La qualité d'un budget ne se mesure pas à l'aune du montant de ses crédits. En effet, depuis vingt ans, nous voyons que l'inflation des moyens est sans effet sur la situation de l'école. À rebours de ce qui a été pratiqué lors du précédent quinquennat, les moyens doivent être mis au service de la politique éducative et non l'inverse.
C'est précisément la logique retenue par ce budget, qui prévoit néanmoins une augmentation des crédits de près d'1,5 milliard d'euros pour les cinq programmes relevant du ministère de l'éducation nationale. Il convient de préciser que la moitié environ de cette croissance est le résultat de mesures décidées par le Gouvernement précédent et de l'augmentation « mécanique » des dépenses de personnel sous l'effet du glissement vieillesse-technicité.
Le budget 2018 donne clairement la priorité à l'école primaire et à la maîtrise des fondamentaux. La traduction budgétaire de cette priorité est la forte augmentation des crédits consacrés au primaire et la création de 2 800 postes d'enseignants à la rentrée 2018, essentiellement destinés à mettre en oeuvre le dédoublement des classes de CP et de CE1 en éducation prioritaire.
Ces créations de poste sont compensées par la suppression de 2 600 postes d'enseignant stagiaire dans le second degré - dont le ministère indique qu'ils n'étaient pas pourvus - et de 200 postes de personnels administratifs. Dans sa version initiale, la mission « Enseignement scolaire » présentait ainsi un schéma d'emplois neutre, avant qu'un amendement du Gouvernement devant l'Assemblée nationale ne prévoie la création de 144 postes d'enseignants en sections de technicien supérieur (STS). Il s'agit donc de l'amorce d'un véritable rééquilibrage de la dépense d'éducation en direction du primaire, pour lequel notre pays continue à sous-investir. La baisse des effectifs d'élèves dans le premier degré devrait accentuer ce rattrapage.
Le ministre s'est fixé pour objectif « 100 % de réussite en CP » et de « garantir à chaque élève l'acquisition des savoirs fondamentaux - lire, écrire, compter, respecter autrui ». Je ne peux que me réjouir de la volonté du Gouvernement d'attaquer ainsi la difficulté scolaire à la racine : on sait en effet que tout se joue dès les premières années d'école.
Réduire à douze l'effectif des classes de CP et de CE1 en éducation prioritaire est la mesure principale de cette politique. Elle présente un coût substantiel, estimé à 11 000 postes à l'horizon 2020 ; le budget 2018 y alloue 154 millions d'euros. À la rentrée 2017, 2 500 postes ont été consacrés au dédoublement des classes de CP en REP+ ; 2018 verra le dédoublement des CP en REP et le début de cette mesure pour les CE1 de REP+. Pour accompagner les collectivités territoriales dans l'adaptation du bâti scolaire, le Gouvernement prévoit qu'une part des 615 millions d'euros de la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL) créée à l'article 59 du PLF y sera consacrée.
La priorité effective au primaire se traduit également par la relance des « stages de réussite » proposés pendant les vacances scolaires aux élèves de CM2 en vue de l'entrée au collège, le rétablissement des évaluations diagnostiques en CP et à l'entrée en 6e, qui donneront aux équipes éducatives et aux services déconcentrés une meilleure connaissance des acquis des élèves, et la poursuite des efforts en vue de la scolarisation des enfants de moins de trois ans en éducation prioritaire.
L'effort sur les fondamentaux ne se limite pas au primaire. Deux mesures concernent le collège : d'une part, les aménagements apportés à la réforme du collège ; de l'autre, le dispositif « devoirs faits » qui vise à offrir aux collégiens volontaires un accompagnement après la classe pour leur permettre de faire leurs devoirs dans l'établissement. Le coût total de ce dispositif pour 2018 est estimé à 220 millions d'euros ; le ministre a d'ailleurs annoncé qu'il réfléchissait à l'étendre à l'école primaire, ce dont je me félicite.
Parmi les autres points saillants de ce budget, les aides du fonds de soutien aux activités périscolaires sont maintenues en faveur des communes ayant conservé une semaine comptant cinq matinées d'enseignement à l'école primaire ; le montant budgété pour 2018 baisse de 140 millions d'euros, à due concurrence de la proportion de communes étant revenues à une semaine de quatre jours.
Les crédits consacrés à l'accompagnement des élèves en situation de handicap connaissent une augmentation considérable de 360 millions d'euros, soit une hausse de 46 %, qui permet de financer le recrutement d'accompagnants et la poursuite de leur professionnalisation.
En revanche, les crédits en faveur du renouvellement des manuels scolaires au collège s'élèvent à 16 millions d'euros, contre 110 en 2017. Dans le cadre de la réforme des programmes, le Gouvernement s'était engagé à hauteur de 300 millions d'euros ; seuls 235 millions ont été budgétés en 2016 et 2017. Il manque donc une partie de la somme qui, si elle n'est prise en charge par l'État, le sera par les collèges sur leur budget de fonctionnement et donc, indirectement, par les conseils départementaux ; c'est pourquoi je vous proposerai un amendement visant à y allouer 50 millions d'euros supplémentaires, afin que l'État respecte ses engagements.
Je salue la priorité donnée par le ministère à la formation continue des enseignants, du premier comme du second degré ; l'objectif est que chacun bénéficie de trois jours de formation continue dans l'année scolaire 2017-2018. En particulier, sont érigés en priorité l'accompagnement des « CP à 12 », car il ne suffit pas de dédoubler les classes, il faut former à des pédagogies adaptées et différenciées, ainsi qu'un grand plan de formation en mathématiques et en sciences est destiné aux professeurs des écoles.
Une réserve toutefois : l'absence d'une stratégie pluriannuelle. En effet, si la loi de programmation des finances publiques que nous avons votée prévoit une augmentation des crédits de la mission de 800 millions d'euros en 2019 et de 600 millions en 2020, aucune ventilation par programme et en termes de créations de postes n'est communiquée. Or le système éducatif a besoin de stabilité et de prévisibilité.
Enfin, la médecine scolaire, malgré le demi-milliard d'euros dépensé, demeure le parent pauvre de l'éducation nationale et les résultats ne sont pas à la hauteur : moins de la moitié des élèves en REP bénéficient d'une visite médicale dans leur sixième année. Une réflexion d'ensemble s'impose ; un transfert de compétence aux départements pourrait être envisagé.
J'en viens désormais à la question du remplacement, sur lequel j'ai souhaité concentrer mes réflexions.
Le remplacement des enseignants absents est un sujet de première importance. Remplacer les enseignants absents ne répond pas seulement à l'exigence de continuité du service public, il s'agit d'un enjeu de confiance et d'un impératif de justice envers les élèves et leurs familles. La carence de l'État en la matière alimente la défiance et le sentiment d'injustice des usagers, d'autant que c'est dans les territoires les plus fragiles que les difficultés sont les plus prononcées, en particulier en zone rurale isolée ou en éducation prioritaire. Enfin, comme une décision récente de justice l'a rappelé, elle constitue une faute de nature à engager la responsabilité de l'État. Un remplacement efficace constitue une condition sine qua non pour l'avènement de l'« école de la confiance » voulue par le ministre et que nous appelons tous de nos voeux.
Le remplacement est également un sujet budgétaire, tant il mobilise des moyens importants : 3,5 milliards d'euros, soit 5 % des crédits du programme, et 50 000 emplois lui sont consacrés.
Cela procède en grande partie de la conception très exigeante du dispositif de remplacement : comme le rappelle la Cour des comptes « il vise au maintien de la continuité et de la qualité du service public d'enseignement en remplaçant un enseignant absent par un autre enseignant de la même discipline et bénéficiant du même statut » - et donc des mêmes contraintes de gestion.
Le remplacement s'organise de manière différente dans le premier et le second degré. Dans le premier, du fait de l'adéquation « un enseignant, une classe », le remplacement est assuré, dès la première demi-journée d'absence, par des remplaçants mis en réserve à cet effet et gérés au niveau du département. En revanche, dans le second degré, le remplacement est assuré de manière différente selon la durée de l'absence. S'il s'agit d'une absence supérieure ou égale à quinze jours, des titulaires sur zone de remplacement, les TZR, sont mobilisés ; ils sont rattachés à des établissements mais susceptibles d'intervenir sur une zone définie et relèvent du rectorat. Pour les absences de moindre durée, c'est à l'échelle de l'établissement que s'organise le remplacement. En théorie, il est établi dans chaque établissement un protocole pour les remplacements de courte durée « qui en fixe les objectifs et les priorités ainsi que les principes et les modalités pratiques d'organisation » ; c'est au chef d'établissement de trouver des remplaçants parmi les enseignants - en dernier recours, il peut même en désigner un d'autorité.
Or, malgré les moyens considérables qui y sont dédiés, et qui ne sont pas connus avec certitude, les chiffres du ministère n'étant ni complets ni cohérents, le remplacement demeure inefficient et, pour les absences de courte durée dans le second degré, scandaleusement insuffisant, au point que la Cour des comptes le qualifie de « défaillance institutionnelle ».
En premier lieu, le recensement des absences et de leurs causes, s'il est relativement efficace dans le premier degré, est parcellaire dans le second. Contrairement aux idées reçues, les enseignants ne sont pas plus absents que les autres fonctionnaires ou que les salariés du privé, en particulier si l'on considère qu'il s'agit d'une population jeune et féminisée, où les congés maternités sont nombreux, et que le contact avec les enfants n'est pas sans risque, surtout l'hiver.
Deux faits marquants doivent être soulignés : en premier lieu, les absences courtes tendent à augmenter depuis 2012, en grande partie du fait de la suppression de la journée de carence. Son rétablissement dans le PLF 2018 devrait permettre d'y remédier. Enfin, les absences imputables à l'institution sont nombreuses : elles expliquent plus de 6 % du besoin de remplacement dans le premier degré, soit un tiers du volume des absences non remplacées, et 20 à 40 % du besoin de remplacement de courte durée dans le secondaire. Leur réduction doit être un enjeu majeur.
S'agissant des indicateurs de performance, le ministère se flatte de taux d'efficacité, qui mesure le nombre d'heures, parmi celles à remplacer, qui le sont effectivement, et de taux de rendement, qui mesure l'utilisation du potentiel de remplacement, élevés dans le premier comme dans le second degré.
Dans le premier degré, 82,7 % des absences ont été remplacées au cours de l'année scolaire 2016-2017 ; le taux de rendement s'élève à 72 %. Ces taux varient fortement selon les académies, certaines connaissant des taux beaucoup plus faibles. Cela signifie tout de même que près d'une absence sur cinq n'est pas remplacée, ce qui n'est pas négligeable.
Dans le second, le ministère affiche un taux de remplacement supérieur à 97 %, relativement uniforme selon les académies. Mais ce taux ne prend en compte que les absences de longue durée ; aucun indicateur n'existe pour celles de courte durée. Si le ministère évalue à un tiers le taux de remplacement de ces absences, la Cour des comptes parvient à une estimation beaucoup plus faible, entre 5 et 20 % ; elle est corroborée par les données académiques portées à ma connaissance. En cause, la réticence des enseignants et l'inapplication des protocoles institués par le décret « Robien » de 2005, du fait de l'opposition des syndicats ; lorsqu'ils existent, ces protocoles n'ont souvent qu'une existence formelle.
Cette situation pourrait encore s'aggraver à court-terme, du fait de la forte tension sur les viviers enseignants des académies. Pendant les cinq dernières années, le ministère a eu beau créer des postes à tout-va, une part importante de ceux-ci n'ont pas été pourvus, en particulier dans les académies les moins attractives. Par exemple, l'académie de Versailles a aujourd'hui moins d'enseignants titulaires qu'en 2012 ! En cause : le faible rendement des concours, la déperdition d'enseignants et l'inadaptation du réseau des établissements à l'évolution démographique. Ainsi, dès la rentrée, une part importante des remplaçants sont affectés sur des postes à l'année.
Cette situation impose un recours accru aux contractuels. L'inspection générale décrit ainsi un « changement structurel d'ampleur » en la matière, car le recrutement « s'amplifie et s'installe dans la durée à tous les niveaux d'enseignement », y compris dans le primaire. Cela a entraîné une professionnalisation du recrutement et de l'accompagnement de ces personnels dans les académies les plus concernées. Le ministère s'en est inspiré pour édicter un nouveau cadre d'emploi à l'été 2016. Pour faire face à la pénurie, le vivier des contractuels pourrait être encore élargi en levant certains obstacles réglementaires ou statutaires : ainsi, il est impossible de recourir à des enseignants retraités qui ne possèdent pas de licence ou de master ou bien à des enseignants en disponibilité ; il est très complexe d'avoir recours aux assistants d'éducation, car ils ne peuvent effectuer d'heures supplémentaires. Il y a là, mes chers collègues, des barrières à lever !
Un mot sur la situation particulière de l'enseignement privé sous contrat. Le remplacement de courte durée n'y constitue pas un problème, celui-ci étant pris en charge au sein des équipes éducatives. En revanche, les établissements privés peinent à recruter des contractuels pour les suppléances de longue durée, la situation devenant même critique dans certains territoires. Si le décret d'août 2016 procède à une revalorisation des contractuels de l'enseignement public, les maîtres délégués de l'enseignement privé demeurent rémunérés sur des grilles indiciaires nettement moins favorables. Cet écart est sensiblement accru par la faculté reconnue aux recteurs de majorer la rémunération des contractuels dans les zones et les disciplines déficitaires. L'écart peut atteindre 500 ou 600 euros par mois, ce qui est considérable pour des personnes gagnant parfois moins de 1200 euros nets. Il s'agit véritablement d'une situation de concurrence déloyale, contraire à l'esprit et à la lettre de la loi Debré. Le ministre a assuré être conscient du problème et dit examiner les solutions possibles : l'alignement des rémunérations me semble un impératif d'équité et de justice envers les élèves.
Le ministère n'est pas resté inactif face au défi du remplacement. Seulement, les mesures prises ne sont pas à la hauteur du problème et le remplacement s'inscrit toujours dans ce qu'un recteur décrivait comme un système « corseté et intenable ».
Au mois de mars dernier, le ministère a édicté une circulaire à ce sujet. Cette dernière vise à réduire les absences institutionnelles en organisant les jurys et autres tâches de préférence le mercredi après-midi et en permettant, sur une base volontaire et rémunérée, l'organisation de la formation continue sur les vacances scolaires. Dans le premier degré, elle abolit la segmentation du potentiel de remplacement en fonction du lieu de la suppléance et de la nature de l'absence à remplacer - un vivier unique est constitué dans chaque département. Dans le second degré, la circulaire réactive les protocoles « Robien », atténue la distinction entre remplacement de courte et de longue durée, en permettant le recours à un titulaire sur zone de remplacement (TZR) pour des absences inférieures à quinze jours et érige au rang de priorité la lutte contre les absences perlées, à savoir des absences courtes et récurrentes, par nature difficiles à remplacer. Plus ou moins appliquées, ces dispositions sont louables mais pas de nature à améliorer durablement la situation. Pour ce faire, une réflexion plus globale sur le métier d'enseignant et les organisations réglementaires de service s'impose.
Une première conclusion : le remplacement n'est pas un problème de moyens. Imagine-t-on dépenser davantage que 3,5 milliards d'euros ? Une augmentation marginale serait sans effet sur la situation. A cadre réglementaire inchangé, il faudrait plusieurs milliards supplémentaires pour assurer le remplacement de toutes les absences. Au contraire, le remplacement révèle l'ampleur des rigidités de gestion du système éducatif et à quel point il peine à s'en affranchir. L'intérêt des élèves est perdu de vue et le décret du 20 août 2014 constitue à cet égard un rendez-vous manqué.
Le caractère hebdomadaire des obligations de service des enseignants constitue une contrainte importante dans l'élaboration des emplois du temps ; elle rend l'échange de services impossible et prévient toute modulation du temps de travail en fonction des besoins. Une part importante du potentiel de remplacement est ainsi perdue du fait de quotités de service trop faibles.
Je recommande en conséquence l'annualisation des obligations règlementaires de service des enseignants, prônée depuis plusieurs années par la Cour des comptes. Ces obligations devraient également intégrer les missions de remplacement des collègues absents et de formation continue. L'annualisation revêt de nombreux avantages : elle donnerait une souplesse aux établissements dans l'organisation du remplacement, la définition des emplois du temps et le soutien aux élèves en difficulté. Il en va de même pour la bivalence dans le second degré, c'est-à-dire de la capacité des professeurs à enseigner deux disciplines : celle-ci doit être encouragée ; elle permettrait également de faciliter le remplacement et de réduire les situations de sous-service ou de service partagé sur plusieurs établissements.
En conséquence, je formule huit recommandations.
- mieux informer la représentation nationale sur le coût et l'efficacité du remplacement, en indiquant le nombre d'heures non remplacées dans chaque programme et rendant compte fidèlement des moyens dédiés au remplacement, mesurés en euros et en emplois ;
- mieux recenser les absences dans le second degré et leurs causes ;
- agir pour réduire les absences institutionnelles, en organisant les stages de formation continue et les autres tâches institutionnelles en dehors du temps d'enseignement ;
- améliorer les conditions d'accueil, d'accompagnement et de formation des enseignants contractuels ;
- engager une démarche de réduction des obstacles statutaires et réglementaires au recrutement de remplaçants ;
- aligner la rémunération des maîtres délégués de l'enseignement privé sur celle des personnels contractuels de l'enseignement public ;
- définir, de manière explicite, un nombre annuel d'heures dû aux élèves dans chaque discipline pour préparer le diplôme devant sanctionner leur cycle d'études ;
- faire concorder les obligations réglementaires de service avec la réalité du métier d'enseignant et les besoins du système éducatif.
Au bénéfice de ces observations, je vous propose de donner un avis favorable, sous réserve de l'adoption de l'amendement que je vous présente, à l'adoption des crédits de la mission « Enseignement scolaire ».