Intervention de Jean Bizet

Réunion du 3 juin 2010 à 9h30
Loi de finances rectificative pour 2010 — Adoption définitive d'un projet de loi

Photo de Jean BizetJean Bizet, président de la commission des affaires européennes :

Permettez-moi, en préambule, de m’associer pleinement aux compliments que M. le rapporteur général vous a adressés, madame la ministre, et de vous saluer tout particulièrement, monsieur le ministre.

Monsieur le président, madame, monsieur le ministre, mes chers collègues, voilà moins d’un mois, nous examinions ici même un projet de loi de finances rectificative pour résoudre une crise précise, la crise grecque.

Aujourd’hui, nous sommes saisis d’un nouveau projet de loi de finances rectificative qui vise à traiter le même problème, mais d’une manière générale puisqu’il s’agit d’assurer la stabilité de la zone euro dans son ensemble.

On peut porter des appréciations diverses sur la manière dont ce problème a été traité et sur certaines hésitations, mais le résultat est là : il y a tout lieu de croire que ce mécanisme permettra de dissuader les spéculateurs et de rétablir la confiance.

Il nous faut à présent traiter le problème de fond. La crise résulte non seulement de l’action néfaste de spéculateurs, mais aussi, et surtout, de l’absence d’une réelle gouvernance à l’intérieur de la zone euro.

C’est pourquoi les événements que nous venons de vivre revêtent, paradoxalement, un aspect prometteur, l’Europe étant en train d’en tirer les leçons.

En effet, la tourmente que nous traversons oblige l’Union européenne à réfléchir à son fonctionnement et à prendre position. Chacun le sait, les fondements du projet européen ont d’abord été économiques. La solidarité de fait évoquée par Robert Schuman a progressivement abouti à la mise en place d’une monnaie unique, aujourd’hui partagée par seize États membres. Mais ces solidarités ne peuvent jouer que si chacun des partenaires présente sa situation économique de manière transparente, en se fondant sur des statistiques fiables et des évaluations crédibles.

Personnellement, je conçois le mécanisme européen de stabilisation comme une opportunité de contraindre les États de la zone euro à mettre leurs actes en concordance avec leurs engagements. D’une part, il soustrait à la pression des marchés financiers les États les plus fragiles, alors à même de redresser la situation de leur économie. D’autre part, et surtout, le mécanisme européen arrêté s’accompagne d’engagements de la part de l’ensemble des États de la zone euro à assainir leurs finances publiques.

Selon quelles modalités l’Europe peut-elle se doter d’un gouvernement économique ? Cette question, on le sait, est controversée. Vieille revendication française, la mise en place d’un gouvernement économique européen est longtemps apparue, en particulier aux yeux des Allemands, comme une tentative de constituer un contre-pouvoir face à la Banque centrale européenne, et donc de limiter l’indépendance de cette dernière. La chancelière allemande, Angela Merkel, a toutefois récemment modifié sa position, en évoquant la possibilité de créer un fonds monétaire européen. Celui-ci constituerait, en quelque sorte, le bras armé d’un gouvernement économique européen. Le Conseil européen de mars dernier a confié à son président, Herman Van Rompuy, la tâche d’en préciser les contours possibles. La Commission a récemment formulé des propositions en ce sens, dont la plus commentée vise à instituer un semestre européen. Il s’agirait d’un système de surveillance des grands équilibres budgétaires des États, avant le dépôt des projets de lois de finances devant les parlements nationaux. Cette question mérite débat. Nous devons tous ensemble mener une réflexion sur la manière de concilier le nécessaire respect de nos engagements européens, gage de notre crédibilité économique et financière, et la préservation de la souveraineté nationale, qui s’exprime d’abord par le vote du budget par le Parlement. Il nous faudra préciser la place, indispensable, que doivent occuper les parlements nationaux dans l’élaboration de cette architecture économique européenne globale. Il ne doit y avoir, sur ce point précis, ni ambigüités ni atermoiements. Selon moi, quelles que soient les modalités pratiques retenues, nous devons impérativement parvenir à une meilleure coordination des politiques économiques et budgétaires des États membres de la zone euro, afin que l’union monétaire devienne également une union économique.

Le dispositif conçu au début du mois de mai constitue l’un des premiers éléments mis en place par l’Europe pour améliorer sa gouvernance et rééquilibrer, en son sein, le pouvoir économique. Jusqu’à présent, une trop grande place était accordée aux seules questions monétaires. Nous sommes probablement au commencement d’une période nouvelle, voire d’une Europe nouvelle. L’élaboration du dispositif sera progressive et pragmatique, selon des modalités qui restent encore à définir.

Le mécanisme européen de stabilisation repose, pour l’essentiel, sur les États membres. Il est fortement marqué jusqu’à présent par un caractère intergouvernemental. À cet égard, nous devons nous interroger sur le rôle de la Commission, très en retrait depuis le début de la crise. Force est aussi de le constater, les situations de crise, qui réclament des mesures d’urgence, sont pour l’essentiel traitées entre États membres. En conséquence, les procédures de prise de décisions communautaires se trouvent de facto marginalisées.

Ne nous leurrons pas ! Les obstacles à l’émergence d’un véritable gouvernement économique européen seront nombreux, ne serait-ce que pour des raisons politiques. Je rappelle que, en 2005, la France et l’Allemagne avaient été à l’origine de l’assouplissement de la procédure pour déficit excessif, alors qu’elles y étaient précisément soumises.

Un échec aurait toutefois de graves conséquences. Faute de réformes ambitieuses, nous risquerions en effet un retour en arrière, un repli sur des positions nationales, dont on perçoit mal les perspectives dans un monde globalisé. Je me demande où en serait l’économie grecque, où en serait la Grèce elle-même, si la zone euro n’avait pas fait preuve de solidarité. Les difficultés auxquelles nous sommes confrontées, mes chers collègues, ne relèvent plus de solutions nationales. Pour autant, la réponse européenne ne sera efficace que si elle est pleinement légitime. C’est pourquoi le dispositif de surveillance multilatérale à venir devra faire une large place à la démocratie parlementaire.

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