Les crédits du programme « Administration pénitentiaire » de la mission « Justice » inscrits dans le projet de loi de finances (PLF) pour 2018 apparaissent bien insuffisants au regard des besoins. Ils représentent 40,71 % du total des crédits de la mission : les autorisations d'engagement s'élèvent à 3 487,15 millions d'euros et les crédits de paiement à 3 556,74 millions d'euros. À périmètre constant, le budget de l'administration pénitentiaire augmente légèrement, de 2,1 %, en raison de la hausse des effectifs nécessaires à l'ouverture de nouveaux établissements pénitentiaires - hausse toutefois loin de couvrir les besoins.
L'accroissement de la population carcérale s'explique par une sévérité accrue des juridictions dans le prononcé des peines : le nombre des peines de réclusion criminelle ou d'emprisonnement en tout ou partie ferme a augmenté de 5,36 % entre 2015 et 2016, celui des peines alternatives à l'incarcération a légèrement diminué. Inévitablement, le nombre de personnes placées sous écrou, et particulièrement le nombre de personnes détenues, continue de croître, à un rythme toutefois moindre que la population carcérale.
Au 1er novembre 2017, 79 999 personnes étaient placées sous écrou - soit une hausse de 1,4 % par rapport au 1er novembre 2016 - dont 69 307 étaient détenues - soit une hausse de 1,1 % par rapport au 1er novembre 2016 -. On recensait 19 889 prévenus et 48 685 condamnés.
L'inadaptation du parc immobilier pénitentiaire à cette croissance contribue à nourrir le phénomène de surpopulation carcérale. Au 1er novembre 2017, le taux d'occupation des établissements pénitentiaires, ou « densité carcérale », était de 117 %.
En outre, au 1er juillet 2017, les services pénitentiaires d'insertion et de probation prenaient en charge 186 173 mesures de milieu ouvert pour 165 269 personnes.
L'augmentation des crédits de l'administration pénitentiaire, comme je vous le disais, est insuffisante. À périmètre constant, ils sont en progression de 2,1 %. Cette évolution s'explique par la seule augmentation des dépenses de personnel, qui atteint 4 %. Les crédits hors masse salariale, qui s'élèvent à 1 112,4 millions d'euros, diminuent de 1,3 %. Plus alarmant, les dépenses d'investissement, qui s'établissent à 236,6 millions d'euros, diminuent de 18,2 % en crédits de paiement et de 77,26 % en autorisations d'engagement.
Faute de crédits de paiement suffisants pour sa mise en oeuvre dès 2018, le programme « 15 000 places » de prison ne sera pas achevé avant la fin du quinquennat. Mme la ministre nous l'a confirmé hier. D'autant que la fermeture de plusieurs milliers de places dans des prisons vétustes porte l'objectif de constructions plutôt à 20 000 nouvelles places.
Deux points sont particulièrement inquiétants : la diminution des crédits de paiement consacrés à la maintenance du parc immobilier carcéral, et la diminution des crédits consacrés aux aménagements de peine et à la lutte contre la récidive.
Depuis dix ans, la maintenance du parc immobilier carcéral souffre d'un sous-investissement chronique et notoire. Les dotations annuelles sont insuffisantes : 140 millions d'euros sont nécessaires chaque année pour simplement maintenir le parc existant. Or entre 2012 et 2016, seulement 261 millions d'euros, et non 560, ont été dépensés.
Ce sous-investissement entraîne une dégradation précoce des établissements existants et augmente les coûts des rénovations futures. En 2017, 35,7 % des cellules du parc immobilier carcéral sont considérées comme vétustes. Dans le PLF pour 2018, seulement 80,7 millions d'euros sont consacrés à la maintenance des établissements, contre 114 millions en 2017, soit une baisse de plus de 29,3 %.
Concernant les aménagements de peine, le 31 octobre dernier, le Président de la République a annoncé, en marge des chantiers de la justice, la création d'une agence « chargée de développer et d'encadrer les travaux d'intérêt général ». Mais, comme je l'ai fait remarquer hier à Mme la ministre, aucun crédit n'est consacré à cette agence ou au développement du travail d'intérêt général dans le budget pour 2018.
Concernant les effectifs, le projet de loi de finances prévoit la création de 732 emplois supplémentaires en 2018, dont 470 pour permettre l'ouverture de nouveaux établissements pénitentiaires et 50 pour renforcer les effectifs pénitentiaires chargés des extractions judiciaires. Cette augmentation des effectifs reste néanmoins très insuffisante pour permettre à l'administration pénitentiaire d'assurer ses missions. Surtout, aucun crédit du PLF 2018 n'est consacré aux recrutements de surveillants pénitentiaires aux fins de résorption des vacances de postes. Pourtant, selon la direction de l'administration pénitentiaire, entre 1 600 et 1 800 créations de postes seraient nécessaires pour combler toutes les vacances. L'insuffisance des recrutements de personnel de surveillance conduit à une organisation de la détention en mode dégradé. À Bois-d'Arcy, où je me suis rendu, 50 % des surveillants sont des stagiaires tout juste sortis de l'école d'Agen...
Je tiens également à évoquer les incertitudes qui pèsent sur les mesures catégorielles et la nécessité de renforcer tant l'attractivité des métiers que la fidélisation du personnel pénitentiaire. La crise des recrutements s'explique par la dureté des conditions de travail et la faiblesse des rémunérations, dans un contexte de concurrence avec les autres métiers de la sécurité. La fidélisation du personnel fait en particulier défaut en région parisienne. La rémunération n'y est pas pour rien : avec entre 1 400 et 1 500 euros en début de carrière, il arrive que les nouveaux agents, faute de trouver à se loger, commencent par dormir dans leur voiture... L'aide au logement du personnel, développée dans la police, est insuffisante dans la pénitentiaire. Or nous avons constaté à proximité de la prison de Bois-d'Arcy qu'un terrain était disponible ; une politique de conventionnement avec des organismes HLM pour leur réserver des logements ne coûterait rien à l'État.
Je propose également de faciliter l'avancement des carrières des personnes qui acceptent de travailler dans les établissements les plus difficiles tels que les établissements de la région parisienne, et de revaloriser la prime de résidence en cas de mutation en région parisienne : la prime actuelle, d'un montant d'environ 50 euros, ne correspond pas à la réalité des loyers.
Le programme « 15 000 places » manque de crédibilité. Il est regrettable que le Gouvernement n'ait pas souhaité soutenir la démarche du Sénat qui, à l'initiative de notre président Philippe Bas, a adopté en octobre dernier une proposition de loi ambitieuse. Une loi de programmation pour la justice est un préalable essentiel pour garantir un véritable engagement budgétaire pluriannuel. Mme la ministre a évoqué le printemps prochain... nous attendons de voir.
Pour toutes ces raisons, je vous propose de donner un avis défavorable à l'adoption des crédits du programme « Administration pénitentiaire » de la mission « Justice » inscrits au PLF pour 2018.