Intervention de Antoine Lefèvre

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 14 novembre 2017 à 9h05
Projet de loi de finances pour 2018 — Mission « justice » et article 57 ter - examen du rapport spécial

Photo de Antoine LefèvreAntoine Lefèvre, rapporteur spécial :

Les crédits de la mission « Justice », concernent les moyens de la justice judiciaire, de l'administration pénitentiaire et de la protection judiciaire de la jeunesse.

Le Gouvernement propose une augmentation significative des moyens du ministère de la justice, de 3,95 % en 2018, qui se poursuivrait sur toute la période triennale, entre 2018 et 2020. Cette trajectoire témoigne d'une prise de conscience partagée : une remise à niveau des moyens de notre système judiciaire est indispensable. Même les ministères de l'intérieur et de la défense ne sont pas aussi bien traités. Pour autant, les résultats demeurent mitigés, avec une surpopulation carcérale en hausse, notamment dans les maisons d'arrêt, et un allongement des délais de traitement des contentieux.

Par ailleurs, les comparaisons européennes demeurent frappantes : alors qu'en France, on compte 10 juges pour 100 000 habitants, ils sont 24 en Allemagne et 19 au Portugal. De même, alors que notre pays consacre 72 euros par habitant à ses juridictions, ce montant s'élève à 95 euros en Italie et jusqu'à 146 euros en Allemagne.

La moitié des 330 millions d'euros supplémentaires dont bénéficierait la mission « Justice » est destinée aux dépenses de personnel. Il s'agit ainsi de financer à la fois les recrutements intervenus l'année dernière mais aussi les créations de postes prévus l'année prochaine. En effet, 1 000 emplois seraient créés en 2018, notamment pour renforcer les effectifs de surveillants pénitentiaires.

Je doute, cependant, que ce plan de recrutements ambitieux suffise à améliorer la situation, notamment en raison du manque d'attractivité de certains métiers du ministère de la justice. Les surveillants pénitentiaires sont particulièrement concernés, avec un taux de vacance de près de 7 % en 2016 et des difficultés à recruter.

Mais c'est aussi le cas des fonctionnaires des services judiciaires, dont le taux de vacances s'élève à plus de 7 % au 1er janvier, contre 4,5 % en 2008. La situation est particulièrement préoccupante dans les cours d'appel de Paris et de Versailles. La direction du tribunal de grande instance de Bobigny, que j'ai rencontrée, m'a ainsi fait part de sa difficulté quotidienne à assurer la continuité du service de l'action judiciaire, notamment en raison du manque de greffiers.

Si le plan de transformation numérique du ministère, prévu dans ce projet de budget, pourrait contribuer à sa modernisation, il ne sera pas suffisant : le ministère de la justice enregistre en effet un retard considérable en matière d'équipements et de logiciels informatiques ; en outre, l'informatique ne constitue qu'un outil, certes susceptible de produire des gains de productivité, mais qui ne saurait remplacer des réformes d'organisation ou de procédure.

Les dépenses immobilières des juridictions augmentent de 17,5 %, soit plus de 70 millions d'euros, dont plus de 50 millions d'euros en raison de la mise en service, en 2018, du nouveau Palais de justice de Paris, sur le site des Batignolles. En vertu du contrat de partenariat public-privé, le coût total prévisionnel des loyers, prévus sur une période de 27 ans, s'élèvera à 2,3 milliards d'euros.

Au contraire, l'immobilier pénitentiaire enregistre une réduction de ses dépenses, ce qui s'explique notamment par la fin d'importants chantiers de rénovation, partiellement compensée par les premiers versements de loyers au titre du partenariat public-privé concernant la prison de La Santé, qui devrait être livrée en juin prochain.

Néanmoins, une enveloppe de 26 millions d'euros serait consacrée aux projets de construction de nouveaux établissements (cinq maisons d'arrêt et six quartiers de préparation à la sortie), conformément au projet du Président de la République de construire 15 000 places de prison sur les dix prochaines années.

Le renchérissement de l'aide juridictionnelle (dont le montant progresse de 7 %, soit 31 millions d'euros), est dû au coût des réformes passées, en particulier la revalorisation de l'unité de valeur à partir de laquelle est calculée la rétribution de l'avocat.

La prévision concernant les frais de justice paraît assez ambitieuse : l'augmentation de 10 millions d'euros résulte d'une hausse tendancielle de plus de 40 millions d'euros, qui serait en partie compensée par des mesures d'économies, dont 15 millions d'euros grâce à l'utilisation de la plateforme nationale des interceptions judiciaires (PNIJ).

C'est désormais cette plateforme que doivent utiliser les enquêteurs pour réaliser les écoutes ordonnées par le juge. Si la PNIJ permet effectivement de réduire les frais de justice, puisqu'elle réduit les tarifs des réquisitions adressées aux opérateurs et met fin aux dépenses de location de matériel, les utilisateurs (et en premier lieu les services enquêteurs) se plaignent de dysfonctionnements, du manque de certains outils ou encore de défauts d'ergonomie.

Des crédits sont prévus pour initier une deuxième version de la PNIJ, qui devrait permettre de se dégager, au moins en partie, de Thalès, d'introduire davantage de concurrence voire de reprendre en charge au sein du ministère certains éléments du programme.

Les informations communiquées par le secrétariat général du ministère de la justice sont plutôt encourageantes, notamment depuis qu'un référé de la Cour des comptes a conduit le Premier ministre à porter ce sujet au niveau interministériel. Toutefois, ce projet stratégique mérite toute notre attention.

Enfin, je terminerais sur les projets de la protection judiciaire de la jeunesse : 40 éducateurs supplémentaires seraient recrutés, afin notamment de renforcer le milieu ouvert. Je note à ce titre que la promesse du Président de la République de construire des centres éducatifs fermés supplémentaires n'est pas budgétée : ces centres, qui constituent une alternative à l'incarcération des mineurs, enregistrent un coût de journée élevé (659 euros en moyenne), et une évaluation ainsi qu'une estimation précise des besoins devraient être réalisées avant toute prise de décision.

Telles sont les principales remarques que je souhaitais faire sur ce projet de budget. Je vous propose donc d'émettre un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Justice ».

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