Intervention de Henri Leroy

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 22 novembre 2017 à 9h00
Projet de loi de finances pour 2018 — Mission « sécurités » - programmes « police nationale » « gendarmerie nationale » et « sécurité et éducation routières » - examen du rapport pour avis

Photo de Henri LeroyHenri Leroy, rapporteur pour avis :

Mon rapport pour avis porte sur les crédits de trois des quatre programmes de la mission « Sécurités », prévus par le projet de loi de finances pour 2018 : le programme 152 « Gendarmerie nationale » ; le programme 176 « Police nationale » ; le programme 207 « Sécurité et éducation routières ».

Les programmes « Gendarmerie nationale » et « Police nationale » recouvrent, à plus de 85 %, la rémunération des forces de sécurité intérieure. Ils comprennent également les crédits alloués à l'acquisition des équipements et matériels des forces de l'ordre, ainsi qu'à l'entretien du parc immobilier de la police et de la gendarmerie.

Le programme « Sécurité et éducation routière » comprend le financement des campagnes de prévention de sécurité routière, la formation des inspecteurs du permis de conduire ainsi que le financement du permis à taux zéro.

Le programme 161 « Sécurité civile » fait quant à lui l'objet d'un avis distinct, présenté par notre collègue Catherine Troendlé.

Disons-le d'emblée : la consolidation du budget sécurité, qui doit être objectivement relevée, demeure très largement insuffisante au regard de la dégradation de la situation des forces de sécurité intérieure et du contexte sécuritaire sur notre territoire.

Face au maintien d'un niveau élevé de délinquance et à l'émergence de nouvelles menaces - la menace terroriste tout d'abord qui, comme l'a rappelé le ministre de l'intérieur devant notre commission la semaine dernière, demeure à un niveau élevé ; l'augmentation de la pression migratoire ensuite -, le budget de la mission « Sécurités » a fait l'objet d'une consolidation au cours des dernières années.

Entre 2010 et 2017, il a en effet augmenté de 16,3 % en autorisations d'engagement et de 8,9 % en crédits de paiement. Cette évolution à la hausse a notamment été alimentée par l'adoption de différents plans sectoriels au cours des deux dernières années : les plans de lutte contre le terrorisme, d'une part ; le plan de lutte contre l'immigration clandestine, d'autre part.

La hausse des crédits de la mission se poursuivra en 2018 : son budget, hors sécurité civile, s'élèvera à 19,8 milliards d'euros en autorisations d'engagement et à 19,26 milliards d'euros en crédits de paiement, soit des augmentations de 2,36 % et de 1,34 % par rapport aux crédits inscrits dans la loi de finances initiale pour 2017.

Toutefois, en euros constants et compte tenu des prévisions d'inflation du Gouvernement, cette augmentation sera en réalité moindre et ne s'élèvera qu'à 1,34 % en autorisations d'engagement et à 0,59 % en crédits de paiement.

L'évolution des crédits varie d'un programme à l'autre. Le budget de la police nationale augmente de 3,4 % en autorisations d'engagement et de 2 % en crédits de paiement. L'effort pour la gendarmerie nationale est nettement moindre : les crédits du programme 152 augmentent en effet de 1,12 % en autorisations d'engagement et de 0,57 % en crédits de paiement. Enfin, le budget de la sécurité routière est lui aussi en augmentation, de 2,9 % en autorisations d'engagement et de 1,85 % en crédits de paiement.

La hausse du budget de la mission « Sécurités » se traduit notamment par une augmentation des effectifs opérationnels. Le Président de la République a annoncé la création, sur l'ensemble du quinquennat, de 10 000 emplois opérationnels, dont 7 500 pour la police et seulement 2 500 pour la gendarmerie.

En 2018, il est prévu de créer 1 376 emplois supplémentaires dans la police nationale et 459 emplois supplémentaires dans la gendarmerie nationale. Ces effectifs complémentaires seront principalement destinés à renforcer les capacités opérationnelles des forces de sécurité intérieure.

Ne nous limitons toutefois pas aux seules annonces ! En effet, l'application aux forces de sécurité intérieure, depuis 2016, de la directive européenne du 4 novembre 2003 sur le temps de travail, a entraîné une réduction importante des capacités opérationnelles au sein de la police comme de la gendarmerie. Selon les informations qui m'ont été communiquées, les créations de postes annoncées permettront tout juste de combler cette réduction des capacités opérationnelles.

Il y a là un véritable sujet de préoccupation. Le Gouvernement semble avoir écarté de ses calculs l'impact de cette directive, qui est pourtant loin d'être neutre pour nos forces de sécurité intérieure.

La principale difficulté de ce budget réside toutefois dans l'insuffisance des dotations de fonctionnement et d'investissement allouées aux deux forces.

Au cours des auditions et des déplacements que j'ai effectués, l'ensemble des forces de sécurité, sans distinction de corps, de grades, de niveau d'exécution ou d'affectation, ont à l'unanimité insisté sur la nécessité de doter les agents des moyens nécessaires pour mener à bien leurs missions.

Ce qu'ils relèvent en effet n'est pas tant le manque d'effectifs que les conditions matérielles difficiles dans lesquelles ils travaillent, conséquence d'un sous-investissement chronique pendant de nombreuses années.

La modernisation des moyens de la police nationale et de la gendarmerie est un enjeu fondamental pour garantir l'efficacité des agents et lutter contre leur mal-être croissant. La multiplication des suicides au cours des dernières semaines, qui a touché aussi bien les forces de police que celles de gendarmerie, est extrêmement préoccupante. Il est urgent de trouver des réponses.

Certes, le projet de loi de finances pour 2018 prévoit une augmentation des crédits de fonctionnement et d'investissement. Cette augmentation s'élève, pour la police nationale, à 13,1 % en autorisations d'engagement et à 1,6 % en crédits de paiement. Pour la gendarmerie, la hausse sera de 4,1 % en autorisations d'engagement et de 1 % en crédits de paiement.

Toutefois, cette augmentation apparaît très largement insuffisante au regard des difficultés rencontrées sur le terrain. Premier sujet de préoccupation : la formation. Les recrutements importants prévus au cours des prochaines années appellent nécessairement un investissement important en matière de formation initiale. De même, l'émergence de nouvelles menaces nécessite qu'un effort soit conduit en matière de formation continue.

Le projet de loi de finances semble ne pas tenir compte de ces enjeux. Prenons l'exemple de la police nationale : les crédits de formation seront en baisse de 10 % en 2018, alors même qu'il est prévu de créer 1 376 emplois supplémentaires.

Deuxième difficulté constatée : les équipements. Il faut reconnaître que les plans de lutte contre le terrorisme et le plan de sécurité publique mis en oeuvre dans l'urgence à l'automne dernier ont permis d'engager une mise à niveau des équipements des forces de sécurité intérieure (armements, équipements de protection).

En revanche, l'état des parcs automobiles de la police et de la gendarmerie est aujourd'hui très préoccupant. En raison d'un sous-investissement chronique, ils ont subi en quelques années un important vieillissement et deviennent obsolètes.

À titre d'exemple, l'âge moyen des véhicules de la police est de 6 ans et 9 mois ; il était de 4 ans et 10 mois en 2010. La situation du parc de la gendarmerie est tout aussi inquiétante : l'âge moyen des véhicules est de plus de 8 ans, et le kilométrage moyen supérieur à 130 000 kilomètres.

L'effort budgétaire consenti en 2018 n'est pas à la hauteur des besoins. Pour la police nationale, il est prévu d'acquérir 2 500 véhicules, alors qu'il en faudrait 4 000. La même observation vaut pour la gendarmerie : le projet de loi de finances prévoit l'acquisition de 3 000 véhicules, pour un besoin estimé à 3 500. Ce sous-investissement ne permettra pas de renverser la tendance et aura des conséquences importantes sur les capacités opérationnelles de nos forces.

Troisième sujet de préoccupation dans ce budget : l'immobilier. L'insuffisance chronique des crédits de fonctionnement et d'investissement dédiés à l'entretien et à la rénovation des bâtiments de la police et de la gendarmerie a conduit aujourd'hui à un niveau très avancé de délabrement des parcs domaniaux.

Le projet de loi de finances pour 2018 prévoit une augmentation des crédits d'entretien et de rénovation immobilière. L'investissement prévu demeure toutefois bien en deçà non seulement de l'ampleur des besoins de rénovation, mais aussi de leur urgence.

Pour la police, l'augmentation des crédits d'investissement est de 7 % en autorisations d'engagement et de 17 % en crédits de paiement. Toutefois, depuis plusieurs années, ces crédits d'investissement sont victimes des mesures de régulation budgétaire. Ainsi, en 2017, l'annulation de 110 millions d'euros de crédits d'investissement a contraint la police nationale à renoncer à quatre importants chantiers de rénovation.

La gendarmerie nationale dispose, quant à elle, d'un important parc domanial, constitué en grande partie des logements mis à disposition des gendarmes et de leurs familles, pour nécessité de service. En raison de l'état d'insalubrité de certains logements, un plan immobilier d'urgence a été lancé pour la période 2015-2020. Entre 2015 et 2017, 70 millions d'euros annuels ont été inscrits au budget et ont permis de rénover 13 000 logements.

Le projet de loi de finances pour 2018 prévoit l'attribution d'une enveloppe de 100 millions d'euros pour procéder à la réhabilitation de 5 900 logements supplémentaires. Cet investissement est toutefois en deçà de l'effort nécessaire pour réhabiliter les 76 300 logements de la gendarmerie. La direction générale de la gendarmerie nationale estime que la mise à niveau du parc immobilier nécessiterait un investissement annuel de 300 millions d'euros, soit le triple de ce qui est prévu par le projet de loi de finances.

La gendarmerie fait face à une autre difficulté : en raison des mesures de régulation budgétaire, elle a accumulé au cours des deux derniers exercices une importante dette sur les loyers, qui devrait atteindre, à la fin de l'année 2017, 114 millions d'euros en autorisations d'engagement et 92 millions d'euros en crédits de paiement.

Aucun crédit n'est prévu dans le projet de loi de finances pour permettre de résorber cette dette. Pour faire face au risque de dérive budgétaire, la gendarmerie a d'ores et déjà annoncé qu'elle serait contrainte de réduire les autres dépenses de fonctionnement, ce qui pèsera nécessairement sur les budgets d'équipement, dont on sait parfaitement qu'ils sont très largement sous-dotés.

Doter la police et la gendarmerie de moyens suffisants et modernes doit être hissé au rang des priorités ! C'est la condition de la renaissance de nos forces de sécurité, motivées et adaptées aux temps modernes, préparées à affronter une menace globale dont les caractéristiques sont à mille lieux de la sécurité à la Vidocq ou à la Fouché !

Pour finir, je dirai quelques mots de la lutte contre l'immigration irrégulière, mission qui a revêtu une importance particulière au cours des deux dernières années pour nos forces de sécurité intérieure, et à laquelle j'ai consacré une partie de mon rapport.

Face à la forte pression migratoire, la France a su s'organiser. Sur le plan législatif et réglementaire tout d'abord, rappelons que le Parlement vient d'adopter la loi du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, qui prévoit notamment un renforcement des contrôles d'identité autour des principaux ports et aéroports, en élargissant les possibilités de contrôle aux frontières terrestres.

Sur le plan opérationnel, la lutte contre l'immigration irrégulière a nécessité une mobilisation massive des forces de sécurité : la police aux frontières, bien entendu, dont c'est la mission première, mais également les compagnies républicaines de sécurité ainsi que les forces mobiles de la gendarmerie nationale et des militaires de l'opération Sentinelle.

Des dispositifs novateurs ont été mis en place afin d'assurer une coordination entre les forces de l'ordre. À Menton, premier point d'entrée pour l'immigration irrégulière en France, un dispositif regroupe ainsi des agents de la police et de la gendarmerie. C'est un exemple parfait de coopération, qui a démontré son efficacité et qu'il serait intéressant de calquer dans d'autres domaines d'action.

Il est toutefois regrettable que l'efficacité de nos agents soit freinée par des difficultés matérielles. À Menton, la police aux frontières est contrainte de louer des véhicules pour assurer les réacheminements à la frontière des personnes interpellées en situation irrégulière, véhicules qui ne présentent pas les conditions élémentaires de sécurité. Les forces de sécurité ne disposent pas non plus de caméras infrarouges ou d'équipements intensificateurs de lumière, qui seraient pourtant essentiels pour assurer des contrôles efficaces de nuit. Point n'est besoin de grossir les bataillons si les compagnies qui s'y trouvent n'ont pas les moyens d'intervenir efficacement !

Il nous faut aujourd'hui relever les grands défis sécuritaires, au premier rang desquels la lutte contre le terrorisme. Les livres d'histoire nous révèlent une constante : les grandes défaites sont toujours survenues dans un contexte de crise économique, accompagnée de difficultés sociales et d'une myopie politique. Alors donnons les moyens à nos forces de sécurité intérieure de figurer parmi les toutes premières d'Europe, comme elles l'ont été durant les XIXe et XXe siècles.

Je vous propose donc d'émettre un avis défavorable à l'adoption des crédits de la mission « Sécurités », hors sécurité civile, inscrits au projet de loi de finances pour 2018.

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