Les investissements directs étrangers dans des secteurs clés de l'économie européenne sont tout à la fois un atout pour l'Union européenne mais également un sujet sensible lorsque des intérêts stratégiques et les industries du futur sont en jeu. C'est dans ce cadre que s'inscrit la proposition de règlement sur le filtrage des investissements directs étrangers, annoncée par Jean-Claude Juncker lors de son discours sur l'état de l'Union le 13 septembre dernier, et déposée le jour même par la Commission européenne.
Cette proposition répond à une demande franco-germano-italienne. Dans un courrier adressé en février dernier à la commissaire chargée du commerce, les ministres de l'économie français, allemand et italien ont en effet souhaité que la Commission examine, à la demande d'un État membre, et sur le fondement de critères économiques, les conditions de réalisation d'une opération d'investissement envisagée par un investisseur étranger.
La Commission a réagi, avec une célérité qui doit être soulignée. En recherchant, dans un premier temps, comment l'absence de réciprocité et l'existence de financements publics ou l'intervention d'entreprises d'État pourraient être des critères de refus d'investissements étrangers dans les entreprises européennes. Elle a en outre publié en mai un document de réflexion sur la mondialisation. Ce document préconise que l'Europe contribue à la mise en place d'un ordre mondial plus équitable et plus équilibré. Il doit être fondé sur des règles en matière de commerce et d'investissement qui ouvrent les marchés sur la base d'une véritable réciprocité.
La France a demandé l'inscription du sujet au Conseil européen des 22-23 juin. Celui-ci a chargé la Commission de se pencher sur « les moyens de déceler et de vérifier les investissements des pays tiers dans les secteurs stratégiques », sans toutefois souscrire à un renforcement du contrôle au niveau européen.
Après un certain tassement en raison de la crise de 2008, les investissements directs étrangers, et plus particulièrement chinois, ont connu une progression spectaculaire, au cours des toutes dernières années. Pour plus de détails, je vous renvoie à notre rapport écrit d'où il ressort que l'Union européenne est la principale source et la principale destination des investissements directs étrangers dans le monde, devant les États-Unis et des investisseurs plus traditionnels comme la Suisse ou le Japon dont la part relative diminue alors que, dans le même temps, certaines économies émergentes, comme le Brésil et surtout la Chine, accroissent rapidement leur présence dans les entreprises européennes. Ces investissements tendent désormais à se tourner vers des secteurs clés ou des technologies d'avenir, ce qui pose la question de la protection des intérêts stratégiques de l'Europe. D'autant que la réciproque n'est pas possible et que les règles de concurrence ne sont pas respectées lorsque l'investisseur est une entreprise d'État ou un fonds d'investissement que celui-ci promeut.
Il n'existe en l'état aucun contrôle des investissements directs étrangers au plan européen. Même si le contrôle au titre des concentrations peut conduire à interdire des opérations au nom du maintien de la concurrence, ou si, dans le cadre de certaines politiques sectorielles ciblées, il est, par exemple, procédé à la vérification de la sécurité des approvisionnements en matière énergétique, la sécurité des réseaux et des systèmes, ou encore la sécurité prudentielle en cas d'acquisitions dans le secteur financier.
L'article 65 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne permet aux États membres de prendre des mesures à l'égard d'investissements étrangers mais pour des raisons tenant exclusivement à la sécurité ou à l'ordre public. La Cour de justice de l'Union européenne considère que la gravité de la menace doit être établie et que les mesures doivent respecter les principes de proportionnalité et de sécurité juridique.
À ce jour, treize États membres ont mis en place des dispositifs de contrôle dont la portée, le champ et les modalités sont très divers. Les seuils de prise de participation à partir desquels un contrôle est effectué varient ainsi de 5 à 50 %. Les secteurs concernés sont plus ou moins étendus mais comprennent généralement celui de la défense. Les critères sont variables : impact sur les infrastructures, les approvisionnements ou des technologies critiques, accès à des informations sensibles, contrôle de l'investisseur par un État étranger. Enfin, le contrôle intervient soit a priori, comme en France, imposant une notification préalable des opérations et une instruction approfondie, débouchant éventuellement sur des conditions dont le respect sera contrôlé, soit a posteriori.
Même si le dispositif français est l'un des plus aboutis, on est bien loin d'un pilotage de la stratégie souveraine de la France, ainsi que nous avons pu le constater avec le commissaire à l'information stratégique et à la sécurité. Ce dispositif a pourtant été renforcé en 2014 par le décret Montebourg, qui a ajouté six nouveaux secteurs considérés comme essentiels à la préservation des intérêts nationaux.
Dans la période récente, d'autres législations nationales ont été introduites et récemment renforcées. Ainsi en Allemagne en 2004 pour protéger les industries nationales de défense, dispositif étendu en 2017 après la prise de contrôle d'une entreprise de robots par un investisseur chinois qui a généré un électrochoc.
La proposition de règlement n'est en rien, il faut le souligner, une mesure ou une réaction protectionniste à l'encontre des investissements étrangers. Ceux-ci sont indispensables pour la croissance et l'emploi en Europe. Elle devrait simplement permettre de garantir la transparence des mécanismes nationaux de contrôle des investissements étrangers, lorsqu'ils existent, et faciliter l'identification des stratégies d'investissement susceptibles de porter atteinte aux intérêts européens.
La proposition de règlement établit tout d'abord un cadre pour l'examen, par les États membres, des investissements directs étrangers dans l'Union européenne, pour des motifs tenant à la sécurité ou à l'ordre public, ou par la Commission en cas d'investissement susceptible de porter atteinte à des projets ou des programmes présentant un intérêt pour l'Union. Elle organise par ailleurs une coopération entre les États membres qui devrait permettre une identification et un suivi des investissements étrangers dans l'Union européenne.
Si le contrôle demeure une simple faculté pour les États membres, il serait désormais encadré par des exigences cumulatives de prévisibilité, de délais et de protection des informations confidentielles. Il devra être non discriminatoire et être assorti de voies de recours juridictionnelles. La liste non limitative des facteurs susceptibles d'être pris en considération comporte les effets potentiels sur les infrastructures critiques, les technologies critiques et la sécurité de l'approvisionnement en « intrants » essentiels, l'accès à des informations sensibles ou la capacité de contrôler de telles informations, enfin le fait que l'investisseur soit sous le contrôle d'un pays tiers, notamment au moyen d'un important appui financier.
Ces mécanismes de contrôle seraient désormais notifiés à la Commission. Leur mise en oeuvre ferait l'objet d'un rapport annuel. Les États membres qui n'ont pas mis en place un tel contrôle devront produire un rapport statistique annuel.
La proposition de règlement organise par ailleurs un dispositif d'échanges d'informations systématiques entre la Commission et les États membres. Ces échanges passeront par des points de contacts nationaux. Les États membres pourront formuler des observations dont l'État décisionnaire tiendra « dument compte ».
Enfin, il est prévu que la Commission examine les investissements susceptibles de porter atteinte à des projets ou programmes présentant un intérêt pour l'Union et formule un avis que l'État membre concerné pourra ne pas suivre à condition de justifier sa décision. En l'état, sept programmes sont listés : la radionavigation par satellite - Galileo -, l'observation de la terre depuis l'espace, - Copernicus -, le programme Horizon 2020, les réseaux transeuropéens de transport, d'énergie et de télécommunications.
Il convient tout d'abord de souligner que la proposition de règlement aura besoin d'une forte impulsion politique pour prospérer et être ensuite effectivement mise en oeuvre. La Commission, on l'a dit, a été inhabituellement réactive. La présidence bulgare pourrait en faire l'une de ses priorités. Mais plusieurs États membres, qui ont un fort besoin d'investissements ou qui s'inscrivent dans une longue tradition libérale, sont réticents devant une démarche dont ils craignent qu'elle soit perçue comme une marque de défiance par les investisseurs étrangers, sans compter qu'elle leur apparaît de surcroît créatrice d'une charge administrative nouvelle.
Il convient donc d'insister sur le fait que le dispositif ne comporte pas d'intention protectionniste : l'Europe reste ouverte aux investissements étrangers. Pour autant, la question doit être appréhendée dans un cadre global et l'Union européenne ne doit pas être naïve. À cet égard, comme cela a souvent été dit au sein de notre commission, la politique de la concurrence doit prendre en considération les enjeux du XXIème siècle et savoir faire émerger les champions européens de l'avenir. L'Union européenne doit être vigilante et attentive au respect des règles de concurrence. Elle doit veiller à la réciprocité, objectif qu'elle poursuit également dans les négociations commerciales, y compris en combattant l'application extraterritoriale des lois. On le sait, le « temps économique » va souvent beaucoup plus vite que le « temps politique » mais il est indispensable que l'Europe se dote sans tarder d'une vision globale de ses intérêts stratégiques.
La question des investissements directs étrangers dans l'Union européenne est un sujet essentiel. La Commission européenne a fait montre d'une bonne réactivité, à la hauteur des enjeux mais la réponse n'est pas encore tout à fait calibrée à cette hauteur. La Commission va émettre des avis mais le pays concerné ne sera pas tenu de les suivre ! On peut s'inquiéter quand on voit que l'Irlande ne réclame pas aux GAFA les impôts qu'ils lui doivent.
Que définit-on comme des États étrangers ? Les États membres de l'Espace économique européen, qui investissement des sommes considérables dans l'Union européennes, - 875 milliards d'euros, soit plus de 5 % du CAC 40 français -, sont plutôt des partenaires que des États étrangers. Par ailleurs, quelle sera la situation des investissements réalisés par le Royaume-Uni après le Brexit ?
Cette question des investissements directs étrangers ne relève pas d'une démarche protectionniste mais d'une régulation fondée sur la réciprocité. Je rappelle que je m'étais élevé contre la reconnaissance du statut d'économie de marché à la Chine, position qui a d'abord été fortement critiquée avant d'être finalement retenue. Je me réjouis qu'on ne l'ait pas accordée quand je vois la crise de l'acier. J'attire également l'attention sur le détournement par la Chine du programme européen « Tout sauf les armes » qui a éliminé les contingents et droits de douane pour la totalité des produits importés des pays les plus pauvres et dont bénéficie par exemple le Cambodge. Les entreprises chinoises en profitent, avec une main d'oeuvre moins chère, pour exporter vers l'Europe des quantités considérables de produits textiles, - ceux-ci représentent 74 % des exportations du Cambodge -, à travers des investissements massifs dans ce pays dont on peut douter que celui-ci tire un véritable bénéfice. Il est devenu impératif de se préoccuper de toutes ces pratiques qui sont très dommageables pour l'économie européenne.
Il faut mieux défendre nos intérêts. La marge de manoeuvre est étroite et il ne faut pas que ce soit au détriment de la croissance. Il faut également éviter que certains États européens - les plus libéraux - soient moins regardants, au détriment des autres qui ne bénéficieraient alors plus de ces investissements. La Commission européenne sera-t-elle en mesure de réguler les choses en la matière ?
L'Europe doit se protéger dans le domaine économique. Lors d'élections récentes, les opinions publiques ont manifesté leur défiance à l'égard d'une Europe passoire. Il est donc important de répondre à ce besoin de sécurité et d'avancer dans cette direction. D'autres pays, comme les États-Unis, sont infiniment moins naïfs : il suffit de voir le montant des amendes infligées. La situation actuelle est caractérisée par un déséquilibre résultant notamment de l'absence de réciprocité. Vous avez évoqué des domaines stratégiques, cela me paraît vital. Certaines entreprises ne présentent pas un caractère stratégique évident alors même que leur rachat emporte des délocalisations, voire leur disparition. L'Europe devrait aller au-delà pour répondre aux préoccupations des opinions publiques.
La protection de la sécurité et de l'ordre public justifie les inquiétudes que soulèvent certains investissements. Le marché européen est très ouvert et doit le rester. Il faut que l'Union européenne puisse continuer à investir hors d'Europe pour assurer sa croissance.
La protection des innovations européennes est insuffisante. À cet égard, l'évolution de la pratique de l'Office européen des brevets (OEB) apparaît inquiétante : parce qu'elles assurent des rentrées financières plus élevées, les demandes d'enregistrement de brevets introduites par les grandes entreprises étrangères sont traitées par priorité par rapport à celles des entreprises européennes dont les inventions sont donc protégées avec retard. L'office privilégie ainsi son chiffre d'affaires à court terme plutôt que la protection de l'innovation européenne qui devrait être prioritaire.
Les enjeux sont importants. Ce projet de règlement est révélateur de l'absence de stratégie européenne et d'une politique de concurrence qui s'est enfermée sur elle-même alors que priorité aurait dû être donnée à la création de champions européens. L'Union européenne fonctionne en la matière comme une maison dont les chambres ne communiquent pas entre elles mais qui laisse entrer comme elles veulent les souris venues de l'extérieur ! Le projet de règlement reste sur une vision très défensive et pas offensive. Il est dès lors d'autant plus urgent et pertinent de travailler sur la stratégie industrielle européenne.
La proposition de résolution européenne rappelle dans son point 9 que l'Union européenne ne prend pas suffisamment en compte ses intérêts stratégiques en s'opposant à la création de géants européens en raison du risque de monopole sur le marché européen qui en résulterait, position qui a facilité la prise de contrôle d'entreprises européennes par des investisseurs étrangers.
La question est très sensible. Il faut favoriser une Union européenne ouverte mais pas à tous vents. Il est en outre crucial de lutter contre le protectionnisme des autres marchés et de multiplier les partenariats amicaux. Enfin il faut veiller aux intérêts stratégiques, voire au-delà. La définition de ces intérêts est trop limitative. Elle ne comprend par exemple pas l'acquisition de terres agricoles comme nous en connaissons en France : 9 000 hectares ont ainsi été achetés cette semaine par des investisseurs chinois dans l'Allier. Il en est de même en matière de nanotechnologies : il faut regarder les conséquences de l'acquisition de bases de données par des investisseurs étrangers. La proposition de règlement va permettre d'avancer mais il est urgent de définir une stratégie globale. L'Union européenne doit être ouverte mais prudente.
La définition des intérêts stratégique est délicate à réaliser. Je préside une agence de promotion des investissements étrangers en Alsace. Le métier de chasseur d'investissements étrangers a bien changé. Je prendrai l'exemple de l'Alsace qui est bien placée et qui apparaît très attractive mais sans que l'on sache toujours les raisons personnelles pour lesquelles un investisseur est intéressé par une entreprise. Certains cherchent parfois à s'approprier une innovation que nous n'avions pas identifiée et ont effectué à cet effet des recherches préalables sur l'ensemble du territoire, en particulier auprès de start-up que je découvre grâce à eux. Il faut donc à la fois être les meilleurs pour attirer les investissements étrangers dont nous avons besoin et savoir protéger l'innovation. Cette démarche exige une bonne définition des intérêts stratégiques. C'est ainsi que la parapharmacie concentre actuellement beaucoup d'intérêts.
La politique court derrière la finance. Le texte proposé est a minima alors que le Brexit a déclenché une alarme : nos opinions publiques s'inquiètent de l'absence de politique industrielle européenne et de la timidité de l'Union européenne à l'égard du non-respect du principe de libre concurrence. Nous avons eu l'occasion de l'évoquer la semaine dernière lors de l'audition de Michel Barnier : quelle Europe, quelle économie voulons-nous, telle est la vraie question. J'ai le sentiment profond d'une vraie faiblesse politique dans l'approche européenne.
Je vous remercie pour la qualité de vos réactions. Ce rapport d'information arrive à point nommé. C'est l'image de l'Europe qui est en jeu. Il est essentiel que l'Union européenne ait une vision offensive face à la mondialisation et adopte une posture stratégique. Lors d'un entretien avec le président du Sénat auquel j'ai participé, Michel Barnier a insisté sur la position du secrétaire d'État américain au commerce qui invite le Royaume-Uni à se ranger aux normes américaines plutôt qu'à celles de l'Union européenne. C'est directement attaquer nos préférences collectives.
Construire une vision plus politique de l'Europe doit être la ligne de conduite de la refondation de l'Union européenne. Il faut promouvoir une Europe puissance plutôt qu'une Europe espace.
Quelques éléments de précision. L'évolution de la pratique de l'Office européen des brevets est préoccupante : il conviendrait que notre groupe de travail sur la propriété intellectuelle entende rapidement son président. Les États de l'Espace économique européen sont des pays tiers au regard des investissements directs étrangers. Ils ne doivent pas devenir des chevaux de Troie. La proposition de règlement apporte une réponse calibrée. Celui-ci s'appliquera directement à tous les États membres, sans qu'il soit besoin d'une transposition. La négociation préalable à son adoption va être difficile et je vais insister la semaine prochaine auprès de mon homologue bulgare de la COSAC pour que la Bulgarie en fasse une priorité de sa présidence. Quant à la définition des intérêts stratégiques, elle doit être précise et évolutive car il y a des domaines encore inconnus ou qui ne sont pour le moment pas matures.
La proposition de règlement constitue une première étape et marque une prise de conscience de la part des pays européens. Il faut faire évoluer les contours de la définition des intérêts stratégiques.
Sur la situation particulière des investissements agricoles et fonciers, ce sont des questions essentielles qui sont en jeu, en particulier l'indépendance alimentaire et agroalimentaire qui doit être intégrée dans les intérêts stratégiques.
Sur le foncier agricole, il faut savoir que la Chine a besoin de superficies considérables pour assurer la couverture de ses besoins alimentaires. Elle n'hésite d'ailleurs pas à acheter des terres en Afrique dont elle prélève la couche supérieure.
La proposition de résolution européenne pourrait évoquer la question de la définition des intérêts stratégiques.
Je vous propose de compléter à cette fin le point 17 par les mots suivants : « souligne la nécessité d'une définition évolutive des intérêts stratégiques européens ».
À l'issue du débat, la commission des affaires européennes a, à l'unanimité, autorisé la publication du rapport d'information et adopté la proposition de résolution européenne, ainsi que l'avis politique qui en reprend les termes et qui sera adressé à la Commission européenne.
(1) Le Sénat,
(2) Vu l'article 88-4 de la Constitution,
(3) Vu le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et en particulier ses articles 63, 64 et 207,
(4) Vu le document de réflexion de la Commission européenne sur la maîtrise de la mondialisation publié le 10 mai 2017,
(5) Vu la résolution du Parlement européen du 5 juillet 2017 sur l'élaboration d'une stratégie industrielle ambitieuse de l'Union européenne en tant que priorité stratégique pour la croissance, l'emploi et l'innovation en Europe et en particulier les points 16 à 20,
(6) Vu les conclusions du Conseil européen du 23 juin 2017 (EUCO 8/17),
(7) Vu la proposition de règlement COM(2017) 487 du Parlement européen et du Conseil du 13 septembre 2017 établissant un cadre pour le filtrage des investissements directs étrangers dans l'Union européenne,
(8) Vu la communication COM(2017) 494 de la Commission au Parlement européen, au Conseil européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au comité des régions du 13 septembre 2017 « Accueillir les investissements directs étrangers tout en protégeant les intérêts essentiels »,
(9) Soulignant que l'Union européenne est l'un des marchés les plus ouverts du monde, en matière commerciale comme en matière d'investissements ;
(10) Rappelant que l'Union européenne est la principale source et la principale destination des investissements directs étrangers dans le monde ;
(11) Considérant que les investissements directs étrangers ont un impact positif sur la croissance et l'emploi dans l'Union européenne, qu'ils stimulent la productivité et l'innovation, qu'ils rendent les entreprises européennes plus compétitives et ouvrent de nouveaux marchés aux exportations de l'Union européenne ;
(12) Considérant toutefois que certains investisseurs étrangers, en particulier certaines entreprises publiques et des États, ne respectent pas pleinement les principes d'une concurrence équitable et réciproque, y compris en matière d'investissements ;
(13) Considérant au surplus que les investisseurs étrangers recherchent de plus en plus des actifs stratégiques et que la prise de contrôle de tels actifs peut être préjudiciable aux intérêts essentiels de l'Union européenne ou des États membres et porter atteinte à la sécurité ou à l'ordre public ;
(14) Estime essentiel de maintenir l'ouverture la plus large de l'Union européenne aux investissements directs étrangers et souligne que le filtrage des investissements directs étrangers dans l'Union européenne n'est pas une marque de défiance à l'égard de ces investissements ;
(15) Souligne la nécessité d'empêcher les pratiques anti-concurrentielles et de définir et de mettre en oeuvre une stratégie européenne anti-dumping et antisubventions cohérente et efficace ;
(16) Juge nécessaire d'introduire des règles contraignantes et des engagements concernant les investissements directs étrangers dans les accords commerciaux bilatéraux ou régionaux ainsi que de renforcer la coopération multilatérale en la matière ;
(17) Salue l'initiative de la Commission européenne qui définit les éléments essentiels du cadre procédural des mécanismes nationaux de filtrage et conforte ce faisant les mécanismes de contrôle nationaux des investissements directs étrangers en cas de risque d'atteinte à la sécurité ou à l'ordre public ; souligne la nécessité d'une définition évolutive des intérêts stratégiques de l'Union européenne ;
(18) Recommande que la sécurité juridique des mécanismes de contrôle nationaux soit complétée par l'exigence que le traitement des recours contre les décisions des autorités nationales de filtrage soit rapide et efficace ;
(19) Observe que la liste des facteurs susceptibles d'être pris en compte pour des motifs de sécurité et d'ordre public permet d'éclairer les investisseurs mais qu'elle n'est pas limitative, ce qui laisse utilement place à des situations non encore identifiées ;
(20) Salue l'organisation de la protection des actifs essentiels pour des projets ou programmes européens sous l'égide de la Commission européenne ;
(21) Estime indispensable que ce contrôle puisse prendre en compte, le cas échéant, le caractère public de l'investisseur étranger ou des aides publiques dont il bénéficie ;
(22) Relève que la proposition de règlement s'articule avec le contrôle des concentrations et les législations européennes sectorielles qui traitent les effets de prises de participation étrangères ;
(23) Souligne que pour que la transparence sur les investissements étrangers dans l'Union européenne soit effective, l'identification de l'investisseur final est indispensable ;
(24) Souligne le besoin d'une coopération intra-européenne forte en matière d'identification et de suivi des investissements directs étrangers susceptibles de porter atteinte aux intérêts essentiels de l'Union européenne ou de ses États membres, à la sécurité ou à l'ordre public ;
(25) Relève que la coopération intra-européenne devrait permettre de prévenir le contournement des mécanismes nationaux d'examen des investissements directs étrangers dès lors que les États membres sollicités répondent rapidement aux demandes d'information ;
(26) Fait valoir à cet égard que les États membres auxquels des éléments d'information sont demandés par la Commission et d'autres États membres dans le mécanisme de coopération proposé par la Commission devraient être tenus de répondre dans un délai préfixé, la notion d'absence de retard indu ne paraissant pas de nature à permettre leur prise en compte effective dans les procédures de contrôle ;
(27) Souligne que la confidentialité des informations ainsi échangées doit être strictement protégée ;
(28) Estime indispensable qu'à partir des informations échangées dans le cadre de la coopération entre les États membres et la Commission prévue par la proposition de règlement, le groupe de coordination dont la Commission a annoncé la création soit rapidement constitué pour procéder à une analyse, régulièrement actualisée, des intérêts stratégiques européens et des flux d'investissements directs étrangers dans l'Union européenne ;
(29) Préconise que ce groupe, qui doit être pérenne, soit également chargé du suivi de la coopération entre les États membres, qu'il s'assure que ceux-ci ont mis en place un dispositif de déclaration des investissements directs étrangers sur leur territoire, qu'il définisse une méthodologie commune et favorise une convergence des mécanismes nationaux de filtrage des investissements directs étrangers ;
Observons tout premier lieu que la conduite autonome peut s'appliquer à une voiture, un camion ou un véhicule de transport en commun.
En présentation du rapport d'information La conduite sans chauffeur : le futur imminent, je souligne que son objet est extrêmement vaste, très diversifié et surtout en mouvement accéléré.
J'appelle votre attention sur quatre points.
Premièrement, la conduite sans chauffeur associe des techniques historiquement séparées : celle des constructeurs automobiles et celle des concepteurs de logiciels. Or, l'entrée fracassante d'acteurs du numérique de taille mondiale, tels que Google et Uber, aux capacités financières colossales, entraîne un déplacement substantiel de la chaîne de valeur.
Deuxièmement, la conduite sans chauffeur comporte des enjeux juridiques a priori très éloignés les uns des autres, comme la préservation des données individuelles ou le régime de responsabilité des robots en cas d'accident. Les assureurs verront baisser l'accidentologie, donc leurs marges. Ils devront assurer les cyber-risques des véhicules sans chauffeur, engendrés par la possibilité de pirater les véhicules à distance. En résumé, le véhicule autonome posera des questions qui dépasseront les règles juridiques habituelles pour devenir des interrogations éthiques adressées au législateur.
Troisièmement, le véhicule sans chauffeur entraînera progressivement une forte réduction du nombre des conducteurs de camions, de taxis et même de transports en commun. L'État devra anticiper et accompagner les transitions professionnelles et sociales que la révolution du véhicule autonome impliquera inéluctablement.
Enfin, les enjeux techniques, économiques et stratégiques sont planétaires.
Or, face aux États-Unis et à la Chine, l'Europe n'est pas assurée de constituer un pôle d'importance mondiale contribuant à l'évolution au lieu de la subir. Notre collègue Gisèle Jourda,...
qui s'est beaucoup investie dans ce rapport, exposera les deux axes de la stratégie de l'Union européenne pour les véhicules sans chauffeur.
Pour l'ensemble de ces raisons, une conclusion s'impose d'emblée : la conduite autonome viendra encore à l'ordre du jour de notre commission !
Dans le rapport d'étape que nous vous présentons aujourd'hui, apparaît le rôle clé de l'intelligence artificielle. Or sa première caractéristique est son évolution ultra rapide. En conséquence, les dispositions actuellement discutées au Parlement européen quant à la responsabilité civile de robots dotés d'intelligence artificielle risquent d'être rendues obsolètes par l'évolution technique bien avant leur adoption. Le droit fait inévitablement la course derrière la technique.
L'avenir nous dira si l'intelligence artificielle sera la clé du pouvoir économique au plan mondial. Mais il est déjà certain que l'Internet des objets - dont nous avons déjà parlé il y a huit jours à propos de cybersécurité - jouera un rôle capital dans nos conditions d'existence au cours des prochaines décennies. Quel est le plus gros projet dans ce domaine du géant chinois des télécommunications ? Le véhicule connecté ! Les quelque 6 000 chercheurs employés par Huawei sur ce thème s'efforcent de mettre au point, pour les véhicules connectés, des dispositifs et des protocoles qui seront ensuite utilisés pour l'Internet des objets, c'est-à-dire dans des domaines sans aucun rapport avec la mobilité.
Ainsi, nous sommes conduits à formuler des recommandations portant sur un domaine vaste, hétérogène et avec des références techniques dont la stabilité évoque parfois les sables mouvants. Le tout avec des implications à grande échelle, largement imprévisibles !
C'est pourquoi nous avons fait preuve de prudence en formulant les propositions du rapport. Elles sont cantonnées au strict domaine de la circulation automobile. Nous n'avons pas cédé au chant des sirènes numériques, car, avec le véhicule autonome, il est possible de gamberger partout !
En définitive, nos propositions peuvent être rangées dans quatre grandes rubriques : les essais ; le début d'une conduite autonome, mais dans certaines conditions ; la protection des données personnelles ; enfin l'éventuelle mise en libre circulation de véhicules dépourvus de pédales et de volant.
Pour les essais, notre avis est très clair : il faut les favoriser à grande échelle. La France et l'Europe ont une approche préventive qui met en place tous les cadres nécessaires avant d'autoriser le véhicule autonome sur les routes. Au contraire, les États-Unis ont une approche punitive : ils laissent faire les constructeurs et les puniront en cas d'accident. Cela crée un cadre plus favorable à l'innovation. Comme je l'ai déjà dit, la réglementation va bien plus lentement que les nouvelles technologies.
Adapter notre droit est une condition sine qua non pour que les opérateurs européens aient une chance de figurer demain sur le podium.
Nous insistons particulièrement sur les communications entre les véhicules et l'infrastructure. En effet, celui qui arrivera à imposer ses propres normes techniques de communication, bénéficiera d'une rente de situation quasiment inexpugnable. On peut changer une application d'intelligence artificielle, il sera autrement plus difficile de modifier les protocoles de communication implantés à grande échelle sur le globe.
Nous insistons également sur la protection des données personnelles. Le sujet n'est pas uniquement juridique. Pensez aux multiples applications gratuites qui saturent nos smartphones : leur modèle économique est précisément fondé sur l'absence de protection des données individuelles, depuis la liste des numéros de téléphone et des adresses électroniques, jusqu'aux requêtes formulées sur Internet en passant par les photos et vidéos enregistrées. La conduite sans chauffeur exigera la protection des données personnelles, élément basique de la cybersécurité. Il faudra donc inventer un nouveau modèle économique. Vaste programme !
Assurer une authentique cybersécurité est à nos yeux un préalable absolu au déploiement de véhicules sans pédales ni volant et susceptibles d'emprunter n'importe quelle voie de circulation. Une navette parcourant un même itinéraire en site propre est une chose. Un véhicule robotisé pouvant emprunter n'importe quelle voie en est une autre !
J'en viens enfin à l'essor prévisible de la conduite autonome. Nous préconisons surtout l'accompagnement par les pouvoirs publics. Tout d'abord pour contenir l'hétérogénéité du parc roulant sur une même portion du domaine routier. Ensuite pour adapter le droit de la route au fur et à mesure.
Avant de laisser la parole à notre collègue Gisèle Jourda, qui exposera la stratégie de l'Union européenne, dans un contexte comportant des entraves juridiques très particulières, il me reste à vous suggérer de regarder une brève vidéo montrant un essai de voitures autonomes, effectué récemment aux États-Unis, où la présence d'un conducteur n'est pas toujours exigée. Le futur « imminent » est déjà sur nos routes !
(Mmes et MM. les sénateurs visionnent un enregistrement de quelques minutes montrant l'essai de trois véhicules autonomes dépourvus de chauffeur, effectué dans une ville des États-Unis.)
Nous venons de voir que la science-fiction est devenue réalité, avec une séquence digne de l'homme invisible...
Face au défi technologique lancé aujourd'hui, qu'a fait l'Union européenne pour établir son leadership ? Elle a commencé par une cacophonie incompatible avec des prises de position homogènes dans l'espace européen.
Un point de droit s'impose immédiatement, car ni le code de la route, ni même les équipements susceptibles de modifier le comportement d'un véhicule ne relèvent directement du droit de l'Union. Selon les cas, les États membres sont tenus soit par la convention de Genève signée le 19 septembre 1949, soit par la convention établie à Vienne le 8 novembre 1968 et modifié depuis. La principale différence pour ce qui nous réunit aujourd'hui tient au fait que la convention de Genève ne concerne que le trafic international, contrairement à la convention de Vienne, qui régit aussi le trafic intérieur des États signataires.
L'évolution de cette seconde convention, ratifiée par la France et l'Allemagne, est gérée par la Commission économique pour l'Europe des Nations unies, où un groupe de travail est consacré à la sécurité routière. La lenteur avec laquelle des amendements modifient la convention de Vienne est illustrée par le dernier changement apporté à deux articles de cette convention, entré en vigueur le 23 mars 2016, deux ans après le vote intervenu le 26 mars 2014 ! Aucune loi nationale n'exige un tel délai pour sa simple promulgation. Cette situation purement juridique débouche sur l'impossibilité pour l'Union européenne de légiférer en contredisant la convention de Vienne. Elle entrave les essais entrepris sur le territoire des États signataires de ce texte. D'où une distorsion de concurrence au détriment de la France et de l'Allemagne, favorable en revanche principalement au Royaume-Uni, aux États-Unis, à la Chine et au Japon.
Je ne développerai pas aujourd'hui les autres points juridiques abordés dans le rapport, car ils n'ont pas de conséquence industrielle aussi marquée. Il en est toutefois un que je ne peux totalement passer sous silence : la protection des données individuelles. Il s'agit d'un sujet politique au sens le plus noble du terme, avec des conséquences majeures sur le plan économique. René Danesi vient d'appeler à l'éclosion d'un nouveau modèle économique pour les applications qui rendent service en échange de renseignements sur les usagers. Avec le véhicule autonome, le niveau d'intrusion sera très supérieur. L'éviter est un objectif majeur à nos yeux, mais les opérateurs britanniques par exemple ont déjà demandé l'accès aux données personnelles des utilisateurs de véhicules autonomes. Et le gouvernement de sa gracieuse majesté - qui fête aujourd'hui ses noces de platine - n'a pas réagi avec une forte véhémence, c'est le moins que l'on puisse dire pour sacrifier à la tradition anglaise de la litote.
J'en viens à ce que peut faire l'Union européenne dans un contexte aussi particulier, où les industriels et les États membres privilégient spontanément la concurrence, non la coopération. Concrètement, l'Union européenne agit dans deux directions : elle incite à la création de corridors d'expérimentation traversant plusieurs États membres et favorise la constitution de consortiums associant des acteurs complémentaires.
Les corridors transnationaux d'expérimentation présentent deux avantages considérables pour les États membres et leurs industriels. Ainsi, les routes empruntées pour les essais de véhicules autonomes présentent une plus grande variété pour le relief, les conditions météorologiques, et bien sûr pour les pratiques de la conduite réelle. Ce dernier point est sans doute le plus important. La stratégie consistant à rapprocher des politiques initialement distinctes commence à porter ses fruits.
Le deuxième axe de la stratégie européenne consiste à favoriser financièrement la création de consortiums associant chacun des dizaines de parties prenantes, issues de la construction automobile, des équipementiers, des opérateurs du numérique ou de la communication, enfin des chercheurs et des universitaires, le tout aux côtés d'institutions publiques d'États membres. Brièvement présentés dans le rapport, les consortiums associent des opérateurs de plusieurs États membres.
Je vais aborder la sécurité de la circulation. En visionnant la vidéo, vous attendiez un accident.
La faute peut provoquer un accident.
La sécurité de la circulation est le premier argument avancé en faveur des véhicules robotisés. Dans le rôle de l'argument massue, un constat : 90 % au moins des accidents routiers sont imputables à des erreurs humaines, de part et d'autre de l'Atlantique. Remplaçons l'humain par un robot et les erreurs humaines disparaîtront ! Prise à la lettre, cette proposition est irréfutable. Encore faut-il apprécier correctement ses conséquences.
Tout d'abord, la robotisation n'est pas suffisamment poussée pour qu'une substitution immédiate permette de remplacer tous les chauffeurs dans tous les véhicules par tout temps et quelle que soit la route.
Ensuite, à défaut de commettre des erreurs humaines, les robots pourraient en commettre d'autres, tout aussi graves.
Enfin, lorsque le progrès de l'intelligence artificielle et des équipements aura permis cette substitution, nous connaîtrons une période de coexistence entre conducteurs humains et robots. Rien ne permet d'affirmer qu'elle sera totalement pacifique. Il est même probable qu'elle provoquera des accidents, puisque la communication entre capteurs implantés sur un véhicule et conducteurs humains d'une autre voiture n'a rien de simple. À ce jour, les véhicules autonomes essayés sur les voies de circulation n'ont guère occasionné d'accidents. Je rappelle notamment que l'accident mortel ayant impliqué une Tesla en mars 2016 sur une voie rapide aux États-Unis était imputable au fait que cette voiture était conduite comme si elle avait été entièrement autonome, alors que ce modèle assurait une assistance très poussée à la conduite, pas un dispositif robotisé.
Au demeurant, l'éventuelle maîtrise totale de tout le parc automobile par l'intelligence artificielle pourrait faire peser sur tous les usagers de la route une menace de cybersécurité à une échelle et avec des conséquences totalement inédites.
La perspective que je viens d'évoquer relève du long terme, mais les enjeux industriels sont déjà présents. En effet, les équipements nécessaires à la conduite automatisée peuvent apporter une assistance considérable aux conducteurs humains. Je ne mentionnerai que deux exemples. Tout d'abord, le régulateur de vitesse adaptatif équipe toujours plus de véhicules en circulation ; s'il était généralisé, il n'y aurait plus de carambolages ! Le même dispositif apportera un service identique à un véhicule autonome. Le deuxième exemple concerne un équipement qui existe dans les laboratoires, mais n'est pas encore utilisé. Il s'agit d'une caméra placée à l'avant d'un véhicule - notamment d'un camion ou d'un bus - dont l'image est transmise aux véhicules qui suivent. Ainsi, les conducteurs pourraient voir sur un écran ce qui se passe au-delà de leur champ de vision. Un robot qui dirigerait un véhicule bénéficierait tout autant d'une semblable liaison.
Il serait facile de multiplier les exemples illustrant un point capital : le véhicule autonome et connecté de demain sera fabriqué par ceux qui maîtrisent aujourd'hui les techniques d'assistance poussée à la conduite.
L'évolution vers la conduite totalement automatisée ira-t-elle ou non jusqu'à son terme le plus extrême ? L'avenir nous le dira, mais nous savons dès aujourd'hui que la partie industrielle sera jouée entre les acteurs qui auront imposé - très bientôt - la supériorité de leurs solutions.
J'ai pris le véhicule autonome en marche, puisque le groupe de travail sur la conduite autonome ou connectée avait déjà bien avancé ses investigations lorsque je l'ai rejoint. La poursuite de nos travaux m'offrira l'opportunité d'une plus grande implication personnelle sur ce thème passionnant, d'une actualité brûlante.
Pour cette raison, je limiterai aujourd'hui ma contribution personnelle à deux constats qui m'ont frappé lorsque j'ai pris connaissance du travail réalisé.
Tout d'abord, les problématiques du rapport dépassent très largement le cadre des transports routiers. Elles vont même au-delà de la thématique « transports », puisque la robotisation et le recours à l'intelligence artificielle vont largement déterminer l'évolution de nombreux secteurs d'activité humaine au cours des décennies à venir. C'est vrai de l'intelligence artificielle, dont les progrès se mesurent sur une échelle de temps fondée sur les mois, voire sur les semaines puisque deux évolutions majeures ont été rendues publiques depuis le début du mois d'octobre. Il s'agit de l'autoapprentissage initial sans intervention humaine et de l'aptitude nouvelle pour l'intelligence artificielle de se substituer aux ingénieurs en intelligence artificielle ! Cette faculté de reproduction devrait accélérer spectaculairement le rythme auquel nous verrons « naître » des applications concrètes, avec un contrôle humain toujours plus limité.
Le second point que je voudrais mentionner concerne l'extrême urgence pour les Européens d'agir de façon déterminée. Incontestablement, les véhicules du futur seront connectés, alors que le Vieux Continent ne joue plus aucun rôle actif dans l'industrie des communications, que ce soit via un réseau téléphonique ou par Wifi. Les informations reçues seront traitées par l'intelligence artificielle, domaine où les opérateurs européens s'efforcent d'exister, non sans mal face à l'avance des géants d'outre-Atlantique et la captation de trop nombreux ingénieurs, attirés par des rémunérations sans commune mesure avec celles qu'ils peuvent espérer sur le territoire européen. D'un côté, nous sommes dominés par des géants dont les budgets de recherche sont plusieurs centaines de fois plus élevés que ceux de leurs homologues européens. De l'autre, l'Empire du milieu fabrique bien des équipements de pointe et développe à grande vitesse des capacités de recherche avec des moyens qui excèdent largement ceux de leurs homologues européens.
À propos de conduite sans chauffeur, le rapport mentionne à juste titre un futur « imminent ». Ce futur nous laissera une certaine place à la condition sine qua non d'agir immédiatement pour la mériter. Si nous ne surmontons pas nos difficultés, ne nous resterons que des miettes !
Le groupe de travail n'en a pas fini, car il nous informera sur les évolutions à venir. Tout va très vite. La réactivité des acteurs européens est essentielle dans les télécommunications, le traitement des données personnelles et la robotisation. Le principe de précaution plane ici, alors que le principe d'innovation domine outre-Atlantique.
Cette communication nous est faite deux jours après l'information sur le piratage de données personnelles détenues par Uber. Cette société opère dans toutes les villes du monde où je me suis rendu depuis deux ans.
Je regrette le rejet de l'amendement que j'avais présenté, tendant à interdire aux forces de l'ordre de se brancher sur les « boîtes noires », toujours plus présentes sur les véhicules actuels. Rappelez-vous : lorsque la Floride a été ravagée par l'ouragan Irma, Tesla est intervenue à distance pour accroître l'autonomie de certaines voitures !
La responsabilité civile des robots pose un problème juridique redoutable, car il serait difficile de mettre en cause l'informaticien ayant écrit l'algorithme de base.
Avec le véhicule autonome, le rapport à l'espace va changer, notamment pour les collectivités territoriales. La commodité apportée par la conduite autonome augmentera peut-être les transports, ce qui rendra encore plus impérieuse la nécessité d'une transition énergétique, au demeurant favorisée par la robotisation des voitures.
Aucun constructeur n'est obligé d'effectuer les essais sur le territoire de son État d'origine. Les États-Unis ont investi beaucoup d'argent dans la conduite autonome, ils adaptent leur cadre juridique et drainent nos cerveaux. Qui sera maître de l'intelligence artificielle ? Les constructeurs français n'ont pas la capacité d'investissement de leurs homologues allemands.
Sur le plan juridique, nous sommes déjà en retard.
L'évolution technique est inéluctable. L'interrogation porte sur les conséquences économiques et sociétales, comme toujours dès qu'on parle d'intelligence artificielle.
J'ai échangé avec le député Cédric Villani à ce sujet. Nous faisons de la société fiction. La voiture connectée fera disparaître les infractions routières, ce qui ne sera pas sans conséquences négatives pour le budget de l'État !
Mais je regrette surtout la disparition du jeu. Quel serait l'intérêt d'une compétition automobile sans conducteur ? Nous avons vu ce qu'il en était avec le jeu d'échecs et le jeu de go, autrement plus compliqué. Un de mes amis, qui fut champion de France de go a quitté la compétition lorsqu'un ordinateur est devenu champion du monde.
Le jeu n'est pas seulement une distraction, c'est aussi la maestria dont peut faire preuve l'interprétation humaine d'une composition donnée : tous les musiciens ne jouent pas de la même façon un même air de Mozart ! La société humaine tolère une part de jeu dans les comportements humains ; rien de tel ne peut être espéré de la part d'un robot. Il serait dangereux de confier notre avenir aux techniciens, car ils se focalisent sur la performance technique au point d'oublier l'insertion de la machine dans la vie sociale.
Enfin, je n'imagine pas que les constructeurs de véhicules autonomes n'aient pas préservé un accès inviolable au dispositif informatique embarqué.
Dire que l'évolution technologique bouleversait la vie humaine sur terre n'est qu'un lieu commun, certes, mais nous nous sommes fait damer le pion par les GAFA dans le domaine commercial. Allons-nous recommencer ? Nos ingénieurs ont largement contribué à l'avance technique des opérateurs américains, alors que l'Europe a la capacité intellectuelle de s'imposer sur les marchés innovants.
Je félicite les rapporteurs pour leur travail remarquable, mais ils m'ont inquiété. Allons-nous baisser les bras ? Les crédits de recherche sont insuffisamment coordonnés sur le plan européen, et leurs montants restent dérisoires en comparaison avec ce que l'on constate aux États-Unis et en Chine. Serons-nous conscients de l'importance à positionner l'Europe sur le marché mondial ? Les deux orientations stratégiques portant sur les corridors d'expérimentation et la mise sur pied de consortiums doivent s'accompagner de crédits de recherche-développement pouvant assurer à l'Europe une position de leader. Nous avons les cerveaux permettant de développer l'intelligence artificielle, mais je crains que l'on ne baisse les bras.
J'achèverai par une observation sur le système Galileo. Une fois les difficultés actuelles surmontées, sa précision sera supérieure à celle de son concurrent américain GPS.
Je félicite les quatre copilotes, dont l'intelligence n'a rien d'artificiel.
La responsabilité juridique. Qui sera responsable lorsqu'un véhicule sans volant écrasera un piéton ?
Un homme d'affaires efficace peut éliminer son concurrent, mais la régulation reste nécessaire. Il en va de même pour la science, sinon le clonage humain serait une réalité.
L'intelligence artificielle aussi a besoin de régulation. Il faudra mettre en place des comités de suivi, car, sur le très long terme, la déshumanisation menacera. Nos descendants auront-ils encore besoin d'un cerveau ? À l'ère des ordinateurs, qui maîtrise le calcul mental ? J'avoue éprouver aujourd'hui quelques difficultés à lire une carte routière...
Sans le suivi que je préconise, nous courons à la catastrophe !
Ces interventions bienvenues sont pertinentes. Le sujet évolue en permanence ; il est trop vaste pour que nous puissions tout aborder. À elle seule, l'éthique pourrait justifier un rapport. Inévitablement, le véhicule autonome provoquera des accidents. Il ne semble pas réellement envisageable d'appliquer une responsabilité pénale à un ordinateur, mais la responsabilité civile et inévitable. Doté d'une intelligence artificielle auto-apprenante, un véhicule autonome pourra être confronté à une alternative : écraser une personne qui se trouve à tort sur la chaussée ou se déporter en compromettant la sécurité des passagers. Qui achètera une voiture susceptible de sacrifier ses passagers pour sauver un piéton ?
L'intérêt des SUV tient à la protection qu'ils apportent en cas d'accident, au détriment éventuel des véhicules percutés !
Monsieur Leconte, la conduite autonome en ville fera disparaître la propriété individuelle des véhicules, ce qui ne sera pas sans conséquences sur les parkings.
Carlos Ghosn refuse de transformer Renault et Nissan en simples assembleurs de carrosserie, mais tel est déjà le sort de Fiat depuis son partenariat avec Google. M. Raison a dit fort justement la nécessité de réguler la science et l'intelligence artificielle, mais c'est difficile à faire !
Le débat sur l'intelligence artificielle, qui s'est déroulé dans l'hémicycle il y a trois semaines, m'a donné le vertige pour mes enfants et mes petits-enfants. L'éducation nationale est un vrai sujet, car l'intelligence artificielle va de pair avec l'intelligence humaine. Que demandera-t-on aux adultes de demain ?
Face à un risque d'accident, que fera la voiture du futur ? Elle freinera !
Les corridors transnationaux et les consortiums apportent une lueur d'espoir à l'Europe. En deux ans, l'Union européenne a considérablement accéléré le processus d'harmonisation. Il y a deux jours, le Premier ministre a cité la voiture autonome parmi les priorités de la France en matière d'innovation. C'est positif.
La voiture autonome a une forte dimension urbaine, avec la ville intelligente. Le groupe Huawei veut nous vendre sa production. Comme on dit à Limoux, « Si on ne veille pas, on regardera passer les masques ». Il nous faut dépoussiérer les textes juridiques pour les rendre efficients.
Nous devons y réfléchir, ensemble et vite, pour ne pas devoir acheter ultérieurement des dispositifs conçus ailleurs. Ne nous laissons pas doubler, comme nous l'avons fait pour les panneaux photovoltaïques fabriqués en Chine !
Il y a fort longtemps déjà, les moines copistes refusaient l'imprimerie : le refus du progrès n'a rien de nouveau. L'intelligence artificielle ouvre des perspectives formidables, bien sûr pour les transports urbains, mais aussi pour les transports routiers. Tout arrivera très vite.
Il faut accepter l'évolution, et surtout s'en réjouir !
Nous chargeons le groupe de travail de suivre le sujet.
À l'issue de ce débat, la commission autorise, à l'unanimité, la publication du rapport d'information.
Nous allons maintenant entendre une communication de Didier Marie sur l'état des négociations en vue de la réunification de Chypre. Il s'agit d'un sujet très important sur lequel notre collègue nous a déjà fait un point. Sur son initiative, nous avions d'ailleurs adopté, en juillet 2016, une résolution européenne pour appuyer ce processus de négociation. Je constate que Chypre se trouve dans la situation singulière d'un État membre de l'Union européenne dont une partie du territoire est occupée par un État tiers.
Malheureusement, à ce jour, ce processus de négociation n'a pu aboutir. Notre rapporteur va nous expliquer pourquoi et nous livrer son appréciation.
Je lui donne la parole.
Comme vous l'avez rappelé, Monsieur le Président, Chypre est le seul État de l'Union européenne qui subit une occupation militaire. Cette situation est inacceptable même si on en connaît les raisons historiques. Ma communication s'inscrit dans la continuité du rapport sur les négociations interchypriotes que j'avais présenté devant cette commission en juin 2016. Ces discussions apparaissent aujourd'hui au point mort.
Le secrétariat général des Nations unies a, en effet, annoncé le 7 juillet dernier l'arrêt des négociations organisées à Crans-Montana (Suisse) sur la réunification de Chypre. La Conférence, ouverte le 28 juin 2017, réunissait les présidents de la République de Chypre, Nikos Anastasiades, et de la « République turque de Chypre-Nord » (RTCN), Mustafa Akinci. Je rappelle que cette entité n'est reconnue en tant que République que par la seule Turquie. Des représentants du Royaume-Uni, de la Grèce et de la Turquie - soit les trois États parties au Traité de garantie de 1960 - ainsi que l'Union européenne, au titre d'observateur, étaient associés à cette conférence. Cette réunion était principalement concentrée sur les questions délicates des garanties et de la sécurité.
La Conférence de Crans-Montana était considérée comme la réunion de la dernière chance, suite aux échecs des conférences de Mont-Pèlerin en novembre 2016 et de Genève en janvier 2017. Des avancées avaient toutefois été enregistrées dans plusieurs domaines à l'image de la gouvernance avec des accords obtenus sur les pouvoirs judiciaires et législatifs, le mode de fonctionnement de l'État fédéral ou les relations entre les deux États fédérés. Rien n'avait cependant été entrepris sur la question de la rotation à la tête de l'État fédéral, ou sur la question de la police. Les divergences de vues sur l'ajustement territorial et les parties à rétrocéder, en particulier sur la ville de Morphou, sous administration chypriote-turque avaient également contribué à l'absence d'accord, comme la question des propriétés spoliées - notamment sur le mode de règlement des cas litigieux - ou le retour des réfugiés. Les Chypriotes-grecs tablaient sur un retour de 90 000 personnes au Nord (la demande initiale portait sur 100 000 personnes). Les autorités de « RTCN » souhaitaient limiter ce chiffre à 75 000. La volonté de la république de Chypre d'en référer aux autorités grecques avait, par ailleurs, contribué à gripper la dynamique de négociations.
La Conférence de Genève avait également été marquée par la demande des autorités turques de bénéficier au sein de l'île une fois réunifiée des quatre libertés de l'Union européenne (circulation des personnes, des biens, des capitaux et des services). Il s'agissait ainsi de garantir une forte présence turque sur l'île, en particulier dans le domaine économique, et d'assurer ainsi une forme de priorité aux entreprises turques. Ce souhait n'était pas partagé par la partie grecque, qui a demandé un arbitrage de la Commission européenne. Les chypriotes-turcs, qui ont repris cette demande, l'ont justifiée par le fait que la réunification ne pouvait conduire à affaiblir la position d'Ankara, qui dispose aujourd'hui d'un accès privilégié au nord de l'île. La « RTCN » jugeait que cette demande permettait d'anticiper le renforcement des relations entre l'Union européenne et la Turquie, observable, selon eux, depuis l'accord sur la gestion des migrants de 2015.
Le représentant personnel du président de la Commission européenne, Pieter van Ruffel, a repoussé l'idée d'anticiper le renforcement des liens entre l'Union européenne et la Turquie. Il a toutefois jugé qu'il était cependant possible de prévoir des dérogations et des quotas le temps pour l'économie du nord de l'île de s'adapter. Comme je l'avais indiqué dans mon rapport, les circuits commerciaux et de production sont, en effet, très dépendants de la Turquie, notamment en ce qui concerne l'eau, l'électricité ou les télécommunications. En ce qui concerne la liberté de circulation des personnes, la Commission européenne estime que des aménagements pourraient être trouvés. Aujourd'hui, les chypriotes-turcs peuvent bénéficier, sur demande, d'un passeport de la République de Chypre. La Commission européenne rappelle cependant que la directive de 2003 relative au statut des ressortissants de pays tiers résidents de longue durée donne à ceux-ci la possibilité, au terme d'une période de 5 ans, de travailler dans les autres États membres. Tel serait ainsi le cas des travailleurs turcs installés à Chypre.
L'échec de ces deux conférences a été suivi d'une rupture des négociations en février 2017 suite au dépôt d'une proposition de loi au Parlement chypriote de commémorer dans les écoles le référendum de 1950 demandant le rattachement de Chypre à la Grèce. Il s'agissait d'une faute politique ou d'une provocation. Si ce texte, déposé par l'extrême droite, a été abandonné avant même toute discussion ou vote, la réaction turque, comme la nature même de l'initiative, ont toutefois souligné le rapprochement des deux communautés avec leur ancienne puissance tutélaire, à rebours donc d'une vision commune pour l'avenir.
La Conférence de Crans-Montana constituait donc une véritable reprise des discussions. Les Nations unies tablaient sur un nouveau cadre de sécurité, mettant fin au Traité de 1960 et interdisant tout droit d'intervention militaire unilatéral sur l'île. Un traité d'amitié réunissant Chypre, la Grèce et la Turquie devait dans le même temps être signé.
Le retrait des troupes turques devait débuter dès l'entrée en vigueur de l'accord. Le maintien de 750 soldats turcs - soit le nombre prévu par le Traité de 1960 - était ainsi avancé. La partie nord compte aujourd'hui près de 44 000 soldats turcs. Il était envisagé de regrouper les soldats turcs au sein d'une force internationale, ouverte aux troupes grecques. Le dernier compromis présenté par la partie chypriote-turque avait intégré certains de ces points. Il prévoyait ainsi une limitation du nombre des soldats turcs à quelques centaines d'hommes et un abandon du droit d'intervention des puissances garantes après trois mandats présidentiels consécutifs, soit au bout de 15 ans. Il s'agissait ainsi de démontrer la viabilité des nouvelles institutions. Les autorité turques se seraient montrées souples sur cette période et disposées, le cas échéant, à la réduire. La République de Chypre aurait, de son côté, opposé une fin de non-recevoir à ce délai, considérant qu'il était trop long. Elle aurait également émis des réserves sur la présidence tournante de l'île, telle qu'envisagée par la RTCN, plus particulièrement sur le rythme de la rotation.
L'arrêt de la Conférence de Crans-Montana ne signifie pas pour autant la fin de toute initiative, mais il remet en question le calendrier envisagé et une ratification d'un accord par référendum courant 2017. Le secrétariat général des Nations unies a d'ores et déjà indiqué qu'il ne reprendrait pas l'initiative de nouvelles négociations et attendrait un souhait explicite en ce sens des parties. La prochaine revue stratégique de la Force des Nations unies pour Chypre (FNUCHYP), installée sur l'île depuis 1964, sera observée. Une reformulation de la résolution 186 qui l'a créée ou une diminution sensible de ses effectifs pourraient être analysées comme une reconnaissance implicite de la division de l'île.
Il convient désormais de mesurer l'effet de démobilisation sur les négociateurs des deux côtés mais aussi les conséquences politiques dans les deux parties. Si la République de Chypre a annoncé sa volonté de poursuivre les négociations, celle-ci ne devrait pas intervenir à court terme, compte-tenu du calendrier électoral. La réélection éventuelle de M. Anastasiades à la présidence de la République de Chypre lors du scrutin de février prochain pourrait constituer un signal. Son principal concurrent est hostile au processus de réunification. Le président de la « RTCN », est, quant à lui, isolé face à un gouvernement et une assemblée nationalistes.
Des interrogations subsistent, par ailleurs, au sein de la République de Chypre sur la poursuite de l'aide européenne à la « RTCN ». Celle-ci s'élève à 30 millions d'euros par an depuis 2011. L'octroi de cette assistance financière pourrait, à l'avenir, être conditionné à la reprise effective des négociations et à un engagement en faveur de la réunification. Les autorités chypriotes-grecques ont en tout état de cause retiré leur soutien au Bureau d'appui de l'Union européenne chargé de préparer l'intégration du nord de l'île. Certains militent également pour la fin de la gratuité des soins pour les Chypriotes-turcs dans le sud de l'île et la déchéance de nationalité pour les Chypriotes disposant d'un passeport de la « RTCN ». Des touristes étrangers ayant manifesté leur intention de visiter le nord de l'île ont été, par ailleurs refoulé à l'aéroport de Larnaca.
La « RTCN » impose, de son côté, depuis le 1er octobre, des taxes sur les produits humanitaires destinés aux Chypriotes-grecs installés au nord de l'île dans les villages enclavés de la péninsule de Karpas. Quatre villages maronites sont également concernés. La communauté chypriote-turque semble, plus largement, dans l'expectative. Si elle s'oppose à une réunification par trop favorable à la communauté chypriote-grecque, elle craint également une assimilation complète par la Turquie. À cet égard, il est intéressant de noter que la Commission européenne a réagi en octobre dernier aux propos du ministre des affaires étrangères turc appelant à une « quasi annexion » de l'île. Le ministre envisageait de faire de la « RTCN » une république en partie autonome où la Turquie pourrait se charger de la défense et des affaires étrangères. Il entend ainsi se rapprocher des relations établies entre la France et Monaco ou entre le Royaume-Uni et Gibraltar. Le vice-premier ministre turc a appuyé ce projet, indiquant que la RTCN et son pays devaient trouver ensemble une solution politique. Quoi qu'il en soit, la Turquie a annoncé son souhait de relancer les négociations sans passer par les Nations unies. Un des biais pour parvenir à un accord pourrait consister, au-delà de la question européenne, en la perspective d'une coopération énergétique dans la zone économique exclusive chypriote. La république de Chypre dispose en effet d'un potentiel gazier prometteur. La question militaire pourrait, dans cette optique, passer au second plan, d'autant plus que le président turc a vu son pouvoir sur l'armée renforcé depuis l'échec du coup d'État de juillet 2016. L'institution militaire turque a longtemps joué en défaveur de la réunification.
Je remercie notre rapporteur pour cette présentation. On peut s'interroger sur le maintien de l'aide européenne au Nord de l'île, compte tenu de l'attitude de la « RTCN » et surtout de la Turquie ces dernières semaines...
À regarder de près la situation, on s'aperçoit que rien n'évolue véritablement et que les négociations restent directement conditionnées par le contexte régional. Il en va ainsi de la relation entre l'Union européenne et la Turquie, devenue irrationnelle ces dernières semaines. On ne peut s'empêcher de ne pas y voir de conséquence sur la bonne tenue des discussions interchypriotes.
Les Nations unies conduisent depuis des années le processus de négociation. Si celui-ci venait à aboutir, il faudra être vigilant à ce que la solution ne soit pas à rebours de notre conception de la citoyenneté européenne. Les négociations entre l'Union européenne et la Bosnie-Herzégovine achoppent en partie sur la définition de la citoyenneté dans ce pays où le critère d'appartenance ethnique détermine un certain nombre de droits, notamment en matière d'éligibilité. Un éventuel accord ne doit pas aboutir à autoriser dans un pays de l'Union européenne ce que nous refusons à certains pays candidats...
S'agissant du gaz, si le sujet ne suscite pas de frictions entre Chypre, la « RTCN » et la Turquie, c'est parce que les recherches n'aboutissent pas réellement.
On se demande pourquoi l'adhésion de Chypre a pu avoir lieu dans ces conditions... C'est une question de bon sens. La situation de ce pays aurait dû être un préalable à toute négociation d'adhésion. On refuse l'intégration à d'autres candidats pour moins que cela... L'Union européenne n'a pas été assez ferme et nous ne pouvons que le déplorer aujourd'hui.
En ce qui concerne les relations avec la Turquie, elles sont compliquées mais plus ouvertes qu'auparavant. Elles sont complexes en raison de l'irrationalité du comportement du président Erdogan sur certains sujets. Mais force est de constater que la Turquie était jusqu'à il y a peu hostile au principe même de discussions. Si un échec a une nouvelle fois été constatée, la porte reste ouverte.
S'agissant de la nature même d'un éventuel accord et de son impact sur la citoyenneté européenne, je rappelle que la base des négociations consiste en la mise en place d'un état fédéral bizonal où les citoyens des deux entités disposeraient des mêmes droits. Il faudra être vigilant sur les périodes de transition et la question des quotas au sein de la police ou de l'administration. Mais le fait que le président de la Commission européenne dispose d'un envoyé spécial et qu'un bureau d'appui ait été mis en place au nord de l'île souligne bien que l'Union européenne est partie prenante aux négociations et ne pourra se voir imposer une solution contraire à ses principes.
Au sujet de l'adhésion de Chypre, d'autres pays présentaient également des difficultés...
Chypre appartient au monde hellénique, il aurait pu être délicat de faire perdurer une différence de statut avec la Grèce. Il ne faut pas non plus mésestimer l'impact politique et symbolique de l'adhésion. Certains pays ont été intégrés pour des raisons identiques.
Au niveau économique, il existe, en dépit de la crise que le pays a pu connaître, une vraie convergence avec les autres pays de l'Union européenne. L'économie chypriote est ouverte, elle s'est consolidée et repose sur le secteur des services dont la qualité est reconnue.
Enfin, sur la question du gaz, je rappellerais que les recherches initiales étaient moins infructueuses que délicates. Total est d'ailleurs revenu sur place pour terminer les explorations et envisage désormais l'exploitation. L'entreprise italienne ENI est également présente sur plusieurs sites. Un accord entre Chypre et l'Égypte a été trouvé pour l'exploitation des gisements. Des négociations avancent avec Israël. Les fonds sont chaotiques, souffrent de difficultés d'exploitation, mais leur qualité et leur taille montrent qu'ils seront profitables. La Turquie ne peut rester à l'écart, c'est un élément à prendre en compte dans l'optique d'une relance des négociations. Même si je pense que la clé réside sans doute dans le résultat des élections présidentielles au sein de la république de Chypre en février prochain. Comme partout en Europe, il existe au sein du pays un courant populiste et nationaliste qui s'appuie sur le ressentiment d'une partie de la population à l'égard des Turcs. Si ce parti venait à gagner, les discussions pourraient vraiment se trouver dans une impasse.
Le groupe de travail sur la subsidiarité, qui vient de se réunir, a identifié un problème de subsidiarité sur une proposition de directive concernant certains aspects des contrats de vente de biens.
Dans la mesure où cette question concerne les achats en ligne, je vous propose de désigner André Gattolin et Colette Mélot pour procéder à un examen approfondi au regard de la subsidiarité.
Le groupe a également souhaité un examen de subsidiarité pour une proposition de règlement concerne les règles communes pour le marché intérieur du gaz naturel.
Je vous propose de confier ce dossier à nos rapporteurs sur l'Union de l'énergie Claude Kern et Michel Raison.
Une proposition de règlement sur la composition des engrais est par ailleurs en cours de discussion. Elle peut avoir un impact important pour notre agriculture. Michel Raison pourrait nous faire une communication sur le sujet.
Pour les relations de voisinage et le suivi des pays, je vous propose les nominations suivantes :
Serbie-Montenegro : Claude Kern et Simon Sutour ;
Albanie : René Danesi et Claude Haut ;
Turquie : André Reichardt et Jean-Yves Leconte ;
ARYM-Bosnie-Herzégovine : Nicole Duranton et Thierry Foucaud ;
Relations de l'Union européenne avec la Russie : Pascal Allizard et Simon Sutour ;
Pays de la rive sud de la Méditerranée : Simon Sutour ;
Suivi des négociations de l'accord d'association avec Monaco : Christophe-André Frassa et Simon Sutour.
Pour le suivi du Partenariat oriental, nous reconduirons un groupe de travail qui sera animé par René Danesi et qui comprendra en outre : Gisèle Jourda, Pierre Médevielle et André Reichardt.
Il en est ainsi décidé.
La réunion est close à 11 h 25.