Intervention de Jean-Marie Morisset

Commission des affaires sociales — Réunion du 29 novembre 2017 à 9h00
Projet de loi de finances pour 2018 — Mission « cohésion des territoires - prévention de l'exclusion et insertion des personnes vulnérables » - examen du rapport pour avis

Photo de Jean-Marie MorissetJean-Marie Morisset, rapporteur pour avis :

Monsieur le président, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, l'avis que je présente porte sur le programme 177, dont les crédits financent essentiellement des dispositifs d'hébergement et de logement adapté. Ces dispositifs accueillent des publics divers et sont le réceptacle des échecs et des insuffisances de nombreuses politiques sociales : politique du logement, aide sociale à l'enfance, psychiatrie, prison, asile... Nous constatons tous quotidiennement, que ce soit en ville ou dans des départements ruraux, une augmentation du nombre de personnes sans logement ou mal logées.

Ce programme 177 est compris dans une mission interministérielle dont le périmètre s'élargit cette année pour couvrir les aides au logement, l'urbanisme, l'amélioration de l'habitat ainsi que l'aménagement du territoire et la politique de la ville. Ces politiques publiques sont naturellement toutes imbriquées les unes aux autres. Toutefois, notre commission ne se saisit habituellement pas de la politique du logement, qui est du ressort de nos collègues de la commission des affaires économiques. Je ne prendrai donc pas position sur la question du logement social et de l'article 52, qui constituent un élément important de ce PLF, et je renverrai sur ces points aux observations de nos collègues Philippe Dallier pour la commission des finances et Dominique Estrosi-Sassone pour la commission des affaires économiques.

Si notre pays a connu un certain nombre de changements politiques au cours de l'année qui vient de s'écouler, les constats que je développerai devant vous ce matin sont malheureusement assez proches de ceux que je formule depuis maintenant trois ans.

Entre 2013 et 2017, les crédits votés en loi de finances initiale ont progressé de plus de 500 millions d'euros, ce qui constitue une progression notable dans le contexte de contrainte budgétaire qui marque l'ensemble des politiques publiques.

Toutefois, le programme 177 est caractérisé d'une part par une sous-budgétisation récurrente et par une insincérité chronique, pointée récemment par la Cour des comptes.

La sous-budgétisation se traduit par le fait que, en dépit de l'augmentation enregistrée chaque année, les crédits votés en loi de finances initiale s'avèrent systématiquement insuffisants face à l'augmentation du nombre de personnes sans-abri et doivent tous les ans être complétés en cours d'exercice.

L'année 2017 n'a pas dérogé à ce constat récurrent. Les crédits ouverts en LFI ont été majorés dès juillet par un décret d'avance de 120 millions d'euros. La loi de finances rectificative déposée le 15 novembre dernier prévoit 90 millions supplémentaires et on nous annonce d'ici la fin de l'année un nouveau décret d'avance de 65 millions d'euros.

La sous-budgétisation du programme 177 s'accompagne d'une insincérité de la programmation, puisque celle-ci ne tient pas compte des crédits supplémentaires ouverts en cours d'exercice. Les crédits demandés dans le PLF sont donc systématiquement inférieurs à la consommation réelle de l'exercice n-1.

Cette situation n'est pas satisfaisante, d'une part parce qu'elle conduit le Parlement à se prononcer sur des crédits dont on sait qu'ils ne correspondent pas à la réalité et d'autre part parce qu'elle crée pour les opérateurs locaux une situation d'incertitude constante qui ne peut permettre une gestion sereine.

Le budget 2018 s'inscrit dans la continuité des années précédentes. Les crédits du programme 177 progressent ainsi de 212 millions d'euros en valeur et 12 % en volume par rapport à la LFI pour 2017, mais on sait déjà qu'ils seront inférieurs aux crédits consommés en 2017 d'environ 100 millions d'euros. On peut donc considérer sans pessimisme excessif que ce budget sera encore une fois nettement insuffisant.

Or, cette année, la direction générale de la cohésion sociale a fait passer aux chefs des services déconcentrés le message selon lequel les crédits du PLF ne seront pas majorés en cours d'exercice. En d'autres termes, le Gouvernement table donc sur une baisse effective des dépenses en matière d'hébergement en 2018. Tous les opérateurs sur le terrain savent que cette approche n'est pas tenable, à moins de consentir à une explosion du nombre de personnes et de familles sans-abri auxquelles aucune solution d'hébergement n'est proposée.

Par ailleurs, ce budget 2018 s'inscrit dans le cadre de l'annonce par le Président de la République d'un plan quinquennal pour le logement d'abord. Ce plan vise, d'une part, à recentrer les dispositifs d'hébergement sur la réponse à l'urgence afin d'assurer l'effectivité du droit à l'hébergement et, d'autre part, à orienter rapidement les personnes sans-abri vers le logement.

Je souscris totalement à cette philosophie, qui a d'ailleurs été appliquée avec succès à l'étranger, notamment en Amérique du Nord. Je souligne toutefois que cette approche n'est pas nouvelle. Le mot d'ordre de « logement d'abord » était déjà mis en avant par M. Benoist Apparu quand il était ministre délégué chargé du logement en 2009 et n'a pas pu être mis en oeuvre faute de moyens adéquats.

Si le principe du logement d'abord fait consensus, nous ne voyons pas dans le PLF qu'il nous est demandé de voter la traduction budgétaire des orientations annoncées dans le cadre de ce plan.

On voit mal comment la baisse effective des crédits par rapport à l'année 2017 permettra de rendre effectif le droit à l'hébergement. Je me suis rendu récemment dans les locaux du Samu social de Paris, où j'ai pu mesurer à la fois le dévouement des opérateurs et le manque criant de solutions qui les conduit à gérer la pénurie. En outre, le recours à des réservations hôtelières, qui est loin d'être une solution satisfaisante, continue de progresser même si la saturation du parc hôtelier à bon marché, particulièrement criante en Ile-de-France ralentit cette progression. Avec plus de 42 000 nuitées en 2016, l'hôtel est en passe de devenir le premier mode d'hébergement et s'inscrit, pour un nombre croissant de personnes, dans la durée. Un réel investissement dans des structures plus adaptées serait donc nécessaire.

S'agissant du logement adapté, l'augmentation des crédits est bienvenue. Encore faut-il qu'une partie d'entre eux ne soient pas encore une fois réaffectés en cours d'année vers les dispositifs d'urgence. Toujours est-il que l'objectif de créer en cinq ans 10 000 places en pension de familles et 40 000 places d'intermédiation locative ne semble pas de nature à répondre aux enjeux actuels du mal logement si des débouchés vers le logement social ordinaire ne sont pas créés. Or, l'article 52 du PLF fait craindre une fragilisation des bailleurs sociaux qui aurait pour conséquence d'obérer leur capacité à produire du logement très social.

En outre, les dispositifs financés par le programme 177 continuent d'être fortement sollicités par des personnes en situation irrégulière, notamment des déboutés du droit d'asile. Sans perspective de régularisation, ces personnes ne peuvent accéder aux dispositifs de logement adapté ou de logement social.

Le PLF contient un article rattaché au programme 177. Il s'agit de l'article 52 bis, adopté par l'Assemblée nationale, qui vise à rendre obligatoire la réponse des gestionnaires de CHRS à l'étude nationale des coûts annuelle. Cette obligation doit permettre de mieux appréhender les disparités et de s'inscrire dans une démarche de convergence. Je suis favorable à cet article, même si je sais que notre collègue Philippe Dallier réfléchit à un amendement visant à préciser cette obligation.

Si les crédits du programme 177 sont nettement insuffisants, ce programme est inscrit dans une mission plus large. Je sais qu'à cette heure le rapporteur de la commission des finances travaille encore, en lien avec le Gouvernement, sur un amendement à l'article 52 dont l'adoption le conduirait à donner un avis favorable à l'adoption des crédits de l'ensemble de la mission. Je vous propose donc que notre commission adopte un avis de sagesse pour ne pas préjuger des avancées qui pourront être obtenues d'ici à la séance publique.

Je vous remercie.

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