Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l’année 2017 marque le retour à l’équilibre de la branche famille, pour la première fois depuis dix ans. Attachée, comme nombre d’entre vous, à notre modèle de politique familiale, je ne peux, a priori, que me réjouir de cette situation.
Pour autant, les conditions de ce retour à l’équilibre suscitent des interrogations. Si le redressement des comptes de la branche résulte, en partie, de l’amélioration de la conjoncture économique et d’un transfert de charges vers l’État, il est aussi le fruit d’importantes mesures d’économies. L’impact de l’ensemble des réformes intervenues dans le champ de la politique familiale depuis 2012 s’élève environ, cette année, à 1, 5 milliard d’euros d’économies, assumées par les familles.
La majeure partie de ces efforts a été supportée par des familles relativement aisées, au travers des abaissements du plafond du quotient familial et de la modulation des allocations familiales.
Pour autant, les familles des classes moyennes n’ont pas été épargnées par les mesures portant sur des prestations sous conditions de ressources.
Au-delà de ce rabotage, qui est préoccupant dans un contexte de baisse du nombre des naissances, l’évolution de la politique familiale au cours de la période récente nous interpelle. Elle remet en effet en cause quelques-uns des principes fondateurs de cette politique, alors même que certains de nos voisins souhaiteraient aujourd’hui s’en inspirer.
La politique familiale a été conçue dans une logique de compensation des charges de famille et de solidarité horizontale. Si des aides spécifiques ont été instaurées en faveur de publics ciblés, la notion d’universalité demeurait centrale. En supprimant presque intégralement les prestations d’entretien dont bénéficient les familles aisées et en resserrant les montants et les conditions de ressources des prestations destinées aux classes moyennes, les mesures prises durant le quinquennat précédent ont réorienté la politique familiale vers la lutte contre la pauvreté.
Cette évolution, qui a parfois semblé résulter davantage d’une succession de mesures d’économie que d’une orientation assumée, pose un certain nombre de questions. Doit-on renoncer au principe de compensation des charges de famille et aider uniquement les familles exposées au risque de pauvreté ? À revenus équivalents, une famille aisée avec enfants a-t-elle droit à davantage d’aides qu’un couple sans enfant ? Quelle serait l’acceptabilité sociale d’une politique familiale excluant de ses bénéfices ses principaux financeurs ? Enfin, si la politique familiale doit être transformée en outil de lutte contre la pauvreté, cette logique doit-elle être étendue à d’autres domaines, comme l’assurance maladie, voire l’accès aux services publics ?
Alors que s’ouvre un nouveau quinquennat et qu’une nouvelle convention d’objectifs et de gestion doit être conclue entre l’État et la CNAF, la Caisse nationale des allocations familiales – vous l’avez annoncé, madame la ministre –, il convient donc de définir la place que nous souhaitons collectivement accorder aux familles dans notre modèle de société.
Madame la ministre, j’ai bien entendu votre volonté de donner du sens à la politique familiale. C’est parce qu’elle y souscrit que la commission des affaires sociales a décidé d’apporter une petite modification à l’un des articles de votre PLFSS.
Ce dernier ne répond pas aux questions que j’ai soulevées. Sans doute vient-il trop précocement – j’en conviens totalement. Il tient compte d’un excédent de la branche famille qui dépasserait, en 2018, 1 milliard d’euros, pour atteindre 5 milliards d’euros en 2021, et contient peu de mesures relatives à la famille.
L’augmentation des plafonds de prise en charge au titre du complément de libre choix du mode de garde pour les familles monoparentales est relativement consensuelle. Il s’agit d’aider davantage un public, majoritairement féminin, qui est particulièrement touché par la pauvreté et l’éloignement du marché du travail.
Pour autant, il ne faut pas exagérer sa portée. Le coût de cette mesure, 40 millions d’euros en année pleine, indique que le bénéfice pour les familles concernées sera nettement moins important que les montants théoriques présentés par l’étude d’impact.
À l’inverse, l’alignement par le bas des montants et plafonds de l’allocation de base de la prestation d’accueil du jeune enfant, la PAJE, sur ceux du complément familial représente une économie qui atteindrait à terme 500 millions d’euros par an.
Au vu de l’excédent que connaît la branche, la commission des affaires sociales a considéré que cette mesure d’économie ne s’imposait pas, d’autant qu’une grande concertation nationale sur la politique familiale a été annoncée et que l’examen de cette question pourrait à bon droit y être reporté. Les justifications avancées par le Gouvernement ne font pas disparaître le sentiment que les prestations familiales sont utilisées comme variables d’ajustement budgétaire, dans la continuité de la période précédente. Nous reviendrons sur ce point au cours des débats sur l’article 26, que la commission des affaires sociales vous proposera de supprimer, mes chers collègues.
Sous cette réserve, et tout en soulignant que ce PLFSS ne traite pas les défis auxquels la politique familiale fait face, la commission a donné un avis favorable à l’adoption de l’objectif des dépenses de la branche famille. Mais le débat est ouvert, et nous y participerons avec plaisir !