Intervention de Jean-Baptiste Lemoyne

Réunion du 21 novembre 2017 à 15h10
Avenir de l'institut français — Débat organisé à la demande de la commission de la culture et de la commission des affaires étrangères

Photo de Jean-Baptiste LemoyneJean-Baptiste Lemoyne :

Madame la présidente, madame la présidente de la commission de la culture, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, mesdames, messieurs les sénateurs – chers collègues, allais-je dire ! –, j’ai grand plaisir à m’exprimer à cette tribune, à prendre connaissance des travaux que vous avez conduits et à entendre vos recommandations.

Ce débat vient au bon moment, dans la mesure où, vous l’avez signalé, un certain nombre de réflexions ont été engagées et différents rapports publiés : il est utile que le Gouvernement puisse s’en inspirer. Je citerai le rapport sur le contrat d’objectifs et de moyens de Jacques Legendre et Hélène Conway-Mouret qui, à l’époque, avait quelque peu sonné l’alarme, tout comme le rapport de Louis Duvernois sur la francophonie. De plus, les interventions qui viennent d’avoir lieu seront suivies d’autres.

Nous sommes réunis autour d’un sujet majeur, celui de l’influence, du rayonnement de notre langue et de notre culture, auquel, vous le savez, le Président de la République attache un soin particulier : il a eu l’occasion de s’exprimer lors de la Conférence des ambassadeurs le 29 août dernier, en annonçant son souhait de mettre en place un plan ambitieux de promotion de la langue française, de défense du plurilinguisme. En effet, nous sommes dans un monde ouvert et la langue française est elle-même ouverte, véritable passerelle vers autant de cultures qui en sont des affluents. Dans le contexte de l’élaboration de ce plan, toutes vos réflexions sont précieuses.

Ont notamment été évoqués les moyens. Mme la présidente Morin-Desailly et Claude Kern ont signalé une paupérisation sur le terrain, ainsi que le besoin « d’actes sonnants et trébuchants ». Il est vrai, nous en avons débattu à l’Assemblée nationale lors de l’examen du budget, que le ministère des affaires étrangères a beaucoup contribué au rétablissement des finances publiques ces dernières années. On en arrive – pardonnez-moi cette expression triviale – à être un peu à l’os.

Si nous voulons conserver notre ambition, celle d’une diplomatie véritablement universelle, qui constitue un réseau très dense – vous êtes, en tant que sénateurs et sénatrices, souvent amenés à rencontrer les diplomates, les conseillers culturels et le monde associatif travaillant avec ce réseau –, nous ne pouvons continuer cette spirale de baisses de moyens, y compris humains, car ces acteurs sont très sollicités et font des miracles avec ce qu’ils ont à leur disposition.

On pourrait toujours faire mieux, mais le Gouvernement a tenu à stabiliser en 2018 la subvention à l’Institut français. C’est un premier coup d’arrêt à une baisse qui avait lieu depuis plusieurs années.

Nous serons vigilants pour que, dans le cadre du programme 185, aux côtés d’autres priorités telles que les bourses ou l’AEFE, c'est-à-dire l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger, l’Institut français puisse bénéficier des moyens nécessaires pour déployer une véritable diplomatie culturelle ambitieuse et audacieuse, qui nous permette de tenir notre rang. Au reste, il faut le souligner, cet été, une université américaine a estimé que nous étions au premier rang des pays les plus influents. Nous devons partager ces lauriers avec tous ceux qui œuvrent au quotidien pour la diffusion de la culture, de la langue et des valeurs que nous véhiculons.

Claude Kern a évoqué les coopérations qu’il faudrait conclure avec un certain nombre de pays voisins et amis, tels que l’Allemagne ou les pays francophones.

Des actions sont conduites avec l’Allemagne, notamment au travers du réseau unique des instituts culturels nationaux de l’Union européenne, dont nous allons prendre la présidence à l’été prochain, ce qui nous donnera l’occasion d’apporter des messages importants.

Nous travaillons aussi avec le Goethe-Institut dans le cadre du Fonds culturel franco- allemand, qui encourage des initiatives de coopération culturelle en pays tiers, conduites conjointement par les deux réseaux diplomatiques français et allemand. Par exemple, le programme franco-allemand Africalab Adaya sur le continent africain met en relation les jeunes entrepreneurs culturels de cinq pays d’Afrique de l’Ouest. Cette volonté d’agir ensemble peut être amplifiée, je le concède, mais l’Institut y est très ouvert.

En revanche, nous avons encore des marges de progression sur la coopération avec nos amis francophones. Renseignements pris, puisque vous avez évoqué ce sujet, je me suis tourné vers nos amis du Quai d’Orsay pour m’assurer que nous travaillions avec d’autres instituts comme le Centre culturel canadien. C’est en réalité assez rare ; donc, dans le cadre du plan que nous élaborons pour répondre au souhait du Président de la République, nous devons mettre l’accent sur ce point.

Mme la présidente Morin-Desailly a évoqué le rapprochement entre l'Institut français et la Fondation Alliance française, qui figurait au cœur de l’intervention d’André Vallini. Ce sujet, complexe, mérite à tout le moins un sens diplomatique aigu. C’est pourquoi l’ambassadeur de France Pierre Vimont a été missionné. Il a consulté les différentes parties prenantes et devrait publier son rapport assorti de préconisations dans quelques semaines.

Il faut permettre une meilleure synergie, mais ne pas se précipiter sur des idées simplistes. Tout cela doit avoir du sens : les alliances et les instituts sont malheureusement parfois en concurrence, notamment pour des raisons – j’ai quelque pudeur à employer un terme anglais dans cet hémicycle – de business model, puisque les cours de français contribuent au financement des différents acteurs. On pourrait vouloir rationaliser, mais cela suppose d’enlever des moyens à l’un des acteurs. Réfléchissons-y avec attention.

Le modèle des alliances françaises s’appuie sur les initiatives locales, qu’il ne faut pas décourager. Certes, il peut y avoir un cadre défini de Paris, quelle que soit l’instance de tête, mais il est important que les membres qui font vivre les alliances françaises sur le terrain aient leur voix au chapitre à l’échelon national. Ce sont elles qui, au quotidien, parviennent à mobiliser des moyens, du mécénat, ce qui manque parfois, tant pour la Fondation Alliance française – elle reconnaît d'ailleurs son échec de ce point de vue – que pour l’Institut français, pour qui les ressources propres de ce type restent assez résiduelles, de l’ordre de 11 %. C’est vous dire si l’enjeu de la mobilisation de ces ressources est important.

Robert del Picchia a évoqué les synergies avec les autres opérateurs, notamment dans le monde de l’audiovisuel : TV5 Monde et France Médias Monde sont mobilisés, de même que RFI. J’ai en tête la semaine de la langue française, à laquelle sont associées les rédactions de France Médias Monde et de RFI, ou un certain nombre de prix décernés ensemble, tels que le prix « découverte » et le prix « théâtre ».

Des conventions avec TV5 Monde prévoient des collaborations autour des saisons culturelles croisées, pour lesquelles on ne peut que tirer notre chapeau à l’Institut qui réussit à les conduire avec maestria. On se souvient tous de l’Année France-Colombie, qui a été une réussite. Nous préparons France-Israël, puis France-Roumanie.

Message reçu, mesdames, messieurs les sénateurs ! Vous avez émis le souhait d’une diplomatie culturelle ambitieuse qui permette à la France de jouer un rôle important dans ce monde multipolaire, où elle a une voix différente à porter et à faire partager. Une langue, c’est aussi un point de vue sur le monde. Il nous appartient, ensemble, de lui donner les moyens nécessaires.

Les quelque vingt interventions qui vont suivre seront autant d’éléments pour enrichir les réflexions du Gouvernement, qui est venu ici puiser à bonne source.

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