Il me revient de vous présenter les crédits relatifs au transport aérien pour l'année 2018.
Ces crédits figurent, pour l'essentiel, dans le budget annexe « contrôle et exploitation aériens », qui retrace les moyens alloués à la Direction générale de l'aviation civile (DGAC) pour lui permettre d'effectuer ses missions de régulation et de contrôle du transport aérien, ainsi que dans la mission « Écologie, développement et mobilité durables ».
L'examen de ce budget est toutefois l'occasion de faire, chaque année, un panorama de l'actualité du secteur aérien, de sa santé économique, et de ses perspectives d'évolution.
Cette année, outre l'examen du budget du contrôle aérien, j'ai choisi de centrer mon rapport sur deux thématiques.
La compétitivité du transport aérien français, d'une part, un sujet que j'ai déjà abordé dans mon précédent rapport mais qui est essentiel si l'on veut que le pavillon français tire le meilleur profit de la croissance du trafic aérien.
La contribution du secteur aérien à la lutte contre le réchauffement climatique, d'autre part, qui est un sujet assez méconnu sur lequel des initiatives récentes ont été adoptées au plan national et international.
Avant d'approfondir ces questions, permettez-moi de vous présenter quelques éléments de contexte.
Le secteur aérien est porté, si j'ose dire, par des vents favorables. Tout d'abord, le trafic aérien continue à progresser de manière significative. En 2017, cette croissance devrait atteindre 7,4 % au niveau mondial et 4 % au niveau national.
Après une année 2016 post attentats difficile, la France voit donc repartir à la hausse le trafic aérien, essentiellement du fait de la croissance du transport international. Cette hausse profite tant aux aéroports parisiens qu'aux aéroports de province.
Les entreprises de transport aérien bénéficient en outre d'un prix du carburant qui reste faible, malgré sa remontée depuis 2016.
Profitant de ces fondamentaux positifs, les compagnies aériennes françaises voient leur situation économique et financière s'améliorer. Sur les neuf premiers mois de l'année 2017, Air France a ainsi réalisé un résultat d'exploitation de 545 millions d'euros, contre 326 millions d'euros l'année dernière.
Après une année 2016 mouvementée sur le plan social, et l'échec de l'adoption du plan de croissance « Perform 2020 » qui prévoyait la réalisation d'importants gains de productivité pour faire baisser les coûts unitaires, la direction d'Air France a présenté un nouveau plan « Trust Together » en novembre 2016, dont la mesure emblématique est la création d'une nouvelle compagnie assurant des vols moyens et long-courriers.
Après plusieurs mois de négociations, un accord a été signé avec les organisations syndicales en juillet, en vue de lancer cette nouvelle compagnie, baptisée « Joon », qui démarrera ses activités le 1er décembre prochain avec des vols pour Barcelone, Berlin, Porto et Lisbonne. Tout en restant dans les standards d'Air France en termes de qualité d'offre, cette compagnie proposera des services spécifiques destinés à cibler la clientèle des « millenials » (c'est à dire les 18-35 ans). Les pilotes seront ceux d'Air France. En revanche, les personnels navigants commerciaux (PNC) seront recrutés par la nouvelle compagnie avec des conditions de travail et de rémunération moins avantageuses que celles des salariés d'Air France - 1 000 embauches sont prévues d'ici 2021.
Par ailleurs, la compagnie aérienne French Blue, poursuivra le développement de son offre low cost sur des long-courriers, et proposera à partir de mai 2018 un nouveau vol Paris Tahiti.
Ces différents projets montrent que les compagnies aériennes françaises poursuivent une stratégie de conquête de marché, ce qui est un signal encourageant.
Si le pavillon français va mieux, sa situation économique demeure fragile. En effet, les compagnies françaises pâtissent toujours d'un différentiel de compétitivité par rapport à leurs concurrents, en particulier vis à vis des compagnies low cost et des compagnies du Golfe.
Cela est particulièrement visible s'agissant du marché domestique, où la filiale HOP ! d'Air France est confrontée à la concurrence des compagnies Volotea et Easyjet, dont les parts de marché continuent d'augmenter. HOP ! subit également la concurrence de la ligne LGV Atlantique, dont la mise en service a conduit à une réduction de 32 % des sièges proposés sur la ligne Orly-Bordeaux.
En conséquence, malgré le dynamisme du trafic aérien, la part de marché du pavillon français a continué à baisser l'année dernière pour atteindre 41,8 % sur l'ensemble des flux départ-arrivée en France, contre 43,1 % en 2015. Cela montre que les entreprises françaises profitent moins que leurs concurrentes de la croissance du trafic aérien.
Les problèmes de compétitivité que rencontrent les entreprises françaises sont de plusieurs ordres.
La première difficulté concerne le différentiel de charges sociales que paient les entreprises françaises par rapport aux autres compagnies, un problème qui n'est d'ailleurs pas propre au secteur aérien.
Un autre frein à la compétitivité réside dans le poids des taxes et redevances. Parmi ces taxes, la taxe de solidarité sur les billets d'avion, supportée par les compagnies aériennes qui embarquent des passagers en France, représentera en 2017 un coût de 218 millions d'euros. Elle porte principalement préjudice au pavillon français. Seule consolation : la part qui excède le plafond de la taxe, de 6,6 millions d'euros, est désormais allouée au budget annexe, et non plus au budget général depuis 2016.
Afin de réduire le poids de cette taxe pour les compagnies aériennes, son assiette pourrait être élargie, comme le suggère le rapport de Bruno Le Roux sur la compétitivité du transport aérien de 2014. Le président directeur général d'Aéroports de Paris, Augustin de Romanet, que j'ai entendu, m'a indiqué qu'il n'était pas opposé à un tel élargissement, qui pourrait par exemple mettre à contribution les magasins situés dans les aéroports, d'autres modes de transport, ou encore la grande distribution.
Les redevances aéroportuaires représentent également une charge importante, qui est en augmentation. Le troisième contrat de régulation économique (CRE 3) signé entre l'État et Aéroports de Paris pour la période 2016 2020 prévoit en effet un taux d'évolution de ces redevances de 1 % par an en plus de l'inflation.
Une autre problématique concerne le financement des missions de sûreté réalisées dans les aéroports. Ces dépenses sont actuellement intégralement supportées par les transporteurs aériens, à travers le paiement de la taxe d'aéroport. Dans d'autres pays, ces dépenses sont en partie, voire intégralement prises en charge par la puissance publique. Il conviendrait à tout le moins d'améliorer la gouvernance des activités de sûreté, qui est actuellement éclatée entre plusieurs administrations et entre acteurs privés et publics.
En dehors du poids des taxes et des redevances, un autre frein à la compétitivité des compagnies aériennes réside dans la complexité des normes administratives qui pèsent sur elles. Elles résultent notamment des multiples dérogations au code de l'aviation civile mises en place pour rendre compatible notre droit national avec les règlements européens.
Vous le voyez, mes chers collègues, beaucoup reste encore à faire pour améliorer la compétitivité du pavillon français. Tous ces sujets devront impérativement être abordés à l'occasion des prochaines assises du transport aérien - j'y reviendrai à la fin de mon propos.
À cet égard, je suis fortement opposée à l'amendement du Gouvernement adopté à l'Assemblée nationale, qui procède à une nouvelle rédaction d'une disposition du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile visant à mettre à la charge des entreprises de transport les frais d'hébergement et de réacheminement des étrangers dont l'entrée sur le territoire a été refusée. Ceci représente un coût annuel de 7 millions d'euros. Je considère que ce n'est pas aux compagnies aériennes de supporter le coût de la politique migratoire de la France.
Ce constat m'amène d'ailleurs à regretter une autre carence du ministère de l'intérieur, s'agissant cette fois ci du contrôle aux frontières. En raison d'effectifs de police aux frontières insuffisants (PAF), le temps d'attente aux contrôles est très élevé dans les deux aéroports parisiens. À Orly, il est d'en moyenne 1 heure 30, avec des pointes pouvant aller jusqu'à 3 heures en période estivale. Le nombre d'agents de police ne suffit pas à faire face à la croissance du trafic aérien, et doit donc impérativement être renforcé.
Pour rester dans les aéroports, je souhaiterais vous dire quelques mots d'un autre sujet qui est au coeur de l'actualité : la privatisation d'Aéroports de Paris. Comme vous le savez, l'État détient actuellement 50,6 % du capital d'ADP, une participation dont la valorisation s'élève à 7 milliards d'euros environ. Afin de dégager des marges de manoeuvre budgétaires, l'Agence des participations de l'État (APE) examine actuellement les conditions d'une privatisation de ce groupe.
Une telle privatisation soulève de nombreuses questions.
D'un point de vue juridique, d'abord, se pose le problème du transfert des actifs fonciers d'ADP à l'État. Lors de la transformation d'ADP en société anonyme par la loi du 20 avril 2005, le groupe avait conservé la propriété des actifs fonciers (bâtiments aéroportuaires, pistes de décollage et d'atterrissage, etc.). La privatisation d'ADP nécessiterait de séparer ces actifs de l'exploitation, afin que la propriété du foncier puisse être transmise à l'État et que seule la gestion aéroportuaire fasse l'objet d'une concession.
D'un point de vue financier, ensuite, cette opération, certainement lucrative à court terme, priverait l'État de la « rente » que constituent les dividendes annuels versés par ADP.
D'un point de vue stratégique, enfin, une telle privatisation fait courir le risque d'un affaiblissement du groupe aéroportuaire : un opérateur privé aurait il la même incitation à investir dans le développement des aéroports parisiens que le groupe actuel, ou ne pourrait-il pas au contraire être amené à privilégier d'autres choix d'investissement au détriment de ces aéroports ? De même, cet opérateur ne pourrait-il pas avoir intérêt à augmenter les redevances aéroportuaires pour améliorer sa rentabilité, au détriment des compagnies aériennes françaises ?
Ces questions sont cruciales, alors même qu'ADP est engagé dans plusieurs projets d'investissements d'ampleur, en particulier la construction d'un bâtiment de jonction entre les terminaux Sud et Ouest de Paris Orly et surtout, la création, à terme, d'un nouveau terminal au sein de l'aéroport de Roissy Charles de Gaulle.
J'en viens maintenant à la présentation du budget annexe « contrôle et exploitation aériens ».
Le montant total du budget annexe s'élèvera à 2,13 milliards d'euros, un montant comparable à celui de l'année dernière.
Les recettes d'exploitation sont en légère hausse de 5 millions d'euros, en raison d'un double mouvement.
D'une part, une hausse des recettes qui dépendent du trafic aérien, au premier rang desquelles les recettes qui financent le service rendu par la DGAC en matière de contrôle aérien comme la redevance de route et la taxe de l'aviation civile (TAC).
D'autre part, une baisse des recettes de la redevance pour services terminaux de la circulation aérienne (RSTCA).
Cette baisse est la conséquence d'un arrêté de janvier 2017, qui a mis en place des taux de RSTCA différenciés selon les aéroports, pour permettre de baisser les tarifs de cette redevance sur les aéroports parisiens. Cela répond à une demande qui avait été formulée par notre commission à l'occasion du dernier projet de loi de finances, et qui devait permettre de compenser l'affectation au budget annexe de la quotité de taxe de l'aviation civile qui était auparavant affectée au budget de l'État.
Notre commission avait adopté un amendement en ce sens, qui n'avait malheureusement pas pu aboutir en raison du rejet du projet de loi de finances pour 2017 par le Sénat.
La baisse de la RSTCA a représenté un montant de 26 millions d'euros. Le pavillon français a été le plus gros bénéficiaire de cette mesure, qui a représenté un montant de 11 millions d'euros pour Air France.
Je tiens également à saluer la mise en place, après de longues négociations bilatérales avec la Suisse, de la taxe dite « Bâle Mulhouse », qui permet de financer les missions réalisées par la DGAC au profit des compagnies qui atterrissent dans cet aéroport franco-suisse au statut particulier, et qui étaient jusqu'à présent exemptées du paiement de la taxe de l'aviation civile. Désormais, ces compagnies supporteront une contribution dont le mode de calcul est similaire à la TAC, et qui devrait représenter un montant de 6 millions d'euros en 2018, au profit du budget annexe.
S'agissant des dépenses du budget annexe, on peut noter une progression importante des dépenses de personnel en 2018, de 3,6 %, liée à la mise en oeuvre du dixième protocole social signé le 19 juillet 2016 pour la période 2016-2019. Ce protocole prévoit notamment l'octroi de revalorisations salariales en contrepartie d'efforts de productivité, avec par exemple le versement d'une prime de 500 euros par mois pour les contrôleurs aériens qui acceptent de passer à un rythme de travail de 7 jours calendaires sur 12, contre 6 jours sur 12 actuellement. Plusieurs centres de contrôle sont déjà passés à ce nouveau cadencement, qui permet d'accroître le taux de présence des contrôleurs pendant les périodes de pointe du trafic.
Par ailleurs, les dépenses d'investissement se maintiennent à un niveau important, de 252 millions d'euros, ce qui permettra de financer la poursuite du programme « Sesar » qui vise à développer un nouveau système de contrôle aérien.
Je me réjouis que 135 millions d'euros d'autorisations d'engagement et 102 millions d'euros de crédit de paiement aient été inscrits sur le programme 190 afin de soutenir des projets de recherche industriels en matière aéronautique.
Au total, les recettes du budget annexe dépassant de 100 millions d'euros les prévisions de dépenses, la DGAC pourra poursuivre sa trajectoire de désendettement amorcée en 2015. L'encours de dette devrait s'élever à 883 millions d'euros en 2018, contre 986 millions d'euros en 2017, soit une baisse de plus de 10 % qui permet de réduire les charges financières de la DGAC.
Enfin, le mouvement d'extinction progressive des lignes d'aménagement du territoire se poursuit, puisqu'après l'arrêt des subventions versées aux lignes Brest Ouessant, Tarbes Paris et Lorient Lyon en 2016, l'État s'est désengagé en 2017 des lignes Agen Paris, Castres Paris et Lannion Paris. Seules les destinations les plus enclavées continuent de bénéficier d'une participation financière de l'État.
Pour terminer, je souhaiterais évoquer la question de la contribution du secteur aérien à la lutte contre le réchauffement climatique.
Le transport aérien représente environ 2 % des émissions de gaz à effet de serre à l'échelle mondiale. Mais cette contribution augmente à mesure que croît le trafic aérien international, à un rythme de 5 % par an. Le secteur aérien ne peut donc pas être exonéré des efforts de lutte contre les émissions de CO2.
Il existe une distinction entre le trafic aérien domestique, dont les émissions de CO2 relèvent de la compétence nationale, et le trafic aérien international dont les enjeux de lutte contre le changement climatique ont été confiés à l'Organisation de l'aviation civile internationale (OACI), une organisation internationale qui dépend des Nations Unies.
Au niveau européen, les vols à l'intérieur de l'espace économique européen ont été inclus dans le système d'échange de quotas d'émissions de CO2 depuis le 1er janvier 2012. Cependant, en raison du prix de la tonne de carbone très bas, le marché carbone n'a en pratique aucun effet sur les émissions des vols intra européens.
Au niveau international, l'OACI a adopté, le 6 octobre 2016, un accord sur la mise en oeuvre, à partir de 2020, d'un mécanisme mondial de compensation des émissions de gaz à effet de serre de l'aviation civile, nommé CORSIA. Ce mécanisme doit permettre une croissance neutre en carbone du transport aérien à partir de 2020, par le bais d'un financement, par les compagnies aériennes, de projets conduisant à une réduction des émissions de CO2.
Deux phases de mise en oeuvre sont prévues. Une première phase, entre 2021 et 2026, basée sur le volontariat, à laquelle 72 États représentant près de 88 % de l'activité aérienne internationale ont d'ores déjà accepté de participer. Une phase obligatoire, à compter de 2027 pour tous les États, sauf ceux exemptés en raison de leur faible niveau de développement, de leur insularité ou de leur faible poids dans le trafic mondial.
Au total, 80 % des émissions de gaz à effet de serre du trafic aérien international à compter de 2020 devraient être couvertes par le programme CORSIA.
Par ailleurs, d'autres actions sont menées au niveau national et international pour réduire l'impact environnemental du transport aérien, à travers l'optimisation de la gestion du trafic aérien, l'amélioration des performances environnementales des aéronefs, grâce au progrès technologique ou encore, le développement de carburants alternatifs.
Les biocarburants sont une alternative intéressante, qui a déjà fait ses preuves puisque, d'après l'Association internationale du transport aérien, 100 000 vols utilisant des biocarburants ont déjà eu lieu dans le monde. Ces produits peuvent être intégrés sans difficulté dans le kérosène, jusqu'à 10 % voire 30 % selon les types de carburants. L'enjeu principal est de s'assurer qu'ils respectent bien certains critères de durabilité.
En France, deux ans après les annonces de Ségolène Royal au Salon du Bourget sur la mise en place d'une filière française de « biokérosène », la situation a pour l'instant peu évolué. Je note toutefois que Total a pour projet de convertir sa raffinerie de La Mède en bio raffinerie pour la production de biocarburants, qui pourraient être utilisés dans le transport aérien.
Voilà mes chers collègues, les sujets que je souhaitais aborder devant vous ce matin.
Le secteur aérien est désormais en attente des prochaines assises du transport aérien, qui auront lieu au cours du premier trimestre de l'année 2018.
Ces assises nourrissent, à juste titre, de nombreuses attentes de la part des acteurs concernés. Elles doivent être l'occasion de mettre sur la table les sujets que j'ai évoqués au cours de mon intervention : la compétitivité du transport aérien, le financement des dépenses de sûreté dans les aéroports, l'évolution des redevances aéroportuaires, l'élargissement de la taxe de solidarité, la simplification administrative, le développement des biocarburants, etc...
Notre commission ne manquera pas de suivre de près ces assises et les propositions sur lesquelles elles déboucheront.
Pour l'heure, compte tenu de l'amélioration du budget de la DGAC, je vous propose de donner un avis favorable à l'adoption des crédits relatifs aux transports aériens.