Intervention de Henri Cabanel

Commission des affaires économiques — Réunion du 22 novembre 2017 à 9h05
Projet de loi de finances pour 2018 — Mission « agriculture alimentation forêt et affaires rurales » - examen du rapport pour avis

Photo de Henri CabanelHenri Cabanel, rapporteur pour avis :

Je remercie tout d'abord mes deux collègues co-rapporteurs avec lesquels nous avons travaillé pendant plusieurs semaines. L'exercice d'analyse budgétaire à trois voix n'est pas un exercice facile pour le troisième orateur, mais nous essayons de le mener en multipliant les angles de vision et grâce à une quinzaine d'auditions réalisées depuis la fin octobre.

Tout d'abord, constatons que le budget de l'agriculture se maintient à peu près pour 2018, après avoir fortement augmenté en 2017 de l'ordre de 20 %. Mais 2018 devrait être un point haut, puisque la loi de programmation des finances publiques pour la période 2018-2022 prévoit une légère décrue des crédits de paiement de l'ordre de 200 millions d'euros sur la mission d'ici à 2020. La valeur d'un budget ne se mesure cependant pas de manière mécanique au montant des crédits prévus. Entrons un peu dans le détail pour examiner comment sont utilisées ces ressources et j'en tire plusieurs remarques.

En premier lieu, le budget de l'agriculture pour 2018 réintègre en son sein ceux de la pêche et de l'aquaculture : 45 millions d'euros, soit à peu près ce qui était inscrit au budget de la mission écologie l'année dernière. La pêche revient dans le budget de l'agriculture, comme c'était le cas avant 2012. C'est le seul changement notable dans ce domaine, dans la mesure où toutes les lignes sont reconduites quasiment à l'identique : beaucoup d'entre elles sont la contrepartie de crédits du fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche (FEAMP).

Le secteur de la pêche connaît une réelle embellie depuis trois ou quatre ans. Les prix de vente des poissons sont bien orientés, le prix du carburant reste bas, ce qui est essentiel à l'équilibre économique des armateurs car il faut en moyenne plus de 600 litres de carburant pour pêcher une tonne de poisson. Signe de l'optimisme des pêcheurs, on construit davantage de navires : 52 en 2014, 65 en 2016. Mais cette embellie ne doit pas cacher de réelles préoccupations. Tout d'abord, le Brexit fait peser une lourde menace sur la pêche en mer du Nord et Atlantique Nord-Est : les ports de Boulogne-sur-Mer à Lorient pourraient être durement impactés. À Cherbourg, les deux tiers du poisson débarqué viennent des eaux britanniques. Ensuite le FEAMP a tardé à démarrer, alors que la France dispose d'une enveloppe de 588 millions d'euros. Il convient désormais d'accélérer les engagements de crédits sur les projets concernant la pêche, faute de quoi ces soutiens vont retourner au budget européen et n'auront pas pu être utilisés par la France. Enfin, il conviendrait de mettre un coup d'accélérateur à aquaculture, qui constitue une alternative à la pêche. Le Conseil économique social et environnemental vient de rappeler l'intérêt de l'aquaculture dans un rapport récent, tout en déplorant qu'aucune ferme marine n'ait vu le jour depuis 20 ans.

Ma deuxième remarque porte sur les crédits consacrés à la forêt, qui baissent de 11 % dans le budget 2018 et passent à 243 millions d'euros en autorisations d'engagement. Cette situation s'explique en partie par la fin du plan qui avait été mis en place après la tempête Klaus de 2009. Au final, la reconstitution de 200 000 hectares de forêts touchées dans le Sud-Ouest a coûté 490 millions d'euros. Sur les 243 millions d'euros consacrés à la forêt, 175 millions sont destinés à l'Office national des forêts, dont 22 au titre des missions d'intérêt général. Le budget 2018 se caractérise par une grande stabilité par rapport à celui de 2017 concernant les dotations de l'ONF mais aussi du Centre national de la propriété forestière. Pour l'ONF, l'État suit donc une ligne de stabilité, exécutant les engagements du contrat d'objectifs et de performance 2016-2020. La mobilisation du bois en forêt publique par l'ONF semble progresser légèrement : l'Office a vendu l'année dernière pour 15,2 millions de mètres cubes de bois pour un chiffre d'affaires de plus de 500 millions d'euros. Il assure 40 % de la mise sur le marché du bois d'oeuvre en France. Les indicateurs économiques sont plutôt bien orientés, mais il convient de rester vigilant sur le climat social, toujours délicat, même si désormais l'ONF n'a plus l'obligation de réduire drastiquement ses effectifs, comme cela a été le cas entre 2002 et 2015. Concernant les crédits consacrés à la forêt, un point est particulièrement préoccupant : au-delà de la fin du plan Klaus, la baisse des crédits s'explique aussi en 2018 par une réduction de la dotation attribuée au fonds stratégique forêt bois (FSFB), qui passe de plus de 25 à moins de 18 millions d'euros. Même si ce fonds est alimenté par d'autres ressources, notamment le prélèvement sur les centimes forestiers de 3,7 millions d'euros et l'affectation de la taxe de défrichement, plafonnée à 2 millions d'euros, cette baisse est un très mauvais signal au secteur forestier. Rappelons qu'il y a un consensus pour dire qu'il faut investir 150 millions d'euros par an en forêt pour améliorer significativement son exploitation. On en sera donc loin avec le FSFB en 2018. Le doublement du fonds chaleur décidé en 2015 avait donné un coup de fouet à la filière bois-énergie, en finançant des chaufferies à biomasse. On peut souhaiter que la dynamique se poursuive pour la filière bois. Celle-ci ne se porte aujourd'hui pas trop mal, avec des prix qui se redressent et des investissements qui ont été réalisés dans la transformation : 300 millions d'euros grâce au suramortissement Sapin-Macron d'après la fédération nationale du bois. Mais il faudrait accélérer la mobilisation du bois, notamment en forêt privée qui est sous-exploitée, pour aller vers une meilleure valorisation et réduire notre colossal déficit commercial qui s'élève à près de 6 milliards d'euros. J'appelle donc à ne pas relâcher l'effort en matière de modernisation de la filière forestière qui doit être un atout pour notre pays.

Ma troisième observation concerne la gestion des risques en agriculture. Il y a consensus pour dire que c'est un point stratégique pour les exploitations. Or, la gestion des risques est un peu le parent pauvre du budget 2018. Tout d'abord, il n'y a pas de crédits pour le fonds des calamités agricoles, comme chaque année. Ensuite, le financement des aides à l'assurance multirisque climatique relève exclusivement depuis 2016 de crédits européens. Une enveloppe de 100 millions d'euros est prévue pour subventionner la souscription d'assurances par les agriculteurs mais les chambres d'agriculture estiment que le besoin pourrait être entre 114 et 139 millions d'euros, ce besoin augmentant dès lors que la diffusion de l'assurance multirisque climatique progresse. Dans ces conditions, la crainte est que le taux de subvention soit ajusté bien en dessous de 65 %, pour rentrer dans l'enveloppe. Enfin, la déduction pour aléas (DPA) reste insuffisamment utilisée. Elle a été simplifiée ces dernières années pour inciter les agriculteurs à se constituer ainsi une épargne de précaution défiscalisée et pleinement mobilisable en cas de crise. Elle se révèle insuffisamment attractive. Il convient donc de l'assouplir encore, voire d'envisager un dispositif d'épargne de précaution défiscalisée plus avantageuse encore, pour faire réellement de l'agriculteur le premier étage de la gestion des risques, avant les étages suivants que constituent les assurances et enfin, la solidarité nationale à travers le fonds des calamités. La gestion des risques passe aussi par l'ajustement permanent des charges à la situation économique réelle des agriculteurs. Or, sur ce point, notre système de prélèvement fiscal et social reste archaïque car il se fonde sur les revenus d'années précédentes, qui peuvent avoir un profil très différent de celle au cours de laquelle il faut régler ces prélèvements, compte tenu d'aléas conjoncturels puissants. Il me semble qu'un des chantiers de la gestion des risques économiques passe aussi par une remise à plat des assiettes de prélèvements, afin qu'elles correspondent à ce qu'est vraiment le salaire de l'exploitant agricole.

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