Depuis dix ans, mes prédécesseurs ont inlassablement évoqué devant la commission le profond marasme économique de la presse. Je n'y ferai cette année malheureusement pas exception. Vieillissement du lectorat, fuite des recettes publicitaires, impasse industrielle de la vente au numéro : la presse s'enfonce toujours plus dans une crise, que la vitalité de la presse digitale peine à enrayer, la faute à une rentabilité incertaine, à un partage de la valeur déséquilibré et à une concurrence féroce des nouveaux modes d'information.
Sans réaliser de miracle, les aides publiques à la presse représentent un soutien indispensable. Le programme 180 « presse et médias » de la mission « Médias, livre et industries culturelles » en constitue la traduction budgétaire. En 2018, les aides directes à la modernisation, à la diffusion et au pluralisme s'élèveront à 119,4 millions d'euros, contre 125,9 millions d'euros en 2017, en raison de la réforme de l'aide au portage, que je vous présenterai dans un instant. Ces crédits sont complétés par une enveloppe de 131,5 millions d'euros destinée à l'Agence France-Presse, réduite d'un million d'euros par rapport à 2017.
Depuis la dernière loi de finances, le programme 180 comprend également trois autres actions. Elles concernent respectivement le soutien aux médias de proximité pour 1,6 million d'euros, la dotation à la Compagnie internationale de radio et télévision pour 1,7 million d'euros et le soutien à l'expression radiophonique locale pour 30,7 millions d'euros. Mon avis portant sur les crédits destinés au soutien à la presse, je ne les commenterai pas. En revanche, je dirai un mot du sujet polémique de l'aide au transport postal de la presse, curieusement transférée sur la mission « Économie » depuis la loi de finances pour 2014.
La presse représentait, dans les années 1980, 1 % du produit intérieur brut français ; cette proportion est désormais inférieure à 0,3 %. Le chiffre d'affaires du secteur ne cesse de se rétracter, tant sur les ventes d'exemplaires imprimés que sur la publicité, qui bascule progressivement sur Internet. Seul le digital montre une croissance dynamique, mais il ne représente encore en moyenne que 5 % du chiffre d'affaires des éditeurs. C'est dire combien l'accélération de la mutation numérique, assortie de la recherche d'un modèle économique viable, constitue une absolue priorité.
Le digital, en effet, représente à la fois l'unique levier de croissance de la presse et moyen le plus efficace de rajeunir son lectorat. 77 % des Français déclarent lire au moins une marque de presse en version numérique et ils sont 58 % à la faire sur un support mobile. Entre 15 et 50 ans, la lecture digitale est désormais plus fréquente que celle de l'imprimé. Pourtant, en raison d'un prix de l'abonnement très inférieur à celui du papier, à la captation des recettes publicitaires par Google, Facebook et Amazon et à la persistance de contenus gratuits, la rentabilité de la presse digitale est extrêmement incertaine.
Nous devons donc être particulièrement attentifs aux réformes européennes en cours. Si la création d'un droit voisin pour les éditeurs de presse tel qu'annoncée dans le projet de directive sur le droit d'auteur devrait constituer un utile levier de négociation avec les plateformes s'agissant du partage de la valeur créée sur les contenus de presse, le projet de règlement, dit ePrivacy, appelle à la plus grande prudence. L'interdiction d'apposer des cookies sur les sites Internet empêchera les éditeurs de connaître les préférences de navigation de leurs lecteurs et d'adapter leur offre commerciale en conséquence. C'est le modèle économique des sites de presse, déjà plus que fragile, qui est aujourd'hui menacé par ce projet.
Les éditeurs de publications numériques, qu'ils soient pure players ou également présents sur papier, bénéficient d'un soutien des pouvoirs publics : s'il demeure inférieur à d'autres dispositifs de soutien du programme 180, il ne cesse de s'étoffer. Outre le taux super réduit de TVA applicable depuis 2014, comme pour la presse imprimée, aux ventes de contenus d'information, les sites d'information politique et générale peuvent prétendre à plusieurs dispositifs fiscaux, notamment de déductibilité des provisions pour investissement. Surtout, ils sont éligibles au fonds stratégique pour le développement de la presse qui, avec 27,3 millions d'euros en 2018, représente le principal soutien sélectif à des projets de développement numérique.
Le fonds de soutien à l'émergence et à l'innovation de la presse, créé en 2016 et doté de 5 millions d'euros en 2018, aide au financement de projets plus prospectifs. Pour autant, les aides indirectes, neutres d'un point de vue du support, bénéficient encore à 54 % à l'imprimé et la différence est encore plus nette pour les aides directes : sur 100,2 millions d'euros versés en 2016, 89,5 millions d'euros l'ont été à la presse papier. En réalité, à l'exception des deux fonds précités, l'ensemble des dispositifs de soutien à la modernisation, à la diffusion et même au pluralisme sont réservés aux publications imprimées. Vous conviendrez avec moi qu'une meilleure répartition entre les publications pourrait être envisagée.
L'enjeu n'est pas seulement économique ; il est aussi démocratique : les titres de presse doivent avoir les moyens de s'imposer dans l'univers numérique comme les garants d'une information de qualité. Avec l'apparition puis le succès phénoménal des réseaux sociaux, notamment auprès des jeunes, l'enjeu a évolué pour les éditeurs : il ne s'agit plus seulement d'être présents et rentables sur Internet mais également, désormais, de lutter contre la concurrence de sites diffusant des contenus pour le moins sujets à caution, les fake news.
La deuxième partie de mon propos concerne la diffusion de la presse imprimée par le triple canal de la vente au numéro, du portage et du transport postal. L'attrition continue des volumes représente ici le coeur d'une crise dont on ne voit pas l'issue. Pendant des années, d'aides exceptionnelles en dispositifs de soutien pérennes (18 millions d'euros encore en 2018), l'État a porté Presstalis à bouts de bras. Après un plan de restructuration des effectifs aussi drastique que coûteux et d'importants efforts de modernisation logistique, la société s'était prise à espérer un redressement. Elle prévoyait même un bénéfice de 5,1 millions d'euros en 2016. Hélas, c'est un dérapage significatif qui est apparu lors de la certification des comptes avec un résultat d'exploitation négatif de près de 2 millions d'euros et un résultat net de - 48 millions d'euros. L'année 2017 ne devrait guère être meilleure et les fonds propres déjà négatifs (- 306 millions d'euros) devraient encore se dégrader. Un changement de gouvernance est attendu mais nul ne sait s'il sera suffisant.
En réalité, c'est l'ensemble de la vente au numéro qui souffre de la crise de la presse imprimée, même si les messageries lyonnaises de presse (MLP) semblent aujourd'hui bénéficier d'un répit. En particulier, le nombre de points de vente se réduit de 1 000 chaque année et, malgré le soutien de l'État (6 millions d'euros en 2018), la profession se paupérise.
Pour la première fois, les régulateurs (le Conseil supérieur des messageries de presse et l'Autorité de régulation de la presse) semblent impuissants à juguler la chute du marché. Une mission sur l'avenir de la distribution de la presse a été confiée à Gérard Rameix ; c'est peu dire que ses conclusions sont attendues avec impatience. Aucune solution - fusion, spécialisation des deux messageries par types de flux, nouvelles formes de mutualisation ou mise en faillite de Presstalis - n'est en effet évidente et, compte tenu des enjeux économiques, démocratiques et d'égalité des territoires portés par le débat, il convient d'agir avec prudence.
Le portage, qui permet d'être livré à son domicile dès les premières heures du matin, est le grand bénéficiaire du recul de la vente au numéro. Dynamisé par un soutien public renforcé depuis 2009, il représente aujourd'hui près de 40 % des exemplaires diffusés toutes familles de presse confondues. Cette proportion atteint 45 % des abonnements individuels pour la presse quotidienne nationale et 80 % pour la presse quotidienne locale.
Il semble difficile de développer davantage ce mode de diffusion, compte tenu de l'existence de zones géographiquement excentrées que seule La Poste est en mesure de servir. En revanche, dans un souci de rationalisation des coûts de distribution, on pourrait envisager de favoriser le portage multi-titres, qui permet à un même vendeur-colporteur de distribuer plusieurs publications. C'est l'objectif poursuivi par la réforme de l'aide au portage portée par le décret du 11 septembre 2017 pris après publication d'un rapport d'évaluation réalisé conjointement par l'Inspection générale des affaires culturelles et par l'Inspection des finances. Le nouveau dispositif, dont je me félicite, plafonne à la fois l'aide à l'exemplaire porté, pour éviter tout effet d'aubaine, et favorise les réseaux de portage multi-titres. Dans sa nouvelle mouture, ce sont 31,5 millions d'euros qui y seront consacrés en 2018, contre 36 millions en 2017. Là réside la principale diminution de crédits du programme 180. Je ne la déplore pas : le nouveau système est plus simple, plus efficace et son périmètre prend en considération la diminution constante du nombre d'exemplaires imprimés.
S'agissant du transport postal, je ne referai pas ce matin l'historique de l'aide qui y est attachée, qui n'a consisté, depuis 2008, qu'à augmenter les tarifs des éditeurs et à réduire la compensation de l'État due à La Poste pour la mission obligatoire de service public que constitue le transport de la presse. Le transport postal représente 30 % de la diffusion, soit un peu plus d'un milliard d'exemplaires par an, qui bénéficient d'un tarif préférentiel variant selon les publications. Après la fin des accords dits Schwartz, qui entre 2008 et 2015, ont conduit à augmenter les tarifs de 1,5 % à 5 % par an pour les éditeurs et à baisser la compensation de l'État à La Poste de 262 millions d'euros à 130 millions d'euros, le précédent Gouvernement s'est engagé, en 2016, sur une nouvelle trajectoire jusqu'en 2020. Elle prévoyait de nouvelles hausses tarifaires comprises entre 1 % par an pour la presse d'information politique et générale et 3 % par an pour les magazines, ainsi qu'une dotation de l'État variant selon les années entre 119 et 122,7 millions d'euros.
Hélas : dès le printemps 2017, sans concertation aucune, il a finalement été établi, sans modification tarifaire fort heureusement pour les éditeurs, que La Poste ne recevrait plus, en 2018, que 111,5 millions d'euros puis 103,8 millions d'euros en 2019. Lorsque l'on sait que le compte « presse » de La Poste affiche un déficit proche des 380 millions d'euros annuels et que les éditeurs sont exsangues, l'ampleur de l'économie réalisée et la brutalité de la méthode laissent songeur.
J'en viens enfin à la situation de l'Agence France-Presse, qui continue d'inspirer les plus grandes inquiétudes. Malgré le lancement d'un plan de relance commerciale ambitieux - certains diront irréaliste -, le chiffre d'affaires peine à décoller et le succès rencontré par les nouveaux produits, notamment les vidéos et les offres liées au sport, ne compense par l'attrition du marché national. Parallèlement, une politique d'investissement, indispensable mais dispendieuse, a conduit l'Agence à un niveau de dettes de 52,6 millions d'euros à la fin de l'année 2016, auxquels il faut ajouter un découvert bancaire de 26,4 millions d'euros. Or, de nouvelles échéances de remboursement de prêts sont prévues en 2018, tandis qu'un risque contentieux pèse sur l'Agence pour environ 10 millions d'euros lié à la régularisation de la situation de certains de ses personnels à l'étranger. Malgré les efforts réalisés, notamment la signature, le 10 mars dernier, d'un accord d'entreprise unique qui devrait permettre à l'AFP de réaliser à terme environ 4 millions d'euros d'économie par an, la maitrise des charges d'exploitation ne pourra suffire à dégager ni les moyens de se désendetter ni d'investir dans un univers extrêmement concurrentiel.
Emmanuel Hoog, le président de l'AFP, a récemment fait part aux pouvoirs publics d'un besoin de financement de 60 millions d'euros. Or, du fait de son statut sui generis, sans capitaux ni actionnaire, l'Agence ne peut se financer sur les marchés. Par ailleurs, le droit européen n'autorise l'État à intervenir auprès de l'AFP qu'en compensation des missions de service public (109, 8 millions d'euros à ce titre en 2018) et en paiement des abonnements de ses administrations (21,6 millions d'euros en 2018). L'impasse est donc aujourd'hui totale.
Pour conclure, je vous propose, d'émettre un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 180 « presse et médias » de la mission « Médias, livre et industries culturelles », tels que prévus par le présent projet de loi de finances pour 2018, en gardant néanmoins à l'esprit trois points de vigilance : l'adaptation des aides à la presse à la mutation numérique, la capacité de Presstalis à poursuivre sa mission et la situation financière de l'AFP dans un univers de plus en plus concurrentiel.