L'examen du premier budget agricole de la nouvelle législature suscite une grande perplexité. Plus encore, au vu des grandes ambitions affichées par le nouveau Président de la République dans le cadre des États généraux de l'alimentation, il provoque une réelle déception.
Pour la perplexité, elle provient, comme c'est devenu une habitude, de la crédibilité de la budgétisation qui nous est présentée. En premier lieu, une épée de Damoclès pèse sur ce budget, celle de l'exécution pour 2017. J'ai régulièrement dénoncé le défaut de sincérité des budgets agricoles qui semblent marqués par une logique paradoxale avec l'existence concomitante de dotations non dépensées et de dépenses non dotées. Le premier président de la Cour des comptes a dans cette même salle exposé combien le budget agricole pour 2017 comportait d'impasses financières. Le contrôleur budgétaire et comptable ministériel a pu évaluer celles-ci à plus de 600 millions d'euros et a refusé en conséquence d'accorder son visa à la répartition des crédits. Comment ces impasses seront-elles comblées ? À ce stade, nous n'en savons rien. Peut-être y aura-t-il à nouveau des corrections dans le cadre du collectif de fin d'année. Une chose est sûre : ces rectifications ne couvriront pas l'ensemble des déficits de financement. En effet, le projet de budget pour 2018 prévoit de réserver une partie de ses dotations pour assurer des paiements dont certains remontent à des engagements pouvant dater de 2015. On peut dire ainsi qu'il entérine une gestion budgétaire hasardeuse ce qui ne plaide pas pour lui. Par ailleurs, la question de sa sincérité se pose également au regard des risques financiers nouveaux qui devraient se matérialiser en 2018. Le Gouvernement fait valoir qu'en inscrivant 300 millions d'euros au titre d'une réserve pour dépenses imprévisibles, le principe de sincérité budgétaire se trouve enfin respecté. Assiste-t-on pour autant à une révolution de la sincérité ? Je peine à répondre positivement à cette question. Il semble d'ores et déjà que cette provision pour dépenses imprévisibles sera absorbée par des dépenses hélas tout à fait prévisibles résultant en particulier de risques contentieux. Je veux parler des risques de refus d'apurement qui, quant au passé, ne sont toujours pas complètement réglés, des risques nouveaux, estimés à plus de 1 milliard d'euros, n'étant nullement provisionnés. Mais l'on pourrait aussi évoquer les suites des contentieux avec les vétérinaires en mission qui ne sont budgétées que partiellement, l'impasse totale sur les conséquences budgétaires de certaines situations, comme celles que connaissent certains laboratoires d'analyses, ou des hypothèses de budgétisation favorables dont celle portant sur le cours du bois qui permet de minorer les besoins de financement de l'Office national des forêts. En bref, les 300 millions de réserves pour dépenses imprévisibles risquent de dégénérer en une ligne de comblement très partiel des sous-dotations habituelles que nous réserve le budget agricole.
Dans ces conditions, les vrais risques, ceux de l'exploitation agricole d'aujourd'hui, les risques économiques, les risques environnementaux, demeurent sans provision dans le projet de budget. Rien ne change de ce point de vue par rapport à la situation antérieure, ce qu'il faut déplorer compte tenu du renforcement des aléas de cette activité comme il faut déplorer, plus fondamentalement encore, le défaut d'ambition agricole que porte le projet de budget pour 2018. Les crédits de paiement du programme 149 reculent alors même qu'ils sont consacrés pour une part importante à régler des factures héritées du passé et que des lignes budgétaires ne sont pas assez fournies. Les interventions suivent une trajectoire baissière encore plus accusée en volume, dans un budget qui néglige l'inflation. Des dotations importantes pour la modernisation de notre agriculture sont en fort repli. Le plan de compétitivité et d'adaptation des exploitations, le PCAE, subit une réduction drastique de ses crédits et n'a pas de remplaçant à ce jour. Face à une crise aviaire dont le coût économique a pu être estimé au minima à 500 millions d'euros pour la filière, on relève la faiblesse des indemnisations mais également celle des provisions destinées à la nécessaire modernisation des bâtiments d'élevage : 5 millions d'euros, soit le supplément de crédits prévus pour protéger les élevages contre les grands prédateurs. La question du sérieux budgétaire se pose inévitablement et, au-delà celle de la crédibilité de la parole publique sur les ambitions agricoles du pays, d'autant que le projet de loi de programmation pluriannuelle nous promet une baisse de plus de 10 % des crédits à l'horizon 2020. Tout cela dans un climat de fortes inquiétudes sur une politique agricole commune en cours de reprogrammation et sur laquelle pèsent les incertitudes de l'après Brexit.
Le budget agricole pour 2018 ne traduit pas la nécessaire prise de conscience de la très grande fragilité actuelle de notre agriculture. 2016 a été une année catastrophique avec un recul de la valeur ajoutée de près de 15 % en volume. La valeur ajoutée nette a même reculé de 25 %. Dans ces conditions, si une certaine amélioration semble se dessiner en 2017, elle doit être appréciée en fonction d'un point de départ extrêmement dégradé. Il est quand même remarquable que les publics à l'agriculture n'aient pratiquement pas joué de rôle amortisseur. Par ailleurs, nous assistons à un effritement continu de notre puissance agricole. Les disparitions d'exploitations se comptent chaque année en dizaines de milliers. Nous avons perdu plus de 11 % de nos exploitations depuis 2010. Il y a en somme une « désagriculturalisation » à côté de la désindustrialisation. La relève n'arrive pas. L'installation est en berne peu attirée par une activité aux revenus particulièrement peu attractifs. Ces évolutions appellent un sursaut. Qu'on ne dise pas que le phénomène est inévitable. Dans l'Europe des vingt-huit, il est vrai que onze pays ont connu un recul du revenu supérieur à 10 % mais dans dix-sept pays il y a eu une hausse parfois très marquée du revenu agricole. La France est du mauvais côté de la ligne alors qu'elle était encore réputée posséder la plus puissante agriculture d'Europe il y a peu.
En bref, les crises conjoncturelles touchent une agriculture structurellement fragilisée et qui n'investit plus. En volume, l'investissement agricole est en 2015 au même niveau qu'en 1980 ! Au cours de cette période, les prix de l'investissement ont, de leur côté, presque triplé. Les exploitants n'ont pas les moyens de suivre. La situation de l'investissement agricole est au coeur d'un défi qui mérite mieux que des paroles, celui de redresser l'agriculture française.
Parmi les mesures nécessaires au redressement de l'agriculture, il est évident qu'il faut accorder une vraie priorité à une forme de garantie de perspectives de revenu rémunérateur au profit des agriculteurs. La nouvelle politique agricole commune présente de très grandes failles de ce point de vue. Compte tenu de la contribution française au budget européen, nous devrons faire en sorte que le nouveau compromis agricole tienne mieux compte de l'exposition aux crises de l'agriculture européenne la plus diversifiée mais aussi, plus largement, de la nécessité de défendre l'Europe agricole dans un contexte de concurrence internationale allant crescendo.
Dans le cadre de notre rapport de contrôle sur la sécurité sanitaire des aliments, nous avons pu mesurer à quel point il est préoccupant d'accepter que des produits entrent en Europe sans respecter les normes européennes. Cette dimension du commerce international des produits agricoles appelle une attention renouvelée qui évidemment pose tout le problème de la régulation internationale du commerce. Sans doute devrions-nous d'ailleurs commencer par lutter plus efficacement contre la concurrence sanitaire déloyale en Europe.
Enfin, pour conclure, je voudrais insister sur la nécessité d'améliorer les performances de notre administration agricole. La programmation budgétaire est une chose, l'exécution budgétaire en est une autre. Deux exemples avec, d'abord, le domaine de la sécurité sanitaire de l'alimentation. La superposition des intervenants, la complexité des financements, la confusion des missions doivent être surmontées afin que nous disposions d'une meilleure intégration des forces et d'infrastructures tout à fait irréprochables. Un deuxième domaine où des améliorations de gestion sont impératives c'est celui des paiements sur lequel nous avons débuté un contrôle dans le cadre de la procédure du 58-2. Il faut en effet savoir que, non seulement du fait des refus d'apurement nous ne profitons pas de la totalité des enveloppes européennes mais encore que nous mettons en place des systèmes extrêmement lourds à gérer pour les agriculteurs, les apports de trésorerie remboursables, qui s'accompagnent de coûts financiers pour l'État mais également de retards de paiement des aides pour des agriculteurs dont les trésoreries sont déjà souvent sous très grande tension.