Intervention de Jacqueline Gourault

Réunion du 22 novembre 2017 à 22h00
Modalités de dépôt de candidature aux élections — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Jacqueline Gourault, ministre auprès du ministre d'État, ministre de l'intérieur :

Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, la Haute Assemblée a souhaité inscrire à l’ordre du jour de ses travaux la proposition de loi relative aux modalités de dépôt de candidature aux élections, adoptée par l’Assemblée nationale le 1er février dernier.

À l’époque, le Gouvernement avait émis un avis favorable sur ce texte, déposé par Laurence Dumont et Bruno Le Roux, qui vise à garantir le caractère volontaire des déclarations de candidature pour empêcher que des personnes ne se retrouvent candidates « malgré elles ».

Avant d’évoquer le contexte et le contenu de ce texte, je souhaite m’arrêter un instant sur ces candidats malgré eux. De quoi parlons-nous ? De personnes qui, sous l’effet de manœuvres frauduleuses, figurent contre leur gré dans une déclaration de candidature. Ces personnes, souvent âgées, ont signé à leur insu le formulaire CERFA de candidature, alors que celui-ci leur a été présenté comme une pétition, un parrainage ou même une demande d’inscription sur les listes électorales.

Ces irrégularités, qui concernent principalement les scrutins de liste et, de manière plus marginale, les scrutins majoritaires uninominaux ou plurinominaux, sont le fait de candidats qui, ne trouvant pas de suppléant ou un nombre suffisant de candidats volontaires pour déposer une liste complète, choisissent alors, de manière délibérée, de compléter leur candidature en y inscrivant des personnes sans leur consentement.

Les conséquences de ces manœuvres frauduleuses sont lourdes.

Pour les candidats malgré eux, cela se traduit par l’impossibilité de retirer leur candidature dès lors que le délai de dépôt est forclos ou lorsque la déclaration de candidature a été déposée auprès des services de l’État. Cela se traduit également par l’impossibilité d’obtenir le retrait de la propagande électorale et des bulletins de vote sur lesquels figure leur nom, ce qui est extrêmement préjudiciable lorsqu’ils ne partagent pas les principes et valeurs du candidat titulaire ou tête de liste.

Pour les électeurs, ces fraudes sont susceptibles d’altérer le sens du vote, mais, surtout, alimentent une défiance à l’égard du système électoral.

Pour les autres candidats au scrutin, ces manœuvres introduisent des inégalités dans la constitution des candidatures. Pour ceux qui ont gagné l’élection, elles constituent un préjudice lorsqu’elles conduisent à l’annulation du scrutin.

Mesdames, messieurs les sénateurs, il s’agit d’un sujet qui, en touchant à la sincérité du scrutin, est au cœur de notre démocratie. C’est pourquoi le Gouvernement se félicite que la Haute Assemblée s’en soit emparée pour en débattre.

Ces manœuvres frauduleuses ne sont pas récentes, comme en témoigne l’annulation d’élections pour ce motif par le juge administratif dans les années quatre-vingt-dix. Plus récemment, lors des élections municipales de 2014, une quarantaine de cas ont été recensés par le ministère de l’intérieur dans plusieurs départements : la Seine-Maritime, le Calvados, la Seine-Saint-Denis, la Haute-Savoie… Des cas ont également été signalés lors des élections départementales de mars 2015 et des élections régionales de décembre 2015.

Ces manœuvres ont pu conduire à des rectifications ou annulations partielles ou totales de scrutins et à de nouvelles élections. Par une décision du 4 février 2015, le Conseil d’État a par exemple confirmé l’annulation du scrutin municipal de Vénissieux de mars 2014 prononcée par le tribunal administratif de Lyon, compte tenu des écarts de voix constatés.

Au-delà de l’insécurité juridique et du contentieux, ces irrégularités portent atteinte à la confiance des électeurs dans le système électoral et la classe politique et doivent donc être fermement combattues. Une première tentative avait du reste eu lieu, avec la proposition de loi déposée en 2003 par le député Jacques Masdeu-Arus.

Jusqu’à présent, ce combat était mené a posteriori par le biais de sanctions pénales et de sanctions prononcées par le juge de l’élection. La proposition de loi dont nous débattons aujourd’hui va plus loin, car elle permet d’agir en amont de ces fraudes en garantissant le caractère volontaire des déclarations de candidature.

Ainsi, le texte prévoit de formaliser le consentement des candidats à travers deux dispositions.

Il s’agit, d’une part, d’ajouter, sous la signature du formulaire CERFA de déclaration de candidature, une mention manuscrite de chaque candidat par laquelle celui-ci consent à se porter candidat aux élections. Le responsable de la liste ou le candidat au poste de titulaire sera nommément cité dans cette mention manuscrite.

Il s’agit, d’autre part, pour chaque candidat, de transmettre la copie d’un justificatif d’identité dans les pièces nécessaires au dépôt de la candidature.

Certains d’entre vous pourront estimer que ces dispositions constituent de nouvelles formalités pour les candidats, alors même, et c’est un objectif du Gouvernement, que les modalités de dépôt de candidature sont parfois complexes et pourraient faire l’objet de simplifications.

Je peux comprendre de telles inquiétudes, mais je souhaite apporter les précisions suivantes.

L’apposition d’une mention manuscrite sous la signature du formulaire CERFA ne me paraît pas une formalité excessive, mais constitue, au contraire, un mécanisme simple d’expression du consentement. S’il est simple, il n’est en revanche pas suffisant pour garantir le caractère volontaire d’une candidature, dès lors que cette mention manuscrite peut être apposée de manière frauduleuse par le candidat titulaire ou tête de liste après la signature du formulaire CERFA.

C’est pourquoi la transmission de la copie d’une pièce justificative d’identité est une condition indispensable pour garantir le consentement du candidat. En effet, c’est la seule pièce à caractère personnel que ne peut se procurer le candidat titulaire ou tête de liste à l’insu de la personne concernée. Elle diverge en cela de l’attestation d’inscription sur les listes électorales que les candidats doivent fournir et qui, en étant un document communicable au sens de la Commission d’accès aux documents administratifs, la CADA, peut être sollicitée par un tiers sans le consentement de l’intéressé.

Ainsi, mesdames, messieurs les sénateurs, la proposition de loi prévoit un mécanisme procédural simple et efficace auquel les membres du Gouvernement sont favorables. Nous veillerons à ce que sa mise en œuvre réglementaire réponde à ces deux exigences de simplicité et d’efficacité.

Le Gouvernement est d’autant plus favorable à ce texte que celui-ci a été enrichi par la commission des lois de la Haute Assemblée dont je veux saluer le travail ainsi que celui de son rapporteur, M. Didier Marie. En étendant le périmètre du texte aux élections municipales dans les communes de moins de 1 000 habitants, à l’élection des conseillers de la métropole de Lyon, à celle des instances représentatives des Français établis hors de France et à l’ensemble des élections des collectivités ultramarines, c’est la sincérité de l’ensemble des scrutins qui se trouve ainsi renforcée. Il en est de même pour la transmission d’un justificatif d’identité pour les candidats et suppléants aux élections législatives, départementales et sénatoriales.

Fallait-il pour autant une loi pour apporter ces garanties supplémentaires au caractère volontaire des candidatures ? Je sais que ce point a fait débat au sein de la commission des lois et je tiens à répondre dès à présent à cette question par l’affirmative.

Sur le plan juridique, poser le principe de dispositions, telles qu’un justificatif d’identité, visant à garantir le consentement des candidats dans un domaine touchant à la sincérité des scrutins relève pleinement du domaine de la loi, tandis qu’il appartient au pouvoir réglementaire d’en fixer les modalités et la nature.

Sur le plan politique, la gravité du sujet et les solutions pouvant être apportées ne souffriraient pas l’absence d’un débat parlementaire. Alors que les enjeux liés à la sincérité du scrutin se trouvent au cœur de la vie démocratique, concernent l’ensemble des élus et ceux qui souhaitent le devenir, le Gouvernement n’entend pas faire l’économie de ce débat, économie qui n’aurait pas manqué de lui être reprochée.

Un autre sujet de discussion concerne l’amendement du sénateur Jean-Pierre Grand visant à ajouter deux noms sur les listes de candidats aux élections municipales dans les communes de plus de 1 000 habitants. Si ce sujet n’est pas au cœur du texte examiné aujourd’hui, le Gouvernement ne saurait ignorer les difficultés qui surviennent lorsqu’un maire démissionne alors que le conseil municipal est incomplet. Ces difficultés sont d’autant plus prégnantes dans les petites communes où une seule liste s’est présentée.

Toutefois, l’amendement déposé par Jean-Pierre Grand soulève une difficulté, en particulier pour les petites communes qui sont nombreuses à connaître une crise des vocations. Augmenter de deux le nombre de candidats sur la liste rendrait encore plus difficile l’établissement de listes complètes pour ces communes. C’est pourquoi, dans une approche équilibrée, le Gouvernement défendra un amendement visant à rendre ces dispositions optionnelles.

En revanche, le Gouvernement ne saurait approuver des dispositions tendant à encadrer l’enregistrement et la communication des informations relatives aux nuances politiques.

Sur ce sujet – j’aurais l’occasion d’y revenir lors de l’examen des amendements –, je souhaite insister sur le fait que les nuances politiques sont utilisées par l’administration depuis la IIIe République.

Chaque nuance est attribuée par les services déconcentrés de l’État, à leur plus haut niveau, en fonction d’éléments objectifs parmi lesquels figurent notamment les investitures délivrées par les partis politiques.

Dans la mesure où ces nuances ne sont pas communiquées aux électeurs, elles n’altèrent en rien la sincérité du scrutin, comme le Conseil d’État l’a indiqué à plusieurs reprises, en 2003 et en 2015, dans sa jurisprudence.

S’agissant du traitement de données personnelles, la CNIL, la Commission nationale de l’informatique et des libertés, s’est prononcée sur la finalité des nuançages dans sa délibération du 19 décembre 2013 : « Cette nuance, attribuée par l’administration, vise à placer tout candidat ou élu sur une grille politique représentant les courants politiques et se distingue ainsi des étiquettes et des groupements politiques. Elle permet aux pouvoirs publics et aux citoyens de disposer de résultats électoraux faisant apparaître les tendances politiques locales et nationales et de suivre ces tendances dans le temps. »

En outre, les modalités de communication et de diffusion de ces nuances sont, depuis le décret du 9 décembre 2014, déjà encadrées. Ainsi, tout candidat à une élection peut demander à l’administration communication de la nuance qui lui a été attribuée. En cas de désaccord, il peut également en demander la rectification. Il s’agit là de dispositions essentielles, qui répondent pleinement aux exigences soulevées.

Tel est, mesdames, messieurs les sénateurs, l’état d’esprit dans lequel le Gouvernement aborde ce débat, un état d’esprit constructif et équilibré, qui vise à établir des mécanismes simples et efficaces pour garantir le caractère volontaire des candidatures aux différents scrutins, sédiment essentiel de la confiance des électeurs dans leurs représentants et dans notre démocratie.

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