Commission des affaires économiques

Réunion du 22 novembre 2017 à 9h05

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La réunion

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Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Primas

Notre ordre du jour est particulièrement chargé aujourd'hui et, dans le prolongement de la très longue audition, hier soir, du ministre en charge de l'Agriculture, nous commençons nos travaux par notre avis budgétaire sur la mission « agriculture ».

Debut de section - PermalienPhoto de Laurent Duplomb

C'est avec une certaine émotion que je vous présente pour la première fois les crédits de l'agriculture. Nous allons, à trois voix, vous livrer notre analyse du budget 2018 prévu pour l'agriculture, et je me félicite du travail en commun que nous avons mené dans une excellente ambiance.

Mon propos tiendra en trois points. Tout d'abord, le contexte pour l'agriculture reste difficile : la mutualité sociale agricole a publié ses derniers chiffres en octobre qui montrent que 30 % des exploitants agricoles avaient gagné l'année dernière moins de 350 euros par mois, et 20 % étaient en déficit. Naturellement, les réalités varient exploitation par exploitation et filière par filière, mais globalement l'année 2016 a été très difficile, en particulier dans le secteur céréalier avec des rendements historiquement faibles. Dans le secteur du lait et en viande bovine, les prix bas ont également pénalisé les éleveurs.

L'année 2017 est marquée par une certaine amélioration avec un retour à des rendements normaux en céréales, une hausse des prix du lait et la bonne tenue des ventes de broutards à l'export. Mais une hirondelle ne fait pas le printemps : l'agriculture française reste fragile économiquement pour au moins trois raisons.

- La volatilité des prix expose à des retournements violents de situation : on l'a vu dans le lait ces dernières années. Ce phénomène s'aggrave et devient de plus en plus « meurtrier » tandis que la PAC ne joue plus son rôle d'amortisseur de crises.

- La concurrence internationale est de plus en plus forte et l'ouverture des marchés avec les négociations comme le CETA avec le Canada et bientôt avec le Mercosur, oblige notre agriculture à aller vers plus de compétitivité, faute de quoi elle disparaîtra en tant qu'activité économique.

- Dans le rapport de force au sein des filières agricoles et alimentaires, l'agriculteur est toujours le plus faible : 500 000 agriculteurs font face à 3 000 entreprises de transformation et quatre acheteurs de la grande distribution. Ces centrales d'achat font la pluie et le beau temps d'autant que leur nombre est passé de sept à quatre.

Un élément complique encore davantage la situation des agriculteurs : les retards dans les versements des aides de la PAC. Depuis la réforme de 2014, le système ne tourne pas rond. Certes, les avances de trésorerie remboursable (ATR) ont permis de régler jusqu'à 90 % des aides, mais certains dispositifs sont encore en retard, en particulier les aides au bio ou les mesures agroenvironnementales climatiques (MAEC). Dans ce système qui s'apparente un peu à une « usine à gaz », on nous promet un retour à un calendrier normal de versement des aides en 2018, au prix d'un réajustement à la hausse des moyens du ministère et de l'Agence de services et de paiements. On aimerait croire à ce scénario car les trois dernières années ont été difficiles. Les paysans en arrivent à ne plus savoir à l'avance quels seront les montants d'aide qu'ils percevront.

Au-delà des facteurs économiques, il y a une raison plus profonde et plus préoccupante de la fragilisation de notre agriculture et de nos agriculteurs : ceux-ci en ont assez d'être sans cesse au banc des accusés. Le débat sur les pesticides en général et le glyphosate en particulier est emblématique de cette crise de confiance vécue comme une profonde injustice. Notre agriculture produit, en effet, une alimentation de grande qualité. Nous assurons une traçabilité de nos productions qui n'existe quasiment nulle part ailleurs. Nous avons une gestion technique, tant en cultures végétales qu'en élevage, remarquable. Nous faisons aussi d'importants efforts en matière de produits phytopharmaceutiques ou encore de maîtrise des effluents. Nous sommes également très attentifs au bien-être animal en élevage. Malheureusement, ce n'est jamais assez ! Au-delà des arguments économiques, de la dureté du métier, c'est ce sentiment d'être les mal-aimés de la société française qui décourage les vocations.

Il faut avoir à l'esprit ce contexte lorsque l'on examine le budget 2018 et j'en viens maintenant au deuxième point de cet exposé : l'analyse des crédits.

En légère baisse de 3,1 % en autorisations d'engagement et en hausse de 1,3 % en crédits de paiements, les crédits de la mission « agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » seront assez proches en 2018 de ce qu'ils étaient en 2017. La mission représente ainsi 3,4 milliards d'euros. Je note qu'elle enregistre le retour dans son giron de la pêche maritime, qui relevait jusqu'à l'année dernière du budget de l'écologie. Mais l'enjeu budgétaire est modeste : 45 millions d'euros. Je signale également que ces crédits ne sont pas les seuls gérés par le ministère de l'agriculture, qui a aussi la responsabilité, d'une part, de l'enseignement technique agricole, avec 1,45 milliard d'euros relevant du programme 142, et, d'autre part, de l'enseignement supérieur et la recherche agricole avec 350 millions d'euros relevant du programme 143. Par ailleurs, bien d'autres ressources viennent en appui à la politique agricole, à commencer par la PAC qui apporte chaque année une contribution de l'ordre de 9 milliards d'euros à la France, dont un peu moins de 7,3 milliards d'euros proviennent du 1er pilier et environ 1,7 milliard d'euros du deuxième pilier. En outre, la Commission des finances chiffre à 6,5 milliards d'euros les allègements sociaux et fiscaux dont bénéficie l'agriculture française, ce qui conduit à évaluer les concours publics à l'agriculture à environ 20 milliards d'euros par an. Enfin, je rappelle que le budget du ministère de l'agriculture est essentiellement un budget de fonctionnement avant d'être un budget d'appui aux exploitations agricoles : les dépenses de personnel représentent 890 millions d'euros et les subventions aux établissements publics et autres organismes sous tutelle du ministère de l'agriculture - qui servent essentiellement à payer leurs personnels - représentent presque 550 millions d'euros.

Le maintien du budget de la mission en 2018 par rapport à 2017 pourrait être considéré comme une bonne nouvelle, surtout qu'en 2017, ce budget était en hausse de 15 % par rapport à 2016. Toutefois, plusieurs raisons amènent à nuancer ce jugement :

- Premièrement, comme en 2016, la dotation 2017 devrait se révéler insuffisante, compte tenu de nombreux aléas budgétaires : crise dans le secteur du foie gras, règlement des refus d'apurement communautaire. En juin dernier, la Cour des comptes avait estimé le dépassement entre 1,5 et 1,7 milliard d'euros. La Commission des finances du Sénat retient un montant plus faible mais encore significatif : 627 millions d'euros. Concrètement, cela signifie que le budget de l'agriculture est structurellement sous doté. Un seul exemple : aucun crédit n'est prévu pour le régime des calamités agricoles. Dans le projet de loi de finances rectificative qui vient d'être déposé, la mission « agriculture » est destinataire d'un peu plus d'un milliard d'euros de crédits supplémentaires.

- Deuxième raison : le maintien des crédits par rapport à 2017 résulte d'un montage très particulier dans le budget 2018. Avec la fin de l'exonération de sept points de l'assurance maladie des exploitants agricoles, la compensation qui était prévue au budget disparaît. Cela aurait dû conduire à baisser le budget de l'agriculture de 438 millions d'euros. Cet écart est rattrapé à cause de deux phénomènes. D'une part à cause d'une inscription de plus de 80 millions d'euros de plus en crédits de paiement sur les mesures agroenvironnementales et l'agriculture biologique, non pas pour permettre de financer davantage de dossiers mais pour rattraper les retards de paiement des exercices antérieurs, et d'autre part ce rattrapage s'explique grâce à l'inscription d'une provision de 300 millions d'euros, destinée à régler des dépenses imprévues.

Une telle mesure pourrait être saluée comme une mesure de prudence bienvenue. Mais on peut craindre qu'elle devienne un solde de tout compte et un argument pour refuser des augmentations de budget durant l'année 2018 en cas de survenance de nouvelles crises. Bref, ce « cadeau » pourrait être empoisonné car insuffisant pour faire face à des difficultés imprévues : nouvelle grippe aviaire, nouveau refus d'apurement communautaire, besoins importants du fonds des calamités agricoles.

Pour terminer mon deuxième point sur les grands équilibres budgétaires, je dirai un mot sur le compte d'affectation spéciale « développement agricole et rural » dit CASDAR. Ce sont les agriculteurs qui l'alimentent à travers une taxe spécifique : la taxe sur le chiffre d'affaires des exploitations. Le CASDAR finance l'innovation en agriculture, notamment les programmes des chambres d'agriculture et ceux des instituts techniques agricoles. Il joue donc un rôle très important. Malheureusement, les mauvais résultats des exploitations amènent à réviser à la baisse cet instrument financier : les 147,5 millions d'euros prévus en 2017 n'ont pas été au rendez-vous. Pour 2018, le budget est donc ramené à 136 millions d'euros.

J'aborde maintenant mon troisième axe : les inquiétudes qui se dégagent à la lecture des choix budgétaires pour l'agriculture :

- La première porte sur la capacité à financer l'ensemble des mesures du deuxième pilier (et notamment la dernière année de versement de l'indemnité compensatoire de handicap naturel en 2020). Elle a en théorie été levée cet été avec le choix du Gouvernement de transférer 4,2 % des moyens du premier pilier de la PAC vers le deuxième pilier pour les années 2018 à 2020. Cette mesure permet de financer l'indemnité compensatoire de handicaps naturels (ICHN) à périmètre constant. D'ailleurs, le budget 2018 maintient les 264 millions d'euros de crédits nationaux appelés en cofinancement. Mais on sait que nous devrons revoir la cartographie des zones défavorisées d'ici 2020. Le règlement européen omnibus va nous donner un délai supplémentaire, mais il est clair que tout ajout de territoires bénéficiaires de l'ICHN réduira les aides touchées par les 100 000 agriculteurs qui en sont aujourd'hui bénéficiaires. On peut aussi déplorer que le calibrage trop juste du deuxième pilier de la PAC ait conduit au prélèvement sur le premier pilier qui a une conséquence très concrète : la baisse du montant des aides directes touchées par tous les agriculteurs. En résumé, pour sauver l'ICHN en 2020, on réduit les aides PAC de tous les agriculteurs dès 2018.

- Autre motif d'inquiétude : l'appui à l'investissement des exploitations agricoles ne semble plus être la priorité. Le plan de compétitivité et d'adaptation des exploitations agricoles (PCAE) revient à son étiage bas de 56 millions d'euros. La rallonge de 30 millions d'euros n'est pas reconduite. Seuls 15 millions d'euros de crédits sont prévus mais plutôt pour de la mise aux normes sanitaires dans les élevages porcins et de volailles. Le Gouvernement a annoncé un grand plan d'investissement pour l'agriculture et l'agroalimentaire de 5 milliards d'euros. On n'en trouve pas trace dans le budget de l'agriculture en 2018. De même, il n'existe aucune dotation du programme des investissements d'avenir à destination de l'agriculture et de l'agroalimentaire. Il faut espérer que le grand plan d'investissement ne consistera pas simplement à labelliser des dispositifs déjà existants comme le PCAE.

- Un autre sujet d'inquiétude concerne la compétitivité. En effet, la baisse de 7 points des cotisations d'assurance maladie des exploitants agricoles qui existait en 2016 et 2017 est supprimée par le PLFSS pour 2018. Les agriculteurs bénéficieront à la place d'une cotisation dégressive entre 1,5 % et 6,5 %. Seules les exploitations avec des revenus de moins de 13 500 euros par an seront gagnantes. Au passage, les agriculteurs dans leur ensemble paieront 120 millions d'euros de plus de cotisations maladie par an. La préoccupation d'améliorer la compétitivité de l'agriculture française en prend là aussi un coup et les baisses de cotisations sociales s'inscrivent désormais davantage dans une logique d'accompagnement social que dans une logique de soutien économique.

- Une autre curiosité relève non pas des crédits budgétaires mais du traitement des terres agricoles dans le cadre du remplacement de l'ISF par l'impôt sur la fortune immobilière (IFI). Les terres détenus par la famille (hors famille très proche) sont traitées comme de l'immobilier et non pas comme un actif économique et ne sont pas exonérées d'IFI. Ce choix traduit une certaine méconnaissance des mécanismes de portage des terres des exploitations dans le milieu agricole et risque de faire fuir les capitaux familiaux des exploitations agricoles.

- Enfin, la gestion des risques n'est pas une priorité budgétaire. Même si les crédits FAC et Agridiff sont revus à la hausse, ils restent à un niveau anecdotique : un peu plus de 5 millions d'euros en tout. On peut s'interroger également sur la réelle volonté de développer les assurances multirisques climatiques. L'enveloppe de crédits est depuis deux ans une enveloppe de crédits exclusivement européens. Elle me semble cependant sous-dimensionnée, si bien que l'ajustement se fait sur le taux de subvention. Pourra-t-on garantir une subvention à 65 % cette année ? Rien n'est moins sûr. Enfin, le projet de loi de finances n'affiche aucune ambition d'encouragement de la gestion des risques : rien de nouveau sur la déduction pour aléas (DPA), ni d'ailleurs sur l'ensemble des mesures fiscales à destination de l'agriculture. Le Gouvernement semble remettre tout projet de modification à l'année prochaine.

Je terminerai en évoquant les quelques amendements que nous vous proposerons d'adopter :

- Le premier concerne le maintien du fonds d'accompagnement de la suppression du forfait agricole, remplacé par le micro-bénéfice agricole. Il avait été décidé de prendre en charge pendant cinq ans de manière dégressive le surplus de cotisations sociales dues en application de la réforme pour les quelques agriculteurs qui pourraient être perdants. Les montants en jeu sont faibles : 8 millions d'euros maximum par an, et en pratique à peine 2 millions d'euros réellement mobilisés. Le Gouvernement supprime ce fonds, ce qui est mesquin. Nous proposerons de le rétablir.

- Le deuxième amendement concerne la remontée des centimes forestiers des chambres départementales d'agriculture vers le fonds national de péréquation. Cette mesure a été adoptée par les députés sur proposition du Gouvernement, sans aucun débat et un peu par surprise. Les chambres d'agriculture ne sont pas d'accord avec ce schéma. Nous proposerons donc, pour ne pas trop pénaliser les chambres d'agriculture des départements forestiers, que seule une fraction des centimes forestiers remonte au niveau national.

Pour conclure, et parce que je ne peux avoir qu'une confiance très limitée dans la capacité du budget agricole 2018 à faire face aux lourds enjeux pour nos exploitations, je propose un avis défavorable sur l'adoption des crédits de la mission : « agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » et du compte d'affectation spéciale « développement agricole et rural ».

Debut de section - PermalienPhoto de Françoise Férat

Il m'appartient à mon tour de vous parler du budget 2018 pour l'agriculture. Je ne dresserai pas à nouveau le panorama de ce budget mais je m'attarderai sur quelques questions essentielles.

La première porte sur la complémentarité entre fonds européens et fonds nationaux. De nombreux dispositifs sont cofinancés par l'État et l'Union européenne à travers le deuxième pilier de la PAC, porté financièrement par le fonds européens agricole pour le développement rural (FEADER). Les dotations budgétaires du programme 149 sont, pour certaines d'entre elles, la contrepartie de crédits européens encore plus importants : c'est vrai sur l'ICHN, mais aussi sur le PCAE, sur l'installation des jeunes agriculteurs, mais aussi sur les mesures agro-environnementales et l'aide à l'agriculture biologique. Les arbitrages rendus cet été ont consisté à prélever sur le premier pilier pour donner davantage de moyens au deuxième pilier, mis trop fortement à contribution.

Une ligne budgétaire est emblématique des tensions budgétaires sur l'enveloppe de crédits européens : celle de l'aide aux mesures agroenvironnementales et à l'agriculture biologique. Pour 2018, les crédits de paiement sont plus que doublés et passent à 157 millions d'euros, afin de régler la part de l'État sur des engagements antérieurs, mais les autorisations d'engagement, c'est à dire les capacités nouvelles à soutenir les mesures agroenvironnementales et le bio, baissent de 85 à 81,4 millions d'euros. L'agriculture biologique connaît en effet un développement rapide, en particulier depuis 2015 : les surfaces ont fortement progressé et représentent désormais presque 6 % de la SAU, soit un peu plus d'1,5 million d'hectares. Compte tenu des conversions bio en cours, on devrait connaître une hausse des productions en agriculture biologique de l'ordre de 20 % par an d'ici 2020. Le bio bénéficie en effet d'un engouement de la part des consommateurs, ce qui pousse les agriculteurs à s'engager dans cette direction, même s'il existe toujours un risque, notamment de perte de rendement. Il ne faudrait pas croire cependant que le bio sera forcément le nouvel eldorado de l'agriculture française :

- D'une part, le bio ne restera un choix intéressant pour les agriculteurs que s'il existe un différentiel de prix substantiel avec les produits issus de l'agriculture conventionnelle, sinon ce sera un jeu de dupes.

- D'autre part, les moyens d'accompagnement du bio doivent suivre son développement. Et c'est là que l'on rencontre certaines difficultés. Ainsi, dans le budget 2018, le fonds avenir bio, destiné à aider à la structuration de la filière, reste doté de seulement 4 millions d'euros comme ces dernières années, alors que le bio a fortement progressé.

Le Gouvernement a dû également se résoudre à annoncer la fin des aides au maintien de l'agriculture biologique, car l'enveloppe est consommée par l'aide à la conversion. Seules les mesures de conversion pourront être soutenues à l'avenir. Le Gouvernement a demandé aux régions et aux agences de l'eau de prendre le relais mais cette éventualité est peu probable, compte tenu des contraintes budgétaires des uns et des autres.

En résumé, le budget en faveur de l'agriculture bio devient victime de son succès et l'enveloppe européenne n'est plus suffisante. Il faudra trouver de nouvelles ressources ou ralentir le développement de l'agriculture biologique.

Le deuxième sujet que je souhaite aborder est tout aussi important, voire plus encore que le premier : la formation des agriculteurs et l'installation des jeunes. C'est une priorité affichée depuis longtemps par le ministère de l'agriculture. L'enseignement agricole en est l'une des pierres angulaires, même si le passage dans l'enseignement agricole dirige vers une large palette de métiers en lien avec la nature et non pas seulement celui d'agriculteur. Le taux d'insertion professionnelle est excellent dans cette branche. Mais ce budget ne relève pas de la mission « agriculture ». Nous ne rentrerons donc pas dans les détails sur ce sujet.

Je détaillerai un peu plus mon propos sur les soutiens à l'installation des jeunes agriculteurs. Il y a là un enjeu majeur pour permettre le renouvellement des générations d'exploitants agricoles et pour assurer la préservation d'un modèle agricole qui est celui de l'exploitation familiale, à taille humaine, où l'agriculteur est celui qui travaille effectivement sa terre et s'occupe personnellement de ses bêtes. La politique de l'installation a connu l'année dernière une nouvelle réforme avec la fin des prêts bonifiés, remplacés par une majoration de la dotation jeune agriculteur (DJA), variable selon les régions. Les jeunes agriculteurs bénéficient aussi d'allègements de cotisations sociales les cinq premières années de leur activité et d'une majoration des droits à paiement dans le cadre de la PAC. Il y avait eu un regain des installations en 2015, avec plus de 15 000 nouveaux agriculteurs selon la mutualité sociale agricole (MSA). Mais une large part de ces installations se fait hors du parcours d'installation aidée ;

Pour 2018, le Gouvernement maintient un objectif de 6 000 installations aidées mais plusieurs éléments conduisent à s'inquiéter :

- D'abord, on a été loin des 6 000 installations aidées ces dernières années. Pour 2016, dernière année connue, seuls 4 130 nouveaux dossiers de DJA ont été financés. La tendance semble cependant être à l'accélération des dossiers de DJA en 2017 : le dispositif est devenu plus intéressant en injectant les fonds précédemment consacrés aux prêts bonifiés.

- Autre inquiétude : l'accompagnement à l'installation, pourtant indispensable, n'a cessé d'être réduit ces dernières années. Le dispositif d'accompagnement ne repose plus que sur les stages à l'installation, pour lesquels une enveloppe de 2 millions d'euros est maintenue en 2018 et le programme pour l'accompagnement à l'installation-transmission (AITA), qui n'est plus abondé que par la taxe sur les terrains rendus constructibles, pour un maximum de 12 millions d'euros par an, alors que cette taxe rapporte bien plus (18 millions en 2016 et déjà 15 millions d'euros à la mi-2017). L'installation dépend donc largement d'une taxe fiscale affectée.

- Enfin, la ligne pour la DJA est un peu rabotée cette année, passant de 40 à 38,4 millions d'euros. En tenant compte du cofinancement européen de 80 % sur cette mesure, c'est en réalité 6,4 millions d'euros en moins sur l'installation.

J'appelle à ne pas baisser la garde sur le soutien à l'installation : il ne faudrait pas qu'une reprise des installations soit freinée par des enveloppes budgétaires calculées de manière trop restrictive.

La troisième question sur laquelle je souhaite que l'on s'attarde concerne la sécurité sanitaire, qui constitue un enjeu tant sanitaire qu'économique. Le programme 206 porte les crédits de la sécurité sanitaire, qui augmentent de près de 10 % cette année et s'élèvent à un peu plus de 550 millions d'euros, après la hausse de 4,5 % déjà enregistrée l'année dernière. Ce renforcement est une nécessité, face aux menaces sur le secteur végétal comme la bactérie xylella fastidiosa, comme dans le secteur animal avec l'influenza aviaire qui a touché les élevages de canards ou encore avec la tuberculose bovine.

Je souligne que la surveillance sanitaire s'inscrit dans un cadre qui n'est pas seulement national. En effet, les États membres de l'Union européenne doivent mettre en place des plans de surveillance et des plans de contrôle destinés à s'assurer du haut niveau de sécurité sanitaire des aliments. De plus, les alertes doivent aussi être partagées au niveau européen au sein du Système d'Alerte Rapide pour les Denrées Alimentaires et les Aliments pour Animaux (RASFF) afin de protéger le consommateur. C'est ce qui a été fait mais avec retard dans l'affaire du Fipronil sur les oeufs cet été. Disposer d'un haut niveau de sécurité sanitaire du champ à l'assiette est une condition pour garantir la protection de la santé publique des consommateurs. Mais c'est aussi une condition de la réussite économique de l'agriculture et de l'agro-alimentaire. En cas de problème, les consommateurs se détournent rapidement des produits soupçonnés. Les marchés extérieurs se ferment aussi dès qu'une maladie animale se propage, comme la fièvre catarrhale ovine. La perte du statut d'indemne a pour conséquence directe la fermeture des frontières et la fin des échanges commerciaux.

L'indemnisation des crises sanitaires constitue également un enjeu économique fort pour les agriculteurs. La crise de l'influenza aviaire a nécessité la mobilisation de 120 millions d'euros pour le premier épisode 2015-2016 et 140 millions d'euros pour le deuxième épisode 2016-2017. Le programme 206 n'est pas calibré pour faire face à des crises de grande ampleur : en tout état de cause, la survenue d'un nouvel événement de ce type en 2018 ne pourrait être gérée qu'à travers des nouvelles ouvertures de crédits.

Le programme 206 porte aussi les crédits de plans destinés à mieux maîtriser l'utilisation de produits et substances : Ecoantibio pour les médicaments vétérinaires et Ecophyto pour les produits phytopharmaceutiques, même si le financement État est tout à fait marginal sur ce second programme. Enfin, le programme 206 finance l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation (ANSES). On peut se réjouir que la dotation de l'ANSES revienne en 2018 à son niveau de 2016, après la baisse enregistrée l'année dernière. L'ANSES est un organisme de référence, pas seulement à travers son activité d'avis scientifique, mais aussi parce que l'Agence gère 11 laboratoires qui constituent une force de frappe irremplaçable pour de l'expertise rapide en cas de crise. Il faut aussi souligner que l'ANSES aura beaucoup de travail supplémentaire en matière de médicament vétérinaire avec le Brexit et avec le nouveau cycle d'approbation de produits phytopharmaceutiques et de produits biocides. Les redevances qu'elle perçoit doivent permettre de faire face, sans crédits budgétaires supplémentaires, à condition que les règles budgétaires soient adaptées pour permettre le recrutement temporaire de personnels additionnels. Le budget 2018 donne quelques souplesses sur ce point et il faudrait que celles-ci soient pérennisées, à l'heure où l'ANSES va se lancer dans un nouveau contrat d'objectifs et de moyens avec l'État.

D'une manière générale, sur la sécurité sanitaire, j'appelle l'État à ne pas baisser la garde, car il en va de la confiance dans notre alimentation et notre agriculture, tant à l'intérieur que vis-à-vis des marchés extérieurs. Force est de constater que si le programme 206 a été re-basé, il ne l'est qu'a minima, sans réserve pour faire face à d'éventuelles crises nouvelles.

Je terminerai mon propos en évoquant la viticulture. Les vendanges 2017 ont été historiquement faibles : la production française devrait être de 36,8 millions d'hectolitres soit 18 % en dessous de la moyenne des cinq dernières années. Le secteur viticole est pourtant essentiel à notre agriculture : 8 milliards d'euros de chiffre d'affaires à l'export. La viticulture française ne demande pas spécialement d'aides : il n'existe pas de droits à paiement à la surface mais un programme opérationnel sectoriel qui permet de financer des investissements et des mesures visant à améliorer la commercialisation du vin. Je rappelle ici la nécessité de rester attentif à la préservation de la filière viticole. Malheureusement, le nouveau dispositif d'exonération de charges retenu par le PLFSS risque d'être moins favorable au secteur viticole que les dispositifs qui existent aujourd'hui comme le TODE. Ce n'est pas parce que la viticulture semble bien se porter qu'il faut oublier un contexte de forte concurrence internationale. C'est pourquoi des efforts doivent continuer dans le domaine de la promotion, autour des opérateurs UbiFrance et Sopexa qui sont soutenus par le budget du ministère de l'agriculture. C'est pourquoi il ne faut pas non plus hésiter à aller vers davantage de simplification des démarches administratives. Le secteur du vin a d'ailleurs donné l'exemple avec le contrat vendanges, sur lequel quelques améliorations sont encore à prévoir.

Pour conclure, j'émets également en ma qualité de rapporteur, un avis défavorable concernant l'adoption des crédits de la mission : « agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » et du compte d'affectation spéciale « développement agricole et rural ».

Debut de section - PermalienPhoto de Henri Cabanel

Je remercie tout d'abord mes deux collègues co-rapporteurs avec lesquels nous avons travaillé pendant plusieurs semaines. L'exercice d'analyse budgétaire à trois voix n'est pas un exercice facile pour le troisième orateur, mais nous essayons de le mener en multipliant les angles de vision et grâce à une quinzaine d'auditions réalisées depuis la fin octobre.

Tout d'abord, constatons que le budget de l'agriculture se maintient à peu près pour 2018, après avoir fortement augmenté en 2017 de l'ordre de 20 %. Mais 2018 devrait être un point haut, puisque la loi de programmation des finances publiques pour la période 2018-2022 prévoit une légère décrue des crédits de paiement de l'ordre de 200 millions d'euros sur la mission d'ici à 2020. La valeur d'un budget ne se mesure cependant pas de manière mécanique au montant des crédits prévus. Entrons un peu dans le détail pour examiner comment sont utilisées ces ressources et j'en tire plusieurs remarques.

En premier lieu, le budget de l'agriculture pour 2018 réintègre en son sein ceux de la pêche et de l'aquaculture : 45 millions d'euros, soit à peu près ce qui était inscrit au budget de la mission écologie l'année dernière. La pêche revient dans le budget de l'agriculture, comme c'était le cas avant 2012. C'est le seul changement notable dans ce domaine, dans la mesure où toutes les lignes sont reconduites quasiment à l'identique : beaucoup d'entre elles sont la contrepartie de crédits du fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche (FEAMP).

Le secteur de la pêche connaît une réelle embellie depuis trois ou quatre ans. Les prix de vente des poissons sont bien orientés, le prix du carburant reste bas, ce qui est essentiel à l'équilibre économique des armateurs car il faut en moyenne plus de 600 litres de carburant pour pêcher une tonne de poisson. Signe de l'optimisme des pêcheurs, on construit davantage de navires : 52 en 2014, 65 en 2016. Mais cette embellie ne doit pas cacher de réelles préoccupations. Tout d'abord, le Brexit fait peser une lourde menace sur la pêche en mer du Nord et Atlantique Nord-Est : les ports de Boulogne-sur-Mer à Lorient pourraient être durement impactés. À Cherbourg, les deux tiers du poisson débarqué viennent des eaux britanniques. Ensuite le FEAMP a tardé à démarrer, alors que la France dispose d'une enveloppe de 588 millions d'euros. Il convient désormais d'accélérer les engagements de crédits sur les projets concernant la pêche, faute de quoi ces soutiens vont retourner au budget européen et n'auront pas pu être utilisés par la France. Enfin, il conviendrait de mettre un coup d'accélérateur à aquaculture, qui constitue une alternative à la pêche. Le Conseil économique social et environnemental vient de rappeler l'intérêt de l'aquaculture dans un rapport récent, tout en déplorant qu'aucune ferme marine n'ait vu le jour depuis 20 ans.

Ma deuxième remarque porte sur les crédits consacrés à la forêt, qui baissent de 11 % dans le budget 2018 et passent à 243 millions d'euros en autorisations d'engagement. Cette situation s'explique en partie par la fin du plan qui avait été mis en place après la tempête Klaus de 2009. Au final, la reconstitution de 200 000 hectares de forêts touchées dans le Sud-Ouest a coûté 490 millions d'euros. Sur les 243 millions d'euros consacrés à la forêt, 175 millions sont destinés à l'Office national des forêts, dont 22 au titre des missions d'intérêt général. Le budget 2018 se caractérise par une grande stabilité par rapport à celui de 2017 concernant les dotations de l'ONF mais aussi du Centre national de la propriété forestière. Pour l'ONF, l'État suit donc une ligne de stabilité, exécutant les engagements du contrat d'objectifs et de performance 2016-2020. La mobilisation du bois en forêt publique par l'ONF semble progresser légèrement : l'Office a vendu l'année dernière pour 15,2 millions de mètres cubes de bois pour un chiffre d'affaires de plus de 500 millions d'euros. Il assure 40 % de la mise sur le marché du bois d'oeuvre en France. Les indicateurs économiques sont plutôt bien orientés, mais il convient de rester vigilant sur le climat social, toujours délicat, même si désormais l'ONF n'a plus l'obligation de réduire drastiquement ses effectifs, comme cela a été le cas entre 2002 et 2015. Concernant les crédits consacrés à la forêt, un point est particulièrement préoccupant : au-delà de la fin du plan Klaus, la baisse des crédits s'explique aussi en 2018 par une réduction de la dotation attribuée au fonds stratégique forêt bois (FSFB), qui passe de plus de 25 à moins de 18 millions d'euros. Même si ce fonds est alimenté par d'autres ressources, notamment le prélèvement sur les centimes forestiers de 3,7 millions d'euros et l'affectation de la taxe de défrichement, plafonnée à 2 millions d'euros, cette baisse est un très mauvais signal au secteur forestier. Rappelons qu'il y a un consensus pour dire qu'il faut investir 150 millions d'euros par an en forêt pour améliorer significativement son exploitation. On en sera donc loin avec le FSFB en 2018. Le doublement du fonds chaleur décidé en 2015 avait donné un coup de fouet à la filière bois-énergie, en finançant des chaufferies à biomasse. On peut souhaiter que la dynamique se poursuive pour la filière bois. Celle-ci ne se porte aujourd'hui pas trop mal, avec des prix qui se redressent et des investissements qui ont été réalisés dans la transformation : 300 millions d'euros grâce au suramortissement Sapin-Macron d'après la fédération nationale du bois. Mais il faudrait accélérer la mobilisation du bois, notamment en forêt privée qui est sous-exploitée, pour aller vers une meilleure valorisation et réduire notre colossal déficit commercial qui s'élève à près de 6 milliards d'euros. J'appelle donc à ne pas relâcher l'effort en matière de modernisation de la filière forestière qui doit être un atout pour notre pays.

Ma troisième observation concerne la gestion des risques en agriculture. Il y a consensus pour dire que c'est un point stratégique pour les exploitations. Or, la gestion des risques est un peu le parent pauvre du budget 2018. Tout d'abord, il n'y a pas de crédits pour le fonds des calamités agricoles, comme chaque année. Ensuite, le financement des aides à l'assurance multirisque climatique relève exclusivement depuis 2016 de crédits européens. Une enveloppe de 100 millions d'euros est prévue pour subventionner la souscription d'assurances par les agriculteurs mais les chambres d'agriculture estiment que le besoin pourrait être entre 114 et 139 millions d'euros, ce besoin augmentant dès lors que la diffusion de l'assurance multirisque climatique progresse. Dans ces conditions, la crainte est que le taux de subvention soit ajusté bien en dessous de 65 %, pour rentrer dans l'enveloppe. Enfin, la déduction pour aléas (DPA) reste insuffisamment utilisée. Elle a été simplifiée ces dernières années pour inciter les agriculteurs à se constituer ainsi une épargne de précaution défiscalisée et pleinement mobilisable en cas de crise. Elle se révèle insuffisamment attractive. Il convient donc de l'assouplir encore, voire d'envisager un dispositif d'épargne de précaution défiscalisée plus avantageuse encore, pour faire réellement de l'agriculteur le premier étage de la gestion des risques, avant les étages suivants que constituent les assurances et enfin, la solidarité nationale à travers le fonds des calamités. La gestion des risques passe aussi par l'ajustement permanent des charges à la situation économique réelle des agriculteurs. Or, sur ce point, notre système de prélèvement fiscal et social reste archaïque car il se fonde sur les revenus d'années précédentes, qui peuvent avoir un profil très différent de celle au cours de laquelle il faut régler ces prélèvements, compte tenu d'aléas conjoncturels puissants. Il me semble qu'un des chantiers de la gestion des risques économiques passe aussi par une remise à plat des assiettes de prélèvements, afin qu'elles correspondent à ce qu'est vraiment le salaire de l'exploitant agricole.

Debut de section - PermalienPhoto de Henri Cabanel

Ma quatrième remarque concerne le foncier agricole : sa préservation est primordiale et on peut se réjouir que le rythme de consommation des terres agricoles par l'urbanisation se soit réduit. Mais toutes les régions ne sont pas logées à la même enseigne : dans les espaces urbains en forte croissance démographique, la pression reste élevée.

Un autre problème réside dans le maintien de la maîtrise du foncier par les agriculteurs. En loi Sapin II puis par une proposition de loi discutée début 2017, on avait tenté de mettre en place des freins à la spéculation sur les terres agricoles portée par des investisseurs extérieurs au monde agricole. Mais le Conseil constitutionnel a vidé le dispositif que nous avions voté de sa substance. En vérité, nous sommes un peu démunis face aux montages de plus en plus complexes, qui visent à contourner les prérogatives des SAFER.

Je me réjouis que le budget 2018 dote de nouveau les SAFER d'une enveloppe de 3,75 millions d'euros. Mais les SAFER devraient pouvoir se financer par des ressources propres et ne pas dépendre des crédits budgétaires de l'État. J'espère que nous pourrons aller plus loin en attribuant aux SAFER une fraction de la taxe d'équipement qui bénéficie aujourd'hui aux établissements publics fonciers.

Je terminerai mon propos pour lancer un coup de projecteur sur la question des grands prédateurs et en particulier du loup. Le nombre des attaques de loup a progressé encore l'année dernière et nous atteignons les 10 000 victimes par an. La population de loups est estimée entre 320 et 400. Le loup coûte de plus en plus cher aux finances publiques : 1,6 million d'euros en 2013 pour les indemnisations, payées sur le budget de l'écologie, et 3,6 millions d'euros prévus en 2018.

Le budget de l'agriculture supporte, pour sa part, les mesures de protection -clôtures mobiles, chiens de protection, formation des bergers - et il explose, lui aussi, en passant de 6,5 millions d'euros en 2013 à 12,6 millions d'euros pour 2018. Cette politique coûte cher, et elle n'est pas très efficace, puisque les attaques ne cessent d'augmenter et que les éleveurs des zones touchées, de plus en plus étendues, finissent par se décourager. C'est dans ce contexte qu'est élaboré le prochain plan national loup 2018-2022. Si le statut d'espèce protégée par la convention de Berne exige des mesures de protection pour les loups, la cohabitation se révèle plus que difficile. Et aucune convention ne protège l'éleveur en zone de montagne. La solution n'est certainement pas dans le budget 2018, mais elle passe par un renforcement des mesures que peuvent prendre les éleveurs pour se défendre.

Pour conclure, je préconise l'abstention sur l'adoption des crédits de la mission : « agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » et du compte d'affectation spéciale « développement agricole et rural ».

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Primas

Merci à nos trois rapporteurs pour avis et je passe la parole aux nombreux intervenants sur ce sujet agricole.

Debut de section - PermalienPhoto de Joël Labbé

D'emblée, je vous précise que je m'abstiendrai sur ces crédits pour certaines des raisons exprimées par Henri Cabanel. J'ajoute quelques remarques : tout d'abord, l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation (ANSES) manque de moyens humains, en particulier pour faciliter la mise sur le marché de produits alternatifs. Les procédures d'autorisation sont extrêmement complexes et les services sont surchargés de demandes. En ce qui concerne les exportations de viande, je constate des anomalies : 45 % de la volaille que nous consommons est importée alors que nous sommes exportateurs nets. Nous vendons à l'étranger des quantités croissantes de viande de broutard, dont on connait les qualités, tandis que 80 % de la viande bovine servie dans la restauration collective est importée. Ma dernière observation porte sur le ré-ancrage territorial de l'alimentation : elle est fondamentale tant pour les agriculteurs que les consommateurs. Le Président de la République a annoncé 50 % de local ou de Bio à l'horizon 2022 : je souhaite vivement qu'on y arrive mais encore faut-il enclencher le mouvement.

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Gremillet

Trois points : en premier lieu, le plus mauvais signal concerne le foncier agricole et forestier qu'il faudrait sortir de l'impôt sur la fortune immobilière (IFI). Ensuite, je déplore, dans ce budget, la rupture avec le principe du « un pour un » dans le domaine des calamités agricoles : je rappelle que l'État apportait autant que les agriculteurs en cas de sinistre ; puis on a mis un système assurantiel qui rencontre aujourd'hui ses limites mais on ne voit rien dans ce budget pour couvrir les risques auxquels sont confrontés nos agriculteurs. S'agissant de l'amendement du rapporteur sur les « centimes forestiers » - que je soutiendrai même si on pourrait aller encore plus loin - je suis très surpris que l'on fasse remonter cette contribution au niveau national et qu'on prive le niveau départemental de cette ressource. Enfin le ralentissement des aides à l'investissement est très inquiétant puisqu'au même moment on affirme que les systèmes agricoles doivent profondément évoluer.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Louault

Mon premier point concerne la réduction des crédits de personnels. Je rappelle le scandale de la gestion des fonds européens qui a fait perdre trois milliards d'euros à la France et qui ont été payés par les agriculteurs. Pourtant, l'agriculture française est suradministrée avec un fonctionnaire pour 30 agriculteurs. La moitié des effectifs travaillent en administration centrale et on les augmente encore tandis que les vrais besoins se situent dans les directions départementales. On n'a pas suffisamment sanctionné, à Paris, l'incompétence pour mobiliser les fonds européens et il faudrait influencer la politique actuelle d'une part, pour garnir les effectifs sur le terrain et, d'autre part, pour faire progresser les crédits de modernisation qui sont soutenus par l'Europe. Un mot enfin : notre agriculture n'est plus assez compétitive parce qu' « on a accroché trop de gamelles » aux agriculteurs. C'est la raison pour laquelle on ne consomme plus assez de viande française : elle est de haute qualité mais trop chère.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Procaccia

Henri Cabanel a signalé qu'aucune ferme aquacole n'a été créée depuis trente ans et je m'interroge sur les raisons financières ou environnementales de cette situation. J'apporte également mon soutien total à l'intervention précédente sur la nécessité de rééquilibrer les effectifs de fonctionnaires pour regarnir le niveau déconcentré départemental ou régional.

Debut de section - PermalienPhoto de Anne-Catherine Loisier

S'agissant du secteur forestier, « on va dans le mur en klaxonnant ». Chacun connaît la situation financière dramatique de l'Office national des forêts avec, comme variable d'ajustement les contributions demandées aux communes. Pour dynamiser la forêt on a, par ailleurs, créé le fonds stratégique mais celui-ci n'est pas suffisamment alimenté si bien qu'on ne reboise pas, ce qui revient à « couper le blé en herbe ». Certes, les chiffres témoignent d'une mobilisation plus forte du bois mais cela nous amène tout droit à des pénuries - tel est d'ores et déjà le cas pour le chêne. Je souhaite qu'on incite davantage les scieurs et les producteurs à renouveler les essences de nos peuplements, avec en particulier des hêtres en très grand nombre qu'il faudrait mobiliser. S'agissant de la taxe sur les défrichements, nous avons été sollicités à juste titre car, même si cela représente des sommes limitées, « il faut réinvestir l'argent de la forêt dans la forêt ».

Debut de section - PermalienPhoto de Franck Montaugé

L'audition du ministre de l'Agriculture hier soir nous a laissé sur notre faim. S'agissant des enjeux de compétitivité ou d'organisation performante de nos filières, le Gouvernement ne dessine pas de perspective claire. Il en va de même pour les revenus des producteurs, la gestion des risques et la polyculture -élevage.

S'agissant de la PAC, l'exécutif pourrait utilement s'appuyer sur le rapport de notre groupe de travail auquel est associé une résolution européenne. Le Gouvernement devrait s'en inspirer et j'aurai souhaité qu'elle puisse faire l'objet d'un débat en séance publique.

Debut de section - PermalienPhoto de Franck Menonville

Tout d'abord, note positive : dans le contexte de rigueur budgétaire les crédits de l'agriculture sont sauvegardés. Ensuite, il faudra que le Parlement corrige un certain nombre de dispositifs. Je reviens sur la réforme de l'IFI : j'y suis très favorable mais elle comporte une faille dans le domaine foncier : tout particulièrement afin de faciliter les installations de jeunes agriculteurs, il faut que le foncier qui leur est loué par les propriétaires bailleurs puisse être traité comme un bien professionnel.

S'agissant des crédits alloués aux SAFER, je fais observer que son augmentation résulte principalement du fléchage de la politique foncière en Guyane : pour l'hexagone, aucun moyen supplémentaire n'est prévu.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Duran

En ce qui concerne les prédateurs, je voudrais qu'on mette en balance des exigences contradictoires. La directive habitat vante la biodiversité à la fois végétale et animale mais je me demande, par exemple dans les Pyrénées, si les effets de la réintroduction de l'ours compensent suffisamment la perte environnementale liée à la limitation du pastoralisme, seul capable de maintenir ouverts des espaces situés entre 1800 et 2000 mètres d'altitude. Du point de vue de nos agriculteurs qui élèvent des animaux de qualité, il est inacceptable d'alimenter à hauteur de millions d'euros le budget consacré aux prédateurs : la colère monte dans nos campagnes et le Gouvernement doit en prendre la mesure avant qu'il ne soit trop tard.

Debut de section - PermalienPhoto de Roland Courteau

Le secteur viticole pèse à l'exportation huit milliards d'euros, soit l'équivalent de dizaines d'Airbus, de centaines de TGV, avec des milliers d'emplois à la clef et une contribution au rayonnement de la France. Pourtant la récente campagne de prévention de l'alcoolisme, parfaitement légitime dans son principe, cible uniquement le vin et pas les alcools durs. On ne peut pas à la fois promouvoir les vins français à l'étranger et les dénigrer en France. Je demande donc le respect du code de la santé qui interdit les discriminations entre les boissons dans ces actions de prévention. Je rappelle que la consommation de vin a baissé de 60 % au cours des dernières décennies.

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Dubois

Deux courtes observations : tout d'abord, à propos du mal être des agriculteurs évoqué par Laurent Duplomb, je signale la publication d'une étude américaine très sérieuse selon laquelle le Glyphosate ne serait pas cancérigène, ce qui viendrait conforter les indications récentes de l'ANSES. Je voudrais que, si cette étude est indiscutable, nous puissions être porteurs de messages de raison. En second lieu, même si, conjoncturellement, la situation s'améliore sur certains points, il faut continuer à combattre la prolifération des normes qui pèse lourdement et structurellement sur le moral de nos agriculteurs et l'efficacité de leur activité.

Debut de section - PermalienPhoto de Anne-Marie Bertrand

Un mot pour rappeler qu'il ne faut pas oublier les arboriculteurs et le maraîchage qui utilisent des technologies de pointe mais sont les oubliés de ce budget.

Debut de section - PermalienPhoto de Marc Daunis

Je m'associe aux propos de notre collègue Alain Duran sur les prédateurs et la biodiversité. La problématique est assez similaire dans les Pyrénées et les Alpes maritimes avec l'ours dans le premier cas et le loup dans le second. L'agro-pastoralisme, tel qu'il se pratique dans les Alpes maritimes, ne permet pas de se protéger contre le loup puisque les troupeaux sont laissés en liberté. L'acceptation du loup contraint à abandonner le pastoralisme ce qui entraine à la fois des drames humains et une perte de diversité biologique. Il faut sortir du dogmatisme et cartographier de façon réaliste les endroits compatibles avec la présence du loup.

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Primas

Je passe la parole à nos rapporteurs pour avis pour qu'ils puissent répondre aux interventions.

Debut de section - PermalienPhoto de Henri Cabanel

S'agissant de la raréfaction des installations de fermes marines depuis une vingtaine d'années, je précise qu'elles sont soumises aux règles des Installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE) : la complexité administrative est telle que beaucoup se découragent. Le phénomène n'est donc pas lié à l'insuffisance de financement - 30 millions d'euros de crédits ont été consommés sur 588 millions - mais aux difficultés de montage des dossiers. S'y ajoutent, dans le choix des sites, les conflits d'usage avec la pêche et le tourisme.

Par ailleurs, il faut permettre aux Safer de s'autofinancer : chacun sait qu'elles ont « déstocké » en raison de difficultés budgétaires.

Sur le Glyphosate, je rappelle que le Parlement européen a formulé une proposition équilibrée prévoyant une reconduction pendant cinq ans, suivie d'une interdiction. Outre-Atlantique, une autorisation supplémentaire de dix ans a été accordée et cela doit nous conduire à une très grande vigilance et à mettre en place un système de traçabilité permettant, par exemple, d'identifier lorsque l'on achète du pain, la provenance du blé et de la farine qui le compose.

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Primas

Les travaux de la mission commune d'information sur les pesticides qui avait rendu son rapport (42, 2012-2013) il y a six ans montrait que des produits non autorisés parviennent à franchir les frontières : le sujet est donc pertinent.

Debut de section - PermalienPhoto de Françoise Férat

Je partage l'inquiétude exprimée sur les moyens de l'ANSES : le ministre semble se satisfaire qu'on retrouve le niveau budgétaire de 2016 mais il faudrait aller plus loin et tenir compte de la multiplication des crises sanitaires.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurent Duplomb

Pour prolonger les propos de mon collègue Henri Cabanel, je citerai l'étude sur la lentille verte qui est produite dans mon département : elles sont produites sur la base de 0,1 milligramme par kg de Glyphosate, ce qui correspond à la norme française. D'autres pays exportateurs ont souhaité que la règle soit assouplie au niveau européen : je rappelle que la lentille canadienne est à 4 milligrammes et 5 pour les États-Unis. La norme européenne a été portée à 10 milligrammes par kg et je suis donc surpris de constater que c'est en France, là où les normes sont les plus restrictives, que le débat sur l'interdiction du Glyphosate est le plus vivace.

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Primas

Nous en venons à l'examen des amendements au projet de loi de finances annoncés par nos trois rapporteurs pour avis.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurent Duplomb

Le premier vise à maintenir jusqu'à son terme, c'est-à-dire 2021, le fonds d'accompagnement créé pour prendre en charge les hausses de cotisations sociales dues par les exploitants pénalisés par le passage du régime du forfait au micro-bénéfice agricole. Je rappelle que ce fonds a rendu la réforme plus acceptable et a fait l'objet d'un accord entre l'État et les organisations professionnelles agricoles. Financièrement, la fin du forfait a engendré des économies de fonctionnement pour les services fiscaux, ce qui facilite l'alimentation de ce fonds par l'État prévue à hauteur de 8 millions d'euros de 2017 à 2019, 6 millions d'euros en 2020 et 3 millions d'euros en 2021.

L'article 49 vise à supprimer ce fonds à compter de 2018, estimant que les mesures du PLFSS 2018 devraient davantage alléger les cotisations sociales des agriculteurs. Or, même si le fonds n'est pas utilisé en totalité, il conserve une utilité et l'État doit respecter l'engagement pris en 2015 d'accompagner jusqu'au bout la réforme du forfait agricole.

La commission approuve l'amendement COM-1 de suppression de l'article 49.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurent Duplomb

Le second amendement qui vous est soumis porte sur l'article 49 bis. Introduit par les députés à l'initiative du Gouvernement, cet article vise à faire remonter l'intégralité des « centimes forestiers » perçus par les chambres départementales d'agriculture, jusqu'à présent fléchés vers l'action forestière et le fonctionnement des chambres départementales, à un fonds national piloté par l'assemblée permanente des chambres d'agriculture. Concrètement, les chambres départementales n'auront plus aucun moyen issu de la ressource forestière. Cette réforme conduirait à priver une trentaine de chambres de ressources importantes et de mettre en danger financièrement une dizaine d'entre elles. L'amendement propose donc de ne faire remonter au niveau national qu'une fraction des centimes forestiers, pour ne pas pénaliser les chambres départementales des départements forestiers et leur laisser la maîtrise d'une part de leurs ressources.

La commission approuve l'amendement COM-1 modifiant l'article 49 bis.

Puis la commission émet un avis défavorable à l'adoption des crédits de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales ».

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Chatillon

L'examen du Compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'État » dans le projet de loi de finances initiale constitue chaque année un exercice un peu curieux, dans la mesure où il est demandé au Parlement de se prononcer sur des crédits dont tout le monde sait qu'ils sont très largement hypothétiques. De fait, les sommes inscrites en dépenses et en recettes sur les deux programmes de ce compte spécial revêtent un caractère conventionnel. Leur montant réel, tout comme la provenance et la destination effective des fonds ne sont connues qu'après coup, avec des écarts toujours importants par rapport à ce que prévoit le projet de budget.

Ainsi, en 2018, comme les années précédentes, 5 milliards d'euros provenant de la vente d'actifs du portefeuille de l'État sont inscrits en recettes sur le compte « Participations financières de l'État ». Pourtant, il est probable que le produit des cessions effectivement réalisées en 2018 sera très éloigné de ce chiffre.

Je rappelle qu'en 2011 et en 2012, les cessions ont rapporté moins de 300 millions sur les 5 milliards prévus. En 2013 et 2014, elles ont rapporté respectivement 1,7 et 1,6 milliard d'euros très loin aussi des 5 milliards inscrits en loi de finances initiales. En 2015 et en 2016, le montant des cessions a été plus significatif : environ 2,3 milliards d'euros, montant cependant déconnecté de la prévision initiale de 5 milliards. Enfin, pour 2017, à la date du présent rapport, l'État a d'ores-et-déjà cédé des titres Engie, PSA et Renault pour un montant de près de 5,8 milliards d'euros, ce qui excède largement les prévisions de produits de cession de 5 milliards votées l'année dernière -sans compter que le budget du Compte d'affectation spéciale a été aussi alimenté, au mois de juillet 2017, par un versement en provenance du budget général de 1,5 milliard d'euros, qui n'avait pas été explicitement prévu en loi de finances.

Le même écart entre les prévisions initiales et la réalité peut s'observer au niveau des dépenses du compte. Cette incertitude concerne à fois les sommes consacrées au désendettement des administrations publiques et celles utilisées pour capitaliser des entreprises ou acquérir des participations.

Je vous épargne l'énumération des chiffres, mais vous pourrez les retrouver dans la version écrite de mon rapport. Pour m'en tenir au dernier budget exécuté, celui de 2016, l'État a dépensé 4 milliards d'euros pour apporter du capital à ses entreprises ou acquérir des titres, alors que les prévisions de dépenses se montaient seulement à 2,7 milliards. Quant à l'année en cours d'exécution, 2017, elle sera également infidèle aux prévisions de dépenses, puisque, à elle seule, les recapitalisations d'Areva et d'EDF ont déjà conduit à inscrire 8 milliards d'euros de dépenses sur le compte, bien au-delà des 6,5 milliards d'euros prévus dans le budget pour 2017.

Concernant la participation du compte aux dépenses de désendettement de l'État, l'imprécision est la même. En 2012 et en 2013, 4 milliards d'euros devaient y être consacrés ; en 2016, cela devait être 2 milliards. Finalement, pour ces trois années, la contribution du compte spécial au désendettement a été nulle. En 2015, la prévision a été légèrement meilleure, avec une participation au désendettement de 800 millions d'euros sur les 4 milliards prévus. Il n'y a qu'en 2014 que l'objectif de 1,5 milliard annoncé a été effectivement atteint.

Dans ces conditions, vous comprendrez que je prenne avec un peu de scepticisme l'inscription dans le budget pour 2018 d'une somme de 1 milliard d'euros destinée au désendettement...

Au demeurant, j'espère que le Gouvernement ne cherchera pas à respecter cet engagement, parce que réduire le stock de dette en cédant les participations du portefeuille de l'État est une politique contestable. Je suis sans réserve en faveur d'une réduction de l'endettement public : que ce soit clair ! Mais j'estime que réduire une dette qui génère une charge annuelle de 2,5 % en cédant des participations qui ont une rentabilité courante supérieure à 3,5 %, c'est une absurdité financière ! En faisant cela, l'État dégrade son bilan et s'appauvrit. J'ai l'occasion de le dire chaque année lors de la présentation de mon rapport et je le répète donc encore cette année : la réduction de la dette passe par le sérieux budgétaire et la croissance économique, pas par la cession d'un patrimoine rémunérateur.

S'agissant de l'incertitude qui entoure la présentation du Compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'État », j'ajoute qu'elle ne concerne pas seulement le volume des dépenses et des recettes, mais également la nature des opérations qui seront réalisées dans l'année. On ne connaît évidemment pas à l'avance quels titres vont être achetés ou vendus par l'agence des participations de l'État. Cela peut se comprendre, car les décisions d'achat et de vente dépendent étroitement de la situation des marchés, ainsi que de la situation des entreprises concernées.

Toutefois, si l'on met bout à bout tous les facteurs d'incertitude que je viens de rappeler, cela conduit à s'interroger sur la finalité du travail que nous effectuons : quel est le sens pour les parlementaires de voter sur des enveloppes dont nous ne connaissons en réalité ni le volume ni la destination ? Il faut le dire : les modalités du contrôle parlementaire de la politique de l'État actionnaire ne sont pas satisfaisantes sous leur forme actuelle.

Cette insatisfaction est encore plus marquée cette année dans la mesure où le Gouvernement a annoncé, sans en préciser les contours exacts, sa volonté de redéfinir en 2018 les contours de la doctrine de l'État actionnaire. L'actuelle doctrine a formalisé en 2014 la pratique qui s'était mise en place dans les années précédentes. Or, vous avez pu constater lorsque nous l'avons auditionné que le ministre de l'économie a vivement critiqué cette doctrine. Permettez-moi de citer ses propos : « Le rôle qu'on a fait jouer à l'État jusqu'à présent n'est pas le bon. L'État n'a pas vocation à diriger des entreprises à la place des entrepreneurs, il n'en a ni la capacité ni la légitimité. En revanche, il doit garantir la protection de certains intérêts de souveraineté de notre pays et la préservation d'un certain nombre de services publics auxquels tous les Français sont attachés. (...) Redéfinir le rôle de l'État dans l'économie est l'un des enjeux fondamentaux des dix prochaines années : c'est ce que nous faisons en cédant des participations de l'État dans certaines activités du secteur concurrentiel (...) ».

On peut discuter du bienfondé de cette redéfinition de la doctrine. C'est un vrai sujet, qui va nous occuper dans les mois qui viennent. Je souligne simplement que voter un budget en sachant que le montant des enveloppes est purement conventionnel, que les décisions opérationnelles de cessions et d'achat sont couvertes par un principe de confidentialité et que les grands principes qui guident ces décisions vont être redéfinis en cours d'année, c'est une situation assez peu respectueuse de nos compétences. Ce n'est plus du contrôle parlementaire, c'est un blanc-seing.

C'est pourquoi, par principe, je propose à la commission d'émettre un avis plutôt défavorable aux crédits de ce compte pour 2018.

J'en viens maintenant à la deuxième partie de mon rapport, qui concerne non pas les crédits prévus pour 2018 mais l'exécution de ceux votés pour 2017. Sachant, comme je viens de le montrer, que les crédits votés sont de nature conventionnelle, c'est au stade de l'exécution que s'exerce véritablement la capacité de contrôle du Parlement - ou du moins son droit à l'information.

En 2017, l'activité du Compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'État » a principalement tourné autour de la refondation de la filière électronucléaire. C'est un dossier complexe, car les enjeux sont à la fois financiers, industriels, commerciaux et géopolitiques. Ils sont aussi sociaux puisque, bien que tout cela se soit fait à « bas bruit », il y a eu une réduction de 20 % des effectifs d'Areva.

Concernant cette dernière, je rappelle que l'État l'a divisée en trois structures :

La première est Areva New Co. Recentrée sur le cycle du combustible nucléaire, cette nouvelle société détient, suite à un apport partiel d'actifs réalisé en novembre 2016, l'ensemble des activités dédiées à la mine, à la conversion et à l'enrichissement du combustible nucléaire, ainsi qu'au traitement aval (recyclage, logistique). L'État a souscrit le 26 juillet 2017 à une augmentation de capital hauteur à de 2,5 milliards d'euros, ce qui lui donne la propriété de 90 % du capital (4,8 % des actions ont ensuite été rétrocédées au CEA). Le reste du capital est détenu par les sociétés japonaises Mitsubishi Heavy Industries (MHI) et Japan Nuclear Fuel Limited (JNFL), qui ont apporté ensemble une somme de 500 millions d'euros.

La deuxième structure est Areva Nuclear Power (Areva NP). L'objectif est d'y rassembler les activités de conception, de gestion de projets et de commercialisation de réacteurs neufs d'EDF et d'AREVA. C'est EDF qui doit en prendre le contrôle majoritaire. Cette intégration des acteurs devrait permettre des gains d'efficacité industrielle, mais également soutenir une politique d'exportation ambitieuse.

L'État n'a pas apporté directement de capital à cette nouvelle structure, puisque c'est EDF qui est chargée d'y investir. Selon l'accord signé en novembre 2016 entre EDF et Areva, EDF rachètera un maximum de 75 % d'Areva NP. Mitsubishi Heavy Industries s'est engagé à prendre une participation de 15 %, qui pourra être portée à 19,5 %. La société française d'ingénierie Assystem prend également une part de 5 %. Cela est acté depuis le mois de juillet. Pour le reste, il y a des discussions en cours avec les Indiens de Reliance, avec en arrière-plan des discussions pour la construction de six réacteurs nucléaires à Jaitapur (chantier gigantesque qui représente l'équivalent du tiers du parc français en puissance électrique). Les discussions permettant d'associer le groupe chinois CGN n'ont toujours pas abouti, mais pourraient lui donner une part équivalente à celle des Japonais.

Enfin, la troisième structure est Areva S.A, qui subsiste donc, mais seulement en tant que structure de défaisance. On y a rassemblé tous les actifs douteux d'Areva pour immuniser Areva New Co et Areva NP des lourds risques financiers associés à certains dossiers, en premier lieu le contrat de réacteur EPR sur le site Olkiluoto 3 en Finlande (dit OL3) et l'EPR FA3 de Flamanville. L'État a injecté 2,5 milliards d'euros dans Areva S.A. en juillet, somme qui a des chances d'être perdue à terme, ce qui devrait conduire la Commission européenne à considérer cette dépense non comme un investissement mais comme une dépense au sens maastrichtien du terme.

Pour finir sur les opérations de restructuration d'Areva, il faut signaler également deux opérations de moindre importance :

- d'une part, l'offre publique de retrait des actions que détenaient les actionnaires minoritaires d'Areva, notamment les Koweitiens. Réalisée au mois d'août, elle a couté à l'État 285 millions d'euros ;

- d'autre part, la prise de contrôle direct de Technicatome, le spécialiste français de la propulsion nucléaire navale (ex-Areva TA). En mars 2017, l'État a acheté 50,32 % du capital de cette société à Areva SA, conjointement avec le CEA et Naval Group, chacun détenant maintenant 20,32 % du capital). Cela a couté 281 millions d'euros.

Si on fait le total de toutes les dépenses liées à la restructuration du capital d'Areva, on obtient donc un effort d'investissement pour l'État qui dépasse 5 milliards d'euros en 2017.

L'autre aspect de la refondation de la filière électronucléaire est la recapitalisation d'EDF. Elle comprend deux aspects.

En premier lieu, l'État a participé en mars 2017, à hauteur de 3 milliards d'euros, à une augmentation de capital d'EDF d'un montant total de 4 milliards. À l'issue de cette opération, la participation de l'État dans EDF s'élève à 83 %.

En second lieu, l'État a décidé de ne pas percevoir son dividende sous forme numéraire, mais sous forme d'actions EDF, ce qui revient à apporter du capital à la société. Entre 2015 et 2017, cette conversion des dividendes en capital correspond à un apport de capital d'un montant total de 3,9 milliards d'euros.

L'État a ainsi apporté 6,9 milliards d'euros à EDF depuis 2015, dont 4,2 milliards cette année.

Cela porte le coût pour l'État de la refondation de la filière électronucléaire à presque 12 milliards d'euros, dont 8 milliards d'euros en numéraire. On espère que ce sera suffisant, mais comme vous le savez, EDF ne se porte pas bien financièrement et les risques liés au désastre d'Areva pourraient encore révéler quelques surprises.

Pour financer toutes ces opérations, l'Agence des participations de l'État a dû procéder à ces cessions d'actifs conséquentes.

À la fin de l'année 2016, le compte d'affectation spéciale disposait d'un solde cumulé excédentaire de 3,6 milliards d'euros, fruit des cessions antérieures, notamment celles des aéroports de Lyon et Nice qui ont généré un produit d'environ 1,76 milliard d'euros en novembre 2016.

Pour compléter ces ressources, l'État a cédé deux blocs d'actions Engie en janvier et septembre 2017, pour un montant total de 2,67 milliards d'euros, faisant passer sa participation en capital de 32,8 % fin 2016 à 24,1 % aujourd'hui. La participation en droits de vote repassera au-dessus du seuil du tiers imposé par le législateur dès le mois d'avril 2018, grâce au murissement de titres en droits de vote doubles au terme de deux années de détention au nominatif.

L'État a cédé également ses actions Peugeot à BpiFrance en juin, pour 1,9 milliard d'euros.

En juillet, l'Agence des participations de l'État a reçu un versement de 1,5 milliard d'euros en provenance du budget général.

Enfin, en début de mois, L'État a cédé, pour 1,21 milliard d'euros, 4,73 % du capital de Renault. Au terme de ce placement, l'État reste le premier actionnaire de Renault, avec 15,01 % de son capital.

À la suite de ces cessions et malgré l'ampleur des dépenses réalisées pour soutenir la filière nucléaire, le solde du compte d'affectation spéciale est redevenu positif de près de 3 milliards d'euros.

Cela permettra de couvrir 411 millions de dépenses prévues d'ici à la fin de l'année pour libérer une tranche supplémentaire du capital de BpiFrance, pour préempter les actions STX et pour capitaliser les banques multilatérales de développement.

Cela permettra de couvrir également 1,12 milliard de dépenses déjà actées pour 2018, notamment en vue de libérer 685 millions du capital de Bpifrance et de souscrire au capital de la Société pour le logement intermédiaire (SLI).

Malgré les recompositions capitalistiques d'ampleur que je viens de décrire, la composition du portefeuille de l'État est néanmoins restée stable. L'agence des participations de l'État gère toujours des participations dans 81 entités, dont 13 sociétés cotées.

La valeur de son portefeuille était de 68,6 milliards d'euros au 15 novembre 2017, contre 60 milliards d'euros en début d'année et 67 milliards à la fin de 2015. Malgré l'ampleur des cessions intervenues depuis deux ans, la tendance à la stabilisation de la valeur du portefeuille a donc l'air de se confirmer après quelques années de forte perte de valeur boursière des entreprises du secteur de l'énergie.

Toutefois, la forte concentration des participations de l'État sur un secteur de l'énergie très volatil fragilise son portefeuille, comme l'ont illustré encore tout récemment les difficultés d'EDF. Et je constate que la volonté du gouvernement de redéfinir la doctrine de l'État actionnaire et de céder des titres du secteur concurrentiel risque d'aboutir à une concentration encore plus forte des risques financiers sur les entreprises restant dans son portefeuille.

Je m'inquiète donc pour les capacités futures d'intervention de l'État. Qui se doutait au début des années 2010 qu'il faudrait trouver 12 milliards d'euros pour restructurer la filière nucléaire ? Nous avons pourtant pu mener cette action considérable sans peser sur le budget de l'État, parce que le portefeuille de l'État le permettait. Ce sont des cessions qui ont permis les recapitalisations. De même, nous avons pu intervenir à des moments-clé dans l'actionnariat de Peugeot, de Renault ou plus récemment de STX, parce ce que l'État disposait d'actifs cessibles et donc de marges financières. On peut donc craindre que le resserrement du portefeuille de l'État sur un nombre réduit de valeurs n'obère fortement les capacités d'intervention ultérieures de l'État dans le capital de sociétés stratégiques.

Concernant la création prochaine d'un nouveau fonds pour l'innovation de rupture, les cessions pour le financer ont déjà commencé. Le Gouvernement a indiqué que la vente des actions Renault visait à l'alimenter. Pourtant, on ne connaît encore bien ni les objectifs de ce fonds ni ses moyens et ses modalités de fonctionnement.

Pour ce qui est des objectifs, je rappelle que la France dispose déjà de deux outils publics éprouvés pour accompagner le financement de l'innovation :

- le PIA, qui fonctionne selon une logique d'appel à projets sur un critère d'excellence,

- BpiFrance, qui finance plutôt l'innovation courante en utilisant des dotations budgétaires fournies par l'État.

Par rapport à ces deux outils, comment se situera le nouveau fonds ? Qu'est-ce qu'il apportera de plus ou de différent ? Cela n'est pas clair.

Pour ce qui est des modalités de financement du fonds, les questions sont également nombreuses. Quand le gouvernement a annoncé sa création, on a cru comprendre qu'il s'agissait de céder 10 milliards d'euros de titres et d'investir cette somme considérable dans l'innovation. Puis, le gouvernement a expliqué que ces 10 milliards ne seraient pas investis dans l'innovation mais placés. Ce sont seulement les revenus générés par ce placement qui seraient effectivement investis dans l'innovation, soit 2 à 300 millions d'euros par an. Hier, le Premier ministre a indiqué que, si le nouveau fonds sera bien doté de 10 milliards d'euros, seulement 1,6 milliard proviendra des récentes cessions d'actions Engie et Renault. Le reste, soit 8,4 milliards, viendra de titres d'entreprises destinées à rester publiques (comme EDF, La Poste ou Thales).

Il semble donc qu'il n'est donc plus question de capitaliser ce nouveau fonds en cédant pour 10 milliards de participations, mais plutôt de mettre en place un financement mixte, en partie en numéraire et en partie sous formes de titres possédés par l'État. Reste à savoir s'il s'agit là seulement d'une solution provisoire pour tenir compte du fait qu'il n'est pas possible de céder pour 10 milliards de titres d'ici au 1er janvier 2018. Ou bien si cette déclaration indique plutôt une inflexion stratégique et un renoncement à se défaire d'une partie considérable du portefeuille de l'État. C'est une question à clarifier. La première solution me paraît cependant la plus probable.

En tout cas, la solution annoncée hier, même si elle n'est que provisoire, me paraît plus raisonnable et pragmatique. Elle rejoint la préconisation que je fais depuis des années, à savoir qu'au lieu de verser les dividendes de son portefeuille dans le budget général, l'État ferait mieux de les investir dans l'innovation, mais aussi dans les ETI.

Pour conclure, je soulignerai que l'année 2018 sera décisive pour l'avenir de l'agence des participations de l'État et de son portefeuille. Nous serons occupés par plusieurs sujets lourds. Outre la redéfinition de la doctrine de l'État actionnaire, nous aurons l'occasion de revenir sur le dossier Alstom dans le cadre d'une mission commune d'information.

Nous reviendrons aussi sur le dossier de l'aéroport de Toulouse. L'État, qui détient encore 10 % des parts de l'aéroport, aura en effet la possibilité à partir du 18 avril 2018 de céder ses parts, pendant une période d'un an. Or, l'actionnaire chinois qui détient 49 % des parts s'est montré plus intéressé jusqu'à présent par la recherche de dividendes que par l'investissement dans le développement du territoire, d'où l'inquiétude des chambres de commerce, de la région et du département. L'État ne doit surtout pas céder les 10 % qu'il détient au groupe chinois !

Je vous remercie.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Chatillon

Oui, pour moi, c'est un avis défavorable sous réserve que d'ici quelques jours nous puissions avoir des sécurisations de la part de l'État sur ce que l'on va faire.

Debut de section - PermalienPhoto de Victorin Lurel

Je partage l'analyse du rapporteur pour avis. Les membres de la commission des finances étaient tellement embarrassés devant la présentation du compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'État » qu'ils ont refusé de se prononcer et s'en sont remis à la sagesse du Sénat. Adopter ces crédits, c'est donner un blanc-seing au Gouvernement. Il faudrait revoir la LOLF pour que l'autorisation parlementaire signifie quelque chose et pour éviter que ce soit seulement dans la loi de règlement que le Parlement découvre la réalité de la politique de l'État actionnaire. Je veux bien comprendre que certaines informations ne soient pas données par avance aux marchés, mais cela concerne seulement les cessions. Il y a moyen à mon sens d'améliorer l'information préalable du Parlement. La commission des finances demandera un débat public sur ces questions. Enfin, je m'associe aux propos du rapporteur pour avis concernant cette usine à gaz qu'on s'apprête à créer sous le nom de fonds de financement pour l'innovation dite de rupture. On nous promet 10 milliards censés rapporter 2 à 300 millions d'euros. Il existe déjà plusieurs outils de financement de l'innovation, notamment BpiFrance. Je ne vois pas l'intérêt de tout cela.

Debut de section - PermalienPhoto de Joël Labbé

Concernant AREVA et EDF, je constate qu'on consacre des sommes énormes à soutenir ce secteur jadis fleuron de notre industrie et que dans le même temps il y a un effort d'investissement dans les énergies renouvelables qui n'est pas à la hauteur !

Concernant Engie, nous assistons à des délocalisations, des externalisations et à une véritable vente à la découpe du groupe par des cessions d'actifs. Pourquoi l'État participe-t-il en tant qu'actionnaire à ces opérations qui se font au détriment du salariat et de l'économie française ?

Debut de section - PermalienPhoto de Martial Bourquin

Je partage le rapport qui nous a été présenté. On est face à un budget qui n'en est pas un ! C'est une situation ubuesque. C'est un déni du pouvoir de contrôle du Parlement. Mais c'est aussi inquiétant pour notre politique industrielle. Celle-ci devrait être au coeur de la politique économique du pays et du renouveau de sa position en Europe. Mais que devient cette politique ? Je ne la vois plus !

Les cessions d'actifs doivent être réinvesties dans l'économie. La vente des bijoux de famille ne doit pas servir à éponger la dette ou à remplacer des dotations budgétaires qui s'amenuisent. Regardez le cas de Peugeot. Que serait-il advenu de Peugeot si l'État n'était pas intervenu au moment opportun ? Une intervention qui n'est d'ailleurs pas une mauvaise affaire pour les finances publiques sur le plan financier, si l'on en juge par la plus-value réalisée récemment. Le développement industriel de la France s'est fait après la guerre avec l'appui de l'État stratège. Ce rôle doit demeurer.

Concernant Areva, il faut demander des comptes. C'est un scandale.

Enfin, je suis d'accord sur la nécessité d'investir massivement dans les PME et les ETI. L'effort d'investissement qui les attend pour prendre le virage de l'industrie du futur est massif. Il faut soutenir cet effort par un dispositif de suramortissement ciblé. Baisser les charges n'est pas la seule voie. Notre commission doit être en pointe sur ce sujet.

Debut de section - PermalienPhoto de Franck Montaugé

Je suggère que notre commission travaille sur la notion d'État stratège. Le laisser faire et le laisser aller ne sont pas une solution d'avenir. Il ne s'agit pas d'entrer dans le capital de toutes les entreprises, ce serait absurde, mais l'État doit jouer son rôle. Auditionnons des experts sur ces questions, je pense à des personnes comme Pierre Veltz qui a développé la notion de capitalisme hyper industriel. Nous sommes dans une phase de transition où convergent le numérique, les services et l'industrie de fabrication. Nous devons réfléchir au rôle économique de l'État dans ce nouveau contexte et tirer les conséquences de la désindustrialisation des trente dernières années

Debut de section - PermalienPhoto de Anne-Catherine Loisier

Quelles sont les ventes d'actifs envisagées ? Je m'interroge notamment sur l'avenir de La Française des jeux.

Debut de section - PermalienPhoto de Victorin Lurel

J'ai une petite différence avec le rapporteur pour avis concernant la valorisation du portefeuille de l'État.

Concernant la doctrine d'intervention définie en 2014, je pense qu'elle reste encore valable. Je ne vois pas la nécessité de céder des actifs gérés par l'APE pour financer les investissements, notamment dans l'innovation. Sur les cinq dernières années, il y a une contribution nette de l'APE au budget de l'État de 25 milliards d'euros. Les dividendes sont largement suffisants pour financer l'innovation et les investissements nécessaires. Vraiment je ne comprends pas la nécessité de la création du fonds qui nous est proposé.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Chatillon

concernant les cessions, je veux rappeler l'extrême concentration de la provenance des dividendes perçus par l'APE. Cinq sociétés génèrent plus des trois-quarts des dividendes. Procéder à des cessions importantes va encore concentrer cette provenance et renforcer la part des titres de l'énergie, qui sont très fluctuants.

Sur la politique industrielle, je constate que nous avions 5,4 millions d'emplois industriels en 1985. Nous n'en n'avons plus que 2,2 millions. Voulons-nous recréer des emplois industriels ? Investissons 5 milliards d'euros sur 200 ETI et 600 PME dynamiques et nous créerons plus d'emplois que jamais ! C'est là que le pays doit investir et pas dans des dispositifs divers et variés. Pour le reste, cessons d'écraser nos entreprises sous les normes et demandons la réciprocité réelle dans l'ouverture des marchés. Les concurrents extracommunautaires ont accès au marché européen sans restrictions, alors que les entreprises européennes font face à de nombreux obstacles sur les marchés tiers. J'ajouterai même, parce que je l'ai vécu comme industriel quand j'ai voulu vendre en Allemagne, que certains pays européens savent très bien s'y prendre pour protéger discrètement leur marché, ce que la France ne sait pas faire.

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Primas

Concernant l'avis sur les crédits, je retiens que vous proposez à la commission d'émettre un avis négatif sur leur adoption.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Chatillon

Avis négatif ou sagesse, peu importe. Ce qui m'intéresse, c'est que le Gouvernement réponse aux questions que nous avons posées !

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Primas

Donc vous proposez une sagesse défavorable ?

Sous cette réserve, la commission s'en remettra à la sagesse du Sénat sur le compte d'affectation spéciale.

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Estrosi Sassone

Je suis chargée de vous présenter les crédits du programme 177 « Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables », du programme 109 « Aide à l'accès au logement », et du programme 135 « Urbanisme, territoires et amélioration de l'habitat » qui sont désormais rattachés à la mission « cohésion des territoires ».

Ces crédits diminuent de 10 % et atteignent plus de 15,8 milliards d'euros pour 2018. Je vais présenter successivement les différents programmes.

Le programme 177 regroupe les crédits de la politique d'hébergement d'urgence. Ces crédits augmentent de 12 %.

Faisant le constat que la création massive de places d'hébergement d'urgence n'a pas permis de répondre à la demande de façon efficace, le gouvernement a présenté à Toulouse en septembre dernier un plan quinquennal pour le « logement d'abord » et la lutte contre le sans-abrisme pour 2018-2022 qui comprend plusieurs objectifs :

- produire et mobiliser plus de logements adaptés aux besoins des personnes sans-abri et mal logées ;

- favoriser l'accès direct au logement plutôt que d'orienter les personnes vers l'hébergement ;

- recentrer l'hébergement d'urgence sur « sa fonction de réponse immédiate et inconditionnelle aux situations de détresse » ;

- renforcer l'accompagnement social des personnes dans et vers le logement ;

- prévenir les ruptures et notamment les expulsions.

La mise en oeuvre du plan nécessite du temps et conduit à maintenir dans un premier temps des crédits conséquents pour le parc d'hébergement d'urgence. Le gouvernement a indiqué poursuivre la stabilisation des crédits dédiés aux nuitées hôtelières et souhaiter renforcer les capacités d'accueil. L'effort est manifeste en direction du logement adapté : les crédits dédiés à l'intermédiation locative augmentent de 22 %, ceux pour les pensions de famille de 20,6 %. En revanche les crédits de l'aide au logement temporaire diminuent de 10% sans que le ministère nous ait expliqué pourquoi.

Sur le niveau des crédits, ceux de ce programme sont régulièrement sous-budgétisés, comme l'a rappelé la Cour des comptes. Ils sont de nouveau en augmentation de 12 % mais le montant est d'ores et déjà inférieur au montant des crédits ouverts pour 2017, tels qu'ils résultent du PLFR. Je m'interroge sur leur sous-budgétisation. Certains axes de la stratégie en faveur du logement d'abord sont tout simplement sous-budgétés :

- ainsi alors que le plan prévoit de renforcer la veille sociale, les crédits sont inférieurs de 8 % par rapport à ceux consommés en 2016 ;

- de même alors que la hausse des crédits du programme 177 est censée tenir « compte du renforcement de l'accompagnement social nécessaire aux personnes aux faibles ressources ou en difficulté sociale », on a peine à identifier ces crédits.

Le gouvernement prévoit de mieux maîtriser les coûts en cherchant à harmoniser les règles de fixation des tarifs versés aux centres d'hébergement d'urgence et aux CHRS. Une diminution des crédits dédiés au CHRS de 3 % est prévue. Le gouvernement rend l'enquête de coûts obligatoire à l'article 52 bis. L'objectif est de parvenir ainsi à une économie de 20 millions d'euros pour 2018. Il est difficile de dire si cette maîtrise des coûts sera suffisante pour éviter de devoir ouvrir des crédits supplémentaires l'an prochain.

Le programme 109 « Aide à l'accès au logement », comprend essentiellement la contribution de l'État au financement du Fonds national d'aide au logement (FNAL). Les crédits diminuent de 12 % en raison de la baisse importante des crédits dédiés aux APL prévue à l'article 52.

Je ne reviens pas sur les différentes réformes menées les années précédentes : prise en compte du patrimoine, instauration de plafonds de dégressivité et de suppression des aides, suppression des APL pour les étudiants rattachés au foyer fiscal de leurs parents redevables de l'ISF. Le gouvernement codifie dans le code de la construction et de l'habitation et dans le code de la sécurité sociale cette dernière disposition à l'article 52 ter.

En juillet dernier, le gouvernement a adopté une première baisse de 5 euros des APL pour tous les allocataires. Le ministre de la cohésion des territoires a justifié cette diminution des aides par la nécessité de « faire face à une sous-budgétisation du budget des APL ». Le Gouvernement a préféré, plutôt que d'ouvrir des crédits supplémentaires, comme cela avait été fait les années précédentes, de procéder à une baisse généralisée des APL dans le parc social comme privé. Cette mesure devrait rapporter 400 millions d'euros d'économie l'an prochain.

Mais les économies viennent surtout de la mesure prévue à l'article 52 qui prévoit à l'issue de l'examen à l'Assemblée nationale l'introduction d'une réduction de loyer de solidarité dont la mise en oeuvre serait étalée sur 3 ans et qui permettrait concomitamment une économie d'APL de 800 millions en 2018, 1,2 milliard en 2019 et 1,5 milliard en 2020. Toutefois, le gouvernement souhaitant afficher une économie budgétaire d'1,5 milliard dès 2018, cet étalement est compensé d'une hausse de la cotisation versée par les bailleurs sociaux à la caisse de garantie du logement locatif social (CGLLS) à hauteur de 700 millions en 2018 et 300 millions en 2019.

À cela s'ajoutent la suppression des APL-accession pour une économie de 50 millions, le gel des loyers et des barèmes des APL pour une économie de 100 millions et le renforcement de la lutte contre la fraude qui devrait rapporter 50 millions, soit une économie globale d'1,7 milliard.

Je précise que ces mesures coûtent beaucoup plus aux bailleurs car la RLS peut s'appliquer à des locataires non APLisés dont le gouvernement ne peut chiffrer le nombre. De même, il faut ajouter les coûts de gestion supplémentaires qu'implique la RLS ainsi que le coût du gel des loyers.

Le gouvernement a conduit cette réforme d'une manière brutale et sans aucune concertation. Rien n'était annoncé dans les engagements de campagne du Président de la République. Son évaluation de l'impact de la RLS sur les bailleurs sociaux, l'emploi dans le bâtiment, ou encore sur les collectivités territoriales, qui sont garantes des emprunts, n'est pas très approfondie. Le gouvernement n'a pas été en mesure de m'indiquer l'incidence de l'étalement de la RLS sur trois ans pour les organismes HLM. Certains considèrent qu'entre 150 et 200 organismes pourraient être en situation de fragilité financière. J'ajoute que cette réforme aura également des conséquences sur le développement du Nouveau programme national de renouvellement urbain (NPNRU).

Avec le rapporteur spécial de la commission des finances M. Philippe Dallier, la présidente Sophie Primas et plusieurs collègues Valérie Létard, Hervé Marseille, Daniel Dubois, Marie-Noëlle Lienemann et Cécile Cukierman, nous avons essayé de chercher de façon transpartisane une solution qui serait moins douloureuse pour les bailleurs et qui permet néanmoins de réaliser une économie budgétaire à hauteur de 1,55 milliard. Dans les scenarii envisagés, l'APL-accession serait maintenue. Cette solution n'est pas aboutie. Nous devons entendre cet après-midi M. Jacques Mézard, ministre de la Cohésion des territoires.

L'augmentation à 10 % du taux de TVA pour la construction de logements sociaux et leur réhabilitation semble faire consensus à la fois chez les bailleurs et le gouvernement. Un amendement sera déposé aujourd'hui en ce sens. Seraient exclus de cette augmentation de TVA : l'hébergement d'urgence, les centres pour les personnes en situation de handicap et les opérations d'accession sociale à la propriété. La mesure serait applicable dès le 1er janvier 2018 y compris pour les opérations déjà lancées. Le rendement attendu serait de 600 millions d'euros.

Je vais vous exposer les différents dispositifs que nous avons évoqués les uns les autres. Chacun a des avantages et des inconvénients :

- le maintien de la réduction de loyer de solidarité mais pour un montant moindre que les 800 millions d'euros inscrits dans le projet de loi. Elle permettrait de diminuer la dépense publique ;

- la mise en place d'une réduction forfaitaire de charges sur les logements « énergivores » des allocataires APLisés. Cette mesure certes complexe permettrait de diminuer la dépense publique. Elle favoriserait la rénovation des logements énergivores. Néanmoins, le risque de non-conformité à la Constitution pour non-respect du principe d'égalité ne doit pas être sous-estimé ;

- l'application de l'Impôt sur les sociétés aux organismes HLM. Cette réforme qui pourrait rapporter un milliard d'euros était proposée par la Cour des comptes. Toutefois, les sommes seraient versées au budget général de l'État. Le rendement pourrait ne pas être aussi important et on ne peut exclure des comportements d'optimisation fiscale ;

- l'instauration d'une contribution sur les revenus locatifs des immeubles HLM de plus de 15 ans. Cette mesure qui impacterait l'autofinancement ne permet pas de diminuer la dépense publique. À la différence d'une augmentation de la cotisation versée à la CGLLS, elle ne permet pas de tenir compte du nombre de locataires APLisés ;

- l'augmentation de la cotisation principale qui porte sur les loyers et qui est versée par les bailleurs à la CGLLS. Ce supplément de cotisation alimenterait le FNAL. Cette mesure ne permet pas de diminuer la dépense publique, mais permet de tenir compte du nombre de locataires APLisés ;

- la création d'une troisième cotisation versée par les bailleurs à la CGLLS ou d'un prélèvement reposant sur le nombre de logements énergivores. Cette nouvelle cotisation alimenterait également le FNAL. Cette mesure est incitative sur le plan de la rénovation énergétique des logements, mais nécessite d'affiner la catégorisation des logements selon les étiquettes énergétiques. 73 % ont cette information. Ceux pour lesquels l'étiquette ne serait pas connue seraient classés dans la catégorie G, c'est-à-dire parmi les logements les plus énergivores. Cette mesure ne permet pas de diminuer la dépense publique, a priori elle ne permettrait pas de tenir compte du nombre de locataires APLisés.

J'ajoute enfin, qu'il me paraît nécessaire que notre commission commence à travailler rapidement sur les questions de restructuration du secteur afin de pouvoir proposer des solutions juridiques pertinentes au vu du tissu social existant en termes de mutualisation, de regroupement, lors du projet de loi logement.

Il serait temps d'arrêter de dire que les bailleurs sociaux sont assis sur un « tas d'or ». Lorsqu'on a une trésorerie équivalente à 7 mois d'avance de loyers et de charges pour faire face à des dépenses relatives à l'entretien courant, c'est simplement gage de bonne gestion, me semble-t-il.

J'en viens au programme 135 qui concerne notamment les aides à la pierre. Les crédits diminuent de 22 % en autorisations d'engagement et de 12 % en crédits de paiement.

Je voudrais tout d'abord souligner une forme de contradiction de la part du gouvernement qui présente une stratégie quinquennale du logement censée permettre un choc d'offre et qui dans le même temps se désengage du financement des aides à la pierre et des dispositifs incitatifs à la construction.

L'État poursuit son désengagement du financement du Fonds national des aides à la pierre (FNAP) en 2018 en prévoyant de contribuer à hauteur de 50 millions d'euros. Les cotisations des bailleurs sociaux au FNAP augmentent par ailleurs passant de 270 à 375 millions d'euros. Action Logement devrait également contribuer à hauteur de 50 millions d'euros. Enfin, le gouvernement, en complète contradiction avec son souhait d'augmenter les ventes de logements sociaux de 8 000 à 40 000, a prévu à l'article 52 quater d'instaurer une taxe à hauteur de 10 % maximum sur le produit de cessions des ventes HLM, qui viendrait alimenter le FNAP.

J'ajoute que le gouvernement a par ailleurs supprimé l'aide aux maires bâtisseurs.

S'agissant de l'ANAH, l'agence n'a pas atteint ses objectifs de rénovation de logements dans le cadre du programme Habiter Mieux en 2016. En 2017, elle devrait réaliser la rénovation de 60 000 logements environ sur les 100 000 escomptés. Les objectifs pour 2018, plus réalistes, sont fixés à 75 000 logements.

Comme chaque année, se pose la question des ressources de l'agence. La directrice générale comme la DHUP semblaient plus optimistes que d'habitude. L'agence prévoit un budget d'environ 579 millions qui repose en grande partie sur les ressources issues des quotas carbone. Les ressources devraient continuer d'augmenter. À cela s'ajoute la contribution des fournisseurs d'énergie, de la CNSA, et éventuellement d'Action logement. La nouveauté pour 2018 c'est la contribution de l'Etat pour un montant de 110 millions. J'espère que nous n'aurons pas à constater d'annulations de crédits en cours d'exécution budgétaire comme nous avons pu le constater cette année pour le FNAP.

Sont également rattachés à ce programme un certain nombre de dépenses fiscales, comme le prêt à taux zéro (PTZ) et le Pinel. Le gouvernement souhaitait recentrer ces aides.

Le PTZ. Le gouvernement souhaitait initialement proroger le dispositif jusqu'en 2021, tout en le recentrant sur les zones tendues pour les logements neufs et sur les zones détendues pour les logements anciens, ici encore sans véritable concertation ni évaluation. Le gouvernement a finalement réexaminé sa position. Les députés ont voté le maintien du PTZ dans le neuf en zones B2 et C jusqu'au 31 décembre 2019. Au-delà de cette date, le PTZ dans le neuf s'appliquera aux zones tendues et dans les communes couvertes par un contrat de redynamisation de sites de défense. Le gouvernement devra remettre un rapport d'évaluation sur le dispositif et sur le zonage applicable.

Le Pinel. J'ai profité de la suspension des travaux parlementaires pour réaliser des auditions sur le Pinel et sur les investisseurs institutionnels.

Les dispositifs d'investissements locatifs existent depuis 1984. Je rappelle que ces dispositifs ont certes vocation à soutenir la construction de logements mais aussi à favoriser le logement des personnes ayant des revenus trop importants pour le parc social mais pas assez pour le parc libre. Plusieurs remarques :

Le dispositif Pinel s'applique dans les zones tendues et dans les communes des zones moins tendues B2 et C bénéficiant d'un agrément. En pratique, 61 % des Pinel sont situés en zone B1, 23 % en zone A, 3 % en zone A bis et 13 % en zone B2

Plusieurs critiques sont émises à l'encontre du dispositif :

- 1ère critique : le coût budgétaire sur plusieurs années. Ainsi, pour le Pinel, des crédits devront être inscrits jusqu'en 2033. Le cumul des dispositifs d'investissement qui ont encore une incidence budgétaire (Pinel, Robien, ...) approche 1,9 milliard en 2018 ;

- 2ème critique : l'effet inflationniste. Cet effet est discuté. certaines personnes entendues considèrent que l'effet inflationniste est plutôt lié au foncier et à l'obligation de mixité qui est associée (obligation d'avoir 25% de logements sociaux dans l'immeuble pour bénéficier d'un taux de TVA réduit) ;

- 3ème critique : l'effet d'aubaine. C'est probable mais difficile à démontrer ;

- 4ème critique : le non-respect des conditions de loyers et de ressources. Sur ce point, la DGFIP m'a indiqué qu'ils ne pouvaient me donner des statistiques sur le nombre de redressements fiscaux décidés en raison du non-respect des conditions de loyers et de ressources. Cette information existe pourtant dans les centres des impôts mais ne fait pas l'objet de remontée au niveau de l'administration centrale, faute d'outils informatiques adaptés !

- 5ème critique : un zonage inadapté. Le zonage doit permettre de cibler les communes dans lesquelles le besoin de logements intermédiaires est attesté et de protéger les investisseurs. Or, on constate des disparités de loyers au sein d'une même zone.

Le gouvernement a proposé de recentrer le dispositif sur les zones tendues en prévoyant un dispositif transitoire pour les opérations déjà lancées dans les zones B2 et C. Il devra également remettre un rapport d'évaluation du dispositif Pinel, du zonage appliqué, et du respect des conditions de loyers et de ressources, ce dont je me félicite. J'ajoute que la Cour des comptes devrait également rendre un rapport sur ce dispositif en début d'année prochaine.

Pour terminer, je voudrais rapidement aborder la question des investisseurs institutionnels dont le retour est régulièrement évoqué.

Les investisseurs institutionnels se sont désengagés à partir des années 1990 du marché locatif résidentiel. Les quelques 200 000 logements qu'ils détiennent aujourd'hui représentent moins de 2 % du parc locatif français et leur valeur représente à peine 1 % de leur portefeuille financier total.

Régulièrement, leur retour est invoqué car leur capacité financière permettrait, comparée à celle d'un propriétaire bailleur personne physique, de construire et de rénover plus facilement des logements mais aussi de réduire les coûts de gestion du parc locatif.

Il peut sembler paradoxal que les institutionnels boudent le logement. En effet, mesurée sur 10 ou 15 ans, la rentabilité globale de l'investissement locatif résidentiel apparaît très élevée. Toutefois, cette bonne performance est due principalement au niveau élevé de la rentabilité en capital, c'est-à-dire aux plus-values qui ont été alimentées par l'exceptionnelle hausse des prix de l'immobilier observée depuis les années 2000. La rentabilité courante des investissements locatifs résidentiels, celle générée par les loyers, s'est en revanche effondrée depuis 15 ans en raison d'une décorrélation entre l'envolée des prix de vente et une évolution beaucoup moins dynamique des loyers.

Or, dans le modèle économique des institutionnels, la capacité des logements à générer une rentabilité courante élevée compte davantage que des perspectives de plus-values qui supposent une durée de détention des actifs extrêmement longues et qui sont affectées de surcroît d'une forte incertitude, notamment en raison des règles très strictes qui encadrent les ventes en bloc et à la découpe.

Les investisseurs estiment qu'un retour massif sur le marché du logement n'est pas envisageable à court terme aussi longtemps que les prix de l'immobilier resteront à des niveaux aussi élevés et la rentabilité courante à des niveaux aussi bas. Néanmoins quelques freins évoqués par l'ensemble des investisseurs entendus pourraient être levés :

- pour faciliter le développement du logement intermédiaire, les investisseurs souhaitent un assouplissement de l'obligation de mixité sociale qui impose la construction de 25 % de logements sociaux dans le programme sauf dans les communes ayant 50 % de logements sociaux. Le PLF prévoit que l'exemption de l'obligation de mixité porterait sur les communes ayant 35% de logements sociaux. Je soutiens pleinement cette mesure ;

- il conviendrait de faire évoluer la directive solvency 2 qui impose aux assureurs d'avoir des fonds propres en quantité excessive pour couvrir les risques. En effet, le montant de ces fonds a été calibré sur l'immobilier de bureaux au Royaume-Uni obligeant ainsi les assureurs à détenir un capital de précaution inutilement élevé. J'invite le gouvernement à profiter de la période de renégociation de cette directive qui s'ouvre en 2018 pour aborder cette question ;

- une réflexion sur les relations bailleurs/locataires me paraît indispensable. Si notre règlementation ne peut suffire à expliquer l'absence des investisseurs institutionnels, il ne faut pas s'interdire de réfléchir à ces règles et notamment aux règles de vente à la découpe et de vente en bloc ;

- enfin, on pourrait examiner un assouplissement des règles fiscales applicables aux transformations de bureaux en logements. Actuellement, pour obtenir l'avantage fiscal, la transformation des bureaux en logements doit avoir été réalisée dans un délai de 4 ans sauf circonstances exceptionnelles. Or, le délai de 4 ans peut s'avérer trop court en pratique et la possibilité de déroger à ce délai en cas de « circonstances exceptionnelles » semble trop aléatoire pour que les investisseurs institutionnels s'engagent dans ces projets de transformation. Je propose d'assouplir le dispositif en allongeant le délai à 6 ans.

En conclusion, au vu de ces différentes observations et en raison des discussions qui sont encore en cours sur l'article 52, je vous propose que nous reportions à la semaine prochaine le vote sur les crédits et sur les articles rattachés aux programmes.

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Primas

Je remercie très vivement Dominique Estrosi Sassone pour le travail considérable qu'elle a effectué dans des conditions pourtant ubuesques.

(Vifs applaudissements).

Debut de section - PermalienPhoto de Valérie Létard

Je remercie à mon tour notre collègue d'avoir abordé cet énorme sujet qu'est le logement avec synthèse, force et précision. Un énorme travail est mené actuellement sur tous ces sujets.

Pas un seul pan de la politique du logement n'est épargné par le projet de loi de finances, dont les mesures auront également des impacts sur des organismes comme l'ANRU. Proposer des mesures visant à réaliser 1,7 milliard d'euros d'économies, fût-ce sur trois ans, c'est supprimer la capacité d'autofinancement des opérateurs de logement de manière irréversible. En effet, la baisse des loyers de 60 euros en 2018 n'est qu'une conséquence de la diminution des APL : seulement, ces aides au logement n'augmenteront jamais plus, et, de fait, les loyers non plus ! On supprime donc définitivement cette possibilité de redresser la capacité d'autofinancement et, partant, de redonner une dynamique au secteur.

Il faut également s'interroger sur « l'effet levier » de cette capacité d'autofinancement : il peut aller de 1 à 10 ! Par exemple, les 21 millions d'euros d'autofinancement de l'office public de l'habitat du Nord ont permis de générer 200 millions d'euros d'investissement en 2017. La diminution de 1,7 milliard d'euros envisagée dans le projet de loi de finances pour 2018, c'est donc 25 millions d'euros en moins, soit 4 millions d'euros de capacité d'autofinancement négative ! Je vous laisse en tirer les conséquences pour le BTP, pour l'ANRU, sur la rénovation thermique des logements... Cette mesure, qui concerne pourtant les collectivités, est aujourd'hui discutée sans elles, directement entre l'État et les bailleurs ! Les collectivités territoriales sont pourtant de grands financeurs du logement ; elles établissent des programmes locaux de l'habitat (PLH) qui, malheureusement, ne permettent plus aujourd'hui de gérer les financements contractualisés.

Je suis également inquiète sur la vente de patrimoine : bien sûr, c'est prendre le risque de voir les copropriétés se dégrader, mais c'est également la fin de la mixité dans les quartiers.

Enfin, la question foncière devra être au coeur de nos réflexions dans les années à venir, car elle est pour beaucoup dans l'envolée des prix du logement. Nous devons aborder toutes ces questions de manière globale.

Il y a énormément de sujets, ils ont été parfaitement synthétisés, et pour l'instant, aucune solution n'est définitivement arrêtée. Dans l'intérêt général, nous devons continuer de chercher un consensus.

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Dubois

Les logements neufs en milieu rural seront-ils toujours éligibles au PTZ en 2019 ?

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Estrosi Sassone

Pour ceux situés en zones B2 et C, et uniquement jusqu'au 31 décembre 2019. Après cette date, il ne concernera plus que les logements en zones tendues ou les communes couvertes par un contrat de redynamisation de site de défense.

Debut de section - PermalienPhoto de Annie Guillemot

Je souhaite rappeler que 4,2 millions de logements HLM sont occupés par 15 % de ménages, dont la moitié vit sous le seuil de pauvreté. Le loyer moyen d'un logement HLM s'élève à 390 euros, contre 570 euros dans le parc privé : les organismes de HLM répondent donc à une demande sociale forte.

Cela remue, et en tant qu'élus de tous bords, nous devons faire front commun face aux mesures proposées par le Gouvernement. Elles sont totalement contradictoires avec la volonté affichée de demander aux offices HLM de loger encore plus de personnes démunies, comme en témoigne son projet « le logement d'abord ». Cela pose des problèmes de mixité, en particulier dans les quartiers en difficulté.

Le résultat d'exploitation des organismes HLM s'élève à 2,2 milliards d'euros annuels, qui sont intégralement réinvestis dans la production et la rénovation du parc, avec des effets démultiplicateurs en termes d'activité, d'emplois directs et indirects, et de TVA, à hauteur de 800 millions d'euros. Dès lors, parler de rente relève du contre sens.

Par ailleurs, la baisse des APL revient à prélever aux organismes 1,7 milliard d'euros en 2018, et 1,5 milliard en 2019, amputant ainsi leur capacité d'investissement de 75 %. Les collectivités territoriales, qui sont pourtant garantes des emprunts, ne pourront plus construire ! C'est inacceptable, et il faut obtenir le retrait de l'article 52. Plus d'une centaine d'organismes HLM seront mis en péril ; plus d'une centaine d'autres seront en grande difficulté.

Enfin, diminuer de 60 euros par mois le montant des APL de locataires de logements sociaux - et d'eux seulement, comme l'a bien noté notre rapporteur -, cela signifie concrètement une baisse de loyer de 50 euros pour un célibataire, de 61 euros pour un couple ou une personne seule avec un enfant à charge, avec 10 euros de plus par personne à charge supplémentaire. Donc plus un bailleur social logera de personnes modestes, plus il sera taxé ; plus il logera de familles nombreuses, plus il sera taxé. S'il loge des femmes seules avec leurs enfants, il sera taxé, car leurs revenus sont généralement faibles ; et si en plus il construit des PLAI, c'est la cerise sur le gâteau !

Le Premier ministre a annoncé qu'il proposerait au Sénat que la baisse des APL soit complétée, sur une période de trois ans, par une hausse de la TVA. Mais la baisse des APL et la réduction du loyer de solidarité (RLS) ne sont pas des solutions de compromis. Elles pèsent en effet sur les organismes qui accueillent le plus de ménages APLisés. Elles sont également très complexes et tendent à évoluer à la hausse par l'effet de paupérisation. Nous devons être très attentifs, notamment au maintien de la mixité.

Il faut absolument demander le retrait de l'article 52 et la réintroduction de l'APL-accession.

Debut de section - PermalienPhoto de Marc Daunis

Le marasme actuel aura eu au moins un mérite : les problématiques liées au logement, trop souvent considérées accessoires, sont revenues sur le devant de la scène. C'est une très bonne chose, car les conséquences des décisions prises en matière de logement sont majeures, que ce soit sur la vie quotidienne de nos concitoyens ou sur l'aménagement de nos territoires.

Je ne comprends pas comment un gouvernement peut choisir de procéder de manière aussi unilatérale et brutale, pour reprendre le terme de la rapporteure. Tout le débat ne se résume pas au fameux 1,7 milliard d'euros d'économies ! Nous sommes face à un véritable château de cartes : sans être catastrophiste, le système de garantie d'emprunt par les collectivités territoriales ne fonctionne que parce que l'on n'a jamais besoin de le mettre en oeuvre ! Jouer avec cela paraît aussi irresponsable qu'incompréhensible.

Personnellement, je suis très réticent sur les mesures liées à la TVA qui ont été proposées, car sous le précédent gouvernement, nous avons pu observer que la baisse de la TVA permettait de relancer la construction. En réalité, on nous demande aujourd'hui de poser nous-même le garrot sur une crise déclenchée par le gouvernement ! La hausse de la TVA ne me semble pas une piste de travail envisageable. Il faut absolument demander au gouvernement de revenir sur cette mesure irresponsable.

Debut de section - PermalienPhoto de Joël Labbé

Je salue à mon tour le travail très constructif mené par la rapporteure. Il faut aller au-delà des postures, mais l'impact du ministère de l'économie et des finances sur les politiques du logement est beaucoup trop important pour que puissions réellement faire des propositions.

J'ai tenu récemment une réunion de crise avec les acteurs du logement bretons : je peux vous dire que le Sénat est très attendu sur ce sujet ! Les acteurs savent que nous menons un travail pluripolitique pour tenter de trouver des solutions et pour avoir enfin une politique du logement digne de ce nom.

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Primas

Le vote sur ces crédits est réservé, car nous entendrons le ministre de la cohésion des territoires cet après-midi. Le président de la République s'exprimera cet après-midi en clôture du Congrès des Maires de France : peut-être abordera-t-il également ces sujets.

La commission réserve son avis sur les crédits et articles rattachés.