Intervention de Sylvie Robert

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 29 novembre 2017 à 9h00
Projet de loi de finances pour 2018 — Mission « culture » - crédits « patrimoines » et « création et transmission des savoirs et démocratisation de la culture » - examen du rapport pour avis

Photo de Sylvie RobertSylvie Robert, rapporteure pour avis des crédits des programmes « Création et Transmission des savoirs et démocratisation de la culture » :

Un « budget de transformation » : voici les termes utilisés par la ministre de la culture pour qualifier le budget qui nous est soumis cette année. En dépit des craintes que nous pouvions avoir il y a quelques mois, nous pouvons reconnaître que les crédits de la mission « Culture » sont confortés, avec une progression de 1,1 % à périmètre constant.

Les moyens nouveaux profitent essentiellement au programme 224, « Transmission des savoirs et démocratisation de la culture ». Hors dépenses de personnel, ses crédits enregistrent une hausse de plus de 2 % à périmètre constant.

Le Président de la République s'est engagé à ce que tous les enfants, de la maternelle au lycée, aient accès, d'ici à 2020, aux actions d'éducation artistique et culturelle (EAC). Les crédits sont portés à 114 millions d'euros : 15 millions d'euros proviennent de transferts de crédits depuis d'autres programmes et finançaient des actions qui, jusqu'à présent, n'étaient pas uniquement destinées aux jeunes, ce qui me paraît quelque peu regrettable. Je pense notamment aux ateliers de fabrique artistique : j'espère que ces transferts ne vont pas se traduire par un rétrécissement du champ des actions financées. En revanche, 35 millions d'euros sont de « vrais » nouveaux crédits, même si la présentation des documents budgétaires ne permet pas de savoir s'ils porteront intégralement sur les deux priorités qui ont été définies, à savoir développer la pratique artistique, notamment dans le domaine de la musique et du théâtre, et susciter le goût du livre et de la lecture. Compte tenu du soutien que notre commission a toujours apporté au développement de l'EAC, nous pouvons être satisfaits de ces évolutions.

Reste à savoir si cette hausse significative des crédits sera suivie d'effets, ce qui suppose un réel engagement de la part du ministère de l'éducation nationale : je m'étonne d'ailleurs que seuls 3 millions d'euros soient spécifiquement inscrits pour le parcours d'EAC de l'élève au sein de la mission « Enseignement scolaire ».

Gardons également à l'esprit que les collectivités territoriales jouent un rôle central dans la réussite du dispositif, et ce depuis longtemps. Leur association et leur accompagnement dans la mise en oeuvre ne doivent pas être éludés, bien au contraire.

L'une des principales innovations de ce budget reste évidemment le Pass culture, promesse de campagne du Président de la République. Seuls 5 millions d'euros sont inscrits l'an prochain pour couvrir les coûts de consultation, de développement de l'application mobile et d'expérimentation. Mais, à plein régime, le dispositif devrait coûter plus de 400 millions d'euros, dont l'État prévoit de prendre en charge 140 millions, le reste devant être couvert par les partenaires privés, y compris les « GAFA ». C'est donc une décision lourde de conséquences pour l'avenir, d'autant que le plafond de la mission ne doit augmenter que de 46 millions d'euros d'ici à 2020, d'après la prévision triennale, ce qui signifie qu'une majorité du financement de l'État devra provenir de redéploiements de crédits au sein de la mission.

L'expérience italienne montre qu'il est indispensable d'encadrer soigneusement le dispositif si l'on veut en faire un véritable outil au service d'une politique culturelle, et non un simple chèque en blanc. Si j'en crois les premiers bilans, le bonus cultura aurait été boudé par près de 40 % des jeunes Italiens, ce qui interpelle sur l'intérêt du dispositif au regard de l'objectif de démocratisation culturelle. Les bons auraient été massivement utilisés pour l'achat de livres, y compris de livres de cours, ce qui constitue un dévoiement du dispositif. Un marché noir serait même apparu avec la publication d'annonces dans lesquelles des jeunes proposaient de revendre leurs bons.

Aussi séduisante qu'elle puisse paraître de prime abord, l'idée d'un Pass culture comporte un certain nombre d'écueils dans lesquels il est difficile de ne pas tomber. Le Pass culture doit réussir à allier deux principes susceptibles d'aller en sens contraire : d'une part, la liberté de choix du jeune et, d'autre part, la promotion de la diversité culturelle. Une proposition pourrait consister à le décomposer en deux temps, en débloquant d'abord une première partie de l'enveloppe au profit d'offres dont le contenu serait éditorialisé et inviterait le jeune à ouvrir ses horizons ; le reliquat pourrait, dans un second temps, être utilisé totalement librement par le jeune. Nous devons vraiment être vigilants. Je me demande aussi s'il n'est pas finalement prématuré de prévoir la mise en place du Pass dès aujourd'hui, alors qu'il doit venir conclure le parcours d'EAC dont l'installation débute seulement. Les écueils que nous appréhendons aujourd'hui ne seraient-ils pas moins nombreux dans quelques années ?

En ce qui concerne les autres actions financées par le programme 224, les efforts financiers sont plus réduits.

D'après les informations qui m'ont été données, la revalorisation de 3 millions d'euros des crédits destinés aux conservatoires doit servir à financer le « plan chorales ». Je suis extrêmement surprise que le ministère n'ait pas davantage avancé sur la réforme du classement des conservatoires, qui s'inscrit dans la suite logique des dispositions de la loi relative à la liberté de création, à l'architecture et au patrimoine (LCAP). Les personnes que j'ai auditionnées ont souvent souligné le caractère inadapté des critères actuels, mais elles sont prêtes à y travailler, avec les collectivités territoriales.

Les crédits destinés aux établissements culturels de l'enseignement supérieur enregistrent un léger recul. Le statut des enseignants des écoles d'art territoriales freine aujourd'hui l'alignement de ces établissements sur le système LMD et le développement de la recherche. La ministre de la culture a fort heureusement indiqué, lors de son audition par notre commission la semaine dernière, qu'elle souhaitait régler en même temps la question du statut des enseignants des écoles nationales et territoriales. L'ouverture d'une concertation est indispensable pour ne pas creuser davantage le fossé entre les écoles nationales et les écoles territoriales. Les collectivités territoriales sont très attachées à leurs écoles d'art et soucieuses d'en assurer la pérennité et le développement : il faut qu'elles soient étroitement associées à ce chantier.

Les crédits destinés à soutenir l'emploi dans le spectacle sont drastiquement réduits, passant de 55 à 25 millions d'euros en l'espace d'un an. Le ministère invoque des retards pris dans la mise en oeuvre des différentes mesures du Fonds national pour l'emploi pérenne dans le spectacle, le Fonpeps, les lacunes en matière de communication et une montée en puissance des dispositifs plus lente que prévu pour justifier sa décision. De fait, seules cinq des neuf mesures du Fonpeps sont entrées en vigueur. Pour ma part, je m'étonne justement que l'on réduise la voilure d'un dispositif avant même que l'ensemble de ses mesures soit effectives. D'aucuns évoquent aussi l'inadéquation des mesures du Fonpeps aux spécificités d'un secteur caractérisé par une activité marquée par de grandes fluctuations. Des réflexions seraient en cours pour évaluer l'opportunité de retravailler les mesures. Prenons garde à ce que cette remise à plat ne conduise à sacrifier ce dispositif, qui faisait partie de l'accord de l'an dernier sur l'assurance chômage. Préservons ce dispositif qui peut permettre d'amortir la baisse des emplois aidés, dont les conséquences sur les structures culturelles et le maillage culturel du territoire se révèlent très préoccupantes, voire terribles.

Les efforts, sur le programme 131, « Création », sont plus mesurés que sur le programme 224, même si ses crédits enregistrent tout de même une progression de 0,8 % avant transferts.

Un nouveau cap semble se dessiner, avec une priorité donnée aux actions favorisant la vie culturelle des régions et la diffusion des oeuvres auprès d'un public plus large. À cet effet, une attention particulière est portée à la diffusion des oeuvres, avec une augmentation plus significative des crédits destinés à la diffusion qu'à la création.

De nouveaux crédits sont accordés aux labels, dont le cadre a été fixé par la LCAP, pour consolider les marges artistiques des structures existantes, les accompagner dans la mise en oeuvre des nouveaux cahiers des charges et financer les nouvelles labellisations. En sens inverse, le soutien de l'État hors structures labellisées et réseaux décroît fortement, ce qui peut mettre en danger l'objectif d'aménagement culturel équilibré du territoire, en particulier dans les zones rurales.

J'ai constaté que cette inflexion des crédits fait naître chez les artistes de vives inquiétudes, dans une période où le maintien des subventions de l'État est perçu comme primordial, compte tenu du retrait croissant des collectivités territoriales que le développement de la contractualisation cherche à enrayer. Les interrogations sur le devenir du soutien public sont nombreuses et largement accrues du fait des décisions qui doivent intervenir dans le cadre du programme « Action publique 2022 ». Il faut dire que le secteur de la création traverse aujourd'hui de grandes mutations qui ne sont pas sans risque pour la préservation de l'indépendance et de la diversité artistiques.

Je pense, bien sûr, à la montée en puissance, depuis quelques années, de nouveaux acteurs, qui suivent des stratégies de développement intégrées dites « à 360° ». Si nous ne prenons pas garde rapidement à ce mouvement de concentration, les logiques de rentabilité auront tôt fait d'uniformiser l'offre autour des artistes mainstream et de faire disparaître les écritures audacieuses et les esthétiques les plus fragiles. Le phénomène dépasse désormais largement la musique, pour toucher aussi le théâtre.

L'enjeu est majeur. Veillons à ce que l'attention croissante prêtée aux questions de diffusion dans le présent budget ne profite pas à ces grands groupes ou à ce que les collectivités territoriales n'aggravent pas le phénomène par l'attribution de délégations de service public.

Les mesures de sûreté progressivement mises en place depuis les attentats de 2015 ont également des conséquences importantes sur la création. Leur coût financier est difficile à assumer et grève peu à peu les budgets artistiques. Les contraintes de programmation qu'elles font peser constituent une vraie menace pour la liberté de création. Dans ce contexte, faut-il continuer à accompagner les établissements du spectacle vivant face aux contraintes de sécurité ? La question est importante, alors que le fonds d'urgence créé en décembre 2015 doit disparaître à la fin de l'année 2018. En théorie, le fonds interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation, le FIPDR, doit prendre le relais. Mais les précisions données par la ministre à ce sujet lors de son audition, la semaine dernière, manquent.

Quoi qu'il en soit, ces exemples montrent à quel point l'écosystème a été bouleversé en l'espace de quelques années. Le panorama ne serait pas complet sans mentionner la place progressivement prise par les plateformes numériques. Leur position désormais incontournable pose question au regard du partage de la valeur et accroît les menaces qui pèsent sur la diversité musicale et, globalement, artistique.

L'ensemble de la filière musicale est aujourd'hui confrontée à ces mêmes défis. Dès lors, il est urgent que l'État redéfinisse sa politique dans le domaine musical et clarifie ses priorités. C'est en tout cas la conclusion du rapport rendu par Roch-Olivier Maistre il y a quelques semaines. Celui-ci préconise également, plutôt que d'élargir les missions du Centre national de la chanson, des variétés et du jazz (CNV), de créer un nouvel opérateur public pour réunir autour d'une même table l'ensemble du champ musical et de ses métiers. Cet opérateur serait chargé de missions d'observation, d'information, de formation, de développement international et de gestion des différentes formes d'aides au secteur. La ministre n'a pas encore statué sur ces propositions. Nous aurons l'occasion d'en débattre, puisque l'intervention du législateur pourrait se révéler nécessaire, quelle que soit l'option retenue par la ministre en janvier.

Avant de conclure, je veux évoquer les arts visuels. Des hausses de crédits interviennent pour faciliter la diffusion. En revanche, les aides individuelles ne sont pas revalorisées. Les artistes visuels n'ont pas caché leurs inquiétudes, alors que plane toujours le doute sur la compensation intégrale de la CSG pour les artistes auteurs. Lors de l'examen en première lecture du projet de loi de financement de la sécurité sociale, le Sénat, grâce à l'intervention de notre présidente et de moi-même, a inséré une disposition prévoyant le principe d'une compensation, mais j'ignore encore si elle sera conservée par l'Assemblée nationale, après l'échec de la CMP. Nous serons, là aussi, vigilants.

Compte tenu de la progression des crédits de la mission, il me paraît difficile de ne pas donner un avis favorable à leur adoption. Cela ne nous empêche pas d'exprimer de grandes réserves sur le programme 224, notamment en ce qui concerne le Pass culture. Il me paraîtrait opportun que des parlementaires puissent être associés à la définition de l'instrument dans les mois à venir, afin que notre vote d'aujourd'hui ne revienne pas à donner un blanc-seing à un dispositif qui ne permettrait pas aux jeunes de diversifier leurs habitudes culturelles, voire qui remettrait en cause la diversité et créerait, en définitive, un effet d'aubaine pour les GAFA.

Il nous faudra également suivre de près la mise en oeuvre du chantier de l'éducation artistique et culturelle pour nous assurer que les objectifs ambitieux qui ont été fixés sont effectivement atteints, sans oublier aussi la concertation sur le statut des enseignants des écoles d'art, annoncée par la ministre la semaine dernière, dont l'ouverture revêt un enjeu essentiel pour les écoles territoriales.

Enfin, pour ce qui concerne le programme 131, nous veillerons à ce que la transformation initiée par ce budget, à travers les transferts de crédits à l'éducation artistique et culturelle et la baisse des crédits hors labels et réseaux, ne fragilise pas, à terme, la création artistique et l'indispensable maillage du territoire, auquel nous sommes tant attachés.

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