Intervention de Sophie Taillé-Polian

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 7 novembre 2017 à 14h35
Projet de loi de finances pour 2018 — Mission « travail et emploi » et compte d'affectation spéciale cas « financement national du développement et de la modernisation de l'apprentissage » - examen du rapport spécial

Photo de Sophie Taillé-PolianSophie Taillé-Polian, rapporteure spéciale :

Cela ne vous surprendra pas, la tonalité de mon intervention sera quelque peu différente de celle de mon collègue co-rapporteur. Nous sommes cependant d'accord sur un point : le choix est à la baisse des dépenses.

Je considère que la diminution des crédits de la mission « Travail et emploi », de 2,7 milliards d'euros en AE et de 295 millions d'euros en CP, est un très mauvais signal adressé aux personnes précaires, alors que le taux de chômage demeure élevé - 9,5 % de la population active au deuxième semestre 2017 - de même que le nombre de demandeurs d'emploi, qui s'élevait à 5,6 millions de personnes. Bien sûr, certains diront que le chômage est en baisse pour certaines catégories. Il n'en reste pas moins qu'il a augmenté de 6 % pour les personnes de plus de cinquante ans et de plus de 11 % pour les demandeurs d'emploi de la catégorie C. L'embellie des chiffres cache des disparités très importantes.

Comme l'a rappelé mon collège Emmanuel Capus, hors compensation de la suppression de la contribution exceptionnelle de solidarité, la diminution des crédits de la mission sera record et atteindra près de 4,2 milliards d'euros en AE et 2,4 milliards d'euros en CP.

Force est tout d'abord de constater que la baisse des crédits prévue par le présent budget touchera principalement les personnes les plus fragiles. La diminution du nombre de contrats aidés en est probablement l'exemple le plus emblématique.

Pourtant, la décision brutale prise à l'été 2017 de réduire l'enveloppe de contrats aidés - qui s'est traduite par d'importantes difficultés pour les collectivités territoriales et les associations - a bien montré l'utilité de ces derniers, sans parler de la détresse dans laquelle les bénéficiaires non reconduits ont été jetés...

Ces contrats constituent des instruments importants pour l'insertion sociale et professionnelle des bénéficiaires. En l'absence de contrats aidés, la plupart des personnes concernées n'auraient tout simplement pas eu accès au marché du travail.

La baisse prévue dans le présent budget conduira donc à une fragilisation de certains services publics et de certaines actions associatives, et elle aura des conséquences sociales importantes.

Elle jette en outre l'opprobre sur les collectivités territoriales soupçonnées de tirer profit de l'effet d'aubaine provoqué par ce dispositif pour bénéficier de financements complémentaires. Or les recrutements réalisés l'ont souvent été à la demande de l'État et la grande majorité des collectivités territoriales ont mis en place une véritable insertion professionnelle des bénéficiaires. En plus de la réduction du nombre de contrats aidés, le taux de prise en charge sera revu à la baisse de 70 % à 50 %.

Ce budget porte un coup aux actions en faveur de l'amélioration des conditions de travail avec la baisse du montant de la subvention versée à l'Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail (Anact) et la poursuite de la réduction des effectifs de l'inspection du travail, alors même que la mise en oeuvre des ordonnances « Travail » complexifie et favorise une hétérogénéité du droit.

Le budget qui est soumis à notre examen est révélateur de l'incohérence de la politique menée par le Gouvernement qui souhaite relancer l'apprentissage et « en même temps » supprime l'aide financière en faveur des jeunes apprentis, alors même que les centres de formation d'apprentis ont du mal à recruter.

Le Gouvernement lance un grand plan d'investissement dans les compétences et, « en même temps », il diminue les crédits consacrés aux opérateurs. La subvention pour charges de service public versée à Pôle emploi diminuera ainsi de 50 millions d'euros, en contradiction avec le montant inscrit dans la convention tripartite Pôle emploi/État/Unédic. Certes, l'Unédic augmentera sa contribution, mais dans le même temps les effectifs de l'opérateur devraient diminuer de 297 ETPT, 3 783 ETPT si l'on inclut les effectifs hors plafond. Pôle emploi risque d'être en difficulté pour accompagner les demandeurs d'emploi.

Que dire de la division par deux des crédits consacrés aux maisons de l'emploi ? En les privant des moyens leur permettant d'exercer leurs missions on crée les conditions de leur suppression...

Le Gouvernement ne réévalue pas sa contribution au financement des missions locales, alors que celles-ci devront accompagner près de 15 000 jeunes supplémentaires avec la généralisation de la Garantie jeunes.

Le Gouvernement estime que la baisse du coût du travail, qui se traduira par la transformation du CICE en diminution de cotisations patronales en 2019, doit favoriser les recrutements et, « en même temps », il supprime l'aide à l'embauche à destination des petites et moyennes entreprises.

Concernant le plan d'investissement dans les compétences, présenté par le Gouvernement comme l'alpha et l'oméga de sa politique de l'emploi, je constate que l'effort réel est bien inférieur au montant mis en avant dans la communication du Gouvernement, tant sur le nombre de personnes formées que sur les moyens dégagés. En effet, dans la mesure où les crédits consacrés à la Garantie jeunes et au plan « 500 000 formations » étaient déjà portés par la mission « Travail et emploi », l'effort consenti ne s'élèvera qu'à 750 millions d'euros en AE et 430 millions d'euros en CP. Des questions demeurent en suspens s'agissant du financement de ce plan et des moyens humains qui y seront consacrés. On peut aussi s'interroger sur le nombre de personnes touchées, qui sera certainement inférieur au plan 500 000 formations auquel il se substitue. On nous annonce deux millions de formation sur cinq ans, soit 400 000 personnes accompagnées chaque année.

Le budget 2018 de la mission « Travail et emploi » est un mauvais budget, car il accompagnera moins les personnes en difficulté. La dynamique baissière qu'il contient sera en outre aggravée par le projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022, qui prévoit une diminution des crédits de 17 % entre 2018 et 2020.

Je vous propose de rejeter les crédits de la mission « Travail et emploi », car ils ne sont pas adaptés à la situation sociale et à la hausse du chômage des publics en difficulté qui se poursuit.

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