Les investissements directs étrangers dans des secteurs clés de l'économie européenne sont tout à la fois un atout pour l'Union européenne mais également un sujet sensible lorsque des intérêts stratégiques et les industries du futur sont en jeu. C'est dans ce cadre que s'inscrit la proposition de règlement sur le filtrage des investissements directs étrangers, annoncée par Jean-Claude Juncker lors de son discours sur l'état de l'Union le 13 septembre dernier, et déposée le jour même par la Commission européenne.
Cette proposition répond à une demande franco-germano-italienne. Dans un courrier adressé en février dernier à la commissaire chargée du commerce, les ministres de l'économie français, allemand et italien ont en effet souhaité que la Commission examine, à la demande d'un État membre, et sur le fondement de critères économiques, les conditions de réalisation d'une opération d'investissement envisagée par un investisseur étranger.
La Commission a réagi, avec une célérité qui doit être soulignée. En recherchant, dans un premier temps, comment l'absence de réciprocité et l'existence de financements publics ou l'intervention d'entreprises d'État pourraient être des critères de refus d'investissements étrangers dans les entreprises européennes. Elle a en outre publié en mai un document de réflexion sur la mondialisation. Ce document préconise que l'Europe contribue à la mise en place d'un ordre mondial plus équitable et plus équilibré. Il doit être fondé sur des règles en matière de commerce et d'investissement qui ouvrent les marchés sur la base d'une véritable réciprocité.
La France a demandé l'inscription du sujet au Conseil européen des 22-23 juin. Celui-ci a chargé la Commission de se pencher sur « les moyens de déceler et de vérifier les investissements des pays tiers dans les secteurs stratégiques », sans toutefois souscrire à un renforcement du contrôle au niveau européen.
Après un certain tassement en raison de la crise de 2008, les investissements directs étrangers, et plus particulièrement chinois, ont connu une progression spectaculaire, au cours des toutes dernières années. Pour plus de détails, je vous renvoie à notre rapport écrit d'où il ressort que l'Union européenne est la principale source et la principale destination des investissements directs étrangers dans le monde, devant les États-Unis et des investisseurs plus traditionnels comme la Suisse ou le Japon dont la part relative diminue alors que, dans le même temps, certaines économies émergentes, comme le Brésil et surtout la Chine, accroissent rapidement leur présence dans les entreprises européennes. Ces investissements tendent désormais à se tourner vers des secteurs clés ou des technologies d'avenir, ce qui pose la question de la protection des intérêts stratégiques de l'Europe. D'autant que la réciproque n'est pas possible et que les règles de concurrence ne sont pas respectées lorsque l'investisseur est une entreprise d'État ou un fonds d'investissement que celui-ci promeut.
Il n'existe en l'état aucun contrôle des investissements directs étrangers au plan européen. Même si le contrôle au titre des concentrations peut conduire à interdire des opérations au nom du maintien de la concurrence, ou si, dans le cadre de certaines politiques sectorielles ciblées, il est, par exemple, procédé à la vérification de la sécurité des approvisionnements en matière énergétique, la sécurité des réseaux et des systèmes, ou encore la sécurité prudentielle en cas d'acquisitions dans le secteur financier.
L'article 65 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne permet aux États membres de prendre des mesures à l'égard d'investissements étrangers mais pour des raisons tenant exclusivement à la sécurité ou à l'ordre public. La Cour de justice de l'Union européenne considère que la gravité de la menace doit être établie et que les mesures doivent respecter les principes de proportionnalité et de sécurité juridique.
À ce jour, treize États membres ont mis en place des dispositifs de contrôle dont la portée, le champ et les modalités sont très divers. Les seuils de prise de participation à partir desquels un contrôle est effectué varient ainsi de 5 à 50 %. Les secteurs concernés sont plus ou moins étendus mais comprennent généralement celui de la défense. Les critères sont variables : impact sur les infrastructures, les approvisionnements ou des technologies critiques, accès à des informations sensibles, contrôle de l'investisseur par un État étranger. Enfin, le contrôle intervient soit a priori, comme en France, imposant une notification préalable des opérations et une instruction approfondie, débouchant éventuellement sur des conditions dont le respect sera contrôlé, soit a posteriori.
Même si le dispositif français est l'un des plus aboutis, on est bien loin d'un pilotage de la stratégie souveraine de la France, ainsi que nous avons pu le constater avec le commissaire à l'information stratégique et à la sécurité. Ce dispositif a pourtant été renforcé en 2014 par le décret Montebourg, qui a ajouté six nouveaux secteurs considérés comme essentiels à la préservation des intérêts nationaux.
Dans la période récente, d'autres législations nationales ont été introduites et récemment renforcées. Ainsi en Allemagne en 2004 pour protéger les industries nationales de défense, dispositif étendu en 2017 après la prise de contrôle d'une entreprise de robots par un investisseur chinois qui a généré un électrochoc.