Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées

Réunion du 18 octobre 2017 à 15h05

Résumé de la réunion

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La réunion

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Photo de Christian Cambon

Général, pourrez-vous également dire un mot du service national universel ?

Général Jean-Pierre-Bosser. - Tout d'abord, la disponibilité technique des matériels apparaît comme un sujet récurrent, à la fois dans les domaines terrestre et aéronautique.

Je note une amélioration de la disponibilité technique de nos aéronefs. Sur 300, une centaine était auparavant disponible. Aujourd'hui, on en est à 125 appareils. Les effets de la création du pilier de l'aérocombat dans l'armée de Terre commencent à se faire sentir.

Airbus Helicopters est cette année au rendez-vous en termes de livraisons et de visites. L'objectif des visites fixé en début d'année devrait être atteint. Un certain nombre d'efforts ont été consentis en matière de recrutement de jeunes mécaniciens aéronautiques. Cette augmentation des effectifs se ressent déjà.

La mise à jour de documents relatifs à la navigabilité, qui a été améliorée, et l'élargissement de certaines visites, en accord avec l'industriel, améliorent également la disponibilité technique.

À ce stade, la disponibilité de nos hélicoptères en opération est très bonne, alors qu'il s'agit parfois de conditions difficiles. Il faut se rappeler que le Caracal a été acheté pour servir sur des plateformes pétrolières, et qu'on l'utilise aujourd'hui au Nord de Madama : ce n'est pas tout à fait le même environnement !

Toutes les mesures qu'on a pu prendre sont plutôt bonnes. Je pense donc que la sécurité des vols n'est pas engagée à ce stade pour nos hélicoptères.

Quant à la disponibilité terrestre, les résultats sont très bons en opérations extérieures, mais c'est le territoire national qui « paie la différence », la majorité des pièces détachées servant prioritairement aux véhicules engagés sur le terrain. Par exemple, la dichotomie est très forte entre la disponibilité technique des VAB au Mali et celle que l'on connaît en France, de l'ordre de 60 % en France contre 90 % au Mali.

Plus généralement, ceci pointe la difficulté d'entretenir voire de reconstruire des matériels anciens. Aujourd'hui, le VAB de 1972, qui est reconstruit en VAB Ultima, coûte cher et est souvent indisponible.

J'ajoute que la régénération de matériels anciens prend du temps. Ainsi, ce n'est qu'en fin d'année que l'on aura achevé toute la reconstruction des VAB rentrés d'Afghanistan depuis 2012. Ces VAB viennent progressivement alimenter le parc. Faut-il reconstruire des véhicules ou accélérer l'arrivée du Griffon ? C'est la question. C'est le même industriel et à peu près le même coût, mais le niveau de protection, l'action tactique et l'autonomie sont bien supérieurs pour le Griffon.

On peut donc légitimement s'interroger. Un VAB Ultima représente une protection 4 pour nos soldats. Un Griffon, c'est une protection 5. Il faudra en discuter avec le CEMA et le DGA. Ces choix me paraissent majeurs.

Pour ce qui est du projet MCO terrestre 2025 dont je vous ai parlé tout à l'heure, il n'est pas entièrement financé. Le projet de loi de finance 2018 consacre un effort de 506 millions d'euros de crédits de paiement à l'entretien programmé des matériels terrestres, dont une partie viendra financer ce projet MCO-Terre 2025, ce dont je me réjouis, même s'il manque encore pour la seule année 2018 environ 50 millions d'euros pour garantir un financement complet et contribuer à la remontée d'activité.

Par ailleurs, j'ai pris des mesures en matière de politique d'emploi et de gestion des parcs (PEGP). Mon objectif vise à redonner du matériel aux régiments, en cohérence avec les maintenances opérationnelle et industrielle. En y incluant les mécaniciens, on a aujourd'hui des gains à trouver.

S'agissant de la préparation opérationnelle interarmes, il est vrai que le niveau général a chuté considérablement en 2015 et 2016. L'armée de Terre est passée de quatre-vingts quatre journées de préparation opérationnelle en 2014 à soixante-quatre en 2015, puis soixante-douze journées de préparation opérationnelle en 2016, alors que la norme s'établit à 90. Cette année, on espère remonter à plus de 80 jours.

Cela étant dit, j'insiste sur le fait qu'un soldat qui n'a pas satisfait à la formation initiale ou à la formation opérationnelle n'est pas engagé en opération extérieure, et en toute hypothèse aucun soldat n'est engagé avant six mois de formation et d'entrainement sur le territoire national.

Monsieur le sénateur, vous avez évoqué la qualité de nos soldats. Ils n'ont rien de plus que les jeunes Français qui vivent au quotidien dans notre pays. Nous sommes très fiers de les voir agir. Cela peut illustrer les valeurs et l'exemple que promeut l'armée de Terre.

Par ailleurs, les soldats du 35e régiment d'Infanterie blessés le 9 août lors de l'attaque de Levallois-Perret sont tous sortis d'affaire aujourd'hui. S'ils n'avaient pas porté leur gilet de protection ce jour-là, les choses auraient été plus graves, car ils ont été percutés violemment par un véhicule de forte puissance.

Pour ce qui est du programme Scorpion, il faut être plus précis. Il s'agit en fait de remplacer le VAB par le Griffon et, demain, la gamme AMX-10 RC par le Jaguar, qui constituent le segment médian, après le Leclerc et le VBCI, qui représentent le segment dédié aux engagements face à un ennemi symétrique disposant d'unités blindées.

Le programme Scorpion, c'est une bulle dans laquelle on trouve des systèmes de commandement, des matériels du génie, et d'autres matériels qui concourent à l'environnement.

Faut-il accélérer le programme Scorpion ? La question est de savoir ce que l'on veut accélérer à l'intérieur du programme lui-même. Le programme Scorpion est en effet un terme très générique, au sein duquel se trouvent beaucoup de choses.

Personnellement, à l'intérieur du programme Scorpion, je souhaite l'accélération du Griffon, afin de ne pas s'épuiser à reconstruire des VAB. Je souhaite également que l'on accélère les études relatives à l'environnement. Le programme Scorpion comporte toute une partie liée à l'environnement et aux travaux qui doivent être menés en matière d'innovation et de recherche pour atteindre l'objectif que l'on s'est fixé - infovalorisation du commandement, digitalisation, etc. Pour intéresser les industriels et rester dans la course à l'innovation, il me semble nécessaire de densifier notre ambition de recherche et développement. Je pense que l'on trouvera ainsi de jeunes entrepreneurs qui voudront travailler pour ce projet.

Bref, vous l'avez compris, il existe bel et bien deux niveaux dans l'accélération du programme Scorpion. C'est le message que je vais développer jusqu'à Noël.

S'agissant de la réserve, je suis très heureux de la manière dont les réservistes se comportent. On est même au-dessus de la courbe de recrutement. On n'aura donc aucune difficulté pour recruter les 24 000 réservistes qui constituent notre cible.

Chaque jour, ce sont plus de 600 réservistes qui viennent appuyer l'armée de Terre, en participant à la protection du territoire national. Je vise un objectif de 700 l'an prochain. Il existe deux types d'emplois : ceux qui viennent renforcer les états-majors - ils représentent environ 10 % - et ceux qui servent dans les unités, les 90 % restant.

Le réserviste qui a ouvert le feu à Marseille avait suivi la même préparation opérationnelle que ses camarades d'active. C'est une belle réussite.

L'armée de Terre privilégie aujourd'hui l'intégration de ses réservistes dans ses unités d'active. On aurait pu adopter un modèle apparenté à la garde nationale aux Etats-Unis, avec un système de réserve qui aurait paru autoporté, mais je n'y crois pas à ce stade. Il faut un fort soutien des militaires d'active afin de préparer, contrôler les réservistes avant de les engager sur le territoire national. Les autres schémas me paraissent quelque peu risqués.

Pour ce qui est de la fidélisation, il faut relativiser les chiffres présentés dans le rapport du Haut Comité d'évaluation de la condition militaire. Je ne les partage pas tous. D'ailleurs, les taux de renouvellement à la fin du premier contrat sont plutôt à la hausse dans l'armée de Terre. C'est une bonne nouvelle pour nous.

On s'interrogeait sur le côté éphémère de la volonté des jeunes de s'engager après les attentats. Il n'en est rien. La fidélisation reste cependant un sujet. On a fait le choix d'une armée de jeunes contractuels. C'est ce qui nous différencie des autres nations européennes. Certains de mes homologues européens aimeraient bien pouvoir bénéficier d'une telle dynamique.

Toutefois, il faut accepter le revers de la médaille et admettre que nos soldats peuvent partir quand ils veulent. La question est de savoir comment les aider, et ce qu'ils vont faire. Le monde civil les attend. Peu de jeunes se retrouvent au chômage en quittant l'armée. Ce qu'on a pu leur apprendre - la ponctualité, la loyauté, la capacité à vivre en groupe - représente des qualités recherchées à l'extérieur.

Cela ne me choque pas de voir les jeunes partir, mais on a besoin de conserver des hommes et des compétences. On dépense beaucoup d'énergie à les former, dans un monde où les technologies progressent sans cesse. Si on les laisse s'en aller trop vite, notre modèle n'est pas rentable. Mais il faut aussi veiller à leur offrir de bons outils de reconversion. C'est déjà le cas, mais on peut encore progresser, de manière à les rassurer. Je ne suis pas inquiet.

Nous sortons d'une période dans laquelle nos jeunes ont beaucoup souffert. Entre 2015 et 2017, nos soldats et leur famille ont été soumis à de fortes pressions. En 2016, plus de 17 000 soldats de l'armée de Terre ont passé plus de 150 jours loin de chez eux - sans compter les stages de formation. Aujourd'hui, avec un SMIC, quel Français accepterait de s'éloigner plus de 150 jours de chez lui ? Ce sont les familles qui sont le plus touchées par ces rythmes. Elles sont donc l'objet de toute notre attention.

Pour ce qui est de l'évolution de l'opération Sentinelle, je vais employer l'image de la couverture de risques par une assurance : on n'a changé ni d'assureur - c'est toujours principalement l'armée de Terre - ni le coût de la police d'assurance, qui représente 10 000 hommes. En revanche, on a élargi notre capacité à faire face à un certain nombre de risques. Le contrat a donc un peu évolué.

Vous avez compris que dans le nouveau dispositif Sentinelle qui se met progressivement en place, il y a trois échelons : le premier composé d'hommes déployés de façon permanente sur des sites jugés sensibles - on pense par exemple aux grands monuments de Paris -, le deuxième que je souhaiterais davantage dédié à l'anticipation, et enfin le troisième composé d'une réserve stratégique d'environ 3 000 hommes. Le deuxième échelon pourrait renforcer le premier lors de grands événements, mais il serait également chargé de préparer les scénarios de crise les plus importants. La cuirasse absolue n'existe pas et l'on peut bien déployer 10 000, 20 000 ou 30 000 soldats, si nous devons être attaqués, nous le serons. Reste que si l'on peut accepter d'être pris par surprise, d'être « bousculés », nous n'avons en revanche pas le droit d'être pris en flagrant délit d'impréparation.

Je prône donc d'utiliser ces hommes pour suivre encore plus la vie de la cité, conduire des exercices en terrain libre, notamment dans les déserts militaires français où les forces armées ne vont plus, et préparer les scénarios de crise qui ont été bien identifiés par le Secrétariat général de la défense nationale (SGDSN), sur lesquels nous travaillons à mon sens insuffisamment.

Tous les mois, l'armée de Terre réalise un exercice avec d'autres - forces de sécurité intérieure, PAF, douanes - autour de nos propres scénarios. Je souhaite pousser d'autres services, notamment ceux de l'État, à nous solliciter pour travailler sur des scénarios de crise dans leur environnement. Tous les retours d'expérience démontrent en effet qu'en cas de crise, qu'il s'agisse d'une menace terroriste ou climatique, l'armée de Terre est engagée avec ses hélicoptères, ses spécialistes, etc. À Saint-Martin, nous avons ainsi déployé quarante métiers différents. Il faut donc qu'on y travaille.

Quant à l'infrastructure, beaucoup a été fait. Le plan d'urgence engagé en 2014 pour traiter notamment des « points noirs » identifiés, c'est-à-dire des infrastructures de vie présentant un état de dégradation impactant les conditions de vie et de travail du personnel, se poursuit. Les réseaux sociaux se sont faits l'écho de critiques à propos des conditions d'installation de nos soldats dans le cadre de l'opération Sentinelle. C'était vrai en 2015. Ce n'est plus le cas aujourd'hui.

En revanche, on paie l'absence de maintenance courante de l'infrastructure. Il faut faire quelque chose, car chacun sait que si l'on tarde, on doit ensuite recourir à des masses financières importantes pour réaliser de la maintenance lourde.

J'espère que ceci sera pris en compte dans la LPM. Restera Paris, qui demeure un point noir. Il manque environ 400 logements en région parisienne pour accueillir les familles de façon correcte.

Par ailleurs, concernant votre question sur le renforcement du renseignement, j'ai été directeur d'un service de renseignement : tout ce qui a été engagé dans le passé pour renforcer cette fonction était nécessaire. Il faut poursuivre l'action en faveur des trois services de renseignement militaire, mais également travailler sur les synergies entre services. Il ne m'appartient pas d'en parler, mais je pense qu'il faut continuer.

On a fait beaucoup d'efforts sur la capacité de renseignement stratégique - drones notamment, avec des surveillances 24 heures sur 24 dans certaines régions, ou recherche de cibles à haute valeur ajoutée. J'ai demandé à mes troupes de développer encore davantage le renseignement de niveau tactique. Que fait-on des retours d'expérience dont on dispose concernant les ennemis conventionnels, hybrides et irréguliers ? L'ennemi conventionnel agit de façon indirecte, comme la Russie en Ukraine. Qu'a-t-on appris des modes d'actions de pays « forts » quant à la manière dont ils se déploient aujourd'hui, ou des modes d'action « irréguliers » d'une armée classique ? Pour ce qui est de l'ennemi hybride, il faut suivre l'actualité. Deux hommes du 13e régiment de Dragons parachutistes ont été blessés dans une colonne des forces irakiennes par un drone que l'on trouve dans le commerce, sur lequel une caméra et une griffe permettant d'emporter une sous-munition avaient été ajoutées, inversant presque le rapport de force ! La qualité de nos instructeurs a permis à l'armée irakienne de réinvestir Mossoul, et on subit des pertes causées par un drone de 250 euros ! Quelle leçon tirer de cette affaire en matière de renseignement ? Quant à la menace irrégulière, c'est un peu la même chose.

Je veux donc densifier l'enseignement et l'utilisation que nous faisons du renseignement de niveau tactique dans l'armée de Terre.

Une question m'a été posée concernant le fusil HK 416. Il faut être prudent : tout le monde rêve, dans l'armée de Terre, de disposer du HK 416. Cela ne veut pas dire que le FAMAS tire mal... En outre, le FAMAS « Félin » est plus efficace qu'un HK 416 dépourvu d'aides à la visée - qui sera bien sûr équipé en « Félin » à terme. Reste que l'on est aujourd'hui sur un calendrier de livraison extrêmement lointain - 2028.

Enfin, la question du service national universel est délicate.

Tout d'abord, à ce stade, je crois qu'il faut en préciser les finalités. Que veut-on faire ? Il n'est pas question de se repasser ce sujet de ministère en ministère, d'armée en armée. C'est un objet collectif, qui correspond à un projet de société. Je pense qu'il est indispensable que tout le monde se mette autour de la table pour y réfléchir et en discuter. On verra ensuite les modalités.

Je rappelle que le service militaire volontaire (SMV) est une réussite, mais qu'il s'agit d'un modèle quasi-personnalisé, dont la finalité est l'accès à l'emploi pour une catégorie très spécifique de la jeunesse, avec un taux d'encadrement d'un pour cinq. Cela fonctionne très bien, de façon artisanale, mais comment faire pour passer à l'industrialisation ?

Une classe d'âge aujourd'hui, c'est 700 000 jeunes par an, soit dix fois la force opérationnelle terrestre. Il ne s'agit pas d'être négatif mais conscients que si nous devons être percutés par un objet qui fait dix fois notre masse sur un tempo rapide, les conséquences sur l'armée de Terre seront lourdes !

Des commissions ont été créées pour dresser un inventaire des dispositifs existants. Ce qui existe ne répond pas forcément à l'attente du Président de la République, qui souhaite un vrai brassage. Or l'objectif du SMV n'est pas de brasser les populations, mais de remettre sur pieds les jeunes les plus démunis.

En synthèse j'attends donc de connaître les finalités du projet avant d'évoquer les modalités.

Général, merci de ces précisions. Nous apprécions la clarté de vos propos.

L'élargissement et l'approfondissement du service militaire adapté (SMA) ou du SMV qui vise les jeunes « décrocheurs », est sans doute une piste intéressante. On est loin de l'idée consistant à restaurer d'une manière ou d'une autre le service national ancienne formule. Je ne sais d'ailleurs pas si les jeunes s'y plieraient. Ce que nous vivons dans nos collectivités montre qu'il y a sur ce sujet loin de la coupe aux lèvres. Le Sénat, qui constitue l'assemblée des territoires, a quelque chose à apporter à ce débat.

Je voulais vous assurer de notre soutien, à la veille d'étapes importantes, comme la préparation de la LPM.

Il faut saluer l'effort, mais demeurer vigilant s'agissant du renouvellement des matériels, de la sécurisation des personnels, qui sont très exposés dans le cadre des OPEX, ou de la condition de vies des militaires et de leur famille, qui ont retrouvé un peu de liberté de parole.

Nous ferons tout pour que la contribution du Sénat à cette loi permette à une armée à laquelle nous souhaitons rendre hommage, d'entrer dans une phase de remise à niveau.

La réunion est close à 11 h 40

- Présidence de M. Christian Cambon, président -

La réunion est ouverte à 15h05.

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Cambon

Monsieur le ministre, nous avions pris l'habitude de vous recevoir dans vos précédentes fonctions pour des auditions qui étaient toujours passionnantes. Je suis donc très heureux de vous accueillir aujourd'hui pour faire le point sur la situation internationale. Nous vous entendrons également la semaine prochaine au sujet du projet de loi de finances pour 2018.

Nous avons débattu ensemble de l'avenir de l'Union européenne mercredi dernier en séance publique, je vous propose donc de nous concentrer sur les crises internationales - hélas, elles ne manquent pas : Corée du Nord, Iran, Libye, Irak-Syrie.

Debut de section - Permalien
Jean-Yves Le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères

Et Sahel !

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Cambon

Absolument.

Sur la Corée du Nord, l'escalade verbale continue et la menace nucléaire est chaque jour plus tangible. Comment gérer cette escalade et cette crise de la prolifération ? Quel rôle la Chine peut-elle jouer ? Qu'en est-il de la France ? Quels sont les formats de négociation possibles autour du Conseil de sécurité et un dialogue est-il envisageable ?

Au sujet de l'Iran, le président des États-Unis, après les propos qu'il a tenus en Arabie saoudite et à l'ONU, rallume la mèche autour de la certification du Joint Comprehensive Plan of Action (JCPOA). Tous les efforts pour faire enfin de l'Iran une puissance régionale stabilisatrice sont-ils réduits à néant en quelques semaines ? Avec près de 40 000 miliciens chiites et iraniens de l'Irak au Liban, comment stabiliser le Moyen-Orient sans l'Iran ?

En ce qui concerne la Libye, la France a quelque peu changé de position, ce qui a permis, le 25 juillet, à l'initiative du Président de la République et de la vôtre, la rencontre de Saint-Cloud entre MM. Sarraj et Haftar. Où en sont les négociations sur les amendements à l'accord de Skhirat, dirigées par l'envoyé spécial des Nations unies en Libye, Ghassan Salamé ? Celui-ci a, en particulier, déclaré que seraient organisées des élections législatives et présidentielles au plus tard en juillet 2018 : ce calendrier est-il trop ambitieux ? Qu'en est-il de la reconstitution de Daech dans le sud de la Libye après la bataille de Syrte ? Enfin, comment travaillons-nous avec les Italiens sur ce dossier ?

Sur la Syrie, où en est votre initiative autour du P5 et des parrains régionaux, à une encablure de la reprise des négociations de Genève ?

Enfin, s'il nous reste du temps, vous nous direz un mot du G5 Sahel. Est-il possible de progresser vers plus d'opérationnalité ? Le soutien logistique et opérationnel de la Minusma peut-il devenir une réalité ? Un appui plus important de la part de nos partenaires européens, en particulier britanniques, est-il envisageable ? Dernier point, il semble que la mise en oeuvre de l'accord de paix malien ait enfin connu, récemment, un début d'accélération : partagez-vous cette analyse ?

Debut de section - Permalien
Jean-Yves Le Drian, ministre

Merci, monsieur le président. Je suis très heureux de vous retrouver dans cette nouvelle configuration, mais je peux vous dire que, dans un contexte international très tendu, mon objectif reste le même : servir notre pays. Avons-nous déjà connu autant de tensions sur de si nombreux théâtres d'opérations ? Je ne le crois pas. Nous vivons en fait un véritable paradoxe : le monde n'a jamais été aussi interdépendant, mais nous connaissons de graves crises multilatérales. C'est dans un tel contexte que la France entend défendre et faire vivre le multilatéralisme.

La lutte contre le terrorisme constitue la première priorité de la France. Et je dois vous dire que l'annonce, hier, de la chute de Raqqa a été un grand plaisir pour moi : le Bataclan n'est pas resté impuni ! En janvier 2016, j'avais réuni les ministres de la défense des pays de la coalition internationale et j'avais insisté auprès de mes collègues pour que Raqqa soit retenue comme un but de guerre, au même titre que Mossoul. Il fallait à la fois renforcer les frappes aériennes et trouver un outil d'intervention terrestre. Ce sont les forces démocratiques syriennes, composées de Kurdes et d'Arabes, qui ont réussi cette opération, avec l'appui de la coalition, dont la France.

Certes, la défaite territoriale de Daech est essentielle, car elle prive cette organisation terroriste de son récit politique, fondé sur le rétablissement d'un prétendu califat. Mais nous devons rester particulièrement vigilants et penser à l'après. Les combattants ne vont pas disparaître comme par enchantement, ils vont se diriger vers d'autres territoires, que ce soit l'Afghanistan ou plus à l'est, jusqu'à la Malaisie ou les Philippines. Certains, même si l'histoire des deux organisations est différente, vont se tourner vers Al Qaïda, qui a bénéficié d'apports ces derniers mois.

La bataille de Raqqa a fait de nombreux morts et blessés, la ville est largement détruite, sa population a chuté. Or, la France a un intérêt particulier pour cette ville, puisque les assassins du Bataclan y prenaient leurs ordres, et nous avons un devoir particulier à la fois en termes d'aide humanitaire et de reconstruction, mais aussi pour trouver plus largement une gouvernance adaptée et un processus politique de sortie de crise.

Quelques mots sur la zone d'Idlib, au nord de la Syrie. Durant le conflit, les forces du régime ont constamment fait en sorte que ce territoire accueille des militants affiliés d'une manière ou d'une autre aux organisations liées à Al Qaïda, dont certains en provenance du Liban. Aujourd'hui, entre deux et trois millions d'habitants y vivent. La Turquie est très sensible à la situation dans cette zone frontalière, en particulier au regard de la question kurde, son armée y a récemment pénétré et des combats ont eu lieu.

Les forces loyalistes syriennes, appuyées par les Russes, ont pénétré jusqu'à Deïr ez Zôr, voire jusqu'à Mayadine. Elles se dirigent vers la frontière séparant la Syrie de l'Irak, où se retrouveront vraisemblablement les combattants de Daech ayant fui Raqqa et ceux venant de Mossoul, avec les dégâts que cela entraînera. Les forces du régime sont sur la rive droite de l'Euphrate et les forces de FDS, soutenues par la coalition, sont sur l'autre rive, tous cherchant à atteindre le plus vite possible la frontière avec l'Irak.

Il y a deux processus politiques parallèles concernant la Syrie. Il y a premièrement le processus d'Astana. Il s'agit d'une commission se réunissant au Kazakhstan et rassemblant depuis plusieurs mois les Russes, les Iraniens et les Turcs pour engager des zones de désescalade. L'objectif est de définir les moyens d'un cessez-le-feu et un mode de gouvernance pour chacune des quatre parties identifiées : Idlib, Homs, Ghouta est et le sud de la Syrie, à l'est de Der'â, près de la frontière avec la Jordanie. Il s'agit de trouver un accord politico-militaire dans ces quatre zones pour que l'aide humanitaire puisse être acheminée.

Ce processus est lent ; il a abouti pour l'instant à un seul résultat : la quatrième zone, le Sud syrien, près de la frontière jordanienne, est une zone de désescalade confirmée, avec un contrôle permettant un cessez-le-feu, une stabilisation et l'acheminement de l'aide humanitaire. Les Jordaniens, les Américains et les Russes se sont mis d'accord, en relation avec Israël, pour assurer la sécurité dans la zone. Il fallait définir qui protège ces zones ; il était inacceptable pour les Israéliens que ce soient des Iraniens, ce sont donc des Tchétchènes, qui sont sunnites. Ce processus, même s'il est difficile, continue.

Le second projet parallèle est le processus de Genève, en lien avec les Nations unies, dirigé par le représentant du secrétaire général de l'ONU, M. de Mistura.

Debut de section - Permalien
Jean-Yves Le Drian, ministre

Il anime depuis six ans ce processus, cette tentative de résolution politique, qui n'aboutit pas.

L'après-Daech en Syrie commence donc aujourd'hui, et voilà l'état des lieux. Le risque auquel nous faisons face serait que, à partir du processus d'Astana, il se crée des gouvernances éparpillées dans les zones « désescaladées » qui passent un accord général avec le régime en faveur d'une Syrie éclatée C'est la première hypothèse, et nous la combattons parce que nous sommes favorables à l'unité et à l'intégrité de la Syrie.

Face à l'impossibilité de trouver un accord à Genève, sachant par ailleurs que les Saoudiens cherchent à unifier les oppositions syriennes non terroristes, au sein du groupe de Riyad, du groupe de Moscou et du groupe du Caire, le Président de la République a proposé que les membres permanents du Conseil de sécurité se réunissent et convient des représentants des pays de la région directement concernés, afin d'aboutir à des propositions politiques présentables concernant la sécurisation de la région, la transition politique, l'établissement d'une Constitution et l'engagement d'un processus électoral. Il s'agit de ce que l'on appelle la proposition du groupe de contact.

Cette idée a recueilli l'accord de Mistura, mais elle se heurte à une grande réserve de la part des Russes et, à tout le moins, à des interrogations de la part des États-Unis. Nous avons en revanche le soutien du Royaume-Uni et de la Chine pour aboutir à un forum où l'on puisse parler sérieusement du processus de paix.

En ce qui concerne l'Irak, Daech est en phase d'élimination, avec la reprise d'Hawijah qui était devenu un repaire pour Daech après la bataille de Mossoul. En l'occurrence, contrairement à la Syrie, il y a un État reconnu par tous, avec un Premier ministre, M. Abadi, qui a la volonté de trouver une solution inclusive.

L'Irak est donc déjà dans l'après-Daech, dans une phase de consolidation, et même de reconstruction - il y aura avant la fin de l'année un appel aux contributeurs, auquel la France est d'ailleurs candidate ; nous étions partenaires de la bataille, nous voulons être partenaires de la paix. Le Premier ministre irakien a donc été reçu par le Président Macron. Nous jouissons d'une bonne image dans ce pays car notre aviation, nos formateurs et notre artillerie ont participé aux efforts.

Tout allait donc bien jusqu'à la semaine dernière, jusqu'au référendum kurde. Le Kurdistan irakien a combattu dans la province de Mossoul, avec des Peshmerga très déterminés. Après la bataille de Mossoul, ils ont engagé un processus référendaire visant à l'indépendance du Kurdistan irakien. Je rappelle que le monde kurde est complexe ; il y a les Kurdes irakiens, avec deux tendances opposées - celle de M. Barzani et celle de M. Talabani -, un Kurdistan iranien, plutôt proche de M. Talabani, un Kurdistan turc, avec le PKK, et un Kurdistan syrien, divisé également en deux tendances mais qui se trouvent globalement sur la même ligne.

M. Barzani se trouve à Erbil, capitale prospère grâce aux produits pétroliers de la zone de Kirkoûk. Après ce référendum, que nous lui avions déconseillé de faire - je l'ai personnellement rencontré pour cela -, il a perdu Kirkoûk, reprise avant-hier par les forces fédérales irakiennes avec la complicité de la mobilisation populaire et de l'autre tendance kurde.

Nous vivons actuellement une phase diplomatiquement active pour éviter un nouveau conflit autour de Kirkoûk. J'ai ainsi eu des entretiens avec le président Barzani et le Président de la République en a eu avec le Premier ministre Abadi. Notre souci est de préserver la paix et le dialogue entre Abadi et Barzani et que la Constitution irakienne permette l'autonomie d'un Kurdistan irakien au sein d'un Irak intégré respectant les différentes communautés, yézidis, chrétiennes, chiites et sunnites.

Bref, on a gagné la guerre, il faut maintenant gagner la paix.

J'en arrive à la Libye. Je craignais une diffusion de Daech en Libye, car il a eu une présence significative à Benghazi et Syrte. Aujourd'hui, il y a un éparpillement des groupes liés à Daech, qui ne représente plus vraiment un danger majeur, grâce aux actions différenciées qui ont été menées : les Américains ont bombardé Syrte, les Misrâti ont attaqué Syrte au sol, les forces du général Haftar ont attaqué Benghazi. Il y a aussi une bataille en cours à Derna, initiée également par les forces du général Haftar.

Il y a en Libye un gouvernement théorique, basé à Tripoli, résultant des accords de Skhirat, datant de 2015. Ces accords faisaient suite à de longues discussions ayant abouti à la reconnaissance par la communauté internationale de M. Sarraj comme président du conseil présidentiel et Premier ministre de la Libye. Il est soutenu par la Turquie et par le Qatar.

Il y a ensuite l'ancien général Haftar auto promu maréchal, à la tête d'une armée assez solide, l'armée nationale libyenne. Il est soutenu par l'Égypte et les Émirats arabes unis. Le maréchal Haftar a repris beaucoup de terrain et il s'affirme comme un personnage central. Il faut désormais inclure cette personnalité, qui jouit d'un rapport de forces favorable.

La Libye est importante pour nous car elle se trouve à trois cents kilomètres de l'Italie et c'est de ce pays que s'organisent les réseaux mafieux et de passeurs auxquels s'adressent les migrants économiques, qui sont attirés vers l'Europe. Sabratha est la zone de tous les trafics puisque ni l'État ni le maréchal Haftar n'y exercent d'autorité ; c'est une zone de non-droit qui fait peser une menace pour l'équilibre de la Libye et pour l'Europe.

Il y a aussi deux parlements. L'un siège à Tripoli, c'est le Haut Conseil d'État, présidé par M. Souihli, qui date d'avant l'accord de Skhirat ; il se considère comme le seul représentant légitime de la population. L'autre siège à Tobrouk, il est présidé par M. Saleh et il résulte d'élections postérieures à cet accord.

Ce panorama est donc complexe et c'est dans ce contexte que le Président de la République a jugé opportun de réunir en juillet près de Paris le Premier ministre Sarraj et le maréchal Haftar, qui ne s'étaient jamais parlé, pour les mettre d'accord sur une orientation stratégique.

Cela a permis de débloquer la situation : l'envoyé spécial des Nations-Unies M. Salamé a pu présenter une feuille de route de modification des accords de Skhirat. Une deuxième phase de négociation est en cours à Tunis. Nous sommes optimistes. Je me suis rendu en Libye il y a peu, j'ai rendu visite à tous les acteurs. Lors de l'Assemblée générale des Nations-Unies, nous avons tenu une réunion plénière en présence du président égyptien, du président du conseil italien et de M. El-Sarraj pendant laquelle la feuille de route de M. Salamé a été approuvée par tous.

C'est la condition nécessaire si l'on veut éviter les migrations sauvages. Sans autorité sur place, on ne pourra pas faire grand-chose. La Libye est le lieu de tous les trafics : trafics de drogue, trafic d'armes, trafic d'hommes avec les passeurs. Les acteurs sont mêlés, ils s'adonnent parfois à tous les trafics, avec en plus quelques terroristes.

Au Sahel, les trafics d'armes, de drogue et d'hommes passent notamment par la passe de Salvador, au nord du Niger. On ne peut pas comprendre les rivalités entre tribus sans savoir qu'elles contrôlent des checkpoints ou des trafics dans un mélange de gangstérisme et de terrorisme idéologique.

Si l'on veut faire un bref historique ; face à la menace djihadiste sur Bamako, l'opération Serval a été un succès. Elle débouche sur l'élection démocratique du président Ibrahim Boubacar Keïta, alias IBK, une élection démocratique de l'Assemblée nationale, un outil de formation de l'armée malienne, bref un dispositif complet. Les accords d'Alger en 2015 créent une feuille de route pour une décentralisation du pouvoir en faveur du Nord et pour le phénomène de « DDR » : désarmement, démobilisation et réintégration. La force française a alors élargi son secteur à tout le Sahel, devenant la force Barkhane. Les attentats récents au Niger et Burkina Faso montent bien que c'est toute la région qui est concernée.

Nous subissons actuellement une sorte d'offensive des groupes terroristes qui ont été mis à rude épreuve depuis le début de Barkhane : les groupes arabes touaregs et peuls Ansar Dine, Aqmi, Al-Mourabitoune et le Front de libération du Macina, se sont regroupés en une seule organisation, le Rassemblement pour la victoire de l'islam et des musulmans (RVIM) derrière Iyad Ag Ghali. Par ailleurs, on assiste à des affrontements entre groupes du Nord non terroristes signataires des accords d'Alger.

Le cessez le feu est précaire. Il faut réaffirmer notre volonté politique et adapter notre présence militaire aux nouvelles formes de menaces. Avec une bonne perspective d'espoir : les cinq États de la zone ont décidé de mettre en place un G5 Sahel, c'est-à-dire une force conjointe pour lutter contre les terroristes. Ces derniers sont bien moins nombreux qu'en Irak : quelques centaines, et non quelques milliers, mais ils sont prêts à tout. Une résolution des Nations-unies prévoit des sanctions contre ceux qui ne respecteraient pas les accords d'Alger. Je présiderai la semaine prochaine une réunion du Conseil de sécurité pour activer ce dispositif.

Passons maintenant à la décision du président Trump sur l'Iran : depuis l'accord de juillet 2015, le gouvernement des États-Unis certifie tous les 90 jours au Congrès que Téhéran remplit bien ses obligations. Le président Trump a émis ces certifications à deux reprises, mais il s'y est refusé cette fois-ci. C'est d'autant plus préoccupant que l'AIEA, chargée de suivre l'application de l'accord de Vienne, vient de dire que l'Iran remplissait ses obligations, comme l'ont dit également deux officiels américains, le chef d'État-major des armées Joseph Dunford et le secrétaire à la défense James Mattis. Avant-hier, le Conseil des ministres des affaires étrangères européens l'a aussi certifié.

Trois options s'offrent au Congrès. Soit il ne fait rien, l'accord se poursuit jusqu'à 2025 et Téhéran continue de démanteler ses installations nucléaires militaires. Soit il décide d'agir sur les sanctions spécifiques prévues par une résolution des Nations unies concernant l'arme balistique par exemple - c'est peu probable mais possible. Soit il rétablit les sanctions et aborde l'accord. Cela aura des conséquences en Iran car le président Rohani s'est engagé sur l'accord, et une aile dure du gouvernement iranien souhaite s'en retirer. Cela aura des conséquences pour les entreprises françaises qui ont repris le chemin de Téhéran, et qui pourraient être frappées par l'extraterritorialité des sanctions américaines.

Cette situation est très difficile et nécessite la plus grande vigilance. Nous sommes en relation avec les Iraniens. Cela ne nous empêche pas d'être très fermes avec eux sur le non-respect de la résolution 2231 du conseil de sécurité qui condamne l'accession de l'Iran à des armes balistiques ; cela ne nous empêche pas d'être rigoureux à l'égard du rôle de l'Iran dans la zone, de son soutien au Hezbollah, de son rôle au Yémen et au Liban... Mais nous voulons faire comprendre que le domaine nucléaire est un domaine à part, car la non-prolifération est un sujet vital et de long terme.

Concernant la Corée du Nord, on ne peut pas dire qu'elle dispose de moyens d'intervention nucléaires lourds, mais elle a fait un saut qualitatif important - son dernier essai nucléaire représentait dix fois Hiroshima - et d'autre part sa capacité de projection balistique intercontinentale s'améliore. Quand elle saura mettre une arme nucléaire dans son arme balistique, la situation sera très grave. Ce n'est pas pour demain, mais pour après-demain. Elle pourra alors toucher les États-Unis ou l'Europe. Cela provoque une inquiétude générale sur la prolifération : comme pour l'Iran, si une puissance se dote de l'arme nucléaire, ses voisins voudront faire la même chose, en l'occurrence le Japon et la Corée du Sud. Ce sera le retour d'une logique de prolifération qui s'était arrêtée en 1968. Il faut s'en tenir au traité signé cette année-là.

La pression est forte, des sanctions nouvelles sont prises, avant-hier par l'Union européenne. La Chine vote maintenant les mesures au Conseil de sécurité et les applique. Il faudra voir le résultat du congrès du Parti communiste chinois, mais selon toute probabilité, il devrait renforcer l'actuel dirigeant. Nous devons augmenter les sanctions pour forcer Kim Jong-Un à venir à la table des négociations pour parvenir à une dénucléarisation de la péninsule.

Debut de section - PermalienPhoto de Ladislas Poniatowski

Ma question porte sur le bouleversement auquel on a assisté cet été : la Turquie a tourné le dos à l'Otan ! Le 12 septembre, le président Erdogan lui-même a annoncé que son pays s'équiperait bientôt de missiles russes S400, qui vont quatre fois plus loin et trois fois plus vite que les Patriot dont ils disposent aujourd'hui. Toute la défense aérienne turque a pourtant été installée par l'Otan, la Turquie abrite une base d'avions Awacs installée et payée par les États-Unis et l'Allemagne, et la couverture radar du pays a été installée par le Pentagone. La diplomatie française a été très silencieuse sur ce bouleversement. Je ne vous en fais pas le reproche : le mieux était de ne rien dire, pour ménager les Turcs eux-mêmes, et les Russes, vexés ou mécontentés par certains comportements et ravis de ce rapprochement. Mais je vous invite, monsieur le ministre, à être moins silencieux devant notre commission !

Debut de section - PermalienPhoto de Ronan Le Gleut

Le peuple kurde est réparti sur quatre pays : la Turquie, l'Irak, l'Iran et la Syrie. La France est favorable à l'unité de la Syrie, et vous avez déconseillé à Massoud Barzani de recourir au référendum. La France s'adresse-t-elle séparément aux différentes composantes du peuple kurde, sans vision globale ?

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Françoise Perol-Dumont

Au printemps dernier, lors de votre prise de fonctions au Quai d'Orsay, vous avez souligné le lien qui unit la défense et les affaires étrangères. Vous connaissez bien l'ampleur de l'engagement de la France au Sahel et soutenez la constitution d'un G5 Sahel. L'Union européenne a déjà débloqué 50 millions d'euros pour mettre sur pied, mais les besoins sont estimés à 200 à 400 millions d'euros. La constitution d'un fonds serait utile pour financer cette force africaine. Expertise France peut-il en être l'opérateur, pour assurer l'interopérabilité des équipements et la coordination des efforts de ces cinq pays ? Quelle est votre position, monsieur le ministre et connaissez-vous celle de vos partenaires dans ce dossier ?

Debut de section - PermalienPhoto de Gilbert Roger

Sept pays d'Europe dont la France ont pris l'initiative inédite de se retourner contre Israël après le démantèlement d'installations solaires et scolaires financées par l'Union européenne et ont demandé compensation du préjudice subi. Depuis 2017, 344 structures ont été démolies en Palestine, provoquant le déplacement d'environ 500 personnes. Toutes étaient financées par l'Union européenne et les États membres, dont la France. Si Israël ne répond pas positivement à votre demande, qu'envisagez-vous de faire ?

Debut de section - PermalienPhoto de Christine Prunaud

Quelle est votre position, monsieur le ministre, sur le retrait des États-Unis et d'Israël de l'Unesco ? Des sanctions sont-elles envisagées ? Nous craignons de voir s'éloigner la paix et la création d'un État palestinien.

Debut de section - PermalienPhoto de Richard Yung

Y a-t-il vraiment une lueur d'espoir au Sahel ? La résolution du conflit au nord du Mali, qui conditionne toute paix dans la région, ne semble pas à portée de main. Peut-on avoir quelque espoir dans le développement d'une force militaire régionale ? Voilà trente ou quarante ans déjà que nous avons des écoles militaires dans la région... Je doute qu'un ensemble de cinq pays permette de mettre un terme au conflit.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Marc Todeschini

Quelle est votre vision du conflit entre les indépendantistes catalans et Madrid ? L'Union européenne a-t-elle un rôle de premier plan à jouer ?

Quelle stabilité voyez-vous se dessiner en Jordanie et au Liban, compte tenu du retour des réfugiés et de l'activité du Hezbollah ?

Debut de section - PermalienPhoto de Joël Guerriau

L'Iran a manifestement le vif désir de renforcer ses liens avec la France : nous y avons livré les premiers Airbus et doublé nos importations de pétrole. Mais le système financier français peine à accompagner cette dynamique, tandis qu'Italiens et Allemands en profitent. Comment sortir de la crainte que semble nos inspirer l'imprévisibilité des décisions de Donald Trump ? Comment travailler plus sereinement avec ce pays ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Vial

Nous nous félicitons tous de la reprise de Raqqa, mais nous avons tous à l'esprit la reprise par les Kurdes de la ville de Manbij, à l'été 2016 : à la demande des Américains et sur sollicitation des Turcs, ils avaient finalement dû quitter la ville... A Raqqa aussi, les Turcs veilleront à ce que les Kurdes ne reconstituent pas une forme de territoire. Ont-ils pris des engagements ?

Les présidents des groupes d'amitié du Sénat liés aux pays du Moyen-Orient, dont je fais partie, vous avons adressé un courrier au début de l'été sur les problèmes des réfugiés causés par la guerre en Syrie. Vous ne nous avez pas répondu. Nous restons à votre disposition pour échanger sur ce sujet essentiel, que nous avons évoqué avec le président libanais Michel Aoun lorsqu'il a rendu visite au président de la République et au président du Sénat il y a quelques semaines.

Debut de section - Permalien
Jean-Yves Le Drian, ministre

Je ferai de mon mieux pour répondre à toutes les questions dans le temps qui nous est imparti. Nous avons eu sous le quinquennat précédent des relations très régulières, et je demeure tout aussi disposé à échanger avec vous.

Notre relation avec l'Italie au sujet de la Libye a connu quelques épisodes de tension. Depuis la réunion de Lyon, l'atmosphère est apaisée. J'ai rencontré mon homologue Angelino Alfano quatre fois ces deux derniers mois. Les Italiens ont des intérêts en Libye, et sont intéressés aux questions de migration : nous le comprenons et agissons désormais de concert.

Sur l'Iran, nous ne sommes absolument pas contraints. D'ailleurs, Total vient d'y remporter un contrat d'un milliard d'euros et Airbus leur a vendu une centaine d'appareils. Les banques sont en revanche plus frileuses en raison des difficultés rencontrées naguère par la BNP. Nous sommes en train de monter un dispositif avec la BPI ne dépendant pas de groupes bancaires présents aux États-Unis. Avec la non-certification de l'accord sur le nucléaire iranien, les choses vont tanguer un peu. C'est aussi une manière de semer le doute et de freiner l'investissement sans imposer de nouvelles sanctions. Il faudra toutefois reparler des questions d'extraterritorialité avec nos partenaires américains - Bruno Le Maire l'a redit il y a quelques jours aux États-Unis. Je me rends pour ma part en Iran dans quelques jours.

La gouvernance de Raqqa doit être assurée par les habitants de Raqqa. Cela a été vu par le général Mazloum, commandant kurde des forces du YPG. Comme à Manbij, les forces kurdes combattent mais ne sont pas chez elles à Raqqa. Les Kurdes, monsieur Le Gleut, ne sont pas unis ! La seule légitimité que l'on connaisse aujourd'hui est celle du Kurdistan irakien - et encore - et l'UPK de Souleymanieh. Pour le reste, l'apaisement n'est pas pour demain : le PKK et le PDK allié d'Erdogan ne s'entendent pas. La France respecte beaucoup les Kurdes et a toujours soutenu l'autonomie du peuple kurde. Ce sont nos alliés, sauf ceux du PKK, reconnu par l'Union européenne et la France comme un groupe terroriste.

La Turquie reste dans l'Otan et siège aux réunions des ministres des affaires étrangères de l'Alliance. Nos conceptions respectives des droits varient cependant. Je prends toujours soin, en Turquie, de rencontrer les représentants du Gouvernement, de l'opposition, ainsi que les ONG, aux yeux de tous, et je ne suis toujours pas en prison ! Nous avons avec le président Erdogan des relations...toniques, mais nous discutons toujours. Et cela n'a pas empêché la libération de Loup Bureau.

Mme Perol-Dumont m'a interrogé sur la force conjointe du G5 Sahel. L'enjeu est majeur, il faut tout faire pour réussir ! Aujourd'hui le dispositif n'est pas finalisé. Il coûtera 250 millions d'euros l'année de démarrage - le chiffre de 400 millions n'a pas été instruit - puis 60 millions par an. Si cela doit permettre aux Africains de disposer d'une force, cela vaut la peine d'y réfléchir... Pour comparaison, la Minusma au Mali coûte 1 milliard d'euros. Les Africains suggèrent qu'on leur donne ce milliard pour créer une force africaine : ce n'est pas si simple, il faut d'abord former les hommes et structurer cet ensemble. Quoi qu'il en soit, un choix important a été fait, mais aujourd'hui 118 millions d'euros seulement sont financés. Nous aurons en décembre une réunion à Bruxelles, nous ferons un appel à contributeurs, au-delà de la France et de l'Allemagne. L'Union européenne apporte 50 millions d'euros.

À l'Unesco, nous avons remporté une belle victoire diplomatique, non sans mal. Mme Azoulay saura, je n'en doute pas, redonner à cette institution ses lettres de noblesse et revenir aux fondamentaux : cela pourrait conduire les États-Unis et Israël à s'interroger sur leur retrait. Reconnaissons que l'immobilisme de l'ONU a peut-être causé une dérive de l'Unesco, tentée par une action de substitution. Or sa mission concerne l'éducation, la préservation du patrimoine, la dimension culturelle de l'humanité. J'ai du reste noté que les candidats arabes, la représentante de l'Egypte comme celui du Qatar, tenaient des propos très atténués sur la question des pays adhérents.

Le G5 est incontournable, je le répète. Si nous n'atteignons pas l'objectif, notre posture dans cette zone deviendra difficile. Quant à la Catalogne, notre position est claire : respect du droit constitutionnel espagnol et appel au dialogue - je ne parle pas de « médiation », ... Reste qu'il faut trouver une porte de sortie honorable. Je serai à Madrid après-demain, mais sans doute la situation aura-t-elle encore évolué entretemps. Trouver une solution est aussi dans notre intérêt, car il ne serait pas confortable d'avoir un voisin catalan non membre de l'Union européenne, n'employant plus la monnaie européenne, et plus au Sud, un partenaire espagnol terriblement affaibli. Ce pays ami saura trouver en son sein les moyens de sortir de cette crise. Je vous parlerai lors de notre prochaine rencontre de la Palestine, du Liban, de l'Ukraine... en espérant qu'il n'y aura pas d'autre crise entretemps.

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Cambon

Mes chers collègues, sans attendre de lancer nos missions 2018, nous pouvons d'ores et déjà mener à bien deux missions d'ici fin 2017, l'une, traditionnelle, à l'ONU, conduite par le président de la commission, l'autre que nous devions lancer depuis plusieurs mois sur la route de la soie, avec un déplacement en Chine.

Le Bureau de la commission a avalisé le principe d'une répartition proportionnelle pour ces 8 désignations, les groupes ont fait connaître leurs candidats et je propose en conséquence à notre commission de désigner les membres :

- pour la mission à l'ONU, outre votre serviteur, Hélène Conway-Mouret, Jacques Le Nay et Bernard Cazeau ;

- pour le groupe de travail sur la « Route de la soie », qui se rendra en Chine, outre les deux co-rapporteurs qui seront pour la majorité Pascal Allizard et pour l'opposition Gisèle Jourda, sont membres de la mission : Édouard Courtial et Jean-Noël Guérini.

Il n'y a pas d'opposition ? Il en est ainsi décidé.

Je rappelle que le Bureau de la commission se réunira fin octobre pour décider des orientations de travail pour 2018.

Sinon pour vos agendas, la commission organise pour tous ses membres des journées d'immersion dans les forces armées. Retenez déjà les dates suivantes :

- le 7 décembre : immersion marine nationale

- le 25 janvier : immersion armée de terre

Pour des raisons de météo, nous commencerons par le Sud de la France mais rassurez-vous nous aurons un souci d'équilibre géographique dès le printemps pour la suite de nos immersions !

La réunion est close à 16h25.