En guise de transition avec les propos d'Alain Houpert, je souhaite mettre en exergue une forme de constance des concours publics au bénéfice de notre agriculture, dans un contexte très agité. En 2013, ils s'élevaient à 18,6 milliards d'euros et, en 2017, ils avaient progressé pour atteindre 20,6 milliards d'euros. 2 milliards d'euros supplémentaires en quatre ans, ce n'est pas rien. Et je crois qu'on peut mettre ce chiffre en rapport avec la perspective ouverte par le projet de loi de programmation d'une économie de 350 millions d'euros sur le budget de la mission à l'horizon de 2020.
Pour autant, je dois relever une évolution sur laquelle il nous faudra ouvrir un débat : celle qui a vu les allègements de prélèvements obligatoires gagner en importance relative dans l'ensemble des concours publics à l'agriculture, tandis que la dépense publique, européenne ou nationale, a perdu plus de 5 points dans sa contribution à ces transferts. C'est l'équivalent de 2,7 milliards d'euros qui se sont trouvés ainsi interchangés. Or ces deux modalités de soutien n'ont pas les mêmes propriétés économiques, ni le même impact sur la distribution des concours publics.
Il nous faut mieux évaluer ce changement. Je ne suis pas sûr qu'en modifiant les équilibres du financement de la protection sociale des agriculteurs comme le Gouvernement le propose, avec le projet de loi de finances et le projet de loi de financement de la sécurité sociale, le Gouvernement s'inscrive réellement dans cette démarche évaluative. Mais, je note que ces initiatives pourraient se traduire par une atténuation des transferts entre les administrations publiques et les agriculteurs. Si la suppression de l'allégement de cotisation d'assurance maladie permet au budget pour 2018 de gagner plus de 400 millions d'euros, il est douteux que cette mesure soit gagnante pour les exploitations.
Il y a là un élément d'incertitude qui s'ajoute à d'autres, d'une ampleur potentiellement bien supérieure, celles qui viennent de l'existence possible sinon probable de risques de toutes sortes, économiques, climatiques, sanitaires. Cet aspect du budget agricole a fait naître un débat autour de la sincérité budgétaire. Je persiste à estimer qu'il est difficile de fonder un jugement d'insincérité sur la manifestation de risques par nature aléatoires. Mais je note que la dotation de 300 millions d'euros inscrite au budget et présentée comme constituant un progrès de sincérité décisif semble d'ores et déjà quelque peu en retrait par rapport à des risques dont il est presque certain qu'ils auront une traduction financière en 2018. Si insincérité il y avait dans la loi de finances pour 2017, alors insincérité il y a encore pour ce projet de loi de finances pour 2018, cela est très clair. Mais ce débat sur la sincérité ne doit pas être un écran de fumée. L'important est bien que la solidarité nationale s'exerce quand une profession connaît des événements imprévisibles mais, au-delà, que le budget consacré à l'agriculture soit à la hauteur des enjeux.
Je regrette que le budget agricole pour 2018 rompe avec l'élan donné à certaines priorités : la modernisation des exploitations, l'affirmation d'un projet d'agriculture biologique, le maintien d'une agriculture diversifiée, en bref, une ambition de modèle agricole à la française.
La politique forestière me paraît ne pas relever d'une appréciation plus positive. Les crédits sont en repli. Le Gouvernement explique que ceci est dû au bouclage du plan mis en oeuvre à la suite de la tempête Klaus. Mais, compte tenu du reste des dossiers à traiter, et alors même que les ambitions de ce plan auraient sans doute pu être réévaluées, des crédits complémentaires devraient être nécessaires. Dans ce contexte, la budgétisation de la politique forestière pourrait être assez virtuelle, d'autant qu'elle repose sur des anticipations plutôt favorables du prix du bois. Tout ceci conduit à une construction fragile.
Enfin un mot sur la politique de sécurité sanitaire de l'alimentation. Je partage avec Alain Houpert le souhait que nos 61 recommandations pour la refonder soient réellement prises en compte. Je mentionne que nos capacités de surveillance des risques sanitaires restent dépendantes d'une mise à niveau des effectifs. Le précédent Gouvernement y avait pourvu avec la création en trois ans de 180 ETPT destinés à renforcer la surveillance sanitaire dans les abattoirs de volailles qui était très négligée. Le budget pour 2018 ne confirme pas cet effort. Je le regrette d'autant plus que nous sommes confrontés à des crises sanitaires régulières et particulièrement graves et à des situations de limite de capacités avec l'extension de déserts vétérinaires sur le territoire.
En définitive, le budget de l'agriculture pour 2018 proposé par le Gouvernement ne me convainc pas pleinement. L'orientation générale m'amène à m'interroger sur plusieurs points : le poids des allègements de cotisation obligatoire, sans évaluation d'impact, est selon mois hasardeux. Néanmoins, plusieurs progrès ou continuités budgétaires méritent, si je puis dire, que pour ce premier budget de l'agriculture du nouveau quinquennat, un vote négatif soit rejeté. La structuration proposée pour les crédits de cette mission n'est pas totalement incohérente avec ce qui a été fait dans le passé. En ce sens et sans être pleinement convaincu, je vous propose donc, mes chers collègues, de vous abstenir sur les crédits de la mission.