Tout d’abord, le groupe du RDSE tient à remercier Françoise Gatel, rapporteur pour la commission des lois, pour son travail, même si Alain Bertrand eût préféré examiner une proposition de loi, ce qui était son projet initial.
J’aimerais vous présenter les motifs de la présentation de cette proposition de loi, que nous avons accepté de transformer en débat.
Plusieurs maires et maires délégués nous ont saisis, dans nos territoires, du problème de la représentativité à long terme des communes déléguées au sein des communes nouvelles.
Pour les élections municipales prévues en 2020, il est prévu une baisse importante du nombre de conseillers municipaux des communes nouvelles, ce qui suscite une certaine inquiétude chez les élus locaux.
Dans les chartes de communes nouvelles, cette représentativité des communes déléguées est souvent exprimée. Pour autant, elle ne revêt aucun caractère obligatoire, ce qui relativise cette représentativité.
Les effets sur l’effectif du conseil municipal de la commune nouvelle sont lissés dans le temps.
Dans un premier temps, entre la création de la commune nouvelle et le renouvellement du conseil municipal, c’est-à-dire, pour les communes nouvelles déjà créées, jusqu’en 2020, l’article L. 2113–7 du code général des collectivités territoriales dispose : « Jusqu’au prochain renouvellement suivant la création de la commune nouvelle, le conseil municipal est composé […] de l’ensemble des membres en exercice des conseils municipaux des anciennes communes […] ».
Ensuite, lors de la deuxième période transitoire, entre 2020 et 2026, pour les communes nouvelles déjà créées, s’appliquera l’article L. 2113–8 du code général des collectivités territoriales, lequel dispose : « […] Lors du premier renouvellement suivant la création de la commune nouvelle, le conseil municipal comporte un nombre de membres égal au nombre prévu à l’article L. 2121–2 pour une commune appartenant à la strate démographique immédiatement supérieure. »
Enfin, à partir de 2026, pour les communes nouvelles déjà créées, le nombre de conseillers sera encore réduit et le nombre des membres du conseil municipal de la commune nouvelle sera celui prévu au tableau de l’article L. 2121–2 du code général des collectivités territoriales pour sa strate démographique.
Lors des prochaines élections municipales de 2020, rien n’obligera donc les listes candidates à comporter des représentants de chacune des communes déléguées formant la commune nouvelle.
De même, en cas de démission ou de décès du maire délégué, seul représentant de sa commune initiale, la représentativité ne sera pas assurée, à partir de 2020, si aucune personne sur la liste n’appartient à la même commune déléguée.
Ce manque de pérennité de la représentativité territoriale a un effet bloquant pour les petites communes qui envisagent d’intégrer ou de créer une commune nouvelle.
À l’inverse, une loi qui assurerait la pérennité de la représentation des communes déléguées permettrait l’aboutissement de nombreux projets de communes nouvelles, les ruraux souhaitant se regrouper et refusant, en revanche, de voir disparaître l’histoire et le patrimoine culturel de leurs anciennes communes, auxquels il est bien normal qu’ils soient attachés.
Les membres de notre groupe, en particulier Alain Bertrand, ont donc pris l’initiative de rédiger la proposition de loi visant à garantir la représentation des communes déléguées au sein des communes nouvelles.
Elle aurait dans sa rédaction initiale, pour les communes de plus de 1 000 habitants, trois conséquences majeures.
Premièrement, la liste des candidats à la commune nouvelle devrait être composée de candidats résidant dans chaque commune déléguée.
Deuxièmement, le maire délégué devrait être choisi parmi les conseillers municipaux résidant dans la commune déléguée.
Troisièmement, un conseiller municipal décédé ou démissionnaire ne pourrait être remplacé que par un candidat résidant dans la même commune déléguée que lui.
De plus, des maires et maires délégués, ainsi que plusieurs collègues sénatrices et sénateurs, nous ont fait remarquer qu’il serait injuste d’appliquer ce dispositif aux seules communes nouvelles de plus de 1 000 habitants.
Le problème est que les conseillers municipaux dans les villes de moins de 1 000 habitants sont élus au scrutin majoritaire, conformément à l’article L. 252 du code électoral.
Avec ce type de scrutin, il est impossible de garantir sur le long terme la représentativité des communes déléguées, puisque l’ordre de la liste peut être modifié par les électeurs. La seule solution, à mes yeux, serait d’appliquer le scrutin de liste à toutes les communes nouvelles, peu importe leur nombre d’habitants.
C’était l’objet d’un excellent amendement qu’Alain Bertrand avait préparé et qu’il comptait vous soumettre aujourd’hui. Ce ne sera malheureusement pas possible, du fait de l’adoption de la motion de renvoi à la commission par la commission des lois.
Je voudrais à présent revenir sur plusieurs observations faites par Mme la rapporteur à Alain Bertrand, lors de son audition, avant la rédaction de son rapport.
Mme la rapporteur insiste sur le fait que la création de communes nouvelles a d’abord pour origine une démarche volontaire des élus, désireux de bâtir ensemble un nouveau destin.
Si nous pouvons être en accord avec ces propos, nous tenons tout de même à préciser qu’avoir un projet commun, vouloir construire ensemble, n’empêche nullement les communes déléguées de souhaiter garder leur identité et s’assurer de la représentation de leur histoire et de leur ancien statut symbolisé par un monument aux morts, une mairie, une église, une école.
Ensuite, Mme la rapporteur juge que les auteurs de la proposition de loi ont peu confiance en la capacité naturelle des communes à assurer le respect de l’identité des anciennes communes déléguées. L’argument avancé est que la législation actuelle laisse plus de liberté, de responsabilité et de souplesse aux communes nouvelles, dont le mode de fonctionnement lui inspire confiance. Sa hauteur de vue l’honore, mais en matière électorale et de pouvoir, mieux vaut « s’assurer » qu’« espérer ».
Note collègue a notamment précisé que, selon elle, comme il était dans l’intérêt des candidats aux municipales de constituer des listes avec des représentants de tous les quartiers, donc de toutes les communes déléguées, la représentation serait assurée naturellement, sans qu’une loi soit nécessaire. Nous estimons, à l’instar d’Alain Bertrand, que cet optimisme n’est pas suffisant ; les conventions passées à l’occasion de la création des communes nouvelles en témoignent !
Prenons un cas illustrant qu’il pourrait en être autrement dans les faits.
Imaginons quatre petites communes A, B, C et D qui souhaitent constituer une commune nouvelle.
La commune A compte 900 habitants et les communes B, C et D ont 50 habitants chacune, ce qui ferait un total de 1 050 habitants pour la nouvelle commune. Il n’y a aucune garantie, à l’heure actuelle, que les communes B, C et D soient représentées au sein du conseil municipal de la commune nouvelle. Il y a, en revanche, une garantie de maintien d’un maire délégué. Et a priori il n’y a aucun intérêt, ou impératif stratégique électoral, pour les candidats issus majoritairement de l’ancienne commune A, la plus importante, de laisser des places éligibles sur leur liste à des candidats issus des communes B, C et D.
Les maires des petites communes veulent des garanties fermes à l’occasion de la création de communes nouvelles.
Le bon sens rural les pousse, car ils connaissent bien les faiblesses de la nature humaine, à demander des garanties sur la représentation historique, patrimoniale et culturelle, fonctionnelle même, afin de garantir leur avenir au sein de la commune nouvelle. Leur demande est ordinaire et légitime.
Je ne prétends pas que notre texte était parfait, mais nous aurions pu probablement ensemble, avec un peu de bonne volonté, trouver les moyens de l’améliorer.
Pour autant, nous pouvons nous satisfaire qu’il soit l’occasion de lancer le débat, et que chacun d’entre nous reconnaisse qu’un ajustement du régime juridique des communes nouvelles est nécessaire, et cela rapidement, avant 2020.
La création d’une commune nouvelle ne signifie pas la disparition des prérogatives et des droits attachés au passé et à la formation de l’avenir, pour certaines parties de territoire. Ce serait contraire à l’esprit même qui préside à la création des communes nouvelles : quelques garanties nous sont demandées, il est de la responsabilité du Sénat de les proposer et de les insérer dans la loi.
J’observe de surcroît qu’au terme de l’excellent travail de Françoise Gatel et de l’examen en commission, il a été reconnu qu’en l’état actuel de la loi certaines communes déléguées ne pourraient pas être représentées dans la commune nouvelle : « Dans certains cas il n’y aurait pas assez de sièges à pourvoir pour assurer la représentation de l’ensemble des communes déléguées. Ce serait le cas, par exemple, d’une commune nouvelle composée de 16 communes mais dont le conseil municipal compterait seulement quinze conseillers. »
De même, les cas de « remplacement » du conseiller municipal par le suivant de liste résidant dans la même commune, ou l’élection du maire délégué parmi les élus de la commune déléguée, tombent sous le sens et peuvent être prévus par quelques ajustements juridiques.
Au total, rien ne s’oppose à ce que nous aboutissions, car c’est un sujet important.