Intervention de Marie-Christine Blandin

Réunion du 22 janvier 2008 à 16h00
Santé au travail des salariés et risques professionnels — Adoption des conclusions négatives du rapport d'une commission

Photo de Marie-Christine BlandinMarie-Christine Blandin :

Ce n'est pas quand il y a mise en examen « pour mise en danger de la vie d'autrui » qu'il faut réagir et mettre à la retraite anticipée ce médecin du travail de Condé-sur-Noireau, par ailleurs membre du Fonds de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante, le FCAATA. C'est avant, si la mission est défaillante ou sous influence.

L'indemnisation du nombre croissant de victimes par le Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante, le FIVA, et les contentieux en justice nécessitent, contrairement à l'évolution des textes, une responsabilisation claire des employeurs.

Je rappelle que le principal employeur poursuivi à ce jour et condamné à maintes reprises par les juridictions de sécurité sociale de Brest, Toulon, Cherbourg, n'est autre que le ministère de la défense. Que pensent les ouvriers amiantés de la construction navale des autorités françaises qui ont proposé un désamiantage du Clemenceau en Inde ?

Travailler à la réparation, évaluer son coût humain et financier devraient nous obliger à d'autres choix. Les bons choix d'aujourd'hui seront la réduction des déficits publics de demain. Quand on nous dit que les caisses sont vides, nous faisons appel au bon sens de la ménagère et à l'intelligence des sciences de la précaution : il faut revitaliser en urgence les filières de formation des écotoxicologues et des épidémiologistes qui nous manquent tant ; sinon, avec qui, demain, la France assumera-t-elle sa part d'évaluation selon les nouvelles règles de la directive REACH applicables au 1er janvier 2008 ?

La santé des populations mérite une architecture nouvelle, celle d'un ministère de la santé qui ne se limite pas aux soins et rétablit sa vocation première de protection, de prévention, de précaution.

En matière de prévention, nous n'avons pas été au rendez-vous puisque ce sont des milliers de personnes qui demandent légitimement réparation pour contamination, les uns par l'amiante, les autres par le plomb, les métaux lourds, dans un contexte de grand sous-équipement des pôles juridiques de santé publique.

L'édifice n'est pas satisfaisant ; nous ne savons pas anticiper.

Je prendrai trois exemples.

S'agissant des nanomatériaux, 700 sont déjà en circulation, et les préventions sanitaires sont inexistantes. La transparence meurt sous le secret industriel.

Les éthers de glycol, certes bien différents les uns des autres, gardent dans leurs rangs des suspects pouvant être substitués.

Quant aux fibres céramiques réfractaires, alors qu'elles sont déjà dénoncées par ceux qui les manipulent comme par certains toxicologues, le professeur Brochard a déclaré ceci devant nous : « Le recul n'est que de trente ans, il faut au moins cinquante ans pour évaluer l'effet sur la population ». Cinquante ans et combien de victimes ?

Nous devons, pour sortir de l'impasse, prendre pleinement la mesure des dangers et des risques.

Nous devons passer de la prévention à la précaution. Ainsi, nous ne devons plus attendre qu'un danger soit prouvé, avec son cortège de drames humains, pour prendre des mesures. Il s'agit parfois simplement de veiller à tenir à l'écart des cibles particulières ou de passer de la notion de protection de la « femme enceinte » à celle de protection de la « femme en âge de procréer », au contact des substances reprotoxiques ou mutagènes.

Notre démocratie se doit de donner aux lanceurs d'alerte, qu'ils soient experts, scientifiques, chercheurs, victimes, ouvriers ou simples citoyens mobilisés sur l'intérêt commun, des espaces pour se faire entendre, et leur assurer la protection quand ils sont menacés.

Combien, hier taxés d'oiseaux de mauvais augure, voient leur diagnostic se confirmer et combien, attentifs à la juste précaution du doute, ont vu leur vie professionnelle basculer, frappés par l'ostracisme, l'interdiction d'exercer ou de s'exprimer, ou simplement la fin de leurs financements ? C'est un inspecteur du travail qui dénonçait déjà l'amiante en 1906. Un statut doit protéger ces lanceurs d'alerte.

Nous pouvons aussi faire preuve d'écoute et d'humilité devant les connaissances accumulées par les travailleurs exposés aux métaux lourds, aux solvants. Ils sont trop souvent réduits au silence par le chantage à l'emploi un temps, puis licenciés, malades, sans perspective de reclassement : qui embaucherait un ancien salarié d'Alstom privé de son certificat d'exposition à l'amiante ? Quel employeur prendrait ce risque ? Le tribunal des prud'hommes de Lannoy devra statuer en février après trois ans de procédures, simplement pour faire appliquer la loi.

En attendant, les itinéraires de vie, les drames sont autant de leçons dans les méandres administratifs, sanitaires et judiciaires. Ce sont les anciens salariés d'Alstom qui alertent les pouvoirs publics sur l'utilisation des chaudières collectives Dravo qu'ils ont construites : elles sont tapissées d'amiante et elles sont présentes encore aujourd'hui dans de nombreuses salles de sports et de nombreux lieux collectifs.

M. Douste-Blazy, interpellé par moi-même ici sur ce risque sanitaire majeur, notamment pour les enfants, avait répondu qu'il n'était pas favorable à ce que l'on attire l'attention sur un équipement particulier, et que cette tâche incombait aux propriétaires. Ce sont les veuves de l'amiante qui organisent aujourd'hui bénévolement l'accompagnement administratif, sanitaire et psychologique des victimes. Ce sont elles qui nous alertent sur l'utilisation pernicieuse de la loi Fauchon.

Associer plus systématiquement l'expertise d'usage des salariés, donner des formations et des moyens aux CHSCT, créer des unités santé-environnement en lien avec la sphère hospitalière et en son sein, décentraliser l'expertise, la veille environnementale et sanitaire en créant des agences régionales de la santé environnementale et professionnelle, sont des pistes nécessaires pour que la santé au travail s'inscrive dans un cadre solide.

C'est aujourd'hui qu'il faut sortir de la frilosité de nos prédécesseurs qui n'ont pas su donner à l'AFSSET les moyens et le cadre réglementaire à la hauteur de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments, l'AFSSA.

Pour toutes ces raisons, pour que l'on ne protège pas plus les marchandises que les hommes au travail, les sénateurs Verts pensent qu'un texte inspiré des réflexions de Mme Demessine doit être discuté sans tarder.

Si nous attendons les travaux des partenaires sociaux, évoqués par Mme Desmarescaux et Mme la secrétaire d'État, le texte ne devra pas se contenter de charpenter à nouveau une protection fragilisée de la santé au travail ; il devra tirer toutes les conséquences des drames passés et nous donner les moyens de passer d'une surveillance insuffisante à une véritable précaution.

J'ajouterai en conclusion, devant cette assemblée prompte à s'émouvoir de dépenses en perspective, que la précaution est affaire de confort humain mais aussi d'économies budgétaires.

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