Mes chers collègues, nous sommes maintenant arrivés à la limite du discours erroné sur la politique de la « tolérance zéro ». La multiplication des textes, depuis 2002, alors que le nombre des crimes les plus graves reste constant, voire augmente, prouve quotidiennement que la surenchère répressive ne sert à rien, ou même est dangereuse, puisqu’elle peut autoriser tous les arbitraires !
Le seul principe de proportionnalité semble donc suffire à rendre irrecevable ce projet de loi dans son ensemble. Toutefois, malgré une forme très technique, le présent texte comporte également des dispositions qui sont attentatoires à nos principes démocratiques fondamentaux.
En effet, madame le garde des sceaux, les membres du groupe socialiste ont été sollicités par de nombreux acteurs de la procédure pénale, qui s’inquiétaient des mesures contenues dans ce texte.
Reprenons les points les plus graves. J’en citerai trois.
Premièrement, ce projet de loi présente un danger parce qu’il étend, de façon injustifiée, des dispositifs d’exception.
Madame le garde des sceaux, la surveillance ou la rétention de sûreté ont été présentées dans la loi du 25 février 2008 comme des mesures exceptionnelles, et voilà que, au premier drame qui survient, vous tentez de les généraliser ! Ainsi, la surveillance de sûreté ne sera plus révisée chaque année, mais seulement tous les deux ans.
De même, à l’article 2 bis, la personne est déclarée libre de refuser son placement sous surveillance électronique mobile, dans le cadre de la surveillance de sûreté, mais elle sera alors passible d’une rétention de sûreté !
Ce texte facilite largement le glissement de la surveillance à la rétention de sûreté. Nous assistons donc déjà, deux ans après la mise en place de cette dernière, à sa banalisation !
Enfin, dans le cadre des dispositions relatives à l’injonction de soins et à la surveillance judiciaire, les condamnés pourraient obtenir des réductions de peine. Le refus ou l’arrêt du traitement entraînerait un placement en rétention de sûreté dans le cadre de la surveillance de sûreté.
Il est d’ailleurs utile de rappeler ici que les psychiatres et les experts sont unanimes pour déclarer que les injonctions de soins ne servent absolument à rien dans la plupart des cas.
Deuxièmement, les auteurs de ce texte entretiennent l’illusion qu’une surveillance constante est possible et normale après l’exécution de la peine.
Le projet de loi contient des mesures d’interdiction de paraître en certains périmètres, qui sont tout à fait inutiles puisqu’il existe déjà dans le code pénal des mesures d’interdiction de séjour.
De même, les mesures d’injonction de soins, qui, je le rappelle, n’ont jamais prouvé leur efficacité, font apparaître entre le rôle du juge et celui du médecin une certaine confusion, qu’il serait tout à fait dangereux d’aggraver.
Comme chacun des textes que présente en ce moment le Gouvernement, celui-ci étend encore le fichage. Il alourdit les obligations pesant sur les personnes inscrites au Fichier judiciaire national automatisé des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes, le FIJAIS. Il étend le Fichier national automatisé des empreintes génétiques, le FNAEG, aux personnes « déclarées coupables », et non plus seulement « condamnées ».
Enfin, il crée un nouveau fichier baptisé « Répertoire des données à caractère personnel collectées dans le cadre des procédures judiciaires ».
Ce fichier, qui ne porte pas son nom, recueillera tous les dossiers, expertises, examens et évaluations des experts. Inutile de préciser que ce nouveau répertoire n’a pas fait l’objet d’une consultation de la CNIL, la Commission nationale de l’informatique et des libertés, puisqu’il est de toute façon en totale contradiction avec les conclusions du rapport sur les fichiers de police réalisé par nos collègues députés Delphine Batho et Jacques Alain Bénisti.
Nous sommes en plein système de « fichéosurveillance », comme je le soulignais déjà lors de l’examen d’un précédent texte.
Je le répète, le travail de notre collègue Jean-René Lecerf au sein de la commission des lois du Sénat a permis d’adoucir les mesures les plus attentatoires à nos principes démocratiques. Le texte que nous examinons aujourd’hui a été en quelque sorte édulcoré par rapport à celui que nous avons examiné en commission, mais il n’en reste pas moins totalement contraire à notre philosophie en matière de politique pénale !
Mes chers collègues, nous comptons parmi nous l’éminent défenseur de l’abolition de la peine de mort. Or la rétention de sûreté n’est-elle pas une sorte de peine de mort sociale ? Les discours de la majorité actuelle laissent supposer qu’il faudrait trouver une solution pour écarter définitivement de la société certains délinquants, au motif qu’il serait impossible que ceux-ci ne récidivent pas !
Nous sommes sur une pente très glissante : se trouve justifiée ici la privation de liberté d’un homme non pour les faits qu’il a commis, mais pour ceux qu’il pourrait éventuellement perpétrer !
Que fait-on alors du risque d’erreur judiciaire et de l’idée qu’un homme peut comprendre ses erreurs et se racheter ? On fait croire aux Français qu’un criminel l’est par essence, à vie, et qu’il n’existe aucune chance qu’il ne récidive pas. On le condamne donc à un enfermement perpétuel.
Certes, des possibilités de révision régulière sont prévues. Toutefois, dans un tel contexte, qui, magistrat ou médecin, prendra la responsabilité de décréter que telle ou telle personne ne récidivera jamais ? Pourtant, l’analyse objective et raisonnée des situations vécues ne justifie en rien cette dangereuse théorie !
Je ne reviendrai pas sur les chiffres parfaitement édifiants de la récidive. Ils ont été commentés, disséqués, analysés. Ils sont incontestables !
La rétention de sûreté que la majorité nous présente comme une solution miracle ne concernerait qu’une petite dizaine d’individus. Que ce texte soit applicable aujourd’hui ou dans vingt ans, il ne vise en fait que certains cas, heureusement très rares, de criminels.
Le discours du : « Avons-nous le droit de fermer les yeux ? » est insupportable lorsque l’on prend connaissance des moyens, qui vont sans cesse diminuant, alloués aux médecins et aux unités psychiatriques.
Il en est de même pour ceux dévolus aux services d’aménagement des peines. Ces observations étaient d’ailleurs parfaitement soulignées dans le rapport Lamanda et faisaient l’objet de recommandations, hélas non suivies d’effets.
Je voudrais, pour conclure, évoquer la castration chimique. Mes collègues ont déjà tout à fait démontré pourquoi la castration chimique imposée et généralisée est une absurdité, je ne m’y attarderai donc pas. Mais l’expression elle-même est utilisée à dessein pour frapper les esprits puisqu’un traitement hormonal – et c’est de cela qu’il s’agit – n’est en rien une castration. Cette mesure prouve, une fois de plus, la finalité médiatique de ce texte.