Nous avons présenté, avec Julien Denormandie, secrétaire d'État auprès du ministre de la cohésion des territoires, la « Stratégie Logement » déterminant les orientations du Gouvernement pour les cinq années à venir et qui trouvera une traduction législative en 2018. Je suis favorable à travailler sur ce projet en concertation avec vous, notamment dans le cadre de la conférence de consensus proposée par le Président du Sénat. Je salue d'ailleurs cette initiative.
Nos constatations étaient partagées par plusieurs candidats lors des débats préélectoraux. Dans notre pays, il y a eu un effort conséquent de l'État en matière de politique de logement, avec près de 40 milliards d'euros de dépenses publiques. Malgré cela, il y a 4 millions de mal logés, et nombre de nos concitoyens rencontrent des difficultés en matière de logement. Il est aujourd'hui nécessaire de faire évoluer le système sur le plan budgétaire, lequel découle directement des orientations données par Raymond Barre en faveur des aides personnelles au logement, qui étaient certes soutenables à l'époque, mais qui conduisent aujourd'hui à faire évoluer le système.
De manière schématique, nous avons un problème en zone tendue - pour reprendre une classification développée sous le ministère de Benoist Apparu -, avec une offre généralement de qualité, mais en deçà de la demande de logements. En outre, nous avons également un problème en zone détendue, où l'offre de logements est en général suffisante, mais la demande est plus faible, ce qui conduit à la vacance de nombreux logements, et par voie de conséquence à une dégradation des centres des villes moyennes. Nous sommes d'ailleurs en train de préparer un plan d'action qui leur est destiné.
Ainsi, il s'agit aujourd'hui de construire plus, mieux et moins cher.
Le premier axe de la stratégie consiste en la libération du foncier, qu'il s'agisse de foncier public ou privé. Le délai pour concrétiser un projet est important. J'ai ainsi récemment rencontré le président de l'association des maires d'Ile-de-France qui m'indiquait avoir signé, il y a quelques jours l'achat d'un bien de l'État, pour lequel les négociations avaient débuté en 2004. D'ailleurs, le délai moyen entre le début des démarches et la livraison est en moyenne de 10 ans, en raison de l'accumulation de difficultés que nous avons nous-mêmes créées. C'est la raison pour laquelle nous avons décidé de mettre en place, dans les zones tendues, un abattement exceptionnel qui sera appliqué sur les plus-values résultant de la cession de terrains à bâtir ou de terrains bâtis, en cas de promesse de vente conclue avant fin 2020 en vue de la construction de logements neufs. Cet abattement sera de 100 % pour les cessions réalisées en vue de la construction de logements sociaux, 85 % pour les cessions en vue de réaliser du logement intermédiaire, et de 70 % en vue de réaliser du logement libre. Cette mesure correspond à une demande des promoteurs et constructeurs. En effet, dans le système actuel de taxation des plus-values, les détenteurs fonciers ont intérêt à garder leurs biens le plus longtemps possible. Cela répond ainsi au besoin de terrains en zone tendue.
En ce qui concerne les zones détendues, et vous savez que je suis sensible à ces dernières et aux communes rurales, j'ai rencontré à l'occasion du Congrès des maires, des élus ruraux qui considéraient ne pas avoir assez de terrains à disposition pour des constructions de logement. Toutefois, il me semble que pour le moment, il y a sur ces territoires, des possibilités foncières importantes.
En outre, il est important d'aller vers un urbanisme de projet. Nous allons ainsi faciliter la création de projets partenariaux d'aménagement, et améliorer les dispositifs d'opération d'intérêt national. Nous voulons privilégier la contractualisation, notamment avec les collectivités territoriales. J'ai rencontré récemment le dirigeant d'une grande entreprise internationale qui s'était engagée dans une telle démarche. Le dossier avait pris moins d'un an. Cela démontre, que dans ce pays, lorsque l'on veut, on peut, mais il faut faciliter les choses.
Il faut aussi intervenir sur le coût de la construction, qui est l'un des plus élevés en Europe. En matière de réglementation et de normes, il faut sortir d'une logique de prescriptions de moyens, qui sclérose l'innovation pour aller vers une obligation de résultat. À titre d'exemple, en matière de bruit, on indiquerait le nombre maximal de décibels acceptable, et on laisserait les entreprises libres de trouver les solutions pour y parvenir.
Nous avons également une volonté de simplifier les normes, notamment en matière d'accessibilité, sans tabou. Nous avons beaucoup travaillé avec l'association des paralysés de France (APF). De manière générale, la consigne a ainsi été donnée à tous les ministères de faire une « pause normative » durant le quinquennat, à l'exception, bien sûr, des normes de sécurité. J'ai d'ailleurs été interpellé hier par votre collègue Catherine Deroche sur les risques d'accidents dus aux armatures en béton. Par ailleurs, bien évidemment, nous prendrons celles découlant de textes législatifs déjà votés, notamment en matière d'environnement.
En outre, nous devons nous pencher sur la question des recours. Aujourd'hui, la construction de 30 000 logements est bloquée en raison de recours. Le maire de Toulouse m'a ainsi dit que 60 % des permis de construire font l'objet d'un recours. Certes, juridiquement, il est difficile d'interdire les recours, car c'est un droit constitutionnel. Toutefois, nous souhaitons mettre en place une cristallisation obligatoire des moyens, qui consiste à obliger le requérant à présenter l'ensemble de ses griefs en une fois, ce qui présente l'avantage de raccourcir la période d'instruction du recours. Aujourd'hui, cette cristallisation est facultative, nous souhaitons la rendre demain obligatoire. En outre, nous souhaitons un renforcement des sanctions contre les recours abusifs. En effet, ces dernières ne sont pas suffisamment utilisées, alors que nous savons que certains déposent un recours, simplement pour retarder les travaux, et ainsi pouvoir négocier une transaction. Sur ces sujets, j'espère que nous pourrons travailler en partenariat avec le Sénat.
Je souhaitais également faire un point sur les dispositifs fiscaux. Le dispositif d'investissement locatif dit Pinel et le prêt à taux zéro (PTZ) devaient normalement prendre fin au 31 décembre 2017. Au final, des modifications sont intervenues depuis le dépôt du projet de loi de finances initiale. Ainsi, le dispositif Pinel a été prolongé de 4 ans pour les zones tendues, en zones A, A bis et B1. Pour la zone B2, un dispositif transitoire est instauré, qui a été modifié par l'Assemblée nationale. Ainsi, le dispositif Pinel continuera de s'appliquer en zone B2 lorsque le permis de construire aura été déposé avant le 31 décembre 2017 et à condition que l'acquisition soit réalisée au plus tard le 31 décembre 2018. Bien sûr, nous serons ouverts aux propositions du Sénat. Cette solution convient aux constructeurs et fédérations de professionnels, car elle leur apporte une visibilité sur quatre ans, à la différence d'une reconduction d'année en année. En ce qui concerne le PTZ, nous le prolongeons dans le neuf pour quatre ans dans les zones tendues A bis, A, B1, et pour deux ans dans les zones B2 et C. Enfin, pour les logements anciens, il y a une prolongation du PTZ pour quatre ans dans les zones B2 et C. Cela participera notamment à la rénovation des centres-bourgs des villes moyennes, en favorisant l'acquisition de logements anciens.
Dans le cadre de la stratégie Logement, nous n'avons pas souhaité nous fixer d'objectifs globaux. En effet, les exemples des précédents plans ont montré l'inefficacité d'un tel procédé. Cependant, nous souhaitons nous engager fortement dans deux secteurs. Le premier concerne le logement des jeunes. Nous voulons aboutir à la construction de 80 000 logements sur le quinquennat, dont 60 000 logements étudiants. C'est un secteur dans lequel il y a un besoin important. En outre, pour les étudiants, mais aussi pour ceux qui pourraient avoir besoin d'un tel dispositif, nous allons créer un bail mobilité, d'une durée de un à dix mois, afin de répondre au besoin d'un logement pour une courte période - un stage, par exemple. Nous souhaitons étendre le dispositif de garantie « VISALE », financé par Action Logement, qui reprendrait ainsi le dispositif de caution locative étudiante (CLE) de l'Etat, et dont les fonds vont être ajoutés au dispositif VISALE. Il s'agit d'apporter une caution, une garantie locative aux propriétaires en cas d'impayés, et la prise en charge des travaux nécessaires le cas échéant, à la fin d'un bail. Je tiens d'ailleurs à souligner la faible consommation des fonds engagés pour la garantie VISALE - à peine 35 % de l'enveloppe. Elle a été mise en place pour remplacer la garantie universelle des loyers qui avait été abandonnée en raison du coût estimé à l'époque à 600 millions d'euros.
Par ailleurs, nous souhaitons améliorer l'hébergement d'urgence, notamment grâce au plan quinquennal du « Logement d'abord ». Il ne s'agit pas de rendre responsable les uns ou les autres de la situation actuelle. À mon sens, nous avons une responsabilité collective. Aujourd'hui 120 000 personnes sont sans abri en France. La réalité de la situation, notamment au niveau migratoire est différente de celle qu'elle était il y a une dizaine d'années. Toutefois, il n'est pas tolérable que l'hébergement d'urgence laisse autant de personnes dormir dehors. Dans ce cadre, et en concertation avec les associations, le Président de la République a présenté son plan en faveur du « Logement d'abord ». Je souhaite être très clair : il ne s'agit pas de financer ce plan en prenant des crédits de l'hébergement d'urgence. Dans le cadre de ce plan, nous souhaitons mettre en place une procédure accélérée et lancer un appel à projets à destination d'une quinzaine de territoires, ainsi que travailler de manière partenariale avec les associations et les collectivités territoriales. Je pense que ce projet intéresse prioritairement les métropoles. La métropole de Toulouse a déjà fait savoir qu'elle serait intéressée. Nous souhaitons créer 10 000 places supplémentaires en pension de famille. Il en existe actuellement 15 000. Ce dispositif fonctionne bien, nous souhaitons porter leur nombre à 25 000 places. Nous souhaitons également créer 40 000 places en intermédiation locative. Toutefois, cela ne résout pas la question de l'hébergement d'urgence et du recours aux nuitées hôtelières. Ainsi en Ile-de-France, il y a chaque année 34 000 nuitées hôtelières. Parmi les personnes hébergées, plusieurs milliers de personnes sont en attente de régularisation depuis longtemps. À ma connaissance, une personne en nuitée d'urgence attendrait depuis près de 12 ans. L'État prendra toutes ses responsabilités.
En ce qui concerne la politique de la ville, 1 500 quartiers prioritaires ont été retenus en application de la loi Lamy. Nous ne souhaitons pas relancer le débat sur les périmètres, les critères d'entrée et de sortie dans la géographie prioritaire. Je rappelle d'ailleurs qu'il existe pour les zones rurales un dispositif dénommé zones de revitalisation rurale. En revanche, je considère que la situation n'est pas la même entre les différents quartiers prioritaires. Bien évidemment, il ne s'agit pas de prendre à certains pour redonner à d'autres. Mais il y a une dizaine de quartiers en difficulté extrême. Vous me demandez s'ils sont perdus ? Je comprends la lassitude des élus concernés, voire leur exaspération. Par exemple, il est difficile de mettre en place une relation avec les parents quand, dans une classe, aucun d'entre eux ne parle français, et que les enfants parlent une dizaine de langues différentes. En outre, il y a un renouvellement des populations vivant dans ces quartiers. Ainsi, une partie des habitants, dont la situation s'est améliorée, partent et sont remplacés par des personnes à très faibles revenus, qui, lorsque leur situation se sera améliorée, quitteront à leur tour le quartier. Les collectivités territoriales ont elles-mêmes, pour certaines, participé à ce mouvement. Mais, nous devons essayer d'apporter des améliorations pour ceux qui y vivent. Sur le plan financier, la politique de la ville connaît pour 2017 une diminution de 46 millions d'euros, suite au rabot annoncé cet été. L'État va en prendre en charge 24 millions d'euros. Nous avons, préfecture par préfecture, analysé la situation pour viser les dossiers non lancés. Et, pour le reste du quinquennat, les crédits de la politique de la ville seront sanctuarisés. Certes, cette seule mesure ne suffira pas, car ce n'est pas qu'une question financière. Toutefois, il y a un engagement politique fort en faveur de la politique de la ville. Le Président de la République souhaite en faire une priorité nationale et mobilise tous les ministères concernés, que ce soit l'éducation, la santé ou la sécurité. Dans ce cadre, le dédoublement des classes de CP a été mis en oeuvre dès cette rentrée. 2 500 classes ont ainsi été dédoublées. En outre, la police de sécurité du quotidien va être mise en place prioritairement dans ces quartiers. Enfin, 200 000 emplois aidés seront déployés en 2018, avec un fléchage sur les quartiers prioritaires, les communes rurales et l'accompagnement des élèves en situation de handicap. J'ai demandé à Jean-Louis Borloo de travailler avec nous pour faire un bilan des actions menées en matière de politique de la ville et faire des propositions que nous pourrons présenter début mars.
Sur l'ANRU, j'ai signé hier un protocole d'accord avec Action Logement, qui prévoit l'engagement de ce dernier pour financer 2 milliards et celui de l'Etat de contribuer à hauteur d'1 milliard. Nous avons un dialogue constructif avec les bailleurs sociaux pour assurer le bouclage des 10 milliards d'euros affectés au nouveau programme national de renouvellement urbain qui seront extrêmement utiles, car cela équivaut à un doublement du montant initialement prévu. La mise en oeuvre du programme s'étalera jusqu'en 2031. Ainsi, pour l'Etat, lorsque l'on met un milliard d'euros, on met en fait 65 millions d'euros par an.
Enfin, nous tiendrons nos engagements, mais pour dépenser, il faut qu'il y ait des dossiers prêts à démarrer.
Concernant la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains (SRU), je n'entends pas remettre en cause les principes posés par cette loi, car cela enverrait un mauvais message aux collectivités locales qui ont tenu leurs engagements. En outre, la loi relative à l'égalité et à la citoyenneté a modifié la procédure, en instituant une commission régionale en plus de la commission nationale. Un bilan a été réalisé sur les constructions de logements sociaux entre 2014 et fin 2016. Les préfets de région, les commissions régionales et la commission nationale ont examiné un certain nombre de communes qui n'ont pas respecté leurs objectifs. Certaines, certes minoritaires, nous expliquent d'ailleurs qu'elles n'entendent pas les respecter. À la suite des observations faites par la commission nationale présidée par Thierry Repentin, j'ai réinterrogé les préfets. J'attends leurs retours pour trouver des solutions conciliant à la fois les obligations législatives et les réalités du terrain. Enfin, dès l'année prochaine, je réunirai l'ensemble des préfets de région, pour travailler en amont sur ce dossier. Pour la période du 1er janvier 2017 au 31 décembre 2019, je suis sûr que le Sénat fera des propositions et que nous pourrons travailler en commun sur ces sujets. La ligne rouge cependant est claire : nous ne remettrons pas en cause les principes posés par cette loi. Toutefois, il faudra prendre en compte les réalités de terrain, par exemple les problèmes posés par les fusions de communes. Nous ne souhaitons pas faire d'idéologie, mais nous recherchons des solutions pragmatiques : nous avons un besoin en logements sociaux, et le dispositif législatif actuel présente des effets positifs. Toutefois, des difficultés sont apparues en pratique, que nous devons prendre en compte.
En matière d'urbanisme, je n'entends pas que soit retirée aux maires la signature des permis de construire. Certes, l'instruction peut se faire au niveau de l'intercommunalité, d'autant plus qu'on constate un retrait des services de l'État et que l'intercommunalité s'occupe du droit des sols. En revanche, retirer aux maires ce pouvoir serait mal vécu par ces derniers. La moitié des intercommunalités ont fait le choix d'un plan local d'urbanisme intercommunal. Dans ce domaine, comme dans beaucoup d'autres, je crois à l'intelligence des territoires.
En ce qui concerne l'article 52 du projet de loi de finances, je partage les objectifs d'économie. Je suis d'autant plus conscient des difficultés que j'avais corédigé avec Philippe Dallier et Charles Guené un rapport sur les conséquences de la baisse des dotations aux collectivités territoriales. Toutefois, dans un certain nombre de domaines, l'État doit faire des économies et mieux gérer ses dépenses, et ce d'autant plus qu'il demande des efforts importants aux collectivités territoriales. Tout d'abord nous avons toujours maintenu le dialogue avec tous les bailleurs sociaux. Il y a en leur sein quatre grandes filières aux opinions très différentes. Deuxièmement, nous faisons le constat, d'ailleurs partagé, qu'une restructuration est indispensable. Il existe 730 structures différentes. À titre d'exemple, à Évry, 21 structures HLM différentes sont présentes sur le territoire de l'agglomération. Toutefois, dans cette restructuration, il faudra aussi prendre en compte les besoins de proximité. Nous avons réussi à faire cette restructuration pour Action Logement, nous devons désormais le faire avec l'Union sociale pour l'habitat. Je suis conscient des réalités du terrain - j'ai présidé pendant plusieurs années un office départemental. Mais, il me semble qu'on peut y arriver dans un délai de trois ans. Cette restructuration permettra également d'apporter de l'aide sous forme de péréquation à ceux qui en ont besoin. Je ne cache pas, à titre personnel, qu'une augmentation de la TVA sur les opérations de construction et de réhabilitation des organismes HLM me paraît souhaitable. J'espère, qu'en utilisant plusieurs mesures, dont celle-ci, nous arriverons à avancer. De manière générale, nous serons très attentifs aux travaux du groupe de travail mis en place au sein de votre commission sur ce sujet. J'espère que nous déboucherons sur une solution consensuelle, acceptée par tous.