Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le texte examiné aujourd’hui est auréolé d’une unanimité assez rare pour être soulignée. En effet, peu d’entre nous trouveront des objections à formuler contre la proposition de faciliter la vérification du consentement des candidats au dépôt de leur candidature à une élection.
Pour nous qui sommes tous des élus de la République et qui avons choisi de le devenir, l’existence de « candidats malgré eux » est révoltante. Mes mots ne sont pas assez durs pour condamner les agissements de ceux qui, entravés dans l’établissement de listes de candidats par la faible qualité fédératrice des idées qu’ils répandent, usurpent l’identité politique de malheureux concitoyens afin de satisfaire leurs desseins stratégiques.
Cette pratique dénote un mépris des institutions démocratiques qui fondent notre contrat social et altère la sincérité des scrutins. Elle affecte donc chaque citoyen de ce pays. C’est également une injure jetée au visage de l’ensemble des élus, qui consiste à minorer la sincérité de leur engagement et à sous-estimer la charge des responsabilités leur incombant quotidiennement, en laissant croire que ceux-ci procèdent du hasard ou du concours de circonstances.
Comme le rappelle M. Marie dans son rapport, cette pratique reste heureusement exceptionnelle au regard des milliers de candidatures que rassemblent la totalité des élections régulièrement organisées dans notre pays. Plusieurs condamnations sont intervenues a posteriori, une fois ces usurpations dénoncées. Nous ne sommes donc pas totalement démunis face à de tels agissements, mais les sanctions interviennent trop tard.
Les auteurs de ce texte proposent d’allonger la liste des pièces nécessaires au dépôt de candidature et d’accroître le formalisme. Cela devrait permettre de renforcer le contrôle a priori, lors du dépôt, sans représenter une charge excessive ni pour les candidats ni pour les préfectures.
Les améliorations apportées par la suite par notre rapporteur contribuent utilement à uniformiser les exigences applicables aux différentes élections et comblent les lacunes du texte issu de l’Assemblée nationale.
Pour autant, les textes en vigueur contiennent d’autres défauts. M. Grand a très justement mis en lumière un certain nombre de problèmes auxquels des solutions devront rapidement être apportées. Je pense notamment à la question de l’étiquetage politique par les préfectures. Nous avons pour notre part concentré nos réflexions sur la question précise du contrôle de la validité des candidatures déposées et sur l’étude des sanctions du responsable de liste en cas de manquement.
Les faits divers évoqués permettent de mettre en évidence au moins deux lacunes de notre droit et de nos usages.
J’évoquerai en premier lieu l’insuffisante responsabilisation des candidats têtes de liste. Selon les élections, les dispositions sont plus ou moins claires à ce sujet. C’est pourquoi nous souhaiterions clarifier et uniformiser les pratiques, en prévoyant que, pour les scrutins de liste, chaque tête de liste soit entièrement responsable du dépôt des candidatures de l’ensemble des membres de la liste et d’un premier contrôle des conditions d’éligibilité. Cela implique de les priver de leur faculté de déléguer juridiquement cette mission, ce qui ne paraît pas être une charge excessive dans des circonscriptions au périmètre géographique restreint. Il n’est pas question de les empêcher de se faire assister dans la pratique, mais eux seuls devraient en porter la responsabilité juridique.
Dans le cas des scrutins de liste, il est nécessaire de revivifier l’esprit de démarche collective, comme l’a également souligné la députée Laurence Dumont dans son rapport. La suppression des intermédiaires que sont les délégataires et les mandataires permettrait de créer du liant avec les autres membres de la liste et pourrait contribuer à réhabiliter le candidat en tête de liste.
En second lieu, j’évoquerai le problème lié à la situation particulière de certains de nos concitoyens plus vulnérables en raison de leur état de santé fragile. Le cas de « candidats malgré eux » très âgés a également été évoqué. Bien que la question de la santé des femmes et des hommes politiques soit encore taboue, il est important de s’assurer que ces vulnérabilités ne se trouvent pas exploitées alors même que des jugements les identifient objectivement. À l’heure actuelle, rien ne permet aux services de l’État en charge du contrôle d’éligibilité des candidats de vérifier s’ils ne font pas l’objet de mesures de tutelle ou de curatelle.
Des interrogations subsistent également sur la capacité de ces services à contrôler a priori le respect des peines d’inéligibilité, bien que ce sujet nous éloigne des « candidats malgré eux ».
Nous considérons enfin que le renforcement du contrôle a priori de la validité des candidatures devrait pallier en partie les limites du contrôle a posteriori exercé par le juge des élections. Il est regrettable que des élections puissent être annulées pour des motifs tenant à la personne du candidat qui auraient pu faire l’objet de vérifications en amont. L’annulation, et plus encore la rectification d’un scrutin par un juge, parfois assimilée à une tentative de sauvetage des apparences, contribue à alimenter les discours démagogiques destinés à fragiliser nos institutions démocratiques. Le cas des « candidats malgré eux », où la fraude électorale se double d’actes pénalement répréhensibles, ravive également immanquablement la question de la coopération entre le juge administratif, juge de l’élection, et les juridictions pénales.
En définitive, nous considérons que ce texte est un premier jalon utile, mais qu’un débat plus vaste sur la rénovation de nos règles électorales doit avoir lieu.