Messieurs les ministres, nous ne pensons pas que votre budget soit la bonne réponse au constat que nous venons d’évoquer.
Nous constatons d’abord qu’il s’inscrit dans la lignée des budgets antérieurs – Éliane Assassi l’a rappelé –, enserré dans les carcans que vous vous êtes donnés, après la révision générale des politiques publiques, la RGPP, la modernisation de l’action publique, la MAP, ou encore le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance, le TSCG. Le dogme de la réduction de la dépense publique a encore été réaffirmé ce matin : comme si celle-ci était nuisible par nature, comme si elle ne contribuait pas, elle aussi, à la croissance et au développement ! Aussi cette continuité se traduit-elle dans vos choix budgétaires.
Nous détaillerons notre propos au cours des jours à venir dans cet hémicycle. Aujourd’hui, nous nous contenterons d’évoquer trois mesures fortes de votre projet, au premier rang desquelles la suppression de la taxe d’habitation.
Le fait de commencer par cette question en cette Haute Assemblée a bien sûr un sens très particulier.
Le sujet a été abondamment débattu lors de la récente campagne des élections sénatoriales, et pour cause, il suscite toujours beaucoup d’inquiétude chez les maires et les élus locaux.
Il y avait certainement une réforme à mener en matière d’impôts locaux : cela ne fait aucun doute. Mais elle ne doit évidemment pas éluder le sujet épineux de la valeur locative.
À nos yeux, cette annonce est démagogique. Qu’en sera-t-il demain de la taxe foncière ? Nos concitoyens auront-ils à subir en conséquence des hausses des taxes locales et des tarifs des services publics locaux ? Cette suppression signifie aussi que, à terme, 20 % des contribuables se retrouveront seuls à payer.
Certes, on évoque les compensations par l’État, mais les élus locaux conservent en mémoire la décision de suppression brutale, unilatérale, de la taxe professionnelle, prise il y a quelques années. Cette suppression devait, elle aussi, être compensée à l’euro près : vous le savez, tel ne fut pas le cas. Le compte n’y est pas.
Que se passera-t-il après 2018 ? Les communes seront privées, à terme, de 10 milliards d’euros de ressources. Or, chacun le sait ici, la taxe d’habitation représente environ 35 % de leurs rentrées fiscales. Ces préoccupations se sont largement exprimées cette semaine dans les travées du congrès des maires de France.
Messieurs les ministres, les collectivités territoriales représentent encore plus de 70 % de l’investissement public dans ce pays et seulement 9 % de la dette globale de la France. Nous vous suggérons de les solliciter comme un levier de sortie de crise et non comme une variable d’ajustement budgétaire.
Enfin, cette mesure est combattue par nombre de personnes, car elle est contraire à l’article 72 de la Constitution, qui sanctuarise le principe de la libre administration des collectivités territoriales en leur garantissant leur autonomie financière.
Oui, il faut une réforme de la fiscalité locale, mais une réforme globale et en concertation. Pour ces raisons, nous proposerons la suppression de l’article 3.
J’en viens à l’article 11, qui met en place le prélèvement forfaitaire unique, ou PFU. Là encore, point de nouveauté : cette disposition figurait par exemple dans les propositions de M. Fillon, candidat du parti Les Républicains lors de la dernière élection présidentielle.
Cette taxation unique à 30 % a pour première conséquence de revenir sur le principe de progressivité de la fiscalité, en vigueur jusqu’à présent. Ainsi, il n’y aura plus de variation en fonction des revenus. Comme tout impôt à taux unique, le PFU sera donc inégalitaire et profitera aux plus aisés.
Cette taxe a deux sources, un taux de cotisations sociales de 17, 2 % et un taux forfaitaire d’impôt sur le revenu de 12, 8 %. À terme, ce dispositif peut donc susciter une forme d’optimisation fiscale, car les revenus du capital seront moins taxés. En conséquence, il s’agit d’une véritable bombe à retardement pour les finances publiques. Le PFU transformera durablement une fiscalité déjà favorable aux plus aisés en une grande machine à redistribuer à l’envers.
Quant à l’article 12, il supprime l’ISF et met en place l’IFI.
Je relève déjà que, symboliquement, le mot « solidarité » disparaît : dans le contexte d’inégalités aggravées que j’ai précédemment évoqué, ce choix prend un sens très particulier. Ni Jacques Chirac ni Nicolas Sarkozy n’avaient osé toucher à l’ISF : M. Macron le fait.
Selon nous, ce n’est pas en supprimant un impôt socialement juste, ce n’est pas en cédant à une « lubie » du MEDEF, comme le disait lui-même Emmanuel Macron en 2014, que la France deviendra plus attractive. Mais, autres temps, autres mœurs !
Notre gouvernement propose de transformer l’ISF en IFI en sortant de l’assiette de l’ISF les valeurs mobilières, détentions d’actions, d’entreprises, d’obligations, de plans d’épargne en actions, ou PEA, d’assurances vie, etc. Le but est de diriger l’épargne vers les investissements productifs et, nous dit-on, de dynamiser l’économie. La perte de ressources pour l’État est estimée à 3, 2 milliards d’euros par an.
L’effet combiné de cet impôt sur la fortune immobilière et du prélèvement forfaitaire unique sur les dividendes sera absolument hallucinant pour les bénéficiaires de ces dispositifs.
Messieurs les ministres, je m’en réfère à la réponse faite par vos services au courrier que vous a adressé le président de notre commission des finances, Vincent Éblé, le 26 octobre dernier. Le président de la commission vous interrogeait quant aux conséquences de la mise en œuvre et de l’IFI et du PFU. Les éléments de réponse sont tout à fait édifiants. Nous en citerons quelques-uns.
Avec le PFU, les 100 premiers contribuables à l’ISF gagneront chacun, en moyenne, 582 380 euros par an.
Pour les 1 000 premiers contribuables, le gain moyen lié au PFU s’élèvera à 172 220 euros par an. Le bénéfice lié à la mise en place du PFU apparaît ainsi extrêmement concentré : 44 % du gain total est capté par le 1 % des ménages dont le revenu est le plus élevé. Cerise sur le gâteau, dernier élément d’analyse, pour les 100 premiers contribuables à l’ISF, le gain total lié aux deux réformes peut être estimé à environ 1, 5 million d’euros par an, soit un montant supérieur à l’ISF qu’ils acquittaient jusqu’à présent !
C’est aussi un symbole sidérant que la sortie des yachts et autres lingots d’or de l’assiette de l’impôt.
Messieurs les ministres, vous allez bientôt ressembler à Don Salluste dans La Folie des grandeurs !