La TVA est un chantier structurel qui m'occupe quotidiennement. Depuis 1993, nous vivons sous le régime provisoire de la TVA établi par les États membres. Le système de la TVA a ses mérites mais aussi ses défauts : il génère 160 milliards d'euros de pertes de recettes annuelles dont 50 milliards liés à la fraude transfrontalière, notamment la fraude « carrousel ». Nous devons donc passer à un régime définitif de TVA et traiter les flux transfrontaliers comme les flux domestiques.
Ce matin même, nous avons été sur le point d'adopter une directive sur le e-commerce, qui suppose une coopération entre les États membres. Le nouveau ministre allemand des finances a promis que le texte serait adopté en décembre.
Nous devrons certainement autoriser l'adoption de taux réduits sur les e-books et les e-publications, c'est-à-dire la presse en ligne. En effet, je souhaite donner plus de liberté aux États membres sur le choix des produits bénéficiant d'un taux réduit, ce qui n'est pas contradictoire avec l'harmonisation fiscale. Il convient de respecter la souveraineté fiscale dans le cadre des catégories de taux, mais ce n'est pas Bruxelles qui doit fixer la liste des produits sur lesquels doit s'appliquer la TVA à taux réduit. Lorsque j'étais ministre des finances, nous avions eu un grand débat sur la baisse du taux de la TVA sur le e-book ou sur la filière équine. Le principe de subsidiarité doit s'appliquer.
La liste des paradis fiscaux établie par l'Union européenne devra se substituer aux listes nationales : ce sera la première fois qu'une grille unique s'appliquera dans tous les États membres, avec les mêmes critères et les mêmes sanctions. Aujourd'hui, il existe 22 listes, certaines étant vides et d'autres pléthoriques. Nous n'excluons pas les pays de l'Union par principe. Si l'un d'entre eux était un paradis fiscal, il figurerait sur la liste. Mais les pays de l'Union ont accepté les standards internationaux en matière d'échanges automatiques d'information. Un pays ne peut être considéré comme un paradis fiscal du fait de son attractivité fiscale. Distinguons aussi la fraude fiscale de l'évasion fiscale ou de la planification fiscale agressive. Ne confondons pas ce qui est légal mais immoral, de ce qui est illégal. En revanche, la directive interdira certaines pratiques fiscales, comme celle utilisée par une grande marque d'équipements sportifs au Pays-Bas. Avant même les Paradise Papers, j'ai écrit aux ministres de Malte et de Grande-Bretagne pour soulever certaines infractions, notamment en ce qui concerne l'Île de Man.
L'OCDE est une institution qui a un regard confiant sur le monde mais elle a tendance à considérer que les engagements pris sont tenus, ce qui explique que sa liste ne comprenne qu'un seul pays. En outre, elle n'a pas retenu tous nos critères : procédures de lutte contre la fraude et l'évasion fiscales, échanges automatiques, suppression du taux zéro pour les sociétés. En décembre, nous aurons sur ce dernier point une discussion serrée car certains pays ne souhaitent pas aborder cette question.
La liste noire des paradis fiscaux, la transparence des intermédiaires et le reporting public par pays sont sur la table des ministres. La Commission a décidé de lancer des enquêtes sur Malte et l'Île de Man. Depuis que je suis commissaire, six directives ont été adoptées et onze propositions ont été présentées. Du fait des scandales à répétition, la pression sur les États membres s'est accrue. La Commission européenne a le monopole des initiatives, mais la pression actuelle s'exerce sur les États, et je m'en réjouis. Les grands groupes doivent payer leurs impôts dans les pays où ils réalisent leurs profits.
Vous m'avez également interrogé sur la fiscalité du numérique : il s'agit d'un problème qui doit être résolu au niveau mondial. Nous devons donc jouer le jeu de l'OCDE. À mon sens, la solution consisterait à instaurer une assiette commune consolidée d'impôt sur les sociétés. Cette proposition est sur la table des ministres : il s'agit d'une taxe sur les profits dont le seuil est fixé à 750 millions de chiffre d'affaires. La consolidation permet d'éviter le transfert des profits d'un pays à l'autre. J'ai demandé à mes services d'examiner l'instauration éventuelle d'une taxe sur le chiffre d'affaires, mais des effets de seuil et des doubles impositions risquent de se produire.
Enfin, n'oublions pas le principe de la souveraineté fiscale, notamment en matière de fixation des taux. La proposition du président Juncker d'appliquer la clause passerelle, c'est-à-dire passer de la règle de l'unanimité à celle de la majorité qualifiée, suppose de lever un certain nombre de tabous. Il n'y aura pas d'harmonisation fiscale - comme sociale, d'ailleurs - tant que la règle de l'unanimité s'appliquera.
En décembre, la Commission fera des propositions pour que nos règles soient plus simples et plus lisibles, tout en préservant les flexibilités actuelles. Les problèmes de soldes structurels ont fait l'objet de travaux qui n'ont pas été validés par les ministres des finances. Avec la reprise, ces problèmes sont moins prégnants. En France, les analyses du Gouvernement en matière de solde structurel se sont considérablement rapprochées de celles de la Commission.
Un budget de la zone euro permettrait plus de croissance et d'emplois. Mais quelles ressources pour un tel budget ? Le chantier reste largement ouvert. Dès lors qu'un budget propre serait instauré, la gouvernance devrait évoluer. Le ministre des finances serait à la fois le commissaire chargé des affaires économiques et financières et le président de l'Eurogroupe qui, aujourd'hui, n'est responsable que devant son propre Parlement. Ainsi, un contrôle parlementaire pourrait s'exercer.
La Commission européenne continue à travailler sur l'union bancaire, les marchés de capitaux et le passeport européen.
Les réformes structurelles démontrent la volonté d'un pays de réduire ses déséquilibres et de renforcer sa croissance. Mais, au total, la Commission européenne s'en tient à l'évaluation des déficits nominaux et structurels et de la trajectoire des finances publiques pour sortir un pays de la procédure de déficits excessifs. Nous avons des raisons solides de croire que tel sera le cas pour la France en 2018. Comme le disait Léon Blum : « Je l'espère et je le crois, je le crois parce que je l'espère ».