui a été engagé dans le passé pour renforcer cette fonction était nécessaire. Il faut poursuivre l'action en faveur des trois services de renseignement militaire, mais également travailler sur les synergies entre services. Il ne m'appartient pas d'en parler, mais je pense qu'il faut continuer.

On a fait beaucoup d'efforts sur la capacité de renseignement stratégique - drones notamment, avec des surveillances 24 heures sur 24 dans certaines régions, ou recherche de cibles à haute valeur ajoutée. J'ai demandé à mes troupes de développer encore davantage le renseignement de niveau tactique. Que fait-on des retours d'expérience dont on dispose concernant les ennemis conventionnels, hybrides et irréguliers ? L'ennemi conventionnel agit de façon indirecte, comme la Russie en Ukraine. Qu'a-t-on appris des modes d'actions de pays « forts » quant à la manière dont ils se déploient aujourd'hui, ou des modes d'action « irréguliers » d'une armée classique ? Pour ce qui est de l'ennemi hybride, il faut suivre l'actualité. Deux hommes du 13e régiment de Dragons parachutistes ont été blessés dans une colonne des forces irakiennes par un drone que l'on trouve dans le commerce, sur lequel une caméra et une griffe permettant d'emporter une sous-munition avaient été ajoutées, inversant presque le rapport de force ! La qualité de nos instructeurs a permis à l'armée irakienne de réinvestir Mossoul, et on subit des pertes causées par un drone de 250 euros ! Quelle leçon tirer de cette affaire en matière de renseignement ? Quant à la menace irrégulière, c'est un peu la même chose.

Je veux donc densifier l'enseignement et l'utilisation que nous faisons du renseignement de niveau tactique dans l'armée de Terre.

Une question m'a été posée concernant le fusil HK 416. Il faut être prudent : tout le monde rêve, dans l'armée de Terre, de disposer du HK 416. Cela ne veut pas dire que le FAMAS tire mal... En outre, le FAMAS « Félin » est plus efficace qu'un HK 416 dépourvu d'aides à la visée - qui sera bien sûr équipé en « Félin » à terme. Reste que l'on est aujourd'hui sur un calendrier de livraison extrêmement lointain - 2028.

Enfin, la question du service national universel est délicate.

Tout d'abord, à ce stade, je crois qu'il faut en préciser les finalités. Que veut-on faire ? Il n'est pas question de se repasser ce sujet de ministère en ministère, d'armée en armée. C'est un objet collectif, qui correspond à un projet de société. Je pense qu'il est indispensable que tout le monde se mette autour de la table pour y réfléchir et en discuter. On verra ensuite les modalités.

Je rappelle que le service militaire volontaire (SMV) est une réussite, mais qu'il s'agit d'un modèle quasi-personnalisé, dont la finalité est l'accès à l'emploi pour une catégorie très spécifique de la jeunesse, avec un taux d'encadrement d'un pour cinq. Cela fonctionne très bien, de façon artisanale, mais comment faire pour passer à l'industrialisation ?

Une classe d'âge aujourd'hui, c'est 700 000 jeunes par an, soit dix fois la force opérationnelle terrestre. Il ne s'agit pas d'être négatif mais conscients que si nous devons être percutés par un objet qui fait dix fois notre masse sur un tempo rapide, les conséquences sur l'armée de Terre seront lourdes !

Des commissions ont été créées pour dresser un inventaire des dispositifs existants. Ce qui existe ne répond pas forcément à l'attente du Président de la République, qui souhaite un vrai brassage. Or l'objectif du SMV n'est pas de brasser les populations, mais de remettre sur pieds les jeunes les plus démunis.

En synthèse j'attends donc de connaître les finalités du projet avant d'évoquer les modalités.

Général, merci de ces précisions. Nous apprécions la clarté de vos propos.

L'élargissement et l'approfondissement du service militaire adapté (SMA) ou du SMV qui vise les jeunes « décrocheurs », est sans doute une piste intéressante. On est loin de l'idée consistant à restaurer d'une manière ou d'une autre le service national ancienne formule. Je ne sais d'ailleurs pas si les jeunes s'y plieraient. Ce que nous vivons dans nos collectivités montre qu'il y a sur ce sujet loin de la coupe aux lèvres. Le Sénat, qui constitue l'assemblée des territoires, a quelque chose à apporter à ce débat.

Je voulais vous assurer de notre soutien, à la veille d'étapes importantes, comme la préparation de la LPM.

Il faut saluer l'effort, mais demeurer vigilant s'agissant du renouvellement des matériels, de la sécurisation des personnels, qui sont très exposés dans le cadre des OPEX, ou de la condition de vies des militaires et de leur famille, qui ont retrouvé un peu de liberté de parole.

Nous ferons tout pour que la contribution du Sénat à cette loi permette à une armée à laquelle nous souhaitons rendre hommage, d'entrer dans une phase de remise à niveau.

La réunion est close à 11 h 40

- Présidence de M. Christian Cambon, président -

La réunion est ouverte à 15h05.

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