Intervention de Jean-Pierre Sueur

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 21 novembre 2017 à 9h00
Projet de loi de finances pour 2018 — Mission « pouvoirs publics » - examen du rapport pour avis

Photo de Jean-Pierre SueurJean-Pierre Sueur, rapporteur pour avis :

Avant de commencer, je voudrais dire que la variation des crédits entre la loi de finances initiale pour 2017 et le projet de loi de finances pour 2018 est de 0,08 % soit, pour ainsi dire une stabilité, et je m'en réjouis.

Les crédits de la présidence de la République ont baissé ces dernières années et ont connu une grande maîtrise. La dotation est passée de 109 millions d'euros en 2012 à 100 millions d'euros l'année dernière. Pour 2018, il est proposé de la porter à 103 millions d'euros.

La hausse des crédits pour 2018 s'explique essentiellement par la nécessité d'accroître les moyens de la sécurité. D'ailleurs, sur les autres postes, les efforts de maîtrise des dépenses consentis au cours des années précédentes sont poursuivis. Ainsi, il y a une volonté claire de réduire le coût des déplacements. Désormais, un tableau budgétaire est systématiquement réalisé dès la phase préparatoire, afin de suivre, en temps réel, le coût prévisionnel de chaque déplacement et, le cas échéant, d'ajuster le programme en cas de dépassement des prévisions. En outre, des économies sont également réalisées sur les missions préparatoires, pour lesquelles les crédits sont particulièrement serrés quant au nombre de participants, aux conditions de transport et d'hébergement.

En outre, la présidence a drastiquement encadré la mise à disposition de chauffeurs. Désormais, seules quatre personnes - le Président de la République, le chef d'État-major particulier, le secrétaire général et le directeur de cabinet - disposent d'un chauffeur et d'une voiture attitrés. Toutes les autres personnes ont recours à un pool de chauffeurs, et les voitures affectées à l'une de ces quatre personnes peuvent, en tant que besoin, être reversées au pool. C'est une grande volonté d'économie, et je tiens à la saluer.

En matière de sécurisation, les crédits augmentent, et c'est pour moi justifié. En effet, il y a une nécessité d'accroitre les moyens de contrôle face aux risques. Ainsi, pour le groupe de sécurité de la présidence de la République (GSPR) et le commandement militaire, il est prévu un blindage des véhicules d'escorte, un renouvellement du parc radio et des appareils de géolocalisation, des moyens de dépoussiérage et des équipements individuels d'entraînement et de protection, l'achat et la maintenance de nouveaux matériels de sécurité, de protection périmétrique, ainsi que de contrôle de détection, la mise à niveau du parc de vidéo-surveillance. À titre d'exemple, le directeur de cabinet, M. Patrick Strzoda, a souligné, lors de son audition, que le blindage d'un véhicule coûtait, hors achat de ce dernier, 800 000 euros.

Au-delà de la sécurité des personnes et des biens, les risques portent également sur les systèmes de télécommunications et informatiques. Dans ce domaine, conformément aux conclusions de l'audit de l'agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (ANSSI), les effectifs du service chargé des télécommunications et de l'informatique ont été renforcés avec la création d'une cellule de sécurité opérationnelle auprès du chef de service et le renforcement des équipes d'administration. Par ailleurs le centre de données requiert des investissements complémentaires pour répondre aux recommandations de l'audit de l'ANSSI avec la mise en place d'une infrastructure de sauvegarde qui permettra d'assurer, en cas de crise majeure ou importante affectant le centre informatique, la reconstruction de son infrastructure et la remise en route des applications supportant l'activité. Dans le même souci de sécurisation de la transmission et de l'archivage des données, il est également prévu de poursuivre la modernisation de l'équipement des salles informatiques du palais et plus généralement du câblage informatique des bâtiments.

En outre, la dotation pour 2018 doit permettre de couvrir le déplacement des locaux de l'antenne spéciale de transmission de l'Élysée (ASTE) qui met en oeuvre au profit de la présidence des liaisons particulières pour échanger de manière sécurisée avec ses principaux interlocuteurs étrangers. Elle est constituée d'équipes permanentes de personnels implantées au palais de l'Élysée qui mettent en oeuvre et exploitent les systèmes d'information sécurisés de l'état-major particulier du Président de la République. Le centre de transmissions gouvernemental agit comme opérateur pour le compte du secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN). Il comprend les personnels spécialisés dans la mise en oeuvre et l'administration de systèmes de télécommunications sécurisées. Le Président de la République doit en effet être en mesure de communiquer de manière sécurisée avec les forces armées, où qu'il se trouve dans le monde.

La présidence et les services du Premier ministre ont décidé de conférer un rôle interministériel à l'ASTE, tout en la maintenant au sein du Palais de l'Élysée, afin de conserver l'usage de ses moyens prioritairement pour le Président de la République, et de garantir la réactivité nécessaire en temps de crise. Dans le cadre du projet d'opérateur interministériel, les capacités techniques et humaines de l'ASTE doivent être renforcées. La montée en puissance de l'ASTE doit s'accompagner d'un changement de locaux. Les moyens nécessaires à cette opération seront pris en charge conjointement par la présidence, pour 415 000 euros, et le SGDSN.

Par ailleurs, concernant le conjoint du chef de l'État, une formalisation des pratiques existantes est intervenue avec l'adoption d'une charte du 21 août 2017. Dans les faits, cela n'entraîne pas de changement, en termes financiers ou de personnel.

Je voudrais enfin souligner une ressource, certes faible pour la présidence de la République, mais qui n'est pas non plus négligeable : le remboursement demandé à toute personne accompagnant le chef de l'État lors d'un déplacement. Je pense aux chefs d'entreprise, aux responsables économiques, ou aux représentants de la presse à qui on demande de contribuer au financement du déplacement auquel ils participent.

Les crédits de l'Assemblée nationale se caractérisent pour 2018 par une diminution, après l'augmentation importante des crédits liés, en 2017, au renouvellement général. Le montant de la dotation sollicitée pour 2018 demeure inchangé : 517 890 000 euros. Elle va faire appel à ses disponibilités pour équilibrer son budget, à hauteur de 28 millions d'euros, ce qui est moins élevé que l'année dernière où 62 millions d'euros ont été budgétés.

Pour le Sénat, il y a une stricte stabilité. Les dépenses de rémunération du personnel ont augmenté, en raison des décisions prises pour l'ensemble de la fonction publique, en particulier du fait de la revalorisation du point d'indice. Toutefois, cela a été en grande partie compensé par une réduction du nombre de personnels : les emplois de titulaires ont ainsi été ramenés de 1 016 en 2015 à 1 009 en 2016 et 1 002 en 2017.

Enfin, je souhaitais revenir rapidement sur le Jardin du Luxembourg. L'année dernière, le rapporteur spécial de l'Assemblée nationale pour la mission « Pouvoirs publics » s'interrogeait sur l'opportunité de transférer sa gestion à la Ville de Paris - qui ne le demande d'ailleurs pas - et je me réjouis que le nouveau rapporteur spécial ne reprenne pas à son compte une telle proposition. Je me félicite du succès, qui ne se dément pas, de ce magnifique jardin ouvert à tous, 365 jours par an, et qui reçoit chaque année plus de 8 millions de visiteurs. L'année 2018 constituera une année de reprise de l'investissement dans le Jardin du Luxembourg, notamment du fait de la restauration, maintes fois reportée, de la magnifique fontaine Médicis, construite vers 1630 après une commande de Marie de Médicis.

La dotation de la Chaîne parlementaire Assemblée nationale devrait être reconduite à 16 641 162 euros en 2018 tandis que celle de Public Sénat serait réduite à 18 046 000 euros (- 1,10 %).

En ce qui concerne le Conseil constitutionnel, les moyens ont été renforcés depuis deux ans. M. Laurent Fabius, nouveau président du Conseil constitutionnel, a voulu impulser un nouveau dynamisme, dans un certain nombre de domaines. L'augmentation des crédits qu'il a souhaitée, avait deux justifications. Tout d'abord, les crédits alloués au Conseil constitutionnel pour 2017 comprenaient une enveloppe de 1 977 745 euros destinée à l'élection présidentielle au cours d'une année qui a vu se dérouler pour la première fois sous la Vème république les trois élections nationales. L'élection présidentielle était l'occasion de la mise en oeuvre de nouvelles dispositions, comme l'arrivée de tous les parrainages par la poste, et la publication de l'intégralité de ces derniers, avec une mise à jour deux fois par semaine. Cette publication s'est passée dans des conditions qui n'appellent pas de réserve. En ce qui concerne le contentieux lié aux élections parlementaires, les premières décisions relatives aux élections législatives sont en train d'être rendues - les dernières devraient intervenir début 2018. Pour les élections sénatoriales, douze recours sont en cours d'examen. Au final, le Conseil constitutionnel verra ses crédits reconduits à ce qu'ils étaient en 2017, si on fait abstraction de l'enveloppe particulière allouée à l'élection présidentielle.

En outre, de nouvelles actions ont été mises en oeuvre : le Conseil constitutionnel a considérablement accentué ses échanges internationaux, avec la Cour constitutionnelle fédérale allemande de Karlsruhe notamment, mais aussi avec les cours constitutionnelles de trois États d'Europe du sud-ouest, l'Espagne, l'Italie et le Portugal, ainsi qu'avec les cours constitutionnelles francophones. De plus, le 4 octobre 2017, jour anniversaire de la Constitution, s'est tenue la première édition de la « Nuit du droit ». Par ailleurs, un concours, intitulé « Découvrons notre Constitution », en direction de jeunes scolaires, a également été lancé. Ce concours national vise à sensibiliser les jeunes élèves aux grands principes constitutionnels de la République, dès le CM1. Il a connu un grand succès. Je souhaite également signaler, même si cela n'entraîne pas de coût budgétaire particulier, toujours dans cette volonté de rapprocher le Conseil constitutionnel des citoyens, que le Conseil constitutionnel a décidé de moderniser, à partir de 2016, le mode de rédaction de ses décisions. Il s'agit de simplifier la lecture des décisions du Conseil constitutionnel, ce qui conduit par exemple à ne plus utiliser les « considérant » au début de chaque paragraphe, et à approfondir la motivation. Le Conseil constitutionnel est présent par voie dématérialisée à la fois à travers son site Internet et par le biais, depuis le 4 octobre dernier, d'une application mobile dont le succès est incontestable. Le site du Conseil constitutionnel est d'ailleurs beaucoup consulté, et l'application a été téléchargée plus de 200 fois.

Enfin, en ce qui concerne les questions prioritaires de constitutionnalité (QPC), après les deux premières années, où un nombre important d'entre elles ont été déposées, on constate une stabilisation, avec en moyenne 60 à 70 QPC soumises chaque année au Conseil constitutionnel.

Je terminerai ma présentation avec la Cour de justice de la République, qui est une institution filtrant puissamment les requêtes. En 2015, 42 plaintes avaient mis en cause 88 membres du Gouvernement dont 13 en exercice. En 2016, 74 plaintes ont mis en cause à 153 reprises des membres du Gouvernement dont 106 en exercice. Cette hausse considérable de la part des ministres en exercice dans les mises en cause s'explique davantage par la nature des mises en causes que par le comportement des membres du Gouvernement. Au 1er novembre 2017, la commission des requêtes avait été saisie depuis sa création de 1 439 plaintes de particuliers ou d'associations et émis 40 avis favorables à la saisine de la commission d'instruction, soit un taux de saisine de la commission d'instruction, hors requêtes immédiatement déclarées irrecevables, de seulement 2,77 %.

Sur ces 40 saisines, la commission d'instruction n'a décidé la tenue d'un procès que dans 10 dossiers, dont 3 ont été joints, soit 7 procès. Le dernier en date a été celui de Mme Christine Lagarde en décembre 2016. Il reste actuellement une affaire susceptible de donner lieu à réunion de la formation de jugement de la Cour de justice de la République : l'affaire dite de Karachi.

Les frais immobiliers de la Cour de justice de la République sont importants. Toutefois, ils ont pu être renégociés il y a quelques années. En outre, on peut accueillir favorablement le fait qu'à l'avenir, la Cour de justice de la République pourrait utiliser les locaux du tribunal de grande instance de Paris, à l'occasion de l'emménagement de ce dernier dans les locaux du nouveau site des Batignolles.

Enfin, peut-être va-t-il y avoir une révision constitutionnelle, et peut-être certains auront-ils l'idée de proposer la suppression de cette institution. J'attire toutefois l'attention sur le fait qu'il faudra veiller, même si cette instance est supprimée, à mettre en place un filtrage, en raison du nombre important de requêtes.

Au bénéfice de ces observations, je propose de donner un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Pouvoirs publics » du projet de loi de finances pour 2018, qui se caractérise par une stabilité globale des crédits et une augmentation justifiée pour la présidence de la République, pour des raisons impérieuses de sécurisation.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion