Intervention de Vincent Eblé

Réunion du 23 novembre 2017 à 11h00
Loi de finances pour 2018 — Discussion d'un projet de loi

Photo de Vincent EbléVincent Eblé, président de la commission des finances :

Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, nous poursuivons une session budgétaire au cours de laquelle nous avons déjà examiné de nombreux textes. Cela nous a montré les inconvénients de l’éclatement de la législation fiscale entre lois de finances et lois de financement de la sécurité sociale.

Monsieur le ministre de l’action et des comptes publics, vous avez eu raison de relancer le débat sur les conditions de l’examen des textes financiers au Parlement, débat qui était un peu au point mort depuis l’échec du projet de révision constitutionnelle de 2010.

La commission des finances du Sénat jouera tout son rôle dans ce travail. Nous devrons examiner aussi bien les modalités de discussion des différents textes dans chaque assemblée que leur calendrier de dépôt et d’examen, ainsi que l’organisation de la navette, surtout si l’idée de fusionner les parties recettes des lois financières prospère. Mais ce sont aussi les comportements et les pratiques qui doivent évoluer. Nous devons nous mettre en situation de voter en étant toujours pleinement éclairés, ce qui suppose de recevoir les réponses aux questions que nous posons et d’avoir du temps pour analyser les propositions du Gouvernement qui arrivent encore trop souvent par amendements déposés fort tardivement.

Aujourd’hui, nous sommes saisis du projet de loi de finances de l’année, sur lequel se sont penchées toutes les commissions et, en particulier, les 76 rapporteurs pour avis et les 48 rapporteurs spéciaux, dont je salue l’implication.

L’exécution d’une loi de finances est tributaire du contexte macroéconomique dans lequel elle s’inscrit. C’est sur ce point que je voudrais formuler mes premières remarques.

D’abord, la nouvelle majorité bénéficie pleinement des mesures visant à redresser la compétitivité de l’économie mises en place sous le précédent quinquennat : le Gouvernement bénéficie d’une accélération marquée de la croissance et d’un dynamisme des recettes.

Cette reprise tient notamment aux mesures mises en œuvre depuis 2012 pour redresser la compétitivité et enrichir la croissance en emplois. Le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, le CICE, et le Pacte de responsabilité ont ainsi largement contribué au net redressement des marges des entreprises observé depuis 2013, soit + 2 points. Les efforts de modernisation du marché du travail commencent à porter leurs fruits, le nombre de déclarations d’embauche en CDI étant désormais à son plus haut historique. Les parts de marché à l’exportation sont stabilisées, après une baisse continue entre 2000 et 2012, et les projets d’investissements internationaux sont en forte hausse : + 34 % en 2016.

Deuxième remarque : pour ramener le déficit public en dessous de 3 % du PIB en 2017, on peut considérer que le Gouvernement s’est contenté de « surfer » sur la reprise. Le Gouvernement a « dramatisé » en juillet les résultats de l’audit des finances publiques de la Cour des comptes, pour finalement mettre en œuvre des mesures de régulation budgétaire d’un montant comparable aux années précédentes – 4, 2 milliards d’euros.

Avec la taxe sur les dividendes, on a retrouvé le même schéma : le Gouvernement dramatise en évoquant un « scandale d’État » avant de déboucher sur des propositions technocratiques et bien modestes de réformes de la procédure d’élaboration de la loi.

En réalité, en l’absence d’embellie conjoncturelle, la prévision de déficit public pour 2017 serait nettement supérieure au seuil de 3 % du PIB. Autrement dit, le Gouvernement, loin d’avoir pris des mesures de redressement « exceptionnelles », s’est contenté de surfer sur la conjoncture.

Troisième remarque : le Gouvernement a même profité de la reprise pour relâcher l’effort de maîtrise de la dépense en 2018, au risque de nous mettre en porte-à-faux par rapport à nos engagements européens. L’an prochain, le Gouvernement s’est fixé pour objectif de contenir la croissance de la dépense publique à 0, 5 %, loin de l’objectif affiché en juillet d’une stabilisation de la dépense. Près d’un tiers des économies programmées est ainsi reporté sur la fin du quinquennat.

Au regard de nos engagements européens, le Gouvernement joue avec le feu. La réduction – et rien n’est fini, monsieur le ministre, quoi que vous en disiez – du déficit structurel prévue l’an prochain, limitée à 0, 1 point de PIB, est ainsi très inférieure à nos engagements européens – 0, 6 point – et à l’objectif fixé par le précédent gouvernement – 0, 5 point. Nous allons saturer dès l’année prochaine les marges de flexibilité que nous permet le pacte de stabilité.

La gravité de cette remarque va au-delà des considérations budgétaires : à l’heure où le Gouvernement entend porter une réforme de la zone euro, c’est la crédibilité de notre pays qui pourrait être atteinte. La France sera le seul grand pays de la zone euro dont le ratio d’endettement ne devrait pas diminuer l’an prochain.

Ma quatrième remarque me conduit à regarder les solutions retenues par le Gouvernement pour éviter une « sortie de route » budgétaire. Si je résume, il a choisi de différer les baisses de cotisations sociales prévues pour les classes moyennes, récupérant ainsi 4, 5 milliards d’euros, plutôt que de reporter les réformes de la fiscalité du capital.

Justement, au-delà du contexte macroéconomique, il faut s’intéresser au budget de l’État et à la politique fiscale.

D’abord, le Gouvernement ne se prive jamais de charger la précédente majorité, alors que ce projet de budget capitalise sur des mesures qui ont été prises sous le quinquennat précédent.

Sur les 12, 4 milliards d’euros de baisses d’impôts contenues dans ce budget, quelque 5, 9 milliards d’euros, donc près de la moitié, correspondent à des mesures prises par le gouvernement précédent. Par exemple, la trajectoire de baisse de l’impôt sur les sociétés est un peu revue par ce projet de loi de finances, mais son principe avait déjà été voté, et c’est la mesure prise par la précédente majorité qui entrera en vigueur en 2018.

Ensuite, en observant ce qui relève des décisions du nouveau gouvernement, la situation est, si j’ose dire, moins rose. Ce projet de loi de finances ne porte pas la marque du sérieux budgétaire.

Regardons d’abord le déficit de l’État : il avait baissé sans interruption entre 2012 et 2016, pour revenir à 69, 3 milliards d’euros. En 2017, la situation se dégrade avec 76, 9 milliards d’euros, dégradation qui s’accentue en 2018 avec un déficit de 82, 9 milliards d’euros !

Je m’inquiète aussi des annonces du Gouvernement consistant à sacrifier le patrimoine de l’État pour débudgétiser le financement d’annonces aux contours flous. Depuis six mois, deux fonds dotés de 10 milliards d’euros issus en tout ou partie de cessions de participations ont été annoncés, sans que l’on sache si l’un se substitue à l’autre, comment ils devraient fonctionner, et sans aucune justification de la rationalité économique et financière de ces cessions.

Ce budget montre que les relations financières entre l’État et les collectivités territoriales doivent être repensées en profondeur. La loi de programmation met en place un mécanisme novateur de contractualisation censé s’appliquer dès 2018. Au 23 novembre, nous ne savons toujours rien de la manière dont il va s’appliquer concrètement. Les collectivités vont voter leur budget sans savoir où elles devront faire des efforts ni comment ils seront mesurés.

Pour le reste, cette année se caractérise, certes, par une DGF qui ne diminue pas, mais les dotations d’investissement, elles, sont réduites de 200 millions d’euros, en raison notamment de la très contre-productive suppression de la réserve parlementaire. La péréquation progresse moins.

En matière de finances locales, arrêtons le bricolage et osons une réforme globale. Nos impôts directs locaux sont à bout de souffle, nos compensations ne font que cristalliser les inégalités de richesse. Il faut changer de logiciel !

Surtout, ce budget n’est pas le budget du pouvoir d’achat.

Le Gouvernement met en avant les quelques mesures favorables qu’il propose, par exemple les revalorisations exceptionnelles de la prime d’activité ou l’augmentation de l’allocation aux adultes handicapés. Mais ces allocations font dans le même temps l’objet de réformes de leurs paramètres qui conduisent à reprendre d’une main ce que l’autre a donné.

Au niveau agrégé, et alors que les crédits des ministères progresseraient dans leur ensemble de 4, 4 milliards d’euros, deux missions verraient leurs crédits baisser très fortement : le logement et l’emploi. À chacun ses priorités !

En dehors de ces deux secteurs, le Gouvernement peine à expliquer comment il va faire des économies sur la suite du quinquennat, s’en remettant au processus Action publique 2022 qui parviendra, à n’en pas douter, à identifier en moins de six mois les leviers d’économie qui permettront de redresser nos finances publiques.

En matière de fiscalité, la réforme emblématique en faveur du pouvoir d’achat des ménages est celle de la taxe d’habitation. Si elle franchit la haie du Conseil constitutionnel, elle bénéficiera à 80 % des foyers qui verront leur impôt réduit de 30 % en 2018 et de 100 % en 2020. Le gain moyen par foyer est estimé à 166 euros en 2018.

Mais ce gain, même cumulé avec celui de la « bascule » des cotisations salariales sur la CSG, ne sera pas forcément un gain net. Il faut le mettre en regard des autres modifications apportées aux prélèvements sur les contribuables modestes ou moyens et en particulier en matière de fiscalité écologique, qui va augmenter de 46 milliards d’euros d’ici à 2024. Compte tenu de la structure de la consommation des ménages, la convergence entre l’essence et le diesel et la nouvelle trajectoire de la contribution carbone vont surtout toucher les ménages pauvres, pour lesquels les mesures de compensation – chèque énergie, prime à la conversion – ne seront pas forcément à la hauteur des surcoûts. On peut aussi mentionner la fiscalité de l’épargne qui soumettra les détenteurs de plans d’épargne en actions, les PEA, et d’assurance vie aux mêmes hausses de CSG que les détenteurs d’autres types d’actifs financiers, tout en enregistrant une hausse des prélèvements fiscaux.

La politique fiscale du Gouvernement se résume donc à des gains relatifs ou inexistants pour les ménages modestes ou moyens et à des gains certains et importants pour les contribuables les plus fortunés. Nous aurons ce débat au moment de la discussion des articles, mais je ne pourrai que m’opposer à la création du prélèvement forfaitaire unique et à la transformation de l’impôt de solidarité sur la fortune, l’ISF, en impôt sur la fortune immobilière, l’IFI, deux réformes dont la combinaison reviendra à accorder aux 100 plus gros contribuables de l’ISF un gain moyen annuel de 1, 5 million d’euros. Cela ne contribuera pas à améliorer significativement notre tissu économique, puisqu’on attend de cette réforme la création à long terme de 50 000 emplois seulement, soit bien peu au regard du coût de la réforme : 4, 5 milliards d’euros, voire plus de 5 milliards d’euros, qui manqueront chaque année au budget de l’État.

Nous reviendrons sur tous ces points lors de la discussion des articles et des missions, car cette année nous allons, selon toute vraisemblance, examiner l’ensemble du projet de loi de finances.

Nous verrons que ce budget est moins celui du nouveau monde que celui des vieilles ficelles, et c’est pourquoi, avec mon groupe, je ne le soutiendrai pas.

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