Intervention de Gérald Darmanin

Réunion du 23 novembre 2017 à 11h00
Loi de finances pour 2018 — Discussion d'un projet de loi

Gérald Darmanin, ministre de l’action et des comptes publics :

Monsieur le président, monsieur le président de la commission des finances, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi d’abord d’avoir, comme Bruno Le Maire, une attention particulière pour votre rapporteur général, empêché aujourd’hui – nos pensées les plus affectueuses et les plus républicaines l’accompagnent –, et de saluer Gérard Longuet qui le remplace !

Quelques mots pour compléter, s’il me le permet, les propos de M. le ministre de l’économie et des finances. J’insisterai sur quatre points pour souligner l’action du Gouvernement en matière budgétaire, points qui, me semble-t-il, font écho au débat que nous avons eu lors de l’examen du projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022 – texte certes non normatif – ou du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2018 – qui prévoit donc la bascule vers la CSG.

Ces quatre points sont les suivants : la « sincérisation » de ce budget et les efforts que nous faisons dans ce sens ; la politique à destination des collectivités locales – sujet important pour votre assemblée et alors que se tient ces jours-ci le congrès des maires de France – ; la transformation de notre économie ; enfin, le soutien au pouvoir d’achat de nos concitoyens.

Le premier point est sans doute le plus important pour le ministre des comptes publics que je suis, et je sais que votre chambre est particulièrement attentive à la « sincérisation » budgétaire. Il reste sans doute encore beaucoup de travail, étant donné qu’il subsiste une marge importante. Toujours est-il que je remercie le rapporteur général, lors du premier débat que nous avons eu ensemble, ainsi que l’Assemblée nationale, en particulier le président de sa commission des finances, Éric Woerth, et son ancien président, Gilles Carrez, pour qui nous avons tous beaucoup de respect, de même que le Haut Conseil des finances publiques et la Commission européenne, d’avoir souligné le fait que ce budget de la Nation essaie de revenir sur les insincérités les plus flagrantes que les gouvernements ont accumulées, année après année.

La Cour des comptes a rendu un rapport au lendemain de la nomination du Gouvernement dans lequel elle pointe 7 milliards d’euros de sous-budgétisation portant soit sur des dépenses de guichet, notamment l’allocation aux adultes handicapés ou la politique du logement, soit sur des dépenses plus larges d’un montant tel que la sincérité du budget s’en est trouvée entachée. Je pense notamment au ministère de l’agriculture, dont les dépenses ont connu une dérive très importante dans les années précédentes.

C’est désormais chose faite, nous sommes revenus sur ces 7 milliards d’euros de sous-budgétisation, tant pour l’année 2017, bien sûr, que pour l’année 2018, ce qui me paraît normal : les parlementaires – et c’est bien logique –, qui contrôlent l’action du Gouvernement et l’utilisation des deniers publics, doivent évidemment s’appuyer sur les chiffres les plus vraisemblables possible.

Bien sûr, la vie d’un pays, comme la vie d’une commune, comme la vie d’une entreprise, est traversée de difficultés qui ne sont pas toujours prévisibles dans un budget. Il se pourrait que le Gouvernement revienne vers vous pour les expliciter, mais il apparaîtrait anormal et pour le moins irrespectueux du débat parlementaire que le Gouvernement n’applique pas les chiffres qu’il connaît au moment où il vous parle. Je crois que ce travail a été fait et qu’il a été bien fait. Je remercie les services, et également les rapporteurs spéciaux, quel que soit le groupe auquel ils appartiennent, de souligner là où le Gouvernement peut encore faire des efforts. Je serai ouvert évidemment aux critiques lors du débat parlementaire sur cette question.

Je souhaiterais d’ailleurs, monsieur le président de la commission des finances, comme je l’ai évoqué avec le président Gérard Larcher et le président François de Rugy, que nous puissions revoir la procédure parlementaire. Il est évident que, si le Parlement souhaite contrôler davantage l’action du Gouvernement, notamment pour suivre les évolutions budgétaires, encore faudrait-il que nous ayons une discussion commune sur les volets recettes du projet de loi de financement de la sécurité sociale et du projet de loi de finances. Nous parlons du coût du travail d’un côté comme de l’autre, alors que, évidemment, pour les Français, l’argent provient de la même poche et ce sont les mêmes parlementaires qui contrôlent l’un et l’autre de ces budgets.

Il faut également revoir, je crois, notre procédure budgétaire de « sincérisation ». Et l’incroyable originalité qui consiste à voir les ministres une seule fois par an pour parler de leur budget et les rapporteurs spéciaux une seule fois par an au moment de ce contrôle, ne me paraît pas de bonne politique, surtout que nous allons consacrer quelques semaines – voire quelques mois, pour ma part – au débat budgétaire, contre une demi-journée pour la loi de règlement. Cela ne me paraît bon ni pour le Gouvernement, ni pour le Parlement, ni même pour la démocratie.

Plus de temps pour le contrôle de l’action gouvernementale, un petit peu moins de temps pour la discussion du budget, peut-être une plus grande présence des rapporteurs – y compris lorsqu’ils sont membres de l’opposition – dans le débat budgétaire que j’ai avec les ministres : voilà ce que je propose à votre assemblée et à ses rapporteurs, pour un meilleur travail en amont et en aval.

En ce qui concerne la dépense publique, dont nous pensons bien sûr qu’elle est parfois un bien pour notre société, mais malheureusement un peu grossière ces derniers temps, nous devons lutter contre son inflation. Nous allons essayer de tenir la promesse qu’a faite le Premier ministre dans son discours de politique générale de limiter cette dépense publique, en ramenant si possible sa croissance à zéro.

Nous n’avons pas totalement réussi, car c’est difficile. Je lisais encore ce matin un excellent éditorial dans le journal Les Échos, dont l’auteur employait l’expression « drogué à la dépense publique ». Si nous partons du principe que cette dépense publique amène notre pays à être parfois un peu obèse, souvent contradictoire dans la demande de gestion des deniers publics et à refuser les économies lorsqu’elles se présentent, Bruno Le Maire et moi-même sommes fiers de vous présenter un budget qui prévoit une augmentation des dépenses publiques de 0, 5 %. C’est trop par rapport à 0 %, mais c’est deux fois moins que les deux années précédentes. Ce courage est à mettre au crédit du Gouvernement.

Nous sommes persuadés qu’une trop grande dépense publique fait naître une fiscalité trop lourde, est source de trop de déficits et de trop de dettes. Il faut diminuer la dépense publique, le faire évidemment sans mesures paramétriques, avec le plus de transformations possible, pour faire baisser la fiscalité – ce qu’a évoqué M. le ministre de l’économie et des finances – et in fine notre déficit et notre dette.

Le deuxième point que je voudrais évoquer devant vous, sur lequel je m’attarderai un peu, c’est la question des collectivités locales.

Le projet de loi de finances que présente le Gouvernement illustre une nouvelle façon d’imaginer les relations entre l’État et les collectivités locales. Bien sûr, les élus demandent que les efforts qui sont faits par leur propre administration locale soient désormais proportionnés à leur part dans la dépense publique. Ils ont raison : jusqu’à présent, l’État a trop demandé aux collectivités locales par rapport à ce qu’il s’est imposé. Cependant, il faut souligner – et chacun le comprendra – que les dépenses à la charge de l’État diffèrent de celles des collectivités locales : les dépenses régaliennes, d’une part, et les dépenses à destination des collectivités locales – un quart de ses dépenses –, d’autre part.

Mais il est tout à fait vrai que les économies demandées aux collectivités locales sont proportionnellement plus importantes que la part de leurs dépenses dans la dépense publique globale – 20 % –, surtout si l’on considère les années précédentes, notamment les baisses de dotations.

Lorsque nous ciblons une augmentation de 1, 2 % de la dépense – nous y reviendrons pendant le débat –, vous constaterez que cette légère augmentation de la dépense qui pourrait être contractualisée avec les collectivités est deux fois supérieure à ce que l’État va s’imposer lui-même. La part des collectivités locales dans l’effort de réduction de la dépense publique sera d’un sixième, alors qu’elles représentent un cinquième des dépenses totales. L’État fera donc le plus gros de cet effort : il a beaucoup à rattraper, il a beaucoup à changer et à transformer.

Le principe est donc la contractualisation : ne pas toucher à la quasi-intégralité des communes de France et considérer que pour les communes de plus de 50 000 habitants, pour tous les départements, toutes les régions, soit les 319 collectivités que nous évoquions, il y aura non pas une baisse des dotations – pour la première fois depuis 2010 –, mais un encadrement de la dépense publique afin que celle-ci n’augmente pas de manière trop importante – nous aurons l’occasion d’y revenir. Cet encadrement porte sur les dépenses non pas d’investissement, mais de fonctionnement. Il s’agit bien sûr de donner également aux élus les marges de manœuvre nécessaires pour rester dans ce cadre, ce qui veut dire qu’il faudra revoir la façon dont ils peuvent gérer leur masse salariale et notamment le glissement vieillesse-technicité, ou GVT.

Vous constaterez ainsi que ce projet de loi de finances rétablit le jour de carence, tandis que le point d’indice n’augmente pas. C’est une mesure qu’attendaient les élus locaux. En effet, lorsque l’État décide d’augmenter le point d’indice, ce sont souvent les collectivités locales qui paient. Il nous apparaît nécessaire de réformer ce point.

La réforme des collectivités locales est une réforme de confiance : pas de baisse des dotations – et même une légère augmentation de certaines d’entre elles – ; une dotation d’équipement des territoires ruraux, ou DETR, qui reste au même niveau que l’année dernière – alors qu’elle avait été opportunément augmentée la veille de l’élection présidentielle, mais c’était le jeu – ; et une dotation de soutien à l’investissement local, ou DSIL, qui reste identique.

Nous pourrons reposer la question des variables d’ajustement, source de difficultés s’agissant de dotations qui ont peut-être un peu vieilli. J’ai pris l’engagement, devant l’Assemblée nationale en première lecture, de revenir en seconde lecture, au Sénat comme devant les députés, sur la dotation de compensation de la réforme de la taxe professionnelle, ou DCRTP, qui ne me paraît pas être une bonne variable d’ajustement. Le Gouvernement procédera à la correction.

La question très importante de la transformation de nos politiques publiques a été évoquée. Je voudrais souligner, indépendamment de la baisse de la fiscalité qu’a évoquée le ministre de l’économie et des finances et sur laquelle je ne reviendrai pas, que c’est la première fois qu’est créée dans le budget de la République une ligne de 700 millions d’euros – dont 200 millions d’euros dès l’année prochaine – pour permettre cette transformation : transformation numérique, transformation des services publics. Évitons peut-être des décisions un peu paramétriques : tant la révision générale des politiques publiques que la modernisation de l’action publique ont pu apporter quelques bonnes solutions – mais parfois également des mauvaises, notamment pour la police nationale. Aussi, assignons à la revue des politiques publiques une mission plus intelligente pour savoir ce qu’on doit changer, ce qu’on doit renforcer et ce qu’on doit limiter en adaptant notre pays à la vie des collectivités locales, des entreprises et de nos concitoyens.

Le budget que nous vous présentons prévoit trois grandes transformations et des baisses de crédits budgétaires. Est concernée la politique du logement, où 40 milliards d’euros sont dépensés chaque année pour 4 millions de mal-logés. Il y a donc sans doute des transformations très importantes à faire, ce dont nous aurons l’occasion de parler longuement. Est également concernée la politique du travail, avec la diminution du nombre des contrats aidés et une augmentation des moyens consacrés aux formations qualifiantes, preuve d’une transformation de la politique publique en la matière. Enfin est concernée la politique des transports : nous avions tous de grandes idées de dépenses, sans comprendre que la fin de l’écotaxe a signifié la fin des recettes. Cela ne pouvait donc évidemment pas fonctionner. Nous aurons l’occasion d’y revenir, en écho aux assises nationales de la mobilité.

A contrario, certains budgets augmentent. Je voudrais cependant dire devant votre assemblée qu’il ne me semble pas que je sois un mauvais ministre, et pourtant mon budget baisse ! M. le ministre de l’économie et des finances est d’accord avec moi, l’heure n’est plus à dire : « Je dépense, donc je suis bon. » Il est important de le souligner et ce n’est pas parce qu’un budget baisse qu’il n’est pas prioritaire.

Il y a des dynamiques qu’il ne faut pas ignorer, en premier lieu la dynamique de protection de notre pays. Ainsi nos armées verront leur budget augmenter de 1, 7 à 1, 8 milliard d’euros chaque année pendant cinq ans, ce qui est sans précédent depuis l’époque du général de Gaulle. De même, les ministères de l’intérieur et de la justice voient également leurs moyens augmenter. Le régalien est donc au rendez-vous des augmentations budgétaires.

Ce qui est également sans précédent depuis les années 1980, je le souligne, c’est l’augmentation du budget de l’éducation nationale et de l’université. C’est une priorité gouvernementale. En particulier, les universités doivent faire face, encore cette année, à l’arrivée de 40 000 étudiants supplémentaires.

Enfin, les crédits d’un certain nombre de ministères n’augmentent ni ne baissent. Et vous savez à quel point il est parfois difficile de lutter contre un tendanciel. Je remercie chacun des membres du Gouvernement – ils vous diront tour à tour à quel point ils ont été heureux de ses arbitrages et de la maîtrise de la dépense publique.

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