Commission des affaires européennes

Réunion du 7 novembre 2017 à 17h35

Résumé de la réunion

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La réunion

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Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Eblé

Nous avons le plaisir d'accueillir Pierre Moscovici, qui occupe le poste de commissaire responsable des affaires économiques et financières, de la fiscalité et des douanes, au sein de la Commission européenne.

Les nouvelles révélations des Paradise Papers sur les paradis fiscaux et la finance offshore montrent, une fois de plus, la nécessité de coopérer au niveau international et européen pour lutter contre les stratégies sans cesse renouvelées d'optimisation fiscale. Alors que nous attendons prochainement la publication de la liste européenne des paradis fiscaux, le commissaire Pierre Moscovici pourra nous en dire plus sur les résultats du Conseil Ecofin de ce jour.

Parmi les autres sujets d'actualité figure l'examen du projet de budget 2018 de la France par la Commission européenne. L'avis définitif de la Commission européenne doit être rendu le 22 novembre prochain. Or des « demandes de précision sur le respect des efforts budgétaires prévus » ont été adressées au ministre de l'économie et des finances, Bruno Le Maire. Tandis que notre commission des finances entame l'examen du projet de loi de finances 2018, il sera intéressant d'en savoir davantage sur les attentes de la Commission européenne vis-à-vis de la France et sur l'appréciation que vous portez sur la trajectoire budgétaire proposée par le Gouvernement.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Bizet

Nous sommes très heureux de vous accueillir pour cette audition commune.

À la veille de la discussion budgétaire au Sénat, il est très important d'inscrire nos débats dans la perspective européenne. L'exercice du semestre européen doit permettre d'assurer la coordination indispensable des politiques économiques et budgétaires des États membres. Alors que s'ouvre un nouveau semestre, nous serons intéressés de connaître le bilan que vous tirez de l'exercice précédent, particulièrement quant aux recommandations pour la France. Vous avez demandé un complément d'informations sur les projets de budget 2018 de plusieurs pays de la zone euro dont la France. Pouvez-vous nous expliciter les demandes de la Commission ?

Au-delà, nous sommes attentifs aux prévisions économiques que la Commission européenne doit dévoiler prochainement. Que pouvez-vous nous en dire ?

Je souhaite aussi vous interroger sur l'avenir de l'Union économique et monétaire. Le Sénat a beaucoup travaillé sur ce sujet. Ce fut, en lien avec la commission des finances, l'un des axes des réflexions du groupe de suivi sur le Brexit et la refondation de l'Union européenne, conjoint avec la commission des affaires étrangères. Nous avons insisté sur l'achèvement de l'Union bancaire et sur la convergence fiscale et sociale. Nous avons aussi examiné différentes pistes pour un budget de la zone euro et mis en avant les contours d'un Fonds monétaire européen, sujet récemment abordé par le président de la Bundesbank notamment devant des banquiers parisiens. Nous avons enfin proposé un renforcement du pilotage exécutif avec l'organisation systématique de sommets de la zone euro et un coordonnateur politique qui présiderait l'Eurogroupe. L'association des parlements nationaux est à nos yeux une priorité. Cela pourrait passer par une modernisation de la Conférence de l'article 13 du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l'Union économique et monétaire, qui n'a pas que des qualités.

Dans son discours sur l'état de l'Union, le président Juncker a rappelé que l'euro avait vocation à devenir la monnaie unique de toute l'Union européenne et proposé la création d'un instrument d'adhésion à l'euro, sur lequel vos précisions seront les bienvenues. Il a également encouragé tous les États membres à rejoindre l'Union bancaire et proposé différentes pistes pour renforcer la zone euro. Nous ne voulons pas voir se multiplier les exemptions du type britannique. L'Eurogroupe a lui-même débattu de ces questions en début de semaine. Nous serons intéressés de connaître vos analyses.

Enfin, je relève sa suggestion d'introduire le vote à la majorité qualifiée sur les décisions concernant l'assiette commune consolidée pour l'impôt sur les sociétés, qui constituerait une avancée extraordinaire, mais aussi la TVA, une fiscalité juste pour l'industrie numérique et la taxe sur les transactions financières.

Quelle est votre appréciation sur l'état d'avancement de ces dossiers, auxquels nos commissions sont particulièrement attentives ?

Debut de section - Permalien
Pierre Moscovici, commissaire européen

Merci pour votre invitation. Quelques semaines après le renouvellement d'une partie de votre assemblée je tiens à féliciter les nouveaux élus. Je suis heureux de retrouver les autres, et heureux de vous retrouver, Messieurs les Présidents.

Il me paraît important que le commissaire français vienne s'exprimer régulièrement et au minimum deux fois par an devant vous. Je suis prêt à le faire davantage : je suis à votre disposition pour venir m'expliquer et débattre.

Je reviens de l'Eurogroupe qui a débattu dans un format original à 27 avec des ministres de toute l'Europe. Au Conseil « Affaires économiques et financières » (Ecofin), nous avons eu quelques débats fiscaux notamment sur la liste noire, j'y reviendrai.

Notre réunion a lieu dans un contexte unique, où une fenêtre politique s'ouvre enfin pour relancer l'Europe. Notre précédente rencontre, il y a un an, avait lieu sous l'ombre menaçante du populisme. Elle n'a pas disparu, ainsi en Allemagne, pour la première fois depuis la deuxième guerre mondiale, un parti d'extrême droite revient au Parlement, mais elle a perdu une bataille décisive, à commencer par la grande bataille de France. La France a élu un président pro-européen, Emmanuel Macron, qui a pris le parti de parler d'Europe. Il est incontestable qu'une dynamique se crée quand la France parle haut et fort, et que cela a un impact.

De même, la Commission européenne tient un discours politique sur l'Europe, à l'image de celui du président Jean-Claude Juncker sur l'état de l'Union, où elle a manifesté une volonté politique sur les questions budgétaires, mais aussi sur la fiscalité, où nous luttons contre la fraude, sur les déficits, sur le commerce : oui, la Commission est là.

Autre caractéristique de la situation actuelle : en Allemagne, une nouvelle donne politique se met en place, dont je sais qu'elle suscite des interrogations, mais je vous invite à faire confiance à la fibre européenne d'Angela Merkel. Je reviens de Berlin où, j'en suis tout à fait persuadé, prévaudra une orientation clairement pro-européenne.

J'ai cité Paris, Bruxelles et Berlin : c'est le triangle d'or à partir duquel lancer une initiative pro- européenne même si celle-ci ne suffit pas.

Je présenterai les prévisions économiques de la Commission européenne jeudi matin, je ne peux donc les dévoiler maintenant, mais il est incontestable que les indicateurs économiques sont au vert. Cela donne une marge de manoeuvre nouvelle. La croissance sera soutenue en 2017, supérieure à 2 %, soit au moins au niveau de la croissance américaine.

Cette croissance sera étendue à l'ensemble de la zone euro ; ce qui permet d'espérer des créations d'emplois sans précédent. Nous avons d'ores et déjà un nombre record d'emplois dans l'Union européenne. Nous sommes revenus au-dessus du niveau d'avant la crise de 2008. Les déficits se réduisent même si le niveau de la dette publique est toujours trop élevé. Cette amélioration sera durable : pour les deux prochaines années, nous prévoyons une croissance assez élevée. La crise de la zone euro se termine et nous abordons un nouveau chapitre.

Si vous ajoutez ces facteurs objectifs aux facteurs politiques, alors il devient évident que s'ouvre une fenêtre d'opportunité. Dans moins d'un mois, la Commission européenne va présenter plusieurs initiatives pour approfondir l'Union économique et monétaire. Le premier sommet de la zone euro en deux ans va se réunir prochainement et, en juin 2018, un autre sommet adoptera la feuille route pour la zone euro d'ici 2025.

C'est maintenant que la partie se joue.

La zone euro souffre de deux déficits importants : tout d'abord, un déficit d'efficacité, car nous devons d'abord avoir une économie plus productive et plus équitable ; nous conservons aussi un déficit d'investissement, même si ce dernier s'est en partie comblé.

Le deuxième déficit est démocratique : le fonctionnement de la zone euro reste difficile à expliquer et elle n'est pas contrôlée. En effet l'Eurogroupe réunit, outre son président, 19 ministres des finances, le président de la Banque centrale européenne, le Commissaire aux affaires économiques et monétaires et le président du groupe de travail de l'Eurogroupe qui prépare les rencontres, sans aucun contrôle. À la différence de la nôtre, la réunion n'est pas filmée, on ne sait pas ce qui s'y passe. Je suis persuadé que lorsqu'une institution est contrôlée par d'autres, elle prend des décisions meilleures et différentes.

La création d'un poste de ministre des finances de la zone euro, qui doit être aussi le Commissaire en charge de l'économie et des finances, devra être assortie d'un contrôle du Parlement européen d'abord, plus celui des parlements des différents États membres.

La France a un agenda ambitieux, qu'il faudra approfondir pour convaincre les autres capitales européennes. Elle devra être exemplaire, dans le domaine des finances publiques en particulier, à l'égard de son voisin d'outre-Rhin. Elle doit renouer avec l'exemplarité budgétaire ; comme l'Espagne, elle doit retrouver toute sa place dans le club des 17 membres sur 19 dont les finances publiques sont en ordre. Oui, je souhaite que la France sorte de la procédure de déficit excessif en 2018.

J'en viens aux échéances budgétaires de l'automne, puis j'aborderai la lutte contre la fraude, après le scandale des Paradise Papers qui choque et révulse l'opinion à juste titre : cette opacité qui apparaît au grand jour donne le tournis !

La Commission va rendre son avis sur les projets de budgets nationaux le 22 novembre, après les avoir examinés selon la méthodologie européenne habituelle. Le projet de budget confirme l'intention des autorités françaises de respecter le retour sous 3 % de déficit. C'est une bonne nouvelle car c'est une étape nécessaire vers la sortie de la France de la procédure pour déficit excessif. Cela pourra être décidé au printemps 2018, sur la base des chiffres définitifs pour 2017 et des données prévisionnelles pour 2018 et 2019. En effet, les règles budgétaires précisent que la correction doit être durable.

Le projet de loi de finances pour 2018 marque également l'intention de poursuivre l'assainissement des comptes publics, ce que le président Jean-Claude Juncker a estimé très positif. Mais attention, une fois que l'on passe sous les 3 % de déficit nominal, les règles applicables - ce que l'on appelle le « bras préventif » du pacte budgétaire - ne sont pas plus faciles que celles du « bras correctif » : En 2018, s'ensuivra donc une logique différente : ainsi, 3 % n'est pas une limite, la moyenne des déficits de l'Union européenne étant d'ailleurs plus proche de 1 %... Il importe de réduire également le déficit structurel. Donc, une fois sous les 3 %, le déficit budgétaire doit continuer à baisser fortement. Il faudra donc changer la focale.

Les moindres recettes liées à l'annulation par le Conseil constitutionnel de la taxe sur les dividendes ne seront pas prises en compte dans l'effort structurel car il s'agit d'un impact ponctuel (one off). Cela n'autorise pas pour autant la France à passer au-dessus de 3 % de déficit, ni en 2017 ni au-delà, si elle souhaite voir la procédure pour déficit excessif abrogée. Au surplus, il est trop tôt pour savoir sur quelle année cet impact sera comptabilisé, cela ne dépend pas de la Commission européenne, mais d'un organisme indépendant, Eurostat.

Notre système de règles, définies par les États membres eux-mêmes, donne un rythme de référence pour les pays à dette publique élevée, dont la France fait partie. Je rappelle que la dette publique française sera, en 2022, toujours au niveau de 90 % du PIB, tandis que la dette de l'Allemagne se situera en-dessous de 60 %. Le rythme de réduction prévu, qui représente un effort de 0,6 % du PIB par an, est supérieur à celui qui est prévu par le projet de loi de programmation des finances publiques sur le quinquennat. Nos règles sont souples : elles autorisent des déviations, jusqu'à un certain seuil. Le plancher minimal se situe à 0,1 % de réduction du déficit structurel mais il convient alors de se rattraper sur les années suivantes. Or toute la marge devrait être consommée en 2018. Il faudra donc veiller à la suite en 2019 et 2020 : vos commissions doivent avoir en tête toute la séquence et non seulement l'année en cours.

C'est pourquoi, la Commission a envoyé une lettre à la France mais aussi à l'Italie, à l'Espagne, à la Belgique et au Portugal, pour avoir des informations complémentaires, afin de former un jugement équilibré. Cela ne compromettra pas la sortie de la France de la procédure pour déficit excessif, mais colorera son jugement sur les finances publiques françaises.

J'en viens à la fiscalité : le scandale des Paradise Papers nous rappelle l'urgence à agir pour plus de justice fiscale. Chaque nouveau scandale de ce type est à la fois une bonne et une mauvaise nouvelle. Cela montre que certaines entreprises et certains particuliers sont prêts à tout pour échapper à leurs obligations, et ne laisser aucune place à un altruisme de bonne facture. Les citoyens, qui eux paient leurs impôts, sont légitimement outrés par ce qui se passe. Cependant, et c'est la bonne nouvelle, un tel scandale fait progresser la prise de conscience. Quand il apparaît au grand jour, le Conseil Ecofin, se passe différemment : les mêmes ministres que l'on avait connus parfois résistants sont plus sensibilisés à cette cause.

La Commission européenne a déjà fait beaucoup dans ce domaine. Deux évolutions majeures sont en cours d'application : l'échange automatique d'informations entre administrations fiscales ; la fin du secret bancaire en Europe, qui concerne, en plus de l'Union européenne, Monaco, le Liechtenstein, Andorre, Saint-Marin et la Suisse. Nous avons aussi agi en matière de rescrits fiscaux.

La justice fiscale repose sur un principe simple : les profits doivent être taxés là où ils sont générés, afin de limiter le transfert de bénéfices vers les pays où la fiscalité est plus avantageuse. Parallèlement, nous avons aussi interdit les schémas d'évasion fiscale les plus courants des entreprises.

La première chose à faire pour lutter contre la fraude et l'évasion fiscales est de mettre en oeuvre ces mesures par exemple pour une entreprise dont a beaucoup parlé qui s'est livrée aux Pays-Bas à des pratiques pourtant prohibées par la directive de 2016 sur la lutte contre l'évasion fiscale.

La mise en oeuvre de toute directive peut durer plusieurs années. Le plus simple et le plus digne est de l'anticiper. Au-delà, il y a beaucoup à faire : je citerai trois chantiers.

Le premier chantier consiste à instaurer de nouvelles règles de transparence pour les intermédiaires, tels les banquiers, avocats, conseillers fiscaux qui, organisant des montages facilitant le contournement des règles, ne sont pas forcément dans l'illégalité mais profitent des failles des lois. J'ai proposé avant l'été d'imposer aux intermédiaires une obligation de transparence sur les montages fiscaux. Les États membres doivent avancer rapidement sur ce dossier.

Ensuite, rien ne sert de devenir vertueux si le reste du monde peut attirer les évadés fiscaux. C'est pourquoi les Européens doivent se mettre d'accord d'ici la fin de l'année sur une liste européenne de paradis fiscaux mondiaux, assortie de sanctions dissuasives. Je suis optimiste après la réunion du Conseil Ecofin de ce matin, où l'enthousiasme des ministres était perceptible. Il faut que trois conditions soient remplies : que cette liste sorte rapidement, qu'elle soit crédible, plus que celle de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), que le G 20 a retoquée, et qu'elle soit assorties de sanctions appropriées.

Le troisième chantier concerne les données comptables et les bénéfices des entreprises, ce que l'on appelle en anglais country by country reporting, qui existe déjà entre administrations fiscales. Il est temps de les rendre publiques, afin que les citoyens et vous-mêmes, Mesdames et Messieurs les Parlementaires, puissent y accéder. Le jour où cela arrivera, les comportements opaques changeront. C'est nécessaire et possible, sans mettre en péril le secret des affaires. C'est l'absence de transparence qui pose un problème.

En matière de fiscalité, les entreprises numériques, comme les entreprises traditionnelles, doivent payer leur juste part du financement des services publics. Il ne s'agit pas que des grandes entreprises du numérique (GAFA) : notre fiscalité des sociétés ne permet pas de saisir toute une série d'autres entreprises. Il faut inventer une fiscalité du XXIe siècle, avec une assiette commune consolidée de l'impôt sur les sociétés autour d'un véhicule structurant, mais je ne suis pas opposé à ce que la Commission étudie une option plus simple pour aller plus vite. La Commission se prépare, comme le lui ont demandé les chefs d'États et de gouvernements réunis à Tallin, à faire une proposition au printemps 2018.

Il faut mener les réformes structurelles fondamentales. Je vous invite, avec les présidents de vos commissions, à peser dans ce débat et à aborder les échéances budgétaires en ayant à l'esprit que la voix de la France sera d'autant plus forte que rien ne pourra lui être reproché en matière de finances publiques et que le rôle de la Commission européenne est important dans le cadre de l'Eurogroupe et du conseil Ecofin.

Debut de section - PermalienPhoto de Albéric de Montgolfier

Merci pour la clarté de vos propos, tant sur le volet correctif que sur le volet préventif.

La proposition, faite par la France, d'une taxe « d'égalisation » sur le chiffre d'affaires des entreprises du numérique, avec un taux unique et éventuellement un mécanisme de consolidation, fait-elle toujours partie des pistes étudiées par la Commission européenne ?

La taxe sur la valeur ajoutée (TVA) fait l'objet dans la discussion de chaque projet de loi de finances de nombreux amendements, rarement pour la réduire. Or récemment, la Commission européenne a envisagé de donner plus de liberté pour revoir la liste des biens et services pouvant faire l'objet de taux réduits. Quelle piste privilégie-t-elle ? Comment concilier une plus grande liberté pour les États membres et la lutte contre la concurrence fiscale déloyale ?

Enfin, je souhaitais vous interroger sur l'érosion due aux fraudes à la TVA, qui se multiplient avec le développement de l'e-commerce, entraînant des pertes de recettes considérables.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Yves Leconte

Je reviens du Danemark, pays avec lequel la France n'a pas de convention fiscale. Je constate que la fiscalité de certains États membres constitue parfois un obstacle à la mobilité et à la construction européenne. Comment faire en sorte que les fiscalités convergent davantage, et éviter des conventions fiscales bilatérales sources de complications voire d'aberrations ? Il faut aller vers plus d'harmonisation.

Je m'interroge sur le budget de la zone euro : comment mener de nouvelles politiques, sachant qu'il manquera 10 milliards d'euros, en raison de la sortie de la Grande-Bretagne et que, depuis quinze ans, les ressources propres du budget européen baissent ? Ne faudrait-il pas renverser le système et construire des financements forts, afin que la zone euro contribue au budget de l'Union européenne ?

Puisque l'on a une monnaie commune, on peut avoir une convergence fiscale et reconstituer des ressources propres pour l'Union européenne.

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Taillé-Polian

L'an dernier, un certain nombre de pays européens et de parlementaires ont demandé la révision du mode de calcul du solde structurel et de l'écart de production. Dans un courrier, vous aviez envisagé un travail approfondi sur le sujet. Où en est-on ?

Debut de section - PermalienPhoto de André Gattolin

Le Président de la République a proposé de créer un poste de ministre européen des finances. Quel serait le rôle du commissaire chargé de ces questions ? Cette fonction pourrait-elle englober la présidence de l'Eurogroupe, d'autant que le poste doit être renouvelé en décembre ? Un budget européen spécifique est-il envisageable ?

Comme pour le Haut représentant de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, ne risque-t-on pas d'avoir un ministre européen quelque peu symbolique, puisque la fiscalité reste du ressort de chaque pays ?

Les propositions sur le renforcement de l'union bancaire et des marchés de capitaux européens devraient être présentées début 2018, ainsi qu'un plan d'action sur les technologies financières, les Fin Tech. Il était aussi question de créer un passeport européen qui permettrait aux start-ups d'opérer partout dans l'Union. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Debut de section - PermalienPhoto de Julien Bargeton

Vous estimez qu'il ne faut pas limiter la liste des paradis fiscaux à un seul pays, comme le fait l'OCDE. Quels sont les critères retenus par l'Union européenne ? Les réformes structurelles décidées ces derniers mois vont-elles permettre à la France de sortir de la procédure de déficit excessif ?

Debut de section - PermalienPhoto de Yannick Botrel

Nos concitoyens se défient de l'Europe, ce que je regrette. Pourtant, les instances européennes peinent à se saisir de certains sujets, comme la fraude ou l'optimisation fiscales. Certains paradis fiscaux sont aux portes même de l'Europe. Or il a fallu attendre que la presse dévoile les Paradise Papers pour qu'elle réagisse. Elle se devrait d'être plus proactive sur de tels sujets. La fiscalité des grands groupes est également régulièrement évoquée. Comment se fait-il qu'autant de temps soit nécessaire pour apporter les réponses attendues ?

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Eblé

S'agissant de la liste noire de l'Union européenne, comment cette liste peut-elle être crédible dès lors qu'elle exclurait les territoires de l'Union européenne ? Vous avez cité vous-même les Pays-Bas, Malte, certains territoires du Royaume-Uni. Cette liste se subsistera-t-elle aux listes nationales ?

Debut de section - Permalien
Pierre Moscovici, commissaire européen

La TVA est un chantier structurel qui m'occupe quotidiennement. Depuis 1993, nous vivons sous le régime provisoire de la TVA établi par les États membres. Le système de la TVA a ses mérites mais aussi ses défauts : il génère 160 milliards d'euros de pertes de recettes annuelles dont 50 milliards liés à la fraude transfrontalière, notamment la fraude « carrousel ». Nous devons donc passer à un régime définitif de TVA et traiter les flux transfrontaliers comme les flux domestiques.

Ce matin même, nous avons été sur le point d'adopter une directive sur le e-commerce, qui suppose une coopération entre les États membres. Le nouveau ministre allemand des finances a promis que le texte serait adopté en décembre.

Nous devrons certainement autoriser l'adoption de taux réduits sur les e-books et les e-publications, c'est-à-dire la presse en ligne. En effet, je souhaite donner plus de liberté aux États membres sur le choix des produits bénéficiant d'un taux réduit, ce qui n'est pas contradictoire avec l'harmonisation fiscale. Il convient de respecter la souveraineté fiscale dans le cadre des catégories de taux, mais ce n'est pas Bruxelles qui doit fixer la liste des produits sur lesquels doit s'appliquer la TVA à taux réduit. Lorsque j'étais ministre des finances, nous avions eu un grand débat sur la baisse du taux de la TVA sur le e-book ou sur la filière équine. Le principe de subsidiarité doit s'appliquer.

La liste des paradis fiscaux établie par l'Union européenne devra se substituer aux listes nationales : ce sera la première fois qu'une grille unique s'appliquera dans tous les États membres, avec les mêmes critères et les mêmes sanctions. Aujourd'hui, il existe 22 listes, certaines étant vides et d'autres pléthoriques. Nous n'excluons pas les pays de l'Union par principe. Si l'un d'entre eux était un paradis fiscal, il figurerait sur la liste. Mais les pays de l'Union ont accepté les standards internationaux en matière d'échanges automatiques d'information. Un pays ne peut être considéré comme un paradis fiscal du fait de son attractivité fiscale. Distinguons aussi la fraude fiscale de l'évasion fiscale ou de la planification fiscale agressive. Ne confondons pas ce qui est légal mais immoral, de ce qui est illégal. En revanche, la directive interdira certaines pratiques fiscales, comme celle utilisée par une grande marque d'équipements sportifs au Pays-Bas. Avant même les Paradise Papers, j'ai écrit aux ministres de Malte et de Grande-Bretagne pour soulever certaines infractions, notamment en ce qui concerne l'Île de Man.

L'OCDE est une institution qui a un regard confiant sur le monde mais elle a tendance à considérer que les engagements pris sont tenus, ce qui explique que sa liste ne comprenne qu'un seul pays. En outre, elle n'a pas retenu tous nos critères : procédures de lutte contre la fraude et l'évasion fiscales, échanges automatiques, suppression du taux zéro pour les sociétés. En décembre, nous aurons sur ce dernier point une discussion serrée car certains pays ne souhaitent pas aborder cette question.

La liste noire des paradis fiscaux, la transparence des intermédiaires et le reporting public par pays sont sur la table des ministres. La Commission a décidé de lancer des enquêtes sur Malte et l'Île de Man. Depuis que je suis commissaire, six directives ont été adoptées et onze propositions ont été présentées. Du fait des scandales à répétition, la pression sur les États membres s'est accrue. La Commission européenne a le monopole des initiatives, mais la pression actuelle s'exerce sur les États, et je m'en réjouis. Les grands groupes doivent payer leurs impôts dans les pays où ils réalisent leurs profits.

Vous m'avez également interrogé sur la fiscalité du numérique : il s'agit d'un problème qui doit être résolu au niveau mondial. Nous devons donc jouer le jeu de l'OCDE. À mon sens, la solution consisterait à instaurer une assiette commune consolidée d'impôt sur les sociétés. Cette proposition est sur la table des ministres : il s'agit d'une taxe sur les profits dont le seuil est fixé à 750 millions de chiffre d'affaires. La consolidation permet d'éviter le transfert des profits d'un pays à l'autre. J'ai demandé à mes services d'examiner l'instauration éventuelle d'une taxe sur le chiffre d'affaires, mais des effets de seuil et des doubles impositions risquent de se produire.

Enfin, n'oublions pas le principe de la souveraineté fiscale, notamment en matière de fixation des taux. La proposition du président Juncker d'appliquer la clause passerelle, c'est-à-dire passer de la règle de l'unanimité à celle de la majorité qualifiée, suppose de lever un certain nombre de tabous. Il n'y aura pas d'harmonisation fiscale - comme sociale, d'ailleurs - tant que la règle de l'unanimité s'appliquera.

En décembre, la Commission fera des propositions pour que nos règles soient plus simples et plus lisibles, tout en préservant les flexibilités actuelles. Les problèmes de soldes structurels ont fait l'objet de travaux qui n'ont pas été validés par les ministres des finances. Avec la reprise, ces problèmes sont moins prégnants. En France, les analyses du Gouvernement en matière de solde structurel se sont considérablement rapprochées de celles de la Commission.

Un budget de la zone euro permettrait plus de croissance et d'emplois. Mais quelles ressources pour un tel budget ? Le chantier reste largement ouvert. Dès lors qu'un budget propre serait instauré, la gouvernance devrait évoluer. Le ministre des finances serait à la fois le commissaire chargé des affaires économiques et financières et le président de l'Eurogroupe qui, aujourd'hui, n'est responsable que devant son propre Parlement. Ainsi, un contrôle parlementaire pourrait s'exercer.

La Commission européenne continue à travailler sur l'union bancaire, les marchés de capitaux et le passeport européen.

Les réformes structurelles démontrent la volonté d'un pays de réduire ses déséquilibres et de renforcer sa croissance. Mais, au total, la Commission européenne s'en tient à l'évaluation des déficits nominaux et structurels et de la trajectoire des finances publiques pour sortir un pays de la procédure de déficits excessifs. Nous avons des raisons solides de croire que tel sera le cas pour la France en 2018. Comme le disait Léon Blum : « Je l'espère et je le crois, je le crois parce que je l'espère ».

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Raison

L'économie évolue beaucoup plus vite que la fiscalité. Tous les jours de nouvelles applications sont proposées et l'e-commerce profite de l'absence de charges, de taxes foncières. Les petits et grands commerces disparaissent face à cette nouvelle concurrence. Nous risquons de sérieuses pertes de recettes fiscales.

L'accord des pays de l'Union est-il nécessaire pour définir les paradis fiscaux ? Les Pays-Bas, le Luxembourg et l'Irlande ne seront-ils pas tentés de bloquer le processus ? Comment faire pour obtenir l'unanimité sur la liste noire ?

Debut de section - PermalienPhoto de Victorin Lurel

Quelle sera la conséquence du Brexit sur notre contribution au budget de l'Union européenne ? Peut-on espérer aboutir sur une base commune et consolidée de l'impôt sur les sociétés ? La taxe carbone et la taxe sur les transactions financières vont-elles voir le jour ?

Nous avons signé le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG) en mars 2012, qui est un traité international. Sept mois après, nous avons voté une loi organique de transposition en droit national. Qu'en est-il désormais de la communautarisation du TSCG ?

Debut de section - PermalienPhoto de Emmanuel Capus

Quel contrôle démocratique sur le ministre de la zone euro proposez-vous ? S'agirait-il du Parlement européen ou de parlementaires de la zone euro ?

Votre collègue à la concurrence a mis en place une procédure d'enquête approfondie sur les pratiques fiscales du Royaume-Uni. Demain, quels seront les contrôles qui pourront être exercés à l'encontre de ce pays ? Ne risque-t-on pas d'avoir un paradis fiscal aux portes de l'Union ?

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Rambaud

Une large partie de nos territoires et de nos exploitations est exsangue. Le monde agricole souhaite une politique agricole rénovée. Quelles sont vos réflexions en la matière ?

Debut de section - PermalienPhoto de Anne-Catherine Loisier

La Commission européenne s'intéresse-t-elle aussi à l'explosion des excédents dans certains pays ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Bizet

En 2016, Édouard Leclerc et le groupe allemand REWE ont créé une centrale d'achat qui se dénomme Eurelec Trading. Sera-t-il possible de corriger ces dérives de l'optimisation fiscale qui pénalisent encore un peu plus les exploitants agricoles ? Le président Jean Arthuis avait tenté de lutter contre ce fléau en 2013, mais sans succès. Je déposerai un amendement en ce sens. La Commission européenne est-elle mobilisée sur cette question ?

Debut de section - Permalien
Pierre Moscovici, commissaire européen

Je regarderai avec attention cet amendement, mais je n'ai pas été saisi de ce dossier, sur lequel je ne suis pas compétent.

Je ne puis donner de chiffre sur le coût du Brexit puisque les discussions sont en cours. En revanche, il n'est pas question que les discussions durent deux ans : le 29 mars 2019 à minuit, le Royaume-Uni ne sera plus membre de l'Union européenne. Les négociations doivent donc se conclure bien avant, afin de laisser le temps aux pays membres de ratifier les accords de sortie. Les négociations devront donc s'achever en octobre 2018 à la fois sur le solde de nos relations mais aussi sur nos relations futures. D'ici la fin de cette année, des progrès décisifs doivent être réalisés sur la question financière, le sort des citoyens et la frontière avec l'Irlande pour laquelle il faudra éviter un excès de rigidité.

Je vous invite à lire le rapport de Mario Monti qui a présidé le groupe de Haut niveau sur les ressources propres. Il décline des propositions sur l'impôt sur les sociétés, la TVA, la taxe carbone. Je regrette que nous n'ayons pas encore fait de proposition sur la taxation de l'énergie. Nous devrions y parvenir au printemps prochain. En ce qui concerne la taxe sur les transactions financières, les dix États membres, dont la France, pourraient la mettre en oeuvre très rapidement. Je les incite à sortir de l'ambiguïté.

Le TSCG doit être intégré dans les traités : nous évoquerons cette question dans le paquet « Union économique et monétaire » du 6 décembre prochain. Ce sujet n'est politiquement pas neutre, car cela signifie qu'il faut aussi introduire de la flexibilité, ce que certains refusent.

Je partage votre point de vue, Michel Raison, la TVA doit être modernisée. Pour ce qui concerne la liste noire, nous avons fixé les critères que j'ai déjà donnés. Le groupe « Code de conduite » est en train de travailler sur les propositions de la Commission. Il examine de façon précise et détaillée les différents systèmes fiscaux des États qui pourraient figurer dans la liste. Les États qui n'auront pas répondu aux demandes d'informations seront sur la liste, les États qui auront satisfait à nos critères n'y seront pas. De nombreux pays doivent encore répondre à diverses questions.

Emmanuel Capus m'a interrogé sur le contrôle démocratique : les assemblées nationales ont tout leur rôle à jouer. Mais, pour l'essentiel, ce sera au Parlement européen ou à un Parlement dérivé de ce dernier de contrôler le budget de la zone euro. À mon sens, le Parlement européen est l'assemblée idoine pour y procéder. Mais libre aux parlementaires européens de s'organiser entre eux pour créer une commission ou un comité.

À partir du moment où le Royaume-Uni sortira de l'Union européenne, ce sera un État tiers qui définira de façon souveraine sa politique fiscale. Certains évoquent une sorte de Singapour à nos frontières, mais Singapour n'est pas un paradis fiscal. En outre, rien n'interdirait au Royaume-Uni de proposer une fiscalité avantageuse dans le cadre de l'Union : il pourrait réduire son taux d'imposition de dix points mais, ensuite, il lui faudrait compenser les pertes de recettes. Pour moi, cette éventualité n'est économiquement pas viable et elle ne permettrait pas au Royaume-Uni de s'affranchir de toutes les règles, car c'est un pays membre du G20 et du G7. Enfin, depuis cinq ans, les gouvernements britanniques successifs ont été proactifs en matière de lutte contre la fraude et l'évasion fiscales.

Il est encore trop tôt pour parler de l'avenir de la politique agricole commune (PAC). Mais les prochaines perspectives financières vont être compliquées, car il y aura moins de ressources tandis que de nouvelles politiques publiques devront être financées : défense, investissement, innovation, éducation, économie du futur... Pour la PAC, la vigilance s'imposera donc.

Enfin, l'Allemagne et les Pays-Bas connaissent des excédents qui pèsent sur la croissance de la zone euro. Ces déséquilibres doivent se réduire grâce, notamment, à un effort supplémentaire d'investissement dans les infrastructures.

La réunion est close à 19 h 05.