Il anime depuis six ans ce processus, cette tentative de résolution politique, qui n'aboutit pas.
L'après-Daech en Syrie commence donc aujourd'hui, et voilà l'état des lieux. Le risque auquel nous faisons face serait que, à partir du processus d'Astana, il se crée des gouvernances éparpillées dans les zones « désescaladées » qui passent un accord général avec le régime en faveur d'une Syrie éclatée C'est la première hypothèse, et nous la combattons parce que nous sommes favorables à l'unité et à l'intégrité de la Syrie.
Face à l'impossibilité de trouver un accord à Genève, sachant par ailleurs que les Saoudiens cherchent à unifier les oppositions syriennes non terroristes, au sein du groupe de Riyad, du groupe de Moscou et du groupe du Caire, le Président de la République a proposé que les membres permanents du Conseil de sécurité se réunissent et convient des représentants des pays de la région directement concernés, afin d'aboutir à des propositions politiques présentables concernant la sécurisation de la région, la transition politique, l'établissement d'une Constitution et l'engagement d'un processus électoral. Il s'agit de ce que l'on appelle la proposition du groupe de contact.
Cette idée a recueilli l'accord de Mistura, mais elle se heurte à une grande réserve de la part des Russes et, à tout le moins, à des interrogations de la part des États-Unis. Nous avons en revanche le soutien du Royaume-Uni et de la Chine pour aboutir à un forum où l'on puisse parler sérieusement du processus de paix.
En ce qui concerne l'Irak, Daech est en phase d'élimination, avec la reprise d'Hawijah qui était devenu un repaire pour Daech après la bataille de Mossoul. En l'occurrence, contrairement à la Syrie, il y a un État reconnu par tous, avec un Premier ministre, M. Abadi, qui a la volonté de trouver une solution inclusive.
L'Irak est donc déjà dans l'après-Daech, dans une phase de consolidation, et même de reconstruction - il y aura avant la fin de l'année un appel aux contributeurs, auquel la France est d'ailleurs candidate ; nous étions partenaires de la bataille, nous voulons être partenaires de la paix. Le Premier ministre irakien a donc été reçu par le Président Macron. Nous jouissons d'une bonne image dans ce pays car notre aviation, nos formateurs et notre artillerie ont participé aux efforts.
Tout allait donc bien jusqu'à la semaine dernière, jusqu'au référendum kurde. Le Kurdistan irakien a combattu dans la province de Mossoul, avec des Peshmerga très déterminés. Après la bataille de Mossoul, ils ont engagé un processus référendaire visant à l'indépendance du Kurdistan irakien. Je rappelle que le monde kurde est complexe ; il y a les Kurdes irakiens, avec deux tendances opposées - celle de M. Barzani et celle de M. Talabani -, un Kurdistan iranien, plutôt proche de M. Talabani, un Kurdistan turc, avec le PKK, et un Kurdistan syrien, divisé également en deux tendances mais qui se trouvent globalement sur la même ligne.
M. Barzani se trouve à Erbil, capitale prospère grâce aux produits pétroliers de la zone de Kirkoûk. Après ce référendum, que nous lui avions déconseillé de faire - je l'ai personnellement rencontré pour cela -, il a perdu Kirkoûk, reprise avant-hier par les forces fédérales irakiennes avec la complicité de la mobilisation populaire et de l'autre tendance kurde.
Nous vivons actuellement une phase diplomatiquement active pour éviter un nouveau conflit autour de Kirkoûk. J'ai ainsi eu des entretiens avec le président Barzani et le Président de la République en a eu avec le Premier ministre Abadi. Notre souci est de préserver la paix et le dialogue entre Abadi et Barzani et que la Constitution irakienne permette l'autonomie d'un Kurdistan irakien au sein d'un Irak intégré respectant les différentes communautés, yézidis, chrétiennes, chiites et sunnites.
Bref, on a gagné la guerre, il faut maintenant gagner la paix.
J'en arrive à la Libye. Je craignais une diffusion de Daech en Libye, car il a eu une présence significative à Benghazi et Syrte. Aujourd'hui, il y a un éparpillement des groupes liés à Daech, qui ne représente plus vraiment un danger majeur, grâce aux actions différenciées qui ont été menées : les Américains ont bombardé Syrte, les Misrâti ont attaqué Syrte au sol, les forces du général Haftar ont attaqué Benghazi. Il y a aussi une bataille en cours à Derna, initiée également par les forces du général Haftar.
Il y a en Libye un gouvernement théorique, basé à Tripoli, résultant des accords de Skhirat, datant de 2015. Ces accords faisaient suite à de longues discussions ayant abouti à la reconnaissance par la communauté internationale de M. Sarraj comme président du conseil présidentiel et Premier ministre de la Libye. Il est soutenu par la Turquie et par le Qatar.
Il y a ensuite l'ancien général Haftar auto promu maréchal, à la tête d'une armée assez solide, l'armée nationale libyenne. Il est soutenu par l'Égypte et les Émirats arabes unis. Le maréchal Haftar a repris beaucoup de terrain et il s'affirme comme un personnage central. Il faut désormais inclure cette personnalité, qui jouit d'un rapport de forces favorable.
La Libye est importante pour nous car elle se trouve à trois cents kilomètres de l'Italie et c'est de ce pays que s'organisent les réseaux mafieux et de passeurs auxquels s'adressent les migrants économiques, qui sont attirés vers l'Europe. Sabratha est la zone de tous les trafics puisque ni l'État ni le maréchal Haftar n'y exercent d'autorité ; c'est une zone de non-droit qui fait peser une menace pour l'équilibre de la Libye et pour l'Europe.
Il y a aussi deux parlements. L'un siège à Tripoli, c'est le Haut Conseil d'État, présidé par M. Souihli, qui date d'avant l'accord de Skhirat ; il se considère comme le seul représentant légitime de la population. L'autre siège à Tobrouk, il est présidé par M. Saleh et il résulte d'élections postérieures à cet accord.
Ce panorama est donc complexe et c'est dans ce contexte que le Président de la République a jugé opportun de réunir en juillet près de Paris le Premier ministre Sarraj et le maréchal Haftar, qui ne s'étaient jamais parlé, pour les mettre d'accord sur une orientation stratégique.
Cela a permis de débloquer la situation : l'envoyé spécial des Nations-Unies M. Salamé a pu présenter une feuille de route de modification des accords de Skhirat. Une deuxième phase de négociation est en cours à Tunis. Nous sommes optimistes. Je me suis rendu en Libye il y a peu, j'ai rendu visite à tous les acteurs. Lors de l'Assemblée générale des Nations-Unies, nous avons tenu une réunion plénière en présence du président égyptien, du président du conseil italien et de M. El-Sarraj pendant laquelle la feuille de route de M. Salamé a été approuvée par tous.
C'est la condition nécessaire si l'on veut éviter les migrations sauvages. Sans autorité sur place, on ne pourra pas faire grand-chose. La Libye est le lieu de tous les trafics : trafics de drogue, trafic d'armes, trafic d'hommes avec les passeurs. Les acteurs sont mêlés, ils s'adonnent parfois à tous les trafics, avec en plus quelques terroristes.
Au Sahel, les trafics d'armes, de drogue et d'hommes passent notamment par la passe de Salvador, au nord du Niger. On ne peut pas comprendre les rivalités entre tribus sans savoir qu'elles contrôlent des checkpoints ou des trafics dans un mélange de gangstérisme et de terrorisme idéologique.
Si l'on veut faire un bref historique ; face à la menace djihadiste sur Bamako, l'opération Serval a été un succès. Elle débouche sur l'élection démocratique du président Ibrahim Boubacar Keïta, alias IBK, une élection démocratique de l'Assemblée nationale, un outil de formation de l'armée malienne, bref un dispositif complet. Les accords d'Alger en 2015 créent une feuille de route pour une décentralisation du pouvoir en faveur du Nord et pour le phénomène de « DDR » : désarmement, démobilisation et réintégration. La force française a alors élargi son secteur à tout le Sahel, devenant la force Barkhane. Les attentats récents au Niger et Burkina Faso montent bien que c'est toute la région qui est concernée.
Nous subissons actuellement une sorte d'offensive des groupes terroristes qui ont été mis à rude épreuve depuis le début de Barkhane : les groupes arabes touaregs et peuls Ansar Dine, Aqmi, Al-Mourabitoune et le Front de libération du Macina, se sont regroupés en une seule organisation, le Rassemblement pour la victoire de l'islam et des musulmans (RVIM) derrière Iyad Ag Ghali. Par ailleurs, on assiste à des affrontements entre groupes du Nord non terroristes signataires des accords d'Alger.
Le cessez le feu est précaire. Il faut réaffirmer notre volonté politique et adapter notre présence militaire aux nouvelles formes de menaces. Avec une bonne perspective d'espoir : les cinq États de la zone ont décidé de mettre en place un G5 Sahel, c'est-à-dire une force conjointe pour lutter contre les terroristes. Ces derniers sont bien moins nombreux qu'en Irak : quelques centaines, et non quelques milliers, mais ils sont prêts à tout. Une résolution des Nations-unies prévoit des sanctions contre ceux qui ne respecteraient pas les accords d'Alger. Je présiderai la semaine prochaine une réunion du Conseil de sécurité pour activer ce dispositif.
Passons maintenant à la décision du président Trump sur l'Iran : depuis l'accord de juillet 2015, le gouvernement des États-Unis certifie tous les 90 jours au Congrès que Téhéran remplit bien ses obligations. Le président Trump a émis ces certifications à deux reprises, mais il s'y est refusé cette fois-ci. C'est d'autant plus préoccupant que l'AIEA, chargée de suivre l'application de l'accord de Vienne, vient de dire que l'Iran remplissait ses obligations, comme l'ont dit également deux officiels américains, le chef d'État-major des armées Joseph Dunford et le secrétaire à la défense James Mattis. Avant-hier, le Conseil des ministres des affaires étrangères européens l'a aussi certifié.
Trois options s'offrent au Congrès. Soit il ne fait rien, l'accord se poursuit jusqu'à 2025 et Téhéran continue de démanteler ses installations nucléaires militaires. Soit il décide d'agir sur les sanctions spécifiques prévues par une résolution des Nations unies concernant l'arme balistique par exemple - c'est peu probable mais possible. Soit il rétablit les sanctions et aborde l'accord. Cela aura des conséquences en Iran car le président Rohani s'est engagé sur l'accord, et une aile dure du gouvernement iranien souhaite s'en retirer. Cela aura des conséquences pour les entreprises françaises qui ont repris le chemin de Téhéran, et qui pourraient être frappées par l'extraterritorialité des sanctions américaines.
Cette situation est très difficile et nécessite la plus grande vigilance. Nous sommes en relation avec les Iraniens. Cela ne nous empêche pas d'être très fermes avec eux sur le non-respect de la résolution 2231 du conseil de sécurité qui condamne l'accession de l'Iran à des armes balistiques ; cela ne nous empêche pas d'être rigoureux à l'égard du rôle de l'Iran dans la zone, de son soutien au Hezbollah, de son rôle au Yémen et au Liban... Mais nous voulons faire comprendre que le domaine nucléaire est un domaine à part, car la non-prolifération est un sujet vital et de long terme.
Concernant la Corée du Nord, on ne peut pas dire qu'elle dispose de moyens d'intervention nucléaires lourds, mais elle a fait un saut qualitatif important - son dernier essai nucléaire représentait dix fois Hiroshima - et d'autre part sa capacité de projection balistique intercontinentale s'améliore. Quand elle saura mettre une arme nucléaire dans son arme balistique, la situation sera très grave. Ce n'est pas pour demain, mais pour après-demain. Elle pourra alors toucher les États-Unis ou l'Europe. Cela provoque une inquiétude générale sur la prolifération : comme pour l'Iran, si une puissance se dote de l'arme nucléaire, ses voisins voudront faire la même chose, en l'occurrence le Japon et la Corée du Sud. Ce sera le retour d'une logique de prolifération qui s'était arrêtée en 1968. Il faut s'en tenir au traité signé cette année-là.
La pression est forte, des sanctions nouvelles sont prises, avant-hier par l'Union européenne. La Chine vote maintenant les mesures au Conseil de sécurité et les applique. Il faudra voir le résultat du congrès du Parti communiste chinois, mais selon toute probabilité, il devrait renforcer l'actuel dirigeant. Nous devons augmenter les sanctions pour forcer Kim Jong-Un à venir à la table des négociations pour parvenir à une dénucléarisation de la péninsule.