Merci pour votre invitation. Quelques semaines après le renouvellement d'une partie de votre assemblée je tiens à féliciter les nouveaux élus. Je suis heureux de retrouver les autres, et heureux de vous retrouver, Messieurs les Présidents.
Il me paraît important que le commissaire français vienne s'exprimer régulièrement et au minimum deux fois par an devant vous. Je suis prêt à le faire davantage : je suis à votre disposition pour venir m'expliquer et débattre.
Je reviens de l'Eurogroupe qui a débattu dans un format original à 27 avec des ministres de toute l'Europe. Au Conseil « Affaires économiques et financières » (Ecofin), nous avons eu quelques débats fiscaux notamment sur la liste noire, j'y reviendrai.
Notre réunion a lieu dans un contexte unique, où une fenêtre politique s'ouvre enfin pour relancer l'Europe. Notre précédente rencontre, il y a un an, avait lieu sous l'ombre menaçante du populisme. Elle n'a pas disparu, ainsi en Allemagne, pour la première fois depuis la deuxième guerre mondiale, un parti d'extrême droite revient au Parlement, mais elle a perdu une bataille décisive, à commencer par la grande bataille de France. La France a élu un président pro-européen, Emmanuel Macron, qui a pris le parti de parler d'Europe. Il est incontestable qu'une dynamique se crée quand la France parle haut et fort, et que cela a un impact.
De même, la Commission européenne tient un discours politique sur l'Europe, à l'image de celui du président Jean-Claude Juncker sur l'état de l'Union, où elle a manifesté une volonté politique sur les questions budgétaires, mais aussi sur la fiscalité, où nous luttons contre la fraude, sur les déficits, sur le commerce : oui, la Commission est là.
Autre caractéristique de la situation actuelle : en Allemagne, une nouvelle donne politique se met en place, dont je sais qu'elle suscite des interrogations, mais je vous invite à faire confiance à la fibre européenne d'Angela Merkel. Je reviens de Berlin où, j'en suis tout à fait persuadé, prévaudra une orientation clairement pro-européenne.
J'ai cité Paris, Bruxelles et Berlin : c'est le triangle d'or à partir duquel lancer une initiative pro- européenne même si celle-ci ne suffit pas.
Je présenterai les prévisions économiques de la Commission européenne jeudi matin, je ne peux donc les dévoiler maintenant, mais il est incontestable que les indicateurs économiques sont au vert. Cela donne une marge de manoeuvre nouvelle. La croissance sera soutenue en 2017, supérieure à 2 %, soit au moins au niveau de la croissance américaine.
Cette croissance sera étendue à l'ensemble de la zone euro ; ce qui permet d'espérer des créations d'emplois sans précédent. Nous avons d'ores et déjà un nombre record d'emplois dans l'Union européenne. Nous sommes revenus au-dessus du niveau d'avant la crise de 2008. Les déficits se réduisent même si le niveau de la dette publique est toujours trop élevé. Cette amélioration sera durable : pour les deux prochaines années, nous prévoyons une croissance assez élevée. La crise de la zone euro se termine et nous abordons un nouveau chapitre.
Si vous ajoutez ces facteurs objectifs aux facteurs politiques, alors il devient évident que s'ouvre une fenêtre d'opportunité. Dans moins d'un mois, la Commission européenne va présenter plusieurs initiatives pour approfondir l'Union économique et monétaire. Le premier sommet de la zone euro en deux ans va se réunir prochainement et, en juin 2018, un autre sommet adoptera la feuille route pour la zone euro d'ici 2025.
C'est maintenant que la partie se joue.
La zone euro souffre de deux déficits importants : tout d'abord, un déficit d'efficacité, car nous devons d'abord avoir une économie plus productive et plus équitable ; nous conservons aussi un déficit d'investissement, même si ce dernier s'est en partie comblé.
Le deuxième déficit est démocratique : le fonctionnement de la zone euro reste difficile à expliquer et elle n'est pas contrôlée. En effet l'Eurogroupe réunit, outre son président, 19 ministres des finances, le président de la Banque centrale européenne, le Commissaire aux affaires économiques et monétaires et le président du groupe de travail de l'Eurogroupe qui prépare les rencontres, sans aucun contrôle. À la différence de la nôtre, la réunion n'est pas filmée, on ne sait pas ce qui s'y passe. Je suis persuadé que lorsqu'une institution est contrôlée par d'autres, elle prend des décisions meilleures et différentes.
La création d'un poste de ministre des finances de la zone euro, qui doit être aussi le Commissaire en charge de l'économie et des finances, devra être assortie d'un contrôle du Parlement européen d'abord, plus celui des parlements des différents États membres.
La France a un agenda ambitieux, qu'il faudra approfondir pour convaincre les autres capitales européennes. Elle devra être exemplaire, dans le domaine des finances publiques en particulier, à l'égard de son voisin d'outre-Rhin. Elle doit renouer avec l'exemplarité budgétaire ; comme l'Espagne, elle doit retrouver toute sa place dans le club des 17 membres sur 19 dont les finances publiques sont en ordre. Oui, je souhaite que la France sorte de la procédure de déficit excessif en 2018.
J'en viens aux échéances budgétaires de l'automne, puis j'aborderai la lutte contre la fraude, après le scandale des Paradise Papers qui choque et révulse l'opinion à juste titre : cette opacité qui apparaît au grand jour donne le tournis !
La Commission va rendre son avis sur les projets de budgets nationaux le 22 novembre, après les avoir examinés selon la méthodologie européenne habituelle. Le projet de budget confirme l'intention des autorités françaises de respecter le retour sous 3 % de déficit. C'est une bonne nouvelle car c'est une étape nécessaire vers la sortie de la France de la procédure pour déficit excessif. Cela pourra être décidé au printemps 2018, sur la base des chiffres définitifs pour 2017 et des données prévisionnelles pour 2018 et 2019. En effet, les règles budgétaires précisent que la correction doit être durable.
Le projet de loi de finances pour 2018 marque également l'intention de poursuivre l'assainissement des comptes publics, ce que le président Jean-Claude Juncker a estimé très positif. Mais attention, une fois que l'on passe sous les 3 % de déficit nominal, les règles applicables - ce que l'on appelle le « bras préventif » du pacte budgétaire - ne sont pas plus faciles que celles du « bras correctif » : En 2018, s'ensuivra donc une logique différente : ainsi, 3 % n'est pas une limite, la moyenne des déficits de l'Union européenne étant d'ailleurs plus proche de 1 %... Il importe de réduire également le déficit structurel. Donc, une fois sous les 3 %, le déficit budgétaire doit continuer à baisser fortement. Il faudra donc changer la focale.
Les moindres recettes liées à l'annulation par le Conseil constitutionnel de la taxe sur les dividendes ne seront pas prises en compte dans l'effort structurel car il s'agit d'un impact ponctuel (one off). Cela n'autorise pas pour autant la France à passer au-dessus de 3 % de déficit, ni en 2017 ni au-delà, si elle souhaite voir la procédure pour déficit excessif abrogée. Au surplus, il est trop tôt pour savoir sur quelle année cet impact sera comptabilisé, cela ne dépend pas de la Commission européenne, mais d'un organisme indépendant, Eurostat.
Notre système de règles, définies par les États membres eux-mêmes, donne un rythme de référence pour les pays à dette publique élevée, dont la France fait partie. Je rappelle que la dette publique française sera, en 2022, toujours au niveau de 90 % du PIB, tandis que la dette de l'Allemagne se situera en-dessous de 60 %. Le rythme de réduction prévu, qui représente un effort de 0,6 % du PIB par an, est supérieur à celui qui est prévu par le projet de loi de programmation des finances publiques sur le quinquennat. Nos règles sont souples : elles autorisent des déviations, jusqu'à un certain seuil. Le plancher minimal se situe à 0,1 % de réduction du déficit structurel mais il convient alors de se rattraper sur les années suivantes. Or toute la marge devrait être consommée en 2018. Il faudra donc veiller à la suite en 2019 et 2020 : vos commissions doivent avoir en tête toute la séquence et non seulement l'année en cours.
C'est pourquoi, la Commission a envoyé une lettre à la France mais aussi à l'Italie, à l'Espagne, à la Belgique et au Portugal, pour avoir des informations complémentaires, afin de former un jugement équilibré. Cela ne compromettra pas la sortie de la France de la procédure pour déficit excessif, mais colorera son jugement sur les finances publiques françaises.
J'en viens à la fiscalité : le scandale des Paradise Papers nous rappelle l'urgence à agir pour plus de justice fiscale. Chaque nouveau scandale de ce type est à la fois une bonne et une mauvaise nouvelle. Cela montre que certaines entreprises et certains particuliers sont prêts à tout pour échapper à leurs obligations, et ne laisser aucune place à un altruisme de bonne facture. Les citoyens, qui eux paient leurs impôts, sont légitimement outrés par ce qui se passe. Cependant, et c'est la bonne nouvelle, un tel scandale fait progresser la prise de conscience. Quand il apparaît au grand jour, le Conseil Ecofin, se passe différemment : les mêmes ministres que l'on avait connus parfois résistants sont plus sensibilisés à cette cause.
La Commission européenne a déjà fait beaucoup dans ce domaine. Deux évolutions majeures sont en cours d'application : l'échange automatique d'informations entre administrations fiscales ; la fin du secret bancaire en Europe, qui concerne, en plus de l'Union européenne, Monaco, le Liechtenstein, Andorre, Saint-Marin et la Suisse. Nous avons aussi agi en matière de rescrits fiscaux.
La justice fiscale repose sur un principe simple : les profits doivent être taxés là où ils sont générés, afin de limiter le transfert de bénéfices vers les pays où la fiscalité est plus avantageuse. Parallèlement, nous avons aussi interdit les schémas d'évasion fiscale les plus courants des entreprises.
La première chose à faire pour lutter contre la fraude et l'évasion fiscales est de mettre en oeuvre ces mesures par exemple pour une entreprise dont a beaucoup parlé qui s'est livrée aux Pays-Bas à des pratiques pourtant prohibées par la directive de 2016 sur la lutte contre l'évasion fiscale.
La mise en oeuvre de toute directive peut durer plusieurs années. Le plus simple et le plus digne est de l'anticiper. Au-delà, il y a beaucoup à faire : je citerai trois chantiers.
Le premier chantier consiste à instaurer de nouvelles règles de transparence pour les intermédiaires, tels les banquiers, avocats, conseillers fiscaux qui, organisant des montages facilitant le contournement des règles, ne sont pas forcément dans l'illégalité mais profitent des failles des lois. J'ai proposé avant l'été d'imposer aux intermédiaires une obligation de transparence sur les montages fiscaux. Les États membres doivent avancer rapidement sur ce dossier.
Ensuite, rien ne sert de devenir vertueux si le reste du monde peut attirer les évadés fiscaux. C'est pourquoi les Européens doivent se mettre d'accord d'ici la fin de l'année sur une liste européenne de paradis fiscaux mondiaux, assortie de sanctions dissuasives. Je suis optimiste après la réunion du Conseil Ecofin de ce matin, où l'enthousiasme des ministres était perceptible. Il faut que trois conditions soient remplies : que cette liste sorte rapidement, qu'elle soit crédible, plus que celle de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), que le G 20 a retoquée, et qu'elle soit assorties de sanctions appropriées.
Le troisième chantier concerne les données comptables et les bénéfices des entreprises, ce que l'on appelle en anglais country by country reporting, qui existe déjà entre administrations fiscales. Il est temps de les rendre publiques, afin que les citoyens et vous-mêmes, Mesdames et Messieurs les Parlementaires, puissent y accéder. Le jour où cela arrivera, les comportements opaques changeront. C'est nécessaire et possible, sans mettre en péril le secret des affaires. C'est l'absence de transparence qui pose un problème.
En matière de fiscalité, les entreprises numériques, comme les entreprises traditionnelles, doivent payer leur juste part du financement des services publics. Il ne s'agit pas que des grandes entreprises du numérique (GAFA) : notre fiscalité des sociétés ne permet pas de saisir toute une série d'autres entreprises. Il faut inventer une fiscalité du XXIe siècle, avec une assiette commune consolidée de l'impôt sur les sociétés autour d'un véhicule structurant, mais je ne suis pas opposé à ce que la Commission étudie une option plus simple pour aller plus vite. La Commission se prépare, comme le lui ont demandé les chefs d'États et de gouvernements réunis à Tallin, à faire une proposition au printemps 2018.
Il faut mener les réformes structurelles fondamentales. Je vous invite, avec les présidents de vos commissions, à peser dans ce débat et à aborder les échéances budgétaires en ayant à l'esprit que la voix de la France sera d'autant plus forte que rien ne pourra lui être reproché en matière de finances publiques et que le rôle de la Commission européenne est important dans le cadre de l'Eurogroupe et du conseil Ecofin.