Intervention de Richard Yung

Réunion du 5 mars 2009 à 21h30
Loi pénitentiaire — Article 24

Photo de Richard YungRichard Yung :

Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, avec cet article, nous en arrivons effectivement à l’un des points essentiels du débat.

Nous l’avons souvent souligné, le respect de la dignité de la personne humaine est l’une de nos principales préoccupations. Or, avec la question des fouilles, nous sommes au cœur du sujet.

Question ô combien difficile que de préserver, comme c’est notre devoir, la dignité de la personne humaine sans méconnaître les nécessaires impératifs de sécurité.

En l’état actuel du droit, qui est uniquement de nature réglementaire – c’est un écueil permanent –, l’administration pénitentiaire bénéficie d’une très grande marge de manœuvre. Les fouilles sont souvent pratiquées sans discernement, au nom des seuls impératifs de sécurité. Les règles d’application font défaut ; j’y reviendrai.

Dans leur excellent rapport, MM. Hyest et Cabanel comparaient les fouilles à un « automatisme pénitentiaire ». Cela prouve bien que, en la matière, les habitudes et, plus rarement, les mauvaises intentions l’emportent sur tout le reste.

Les détenus sont en effet fouillés à tout bout de champ : lorsqu’ils font leur entrée dans l’établissement pénitentiaire et chaque fois qu’ils en sont « extraits », selon la terminologie assez curieuse qui est utilisée, ou qu’ils y sont reconduits ; avant et après les parloirs ; avant et après les visites. En d’autres termes, tout contact avec le monde extérieur donne lieu à une fouille.

Des fouilles intégrales avec mise à nu sont en particulier pratiquées après la visite des avocats. Cela en dit long sur la considération que l’on a pour eux…

Mon collègue Louis Mermaz l’a rappelé, le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants a ainsi notamment rencontré un détenu alléguant avoir été fouillé à corps à quatorze reprises en un mois.

En 2006, la Commission nationale de déontologie de la sécurité a évoqué le cas d’un « détenu particulièrement signalé », ou DPS, fouillé à corps par des agents d’une équipe régionale d’intervention et de sécurité, alors que ceux-ci sont seulement habilités à pratiquer des fouilles de cellules.

Depuis 2002, les campagnes de fouille générale dans les établissements pénitentiaires sont, semble-t-il, plus fréquentes chaque année, ce qui a évidemment pour conséquence d’attiser les tensions au sein même des prisons.

Les fouilles sont vécues comme une humiliation, voire comme un viol, au sens propre du terme. Elles répondent parfois à des petites haines entre détenus et surveillants. Le contrôleur général des lieux de privation de liberté, M. Delarue, les qualifie de « petits coups bas ».

Il faut le souligner, les fouilles sont également pénibles pour les personnels de l’administration pénitentiaire, surtout lorsqu’ils sont amenés à pratiquer eux-mêmes des fouilles corporelles internes, dont, je le rappelle, aucun texte ne fixe le régime.

Les fouilles sont donc dégradantes tant pour ceux qui les subissent que pour ceux qui les pratiquent. Elles ne correspondent pas, à l’évidence, à l’idée que les personnels de l'administration pénitentiaire se faisaient de leurs fonctions en entrant dans la carrière.

Des atteintes aussi manifestes à la dignité humaine et à l’intégrité physique des personnes détenues sont d’autant plus critiquables que les bénéfices des fouilles en termes de sécurité sont limités. La réalité des trafics de stupéfiants, de téléphones portables et d’armes au sein des prisons en est la preuve.

Notre pays est régulièrement pointé du doigt pour les traitements dégradants infligés aux personnes incarcérées. Sans procéder à une énumération complète, je mentionnerai notamment les critiques que le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants formule dans son rapport de décembre 2007.

De son côté, la Cour européenne des droits de l’homme, dans sa décision du 12 juin 2007, a jugé que les fouilles intégrales avec obligation de se pencher et de tousser après chaque parloir ne s’appuient sur « aucun impératif convaincant de sécurité ».

Même le juge administratif s’est saisi du sujet. Récemment, le 14 novembre dernier, le Conseil d’État a jugé une affaire dans laquelle le requérant avait fait l’objet d’une décision le soumettant à un régime de fouilles corporelles intégrales, opérées plusieurs fois par jour lors d’extractions pour différentes comparutions, notamment devant le juge judiciaire. Dans son arrêt, le Conseil d'État a fixé les conditions dans lesquelles les détenus peuvent être soumis à des fouilles corporelles intégrales. Selon l’expression qu’il a employée, elles doivent être nécessaires, adaptées et proportionnées.

Des progrès ont donc été enregistrés dans ce domaine, puisqu’un certain nombre de règles ont été fixées. Mais, je le répète, l’arrêt du Conseil d'État date de novembre dernier, soit d’à peine quelques mois, et il y a encore du travail à faire !

Ces décisions prouvent à quel point le régime des fouilles est insuffisamment encadré.

Les fouilles intégrales avec mise à nu et les fouilles corporelles internes constituant en elles-mêmes une atteinte grave à la dignité humaine, je pense qu’il conviendrait de les réserver à quelques catégories très particulières de détenus, notamment aux DPS.

De notre point de vue, et nous retrouvons ici l’amendement de M. About, l’idéal serait d’installer dans les établissements pénitentiaires des portiques dits à « ondes millimétriques ». Ces « scanners corporels » permettent en effet d’obtenir une image sur un écran de contrôle et évitent au personnel pénitentiaire d’avoir à pratiquer ces fouilles.

Voilà ce que nous voulions dire, de manière générale, sur l’article 24. Cette prise de parole éclairera également les trois amendements que nous avons déposés et que nous défendrons dans la suite de la discussion.

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