Séance en hémicycle du 22 janvier 2008 à 16h00

Résumé de la séance

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  • accident
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La séance

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La séance, suspendue à midi, est reprise à seize heures, sous la présidence de Mme Michèle André.

(Ordre du jour réservé)

Debut de section - PermalienPhoto de Michèle André

L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions de la commission des affaires sociales sur la proposition de loi de Mme Michelle Demessine et des membres du groupe communiste républicain et citoyen visant à améliorer la santé au travail des salariés et à prévenir les risques professionnels auxquels ils sont exposés (nos 47, 167).

La parole est à Mme Michelle Demessine, auteur de la proposition de loi.

Debut de section - PermalienPhoto de Michelle Demessine

Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, cette proposition de loi impose solennité, voire gravité.

Vous me permettrez de placer toutes les victimes de l'amiante au coeur de ce propos; celles qui, exposées à cette terrible matière, ont été prématurément emportées ; celles dont le combat quotidien a su attirer l'attention des citoyens et des pouvoirs publics, et même de la nation tout entière.

Je pense aux veuves de Dunkerque, qui, mois après mois, année après année, se sont mobilisées pour dénoncer le sort réservé à celles et à ceux dont le travail a conduit à une issue fatale ; tout le monde le sait maintenant. Pourtant, en ce début d'année 2008, si ces veuves courage envisagent de reprendre leur marche mensuelle, c'est que, plus d'un siècle après les premiers constats, justice est loin d'être rendue aux victimes de cet or blanc.

Je pense aux salariés d'Alstom, d'Eternit, des chantiers navals, de l'industrie automobile et de tant d'autres branches professionnelles. Malades, angoissés, en souffrance, ils poursuivent le difficile combat pour la connaissance, la reconnaissance, la prévention et la réparation des maladies professionnelles. Je veux dire mon émotion, mon admiration, en ce jour, pour ces hommes et ces femmes !

Toutefois, c'est l'effroi qui me gagne lorsque je songe aux quatre cents femmes et hommes, qui, chaque année, sous la pression de leurs conditions de travail, se suicident sur leur lieu de travail. Quatre cents, mes chers collègues ! Ainsi, quatre cents familles sont anéanties parce que les nouvelles formes de pénibilité au travail dépassent l'acceptable et que le sens de la vie se vide de toute perspective !

Je pense aux travailleurs précaires, aux femmes contraintes au temps partiel, aux intérimaires et aux salariés de la sous-traitance exclus des procédures de prévention des risques professionnels.

Je pense, enfin, aux 25 000 salariés atteints d'un cancer d'origine professionnelle non reconnue, qui devront subir, en plus, l'indignité de l'oubli.

Oui, mes chers collègues, loin d'être exhaustive, cette liste est déjà longue, mais elle est incontournable ! Elle pointe les conséquences humaines et sociales engendrées par la libéralisation de l'économie, des conséquences que nul ne peut ignorer sur la santé de millions de travailleurs, en France bien sûr, mais également, vous le savez bien, mes chers collègues, dans le monde entier.

Les considérations partisanes ne sont plus de mise, car, depuis que nous avons été associés, en 2005, aux travaux d'analyse et de réflexion de la mission d'information conduite par le Sénat, nous parlons tous ici du « drame de l'amiante ». De plus, fait essentiel, nous étions tous d'accord pour en conclure que le lobby de l'industrie de l'amiante portait une responsabilité, lourde et irréfutable, dans l'ampleur du désastre.

Il a été également établi que les pouvoirs publics, l'État et le législateur portent leur part de responsabilité dans la mesure où ils n'ont pas été, eux non plus, à la hauteur du drame, et ce depuis 1906 ! Interdiction tardive, reconnaissance aux expositions restrictive, réparation relevant de procédures d'exception, sous-estimation continue des victimes potentielles, architecture de prévention et de contrôle largement insuffisante, et j'en passe.

Nous le savons, l'amiante sera responsable de 100 000 morts d'ici à 2025, mais nous savons aussi qu'il était possible de limiter, voire d'éviter une telle catastrophe.

Pourtant, où en sommes-nous aujourd'hui ? De quelles avancées pouvons-nous nous prévaloir aux yeux des victimes, aux yeux de celles et de ceux qui produisent l'essentiel de notre richesse nationale au prix de leur santé ?

Monsieur le ministre, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, je ne me rangerai pas du côté de ceux qui, portés par une certaine quiétude, prétendent que l'hypermodernité rime forcément avec progrès humains et sociaux. Les dernières études relatives aux conditions de travail montrent que la situation est grave, et qu'elle s'aggrave même !

Si nous nous penchons un instant sur les mesures et les engagements gouvernementaux relatifs à la santé au travail, nous ne pouvons que constater une fois encore qu'il est toujours aussi urgent d'attendre...

Le plan Santé au travail lancé en 2005, fort d'une ambition qui, il faut le souligner, avait été saluée par le monde syndical, piétine laborieusement faute de moyens et de volonté politique assumée. S'attaquer à l'organisation du travail, qui est non seulement la source indispensable de la profitabilité capitaliste, mais également la cause irréfutable de la dégradation de la santé des salariés, nécessite, il est vrai, une vision sans compromis et, surtout, un engagement déterminé et courageux.

À ce jour, les alertes relatives au développement des troubles musculo-squelettiques, aux risques psychosociaux et à l'exposition aux produits cancérogènes continuent d'affluer et le plan continue, lui, de planifier !

Notre médecine du travail agonise. Elle meurt du manque de praticiens, du manque scandaleux d'indépendance et de l'inertie des pouvoirs publics et du patronat. Et pourtant, la preuve est faite qu'il nous faut une médecine du travail de première ligne, pleinement actrice de la prévention sur le terrain !

L'AFSSET, l'Agence française de sécurité sanitaire de l'environnement et du travail, l'INRS, l'Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles, l'INERIS, l'Institut national de l'environnement industriel et des risques, l'InVS, l'Institut de veille sanitaire, toutes ces parties prenantes dans le dispositif d'expertise publique, de veille scientifique et technologique le clament : le défaut de moyens scientifiques, de lisibilité et de coordination règne dans nos instances de prévention des risques professionnels. L'État n'assure toujours pas la cohérence d'ensemble !

Nous sommes à la traîne s'agissant du nombre de toxicologues et de chercheurs en santé travail. Et que dire du nombre d'inspecteurs : 460 inspecteurs du travail face à plus de 1, 5 million d'entreprises et à plus de 15 millions de salariés ! Cela témoigne du peu de soutien gouvernemental à l'égard d'une instance censée garantir la protection des salariés contre les dangers auxquels ceux-ci sont exposés au travail.

Je ne suis pas plus rassurée face à la récente recodification du code du travail, qui tend à mettre sur un pied d'égalité les responsabilités des employeurs et celles des salariés en matière d'hygiène et de sécurité au travail.

Ce tableau peu reluisant de la réalité du travail est, je vous l'accorde, mes chers collègues, rapidement brossé. Mais la question qu'il pose est claire : dans ce xxie siècle que certains présentent comme celui de l'information et de la culture, notre pays s'est-il réellement doté d'un système qui garantisse à chacun la santé au travail ? L'actualité des suicides, les suites épouvantables de l'exploitation de l'amiante, les prévisions inquiétantes relatives à l'utilisation des éthers de glycol, l'exposition aux agents cancérogènes mutagènes reprotoxiques, ou CMR, la précarisation massive sous couvert de flexibilité ne nous engagent pas, pour notre part, à répondre par l'affirmative.

Pourtant, le travail est l'une des composantes majeures et déterminantes de notre société. Le travail fait société ! En tant que tel, le travail - les conditions de travail - façonne fondamentalement et durablement nos civilisations contemporaines. C'est pourquoi le groupe CRC s'est attaché à considérer la santé au travail dans sa globalité et selon la définition retenue par l'OMS, l'Organisation mondiale de la santé : la santé est « un état de complet bien-être physique, mental et social et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d'infirmité. »

Venons-en au texte que Roland Muzeau et moi-même, ainsi que l'ensemble des sénateurs du groupe CRC, avons élaboré à partir d'un travail de terrain et après une grande concertation.

Notre proposition de loi, certes perfectible, comprend cinquante-trois articles, organisés en huit titres. Elle a pour ambition de lever nombre d'obstacles à la construction d'une politique de prévention de tous les risques professionnels, de répondre aux impératifs de la santé au travail et de nourrir le débat sur le sens à donner au travail dans notre société dite de progrès.

Nous considérons que la branche accidents du travail et maladies professionnelles, dite branche AT-MP, a pour rôle central de promouvoir et de mettre en oeuvre tous les moyens en matière de prévention des risques professionnels. Le titre Ier tend à renforcer significativement cette mission, en faisant de la prévention des risques professionnels et de l'organisation de la santé au travail la clé de voûte des engagements de la branche.

Ainsi, l'article 1er confère à cette branche un budget « prévention » digne de ce nom, portant à 10 % au moins le prélèvement sur les cotisations dues au titre des AT-MP en faveur du Fonds national de prévention des accidents du travail et maladies professionnelles.

S'agissant de la tarification, l'IGAS, l'Inspection générale des affaires sociales, affirme que le dispositif actuel ne contribue pas à réduire les risques professionnels. C'est notamment le calcul des cotisations qui est en cause, sans oublier les multiples exonérations de cotisations sociales employeurs.

Lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2008, nous avons obtenu que les cotisations au titre des AT-MP soient exclues des exonérations. Les articles 2 et 3 de notre proposition de loi visent à poursuivre cette démarche en conditionnant les autres exonérations de charges au respect des règles d'hygiène et de sécurité ; les sommes devront être remboursées en cas d'infractions graves et répétées.

Quant aux articles 4 et 5, ils tendent à renforcer le rôle incitatif de la tarification en ayant recours au système du bonus-malus. Les services des CRAM, les caisses régionales d'assurance maladie, pourront appliquer un supplément de cotisation aux entreprises qui surexposent leurs salariés aux risques et à celles qui exercent systématiquement des pressions et usent de diverses procédures pour entraver la déclaration des accidents du travail et des maladies professionnelles, afin que celles-ci assument le coût des AT-MP que de telles attitudes génèrent.

Face au phénomène grandissant d'externalisation des risques de production, les articles 6 et 7 établissent des règles claires et équilibrées, en répartissant par moitié le coût de l'accident du travail et des maladies professionnelles entre l'entreprise donneuse d'ordre et les entreprises de travail temporaire ou sous-traitantes.

S'agissant de la gouvernance de la branche AT-MP au regard des nombreux blocages qui retardent la mise en oeuvre de la démarche de prévention de tous les risques professionnels, qui interdisent l'évolution nécessaire des tableaux des maladies professionnelles et qui nuisent à l'ajustement du niveau des ressources de la branche aux besoins réels de réparation des victimes, nous ne pouvons nous satisfaire de l'accord conclu en avril 2006, tendant à renforcer encore le poids des employeurs à la tête de la commission des accidents du travail et maladies professionnelles de la sécurité sociale.

L'article 8 prévoit donc que cette institution centrale dans la protection des salariés est gouvernée majoritairement aux deux tiers par ceux qui, par leur travail, financent la branche et sont aux premières loges des risques auxquels ils sont exposés.

Dans un arrêt du 28 février 2002, la chambre sociale de la Cour de cassation considère avec force que, « en vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l'employeur est tenu envers celui-ci d'une obligation de sécurité de résultat ». Ainsi, face au manque avéré du respect de cette obligation, le titre II vise à préciser et à élargir les obligations des employeurs en matière d'évaluation et de prévention des risques professionnels.

Ainsi, l'article 9 réaffirme l'importance du document unique d'évaluation des risques et indique qu'il doit être transmis aux CHSCT, les comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail, à l'inspection du travail et aux services des caisses régionales d'assurance maladie. À défaut, une cotisation supplémentaire, voire une sanction pénale, est prévue. Je rappelle pour mémoire que seulement 5 % environ des entreprises remplissent correctement ce document.

S'agissant de l'information et de la formation des salariés à la prévention des risques, et en complément du document unique, les articles 10 et 11 prévoient que l'employeur est tenu de remettre à chaque salarié un livret d'information sur les obligations des employeurs, les droits et devoirs des salariés en matière d'hygiène et de sécurité, les procédures de déclaration des AT-MP, le rôle et les coordonnées des acteurs de la santé au travail. Les articles 12 et 13 étendent ces obligations à l'ensemble des salariés des entreprises sous-traitantes ou intérimaires.

Récemment, un rapport de la DARES, la Direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques, soulignait que « la présence d'un CHSCT réduit le nombre de salariés qui se plaignent de leur travail ». Selon les auteurs, « on peut y voir une marque de l'efficacité du CHSCT pour améliorer les conditions de travail ». En ce sens, l'article 14 tend à conférer à l'inspecteur du travail, pour les entreprises de moins de cinquante salariés, la possibilité d'étendre la compétence d'un CHSCT existant aux entreprises qui constituent une chaîne de sous-traitance ou des risques propres à une zone entière d'activité. Il prévoit également la création de postes de délégué de prévention dans les PME-PMI.

À l'évidence, les salariés sont en première ligne concernant les conditions de travail et il est donc juste qu'ils puissent partir de leur poste de travail en cas de danger grave et imminent pour leur vie ou leur santé. L'article 15 vise à compléter les dispositions relatives au droit de retrait du salarié et à sanctionner l'employeur qui ne prendrait pas rapidement les mesures nécessaires pour les protéger.

Vous le savez, mes chers collègues, le processus de déclaration des maladies professionnelles est vécu comme un parcours du combattant. Le salarié concerné doit lui-même, de surcroît, arbitrer entre la préservation de son emploi et la protection de sa santé.

Cette situation explique pour partie la sous-déclaration avérée des AT-MP, ce qui n'est pas sans incidences graves pour les victimes, mais aussi pour notre système de protection sociale. Ainsi, la commission instituée par l'article L. 176-2 du code de la sécurité sociale et présidée par Noël Diricq concluait en 2005 dans son rapport à la persistance de ce phénomène particulièrement dommageable pour les finances sociales et dommageable à l'élaboration et à la conduite de la politique de prévention dans ce domaine. C'est pourquoi, dans le titre IV, nous proposons des mesures pouvant être rapidement efficaces pour faciliter la déclaration et la reconnaissance des maladies professionnelles.

Les articles 16 à 18 s'intéressent à la reconstitution des parcours professionnels, aux expositions qu'ils ont pu occasionner et aux suivis médico-sociaux qu'ils nécessitent, par la mise en oeuvre d'un volet spécifique dédié à la santé au travail au sein du dossier médical personnel. Bien sûr, ce volet ne serait accessible qu'aux seuls généralistes.

Afin de garantir la prise en charge effective des victimes, l'article 19 envisage la mise en place, dans chaque CRAM, d'une cellule chargée d'accueillir les victimes, de les informer de leurs droits, de les accompagner dans leurs démarches de reconnaissance et de réparation et, si nécessaire, de procédures pour faute inexcusable de l'employeur. Cette cellule est chargée d'organiser le suivi psychosocial des victimes et de les orienter vers les services médicaux compétents.

Enfin, pour sécuriser réellement le devenir professionnel des victimes d'AT-MP, les articles 20 à 22 visent à réformer le droit de l'inaptitude en joignant à l'obligation de reclassement une obligation de résultat, ce avec un pouvoir renforcé de contrôle des institutions représentatives du personnel et la création d'une allocation compensatrice de perte de salaire jusqu'au reclassement effectif du salarié concerné.

Les infractions répétées et continues au code du travail, aux règles d'hygiène et de sécurité et aux règles spécifiques de protection contre les risques liés à l'amiante ont des conséquences particulièrement graves sur la santé des salariés. Je rappellerai ici, à titre d'exemple, que les contrôles des chantiers de désamiantage ont, selon un rapport du ministère du travail, permis de relever le non-respect de la réglementation dans 67 % des cas !

Le manque de volonté du ministère de la justice de poursuivre les entreprises délictueuses et le caractère peu dissuasif des sanctions en cas d'infraction au code du travail sont à l'origine, nous le savons, de la déresponsabilisation des employeurs sur cette question. Même si le tribunal correctionnel de Lille, par une décision exceptionnelle, a reconnu coupable, en septembre 2006, la société Alstom et son ancien directeur pour mise en danger de la vie d'autrui, il nous a semblé essentiel de consacrer le titre V au renforcement des instruments de la politique pénale relative à l'hygiène et à la sécurité au travail.

Ainsi, l'article 23 tend à sanctionner l'employeur qui se soustrairait à son obligation de remettre au salarié - c'est une situation que nous avons rencontrée plusieurs fois - une attestation d'exposition, ainsi que toute entrave à la procédure de déclaration et de reconnaissance des maladies professionnelles.

Le délit d'exposition d'autrui à un risque immédiat de mort ou de blessures, prévu à l'article L. 223-1 du code pénal, constitue le pivot de la politique pénale de répression des infractions à la réglementation de sécurité au travail. L'article 24 tend à revoir le niveau des peines en portant la peine d'emprisonnement d'un an, ce qui est dérisoire, à trois ans.

Assimilant la violence industrielle à la violence routière, les articles 25 et 27 retiennent le principe de majoration des peines encourues par les employeurs coupables d'atteintes involontaires à l'intégrité de la personne.

L'article 26 vise à étendre la sanction prévue à l'article L. 222-19 du code pénal aux cas d'incapacité permanente, partielle ou totale. Ce point est particulièrement important dans les cas dramatiques des plaques pleurales.

Nous en arrivons, mes chers collègues, à notre dispositif de médecine du travail.

Nous pouvons tourner la question dans tous les sens, le problème de fond relevé par l'ensemble des syndicats et des professionnels de santé au travail, mais également mis en lumière par les derniers scandales en matière de financements occultes, réside dans la gestion exclusivement patronale des services, alors que leurs missions constituent un réel enjeu de société, du point de vue tant de la santé publique que de l'équilibre social.

En écho aux conclusions du dernier rapport de l'IGAS, qui nous alerte très sérieusement sur la « crise majeure de la médecine du travail », le titre VI vise donc à réformer en profondeur cette organisation. Les articles 28 et 29 tendent à créer une agence nationale de santé au travail, qui, du fait de sa mission de service public, garantit l'indépendance des professionnels de santé et des acteurs de prévention au regard des prérogatives des employeurs. Cette agence est chargée d'organiser et de coordonner les services de santé au travail dans un strict objectif de prévention de tous les risques professionnels et de préservation de la santé des salariés, au sens retenu par l'OMS.

Outre ces missions, l'agence aura les moyens de participer au développement de la recherche fondamentale et appliquée, qui manquent cruellement en matière de santé au travail, en sollicitant les travaux de tous les organismes compétents.

Pour pallier effectivement la pénurie de praticiens en santé au travail, l'agence déterminera annuellement le nombre de professionnels nécessaires au fonctionnement des services de santé au travail. Les entreprises dont l'activité engendre des risques professionnels ont vocation et obligation légale de financer leur prévention.

L'article 30 inscrit l'activité spécifique de la médecine du travail dans le champ de la prévention. Quant à l'article 31, il généralise la « consultation médicale professionnelle », en portant sa fréquence à douze mois. Nous souhaitons, contrairement au patronat, renforcer la présence et le nombre de médecins du travail, en privilégiant la consultation individuelle comme moyen particulier de connaissance et de prévention.

Dans un souci de cohérence, l'article 32 prévoit de supprimer la fiche d'aptitude. Cette dernière, issue de la tradition eugéniste du début de l'industrialisation, est, pour la majorité des professionnels de la santé au travail, parfaitement contraire à l'éthique et à la déontologie médicale. Cette suppression contraindra l'employeur, qui s'engage à assurer un travail et une rémunération aux salariés par le contrat de travail, à assurer des conditions de travail qui n'auront plus de conséquences négatives pour la santé.

Enfin, le titre VII traite des mesures particulières de protection des travailleurs contre les risques liés à l'amiante. La mission sénatoriale relative au drame de l'amiante en France fut très claire sur cette question, en souhaitant que le risque « amiante » fasse l'objet d'une attention toute particulière, notamment pour les travailleurs du bâtiment. Ces préconisations datent de 2005, et force est de constater que le problème reste entier. En effet, 80 % des mésothéliomes aujourd'hui sont recensés dans le secteur du bâtiment.

Actuellement, en cas de danger grave et imminent, l'inspecteur du travail peut, uniquement dans le cadre d'opérations de confinement ou de retrait d'amiante, y soustraire le salarié et décider de l'arrêt des travaux. L'article 33 étend cette possibilité aux opérations d'entretien et de maintenance.

Pour tenir compte des contraintes physiques et physiologiques particulières, des risques de pénibilité accrue et afin de garantir le respect effectif des obligations de sécurité qui s'imposent aux salariés du désamiantage, l'article 35 tend à réduire la durée du travail, tout en garantissant un salaire à taux plein. Il vise en outre à diminuer le nombre et la durée des interventions quotidiennes sur site.

L'article 36 tend à créer un registre des salariés étant ou ayant été exposés à l'inhalation de poussières d'amiante, pour permettre un suivi médical spécifique systématique.

Nous n'aurions pu, mes chers collègues, aborder le sujet de la santé au travail et des victimes des AT-MP sans consacrer une attention tout à fait particulière à la question de la réparation intégrale, tant attendue par les associations, les victimes et le monde syndical. La réparation intégrale aurait d'ailleurs pu faire l'objet d'une proposition de loi à elle seule ! Nous lui consacrons le titre VIII, qui vise à instaurer enfin la réparation intégrale de l'ensemble des victimes du travail et, surtout, à améliorer les droits particuliers des victimes de l'amiante.

La consécration par la Cour de cassation, en février 2002, de la nouvelle définition de l'obligation de sécurité de résultat pesant sur le chef d'entreprise, dont le manquement emporte la reconnaissance de la faute inexcusable, a fini d'entamer la cohérence du dispositif de réparation des dommages liés au travail. Celui-ci, excepté en cas de recours juridique à la faute inexcusable, ne répare ni la souffrance physique et morale ni les préjudices esthétique et d'agrément. À la différence des accidents de la route, des aléas thérapeutiques ou des accidents médicaux, ce dispositif exige encore de la victime qu'elle démontre la faute du responsable du dommage si elle veut être intégralement indemnisée !

Depuis maintenant sept ans, et plus encore ces deux dernières années, à coups de rapports et de déclarations multiples, le débat sur les évolutions nécessaires de la réparation des AT-MP ne cesse de rebondir, sans toutefois déboucher, pour les victimes, sur des améliorations concrètes et sensibles.

Le MEDEF a su tirer profit du rapport de 2005 de la Cour des comptes sur les fonds d'indemnisation et les dépenses de la branche AT-MP, qui attribue le déficit de la branche au coût exorbitant du dossier de l'amiante. Il interprète le rapport de 2006 de l'IGAS sur le FCAATA, le Fonds de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante, pour revoir les droits à la retraite anticipée en fonction de la réalité de l'exposition à l'amiante, et tente de faire progresser l'idée qu'il n'y a pas de justification au régime d'« exception » des victimes de l'amiante. C'est quand même incroyable !

Ces orientations sont régressives et inacceptables. S'il faut effectivement sortir des incohérences et des exceptions actuelles, c'est par le haut ! Il convient aussi et surtout de rétablir la dimension préventive du système de réparation. Dès lors, les articles 37 et 38 inscrivent simplement et sans équivoque dans le code de la sécurité sociale le droit à la réparation intégrale de leurs préjudices au bénéfice des personnes victimes d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle.

L'article 39 aligne les taux de rente sur les taux d'incapacité permanente médicalement reconnus. En cas de faute inexcusable, l'article 40 prévoit le versement d'une indemnité en capital proportionnée à la gravité de la faute de l'employeur. L'article 41 pose le principe de parité des indemnités journalières avec le salaire net journalier pour une incapacité temporaire.

Les articles 44 et 45 effacent deux dispositions du code de la sécurité sociale qui limitent le principe de gratuité des soins pour les victimes du travail. Or celles-ci n'ont pas à supporter la charge de tout ou partie des frais entraînés par une exposition à un risque imputable à l'employeur, quand bien même cela ne représenterait qu'un euro. C'est un point très important, dont on parle beaucoup aujourd'hui, car certains malades font aujourd'hui la grève des soins pour attirer l'attention sur les franchises médicales.

Concernant plus particulièrement les victimes de l'amiante, les articles 46 à 52, qui ont trait au dispositif de cessation anticipée d'activité et au Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante, s'inscrivent dans une volonté de pérenniser l'existant, d'en élargir le champ et d'en corriger les imperfections, afin de conforter les victimes dans leurs droits à compensation et à réparation.

Monsieur le ministre, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, si je me félicite que ce texte puisse être examiné grâce à la « niche parlementaire » d'aujourd'hui, je regrette néanmoins qu'il ne fasse pas l'objet d'un vrai débat, article par article. Je le regrette d'autant plus que, comme cela est souligné dans le rapport, ce texte est l'aboutissement d'un travail important et qu'il met en avant de pistes plausibles et cohérentes. Je souhaite donc vivement qu'il constitue une pierre à l'édifice de la santé au travail que nous devons urgemment construire.

Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Sylvie Desmarescaux

Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, « Ce qu'il y a de plus beau, c'est la justice ; ce qu'il y a de meilleur, c'est la santé. ».

Debut de section - PermalienPhoto de Sylvie Desmarescaux

Aristote voyait dans cette maxime une définition du bonheur.

En tout état de cause, elle résume à merveille l'objet de la proposition de loi visant à améliorer la santé au travail des salariés et à prévenir les risques professionnels auxquels ils sont exposés, comme celui de l'ensemble des travaux que vous avez lancés dernièrement, monsieur le ministre, pour conforter et faire progresser dans les mois qui viennent la prévention et la réparation des accidents du travail et des maladies professionnelles.

Nous sommes tous d'accord, je pense, pour conjuguer dans la loi la beauté de la justice et la bonté de la santé ; cela va de soi. Mais il serait plus intéressant que nous nous retrouvions sur un certain nombre de propositions concrètes. Et il serait plus remarquable encore que nous tombions d'accord sur la façon d'y parvenir. Cela va moins de soi... Mais notre débat va nous permettre de repérer nos points de convergence et les points d'achoppement, ce qui est déjà beaucoup dans la perspective de nos futurs travaux sur la santé au travail.

Pour nous aider à y voir plus clair, je vais regrouper les dispositions de la proposition de loi en quatre grands thèmes. Au préalable, je me permets de rappeler à Mme Demessine que, pour rendre ce rapport, j'ai travaillé, nous avons travaillé, article par article !

Debut de section - PermalienPhoto de Sylvie Desmarescaux

Je commencerai par la médecine du travail.

Dans la proposition de loi sont abordées successivement les questions du dossier médical personnalisé, le DMP, et de l'accueil des victimes d'accidents du travail et de maladies professionnelles.

Ainsi, il nous est proposé d'introduire dans le DMP un volet « santé au travail » renseigné par les médecins du travail, ces derniers n'ayant accès qu'aux informations reportées dans cette partie du dossier.

Cette proposition apporte un élément de réponse à un problème crucial : le suivi de la santé des travailleurs et la traçabilité de l'exposition aux risques. La branche accidents du travail et maladies professionnelles, dite branche AT-MP, a mis en place un groupe de travail sur la traçabilité des expositions au sein de la commission des accidents du travail et des maladies professionnelles, la CATMP. Les partenaires sociaux doivent remettre des propositions au mois de juin. La commission des affaires sociales estime indispensable d'attendre leurs analyses et leurs propositions avant de nous prononcer sur l'accès des médecins du travail au DMP.

Il est également prévu dans la proposition de loi de mettre en place dans chaque caisse régionale d'assurance maladie, ou CRAM, une cellule chargée d'accueillir les victimes. La convention d'objectifs et de gestion de la branche AT-MP le prévoit déjà. Il ne nous semble donc pas indispensable de légiférer sur ce point.

D'autres dispositions du texte réforment le droit de l'inaptitude. Il est ainsi proposé d'informer le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail, le CHSTC, ou les délégués du personnel, de la proposition de reclassement du salarié déclaré inapte et d'obliger le chef d'entreprise à faire connaître les mesures qu'il envisage de prendre en vue d'un reclassement extérieur dans le cas où celui-ci est impossible de dans l'entreprise.

Dans la proposition de loi, il est également envisagé de verser au salarié ni reclassé ni licencié une allocation nouvelle, compensatrice de perte de salaire.

Il est proposé par ailleurs des dispositions relatives à la définition des missions des médecins du travail, à la périodicité des examens médicaux obligatoires et à la coordination des services de santé au travail.

Sur ce dernier point, particulièrement important, la création d'une agence nationale est proposée, ce qui n'est pas sans évoquer l'étatisation préconisée en février 2006 par la mission d'information sur les risques et les conséquences de l'exposition à l'amiante de l'Assemblée nationale. Je rappelle que d'autres solutions ont été avancées par ailleurs, le rattachement de la médecine du travail à la branche AT-MP, par exemple.

De mon côté, j'ai tendance à souhaiter la conservation du lien entre les services de santé au travail et les entreprises. Ce lien fait en effet du médecin du travail le conseiller du chef d'entreprise, ce qui devrait favoriser la montée en puissance du rôle de ces médecins en matière de prévention.

Peut-être faut-il alors s'en tenir au schéma actuel, tout en donnant aux services de l'État, conformément aux préconisations du récent rapport-bilan des professeurs Françoise Conso et Paul Frimat, les moyens de conduire une politique fondée sur des objectifs de santé au travail et non plus seulement sur des indicateurs de moyens et d'activité.

En ce qui concerne les consultations médicales, la proposition de loi donne une périodicité annuelle à la visite obligatoire pour tous, très consommatrice en temps médical et assez modestement contributive au maintien de la santé au travail. Si l'on veut améliorer l'exercice par les médecins du travail de leur mission de prévention, il est souhaitable de ne pas les ensevelir sous une avalanche de consultations obligatoires auxquelles ils suffisent déjà difficilement !

Ces différentes propositions touchent des aspects importants et sensibles de la médecine du travail, laquelle pose cependant bien d'autres questions. C'est pourquoi je crois nécessaire d'inscrire leur discussion dans une démarche plus large et plus intégrée, telle que celle qui est suggérée dans le rapport Conso et Frimat. Trois grands axes de progression y sont proposés.

Premièrement, il s'agit de résoudre rapidement la question, essentielle, de la démographie des médecins du travail et des ressources des services de santé au travail, en passant d'un exercice individuel à une pratique collective de la prévention.

Deuxièmement, il s'agit de mettre véritablement la prévention au centre de l'activité des médecins du travail.

Troisièmement, enfin, il s'agit de passer d'une logique de moyens à une logique de résultats et de régulation.

La commission des affaires sociales a estimé nécessaire d'aborder simultanément ces trois axes.

Les propositions du rapport Conso et Frimat ont été soumises aux partenaires sociaux. Par ailleurs, M. le ministre a demandé au Conseil économique et social un avis sur ce sujet d'ici à la fin du mois de février, et s'est engagé à présenter un plan de réforme à la fin du premier semestre.

La commission des affaires sociales souhaite traiter dans ce cadre l'ensemble du dossier de la médecine du travail.

Le deuxième thème de la proposition de loi concerne la prévention des risques.

Dans ce domaine, il est tout d'abord envisagé dans le texte d'informer les salariés sur les risques pour la santé et la sécurité.

Ainsi, il est donné valeur législative à l'inventaire des risques identifiés dans chaque unité de travail que constitue le document unique d'évaluation des risques, actuellement régi par un décret.

C'est ainsi aussi que sont renforcées les exigences relatives à la publicité de ce document. Ces modalités sont cependant susceptibles d'alourdir les charges administratives des entreprises, sans que le bénéfice en soit évident pour les salariés.

Il est prévu la réalisation d'un livret d'information sur les risques qui serait délivré par l'employeur à chaque salarié. Je note que cette mesure a été rejetée par le Sénat lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2008, car l'actuel document unique d'évaluation des risques assure déjà bien l'information. Aller au-delà ferait peser une charge inutile sur les petites et moyennes entreprises, ainsi que sur les très petites entreprises.

Un deuxième volant de propositions concerne les problèmes posés par l'intervention, dans une entreprise, de salariés d'entreprises extérieures. Je ne vais pas les détailler, car elles sont extrêmement techniques. Sachez, mes chers collègues, qu'elles posent le problème de l'équilibre entre le risque de dispersion des responsabilités en matière de prévention des risques et la nécessité de tenir compte du fait que la dangerosité et la complexité de certaines activités nécessitent parfois un degré de coresponsabilité entre l'entreprise d'accueil et l'entreprise extérieure. La commission des affaires sociales a considéré que la consultation des partenaires sociaux serait nécessaire avant de modifier cet équilibre.

Un troisième volant de propositions concerne les CHSCT.

La proposition de loi permet à l'inspecteur du travail d'imposer la mise en place d'un CHSCT en cas de risque grave et d'étendre les compétences d'un CHSCT existant à d'autres entreprises. Or, d'une part, le code du travail permet déjà à l'inspecteur du travail d'imposer la création d'un CHSCT en raison de la nature, de l'agencement ou de l'équipement des travaux, ce qui englobe les situations de risques graves. D'autre part, je ne suis pas convaincue qu'un CHSCT élu par les salariés d'une entreprise puisse être également compétent pour les salariés d'autres entreprises.

Il est aussi prévu dans le texte la création de représentants des salariés en matière de prévention, de santé au travail dans les entreprises de moins de cinquante salariés. Cependant, les missions du CHSCT sont exercées dans ces établissements par les délégués du personnel : il ne paraît pas utile de créer une nouvelle catégorie de représentants du personnel.

Enfin, dans un article de la proposition de loi est abordé le droit de retrait des salariés du poste de travail avec la création d'une infraction si l'employeur ne répond pas au problème que révèle l'exercice de ce droit. Faut-il vraiment ajouter une telle infraction à l'ensemble des garanties législatives et des solutions jurisprudentielles existant en la matière ? Nous n'en avons pas été convaincus.

Au demeurant, une négociation vient d'être lancée par les partenaires sociaux sur l'initiative du ministre, à la suite des travaux de la Conférence sociale tripartite sur les conditions de travail, qui s'est tenue le 4 octobre dernier.

Cette négociation porte sur trois thèmes : la mise en place d'un cadre pour le dialogue social sur les conditions de travail dans les PME et dans les TPE ; le rôle et les missions des CHSCT ainsi que la durée des mandats et la formation des représentants du personnel à cette instance ; enfin, les modalités d'alerte sur les conditions de travail.

De fait, les questions à régler sont nombreuses.

Il faut à la fois améliorer la couverture des CHSCT et créer des modalités d'appui au dialogue social dans les PME et TPE.

Par ailleurs, le fonctionnement des CHSCT n'est pas entièrement à la hauteur des nouveaux enjeux de la santé au travail. Il faut en particulier améliorer leurs capacités d'expertise.

Enfin, les modalités d'alerte sur les conditions de travail sont à revoir, dans la mesure où l'alerte est actuellement liée à l'existence d'un CHSCT ou de délégués du personnel dans l'entreprise. Il s'agit donc de créer, pour des risques majeurs, un mécanisme d'alerte, quelle que soit la taille de l'entreprise, y compris dans celles qui sont dépourvues de toute représentation du personnel.

À nouveau, mes chers collègues, la commission des affaires sociales vous recommande d'attendre les propositions des partenaires sociaux et celles du Gouvernement avant de légiférer.

Le troisième thème de la proposition de loi concerne le régime des accidents du travail et des maladies professionnelles.

Il faut manifestement agir dans le domaine des accidents du travail, dont les chiffres ne décroissent pas assez vite, tout le monde le sait. Le plan de modernisation et de développement de l'Inspection du travail, lancé en 2006 sur l'initiative de notre collègue Gérard Larcher, a permis de relancer fortement les contrôles, ce qui est un élément essentiel de réponse.

Les problèmes restent, certes, importants. Par exemple, le phénomène de la sous-déclaration fait supporter à l'assurance maladie des charges qui relèvent normalement de la branche AT-MP, ...

Debut de section - PermalienPhoto de Sylvie Desmarescaux

... et nuit à la connaissance, donc à la prévention, des risques professionnels.

Debut de section - PermalienPhoto de Sylvie Desmarescaux

Le problème de la tarification se pose aussi. Les bases actuelles du système de tarification ne privilégient pas assez les entreprises qui mettent en oeuvre une réelle politique de prévention. Il faut progresser sur la tarification comme sur les autres sujets, mais pas sans précaution !

L'accord interprofessionnel du 12 mars 2007 relatif à prévention, à la tarification et à la réparation des risques professionnels, signé par les partenaires sociaux, préconise que toute proposition en vue d'une tarification plus simple et plus incitative à la prévention fasse l'objet de simulations pour veiller à sa faisabilité technique et pour en évaluer l'impact sur les cotisations. La commission des affaires sociales partage ce souci de pragmatisme.

Ce n'est pas totalement le cas de la proposition de loi, qui aborde successivement la gouvernance et les ressources de la branche AT-MP, puis les modalités de la réparation.

Ainsi, elle inscrit dans la loi l'existence et les missions du Fonds national de prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles ; elle crée une nouvelle dépense sous la forme d'aides de nature à favoriser l'implantation de délégués prévention dans les entreprises de moins de cinquante salariés ; elle triple les ressources que la Commission des accidents du travail et maladies professionnelles, la CATMP, verse actuellement au fonds sur le produit des cotisations AT-MP ; enfin, elle crée une nouvelle ressource issue de nouvelles sanctions financières contre les entreprises.

Sur ces différents points, la commission ne croit pas utile de donner une valeur législative au Fonds national de prévention des AT-MP.

Par ailleurs, dans la mesure où le budget du fonds est actuellement élaboré par la CATMP, les évolutions proposées pour son financement devraient faire l'objet d'une consultation des partenaires sociaux.

En ce qui concerne les cotisations supplémentaires, les contrôleurs de sécurité ont déjà la possibilité d'imposer une cotisation supplémentaire pour risque exceptionnel ou révélé par une infraction aux règles de sécurité.

En ce qui concerne enfin le non-respect de l'obligation de déclaration d'un accident du travail, la caisse peut actuellement poursuivre l'employeur en vue du remboursement de la totalité des dépenses engagées.

Je suis ainsi tentée de dire que ces propositions sont globalement satisfaites.

Debut de section - PermalienPhoto de Sylvie Desmarescaux

Il en est de même pour la disposition qui supprime les exonérations de cotisations dans le champ de la branche AT-MP, satisfaction ayant été donnée dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2008.

Une autre proposition subordonne la décision d'octroi de ristournes sur les cotisations à l'avis du CHSCT. Cependant, les ristournes sont déjà accordées, sur décision de la CRAM, après avis du CHSCT.

En ce qui concerne la proposition de modifier la répartition du coût des AT-MP entre les entreprises utilisatrices et les entreprises de travail temporaire, il nous semble indispensable de consulter les partenaires sociaux, qui n'ont pas abordé cette question dans leur accord du 12 mars 2007.

La consultation s'impose moins, à notre avis, sur la répartition au cas par cas du coût des AT-MP entre les entreprises sous-traitantes et les entreprises utilisatrices, après enquête des services de prévention des CRAM, car ce dispositif serait manifestement ingérable.

La consultation n'est sans doute pas non plus indispensable sur la proposition de porter à deux tiers la proportion des représentants des salariés dans la CATMP, dans la mesure où les partenaires sociaux ont clairement réaffirmé leur attachement - j'insiste sur ce point - au paritarisme pur et simple dans l'accord du 28 février 2006 sur la gouvernance de la branche.

Sur le volet de la réparation, la proposition de loi pose le principe de la réparation intégrale des AT-MP. Notre commission estime de son côté inopportun de revenir sur le système de réparation forfaitaire, auquel les partenaires sociaux ont d'ailleurs réaffirmé leur adhésion dans l'accord du 12 mars 2007, tout en proposant d'évoluer vers une réparation forfaitaire personnalisée. L'accord dessine d'ailleurs quelques pistes dans ce domaine, tout en avertissant que « les mesures proposées sont inspirées par une préoccupation d'optimisation des dépenses de la branche AT-MP de la CNAM. Elles sont conditionnées à la capacité de la branche de les financer ».

Notre commission s'est inscrite dans une démarche identique.

C'est pourquoi elle a rejeté l'ensemble des articles de la proposition de loi qui tirent les conséquences du passage à la réparation intégrale des AT-MP.

Certaines autres propositions soulèvent des objections.

Par exemple, l'idée d'assouplir les conditions de reconnaissance de la maladie professionnelle pour les affections non mentionnées au tableau des maladies professionnelles nous semble remettre en cause, à terme, le système du tableau.

Par ailleurs, en ce qui concerne la proposition de supprimer le forfait de un euro pour les victimes d'AT-MP, nous ne croyons pas à la possibilité d'appliquer cette mesure à l'ensemble des bénéficiaires du système.

D'autres propositions dépensières présentent peut-être de meilleures perspectives.

Il en est ainsi de celle qui prévoit la prise en charge des frais médicaux et paramédicaux des victimes d'AT-MP sur la base des frais engagés. Dans l'accord du 12 mars 2007, les partenaires sociaux ont demandé l'amélioration de cette prise en charge pour certains postes tels que l'appareillage dentaire, optique ou auditif. Sans doute est-il souhaitable d'explorer cette piste, plus modeste.

D'autres propositions sont intéressantes a priori. Ainsi, en ce qui concerne la date d'ouverture des droits en matière de maladie professionnelle, la proposition visant à distinguer le fait constitutif de l'ouverture des droits du point de départ du délai de prescription nous semble bien conçue, sous réserve d'une étude technique préalable des conséquences de l'abandon du parallélisme traditionnel entre l'indemnisation des accidents du travail et celle des maladies professionnelles.

Je terminerai avec le dossier de l'amiante, qui continue de poser de graves problèmes d'efficacité, d'équité et de financement, problèmes auxquels il faut trouver des solutions.

C'est ce qui avait déjà été souligné dans le rapport de la mission « amiante » du Sénat, mission dont j'étais membre, avec mes collègues Michelle Demessine et Roland Muzeau, notamment, et qui était présidée par Jean-Marie Vanlerenberghe.

La proposition de loi présente une première série de mesures destinées à la protection des salariés contre les risques liés à l'amiante.

Il s'agit, en substance, de permettre à l'inspecteur du travail de prescrire l'arrêt temporaire des opérations de confinement ou de retrait d'amiante dans un certain nombre de cas nouveaux ; de donner au préfet la possibilité d'enjoindre à une personne ayant mis à disposition des locaux ou installations ou à celle qui en a l'usage de rendre leur utilisation conforme ; de limiter le nombre d'interventions avec port des équipements de protection individuelle et de restreindre la durée de chaque intervention ; de créer dans chaque CRAM un registre des salariés étant ou ayant été exposés à l'inhalation de poussière d'amiante, l'inscription à ce registre ouvrant droit au bénéfice d'un suivi national spécifique ou de la surveillance médicale postprofessionnelle.

Ces propositions nous ont paru globalement intéressantes et nous souhaitons, madame la secrétaire d'État, qu'elles restent en débat.

Les autres propositions visent, pour la plupart, le régime de cessation anticipée d'activité des salariés et anciens salariés de l'amiante.

Il faut certainement revoir ce système, à la fois trop coûteux et insuffisamment focalisé sur ses destinataires naturels. Un groupe de travail réunissant les associations et les partenaires sociaux a été installé hier à cette fin. Il aura quatre mois pour rendre des conclusions en vue du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2009.

Il nous semble inenvisageable de légiférer sans prendre connaissance de ces travaux.

Pour autant, la proposition de loi présente-t-elle des pistes que nous souhaiterions explorer le moment venu ?

Debut de section - PermalienPhoto de Sylvie Desmarescaux

Elle vise, par exemple, à prendre en compte les périodes d'activité exercées dans les établissements de construction et de réparation navales du ministère de la défense pour la détermination des droits à l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante, l'ACAATA. Nous n'y sommes pas hostiles, sous réserve de vérifier dans quelle mesure il est justifié de prendre en compte l'ensemble de ces établissements.

Debut de section - PermalienPhoto de Sylvie Desmarescaux

Toutefois, ce sujet relève du domaine réglementaire.

La proposition de loi étend cette même allocation à différentes catégories de salariés et anciens salariés, notamment à ceux qui sont contraints au port de vêtements de protection amiantés. L'expertise des partenaires sociaux nous est nécessaire avant de nous prononcer sur ce point.

La proposition de loi tend aussi à donner un caractère indicatif à la liste des établissements ouvrant droit au Fonds de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante, le FCAATA. Il nous semble que le fait de donner à la liste un caractère indicatif impliquerait, par contrecoup, la nécessité pour les victimes d'apporter la preuve de leur exposition à l'amiante, ce qui est difficile. Cette disposition ne nous semble donc pas pertinente.

En revanche, la mesure concernant la motivation obligatoire de la décision de refuser d'inscrire un établissement sur la liste des établissements ouvrant droit au FCAATA, qui a été votée dans le cadre de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2008, puis annulée par le Conseil constitutionnel en tant que cavalier social, nous paraît utile. Il faudra l'inscrire à nouveau dans la loi le moment venu.

Il nous est proposé, par ailleurs, de déterminer le montant de l'ACAATA sur la base non plus des douze derniers mois, mais des douze meilleurs mois de la carrière professionnelle du bénéficiaire. Il faudrait que le coût de cette mesure soit évalué avec précision.

Faut-il, dans un domaine connexe, porter de quatre à trente ans le délai de prescription des demandes d'indemnisation adressées au Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante, le FIVA, qui a pour mission de réparer les préjudices résultant de l'exposition ? La prescription quadriennale, d'ores et déjà plus favorable que la prescription de deux ans des maladies professionnelles, a soulevé un certain nombre de problèmes pour les victimes décédées avant la création du FIVA. Ces problèmes ont été résolus dans le cadre juridique existant. Un équilibre convenable a sans doute été ainsi atteint et la fixation d'une prescription de trente ans ne nous semble pas de nature à améliorer sensiblement la situation des victimes de l'amiante.

Faut-il supprimer les plafonds de la contribution des employeurs au FCAATA ? Nous ne le croyons pas, car cela mettrait en danger la survie d'un certain nombre d'entreprises déjà en situation fragile. De plus, le Sénat a refusé cette proposition lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2008.

Mes chers collègues, la proposition de loi « santé au travail » présente des pistes plausibles, et d'autres qui le sont moins. Notre commission a essayé, et sans parti pris, je peux en témoigner personnellement, de faire le tour des unes et des autres pistes, afin de nourrir les débats à venir. Nous les aurons d'ailleurs bientôt, car le Gouvernement et les partenaires sociaux élaborent en ce moment même leurs propositions sur la santé au travail. Permettez-moi de dire que nous serons armés, à l'issue de l'examen de la présente proposition de loi, pour les étudier en connaissance de cause.

Il serait, en revanche, parfaitement inopportun de légiférer sans attendre sur les points particuliers qui nous semblent bien posés dans ce texte : tout se tient, sur chaque volet de la santé au travail, et c'est certainement pourquoi nos collègues du groupe communiste républicain et citoyen ont estimé nécessaire de présenter une proposition aussi ample, aussi intégrée, aussi cohérente.

C'est pourquoi, tout en saluant la qualité du travail de l'ensemble de nos collègues du groupe communiste républicain et citoyen, notre commission propose au Sénat de se prononcer en faveur des conclusions négatives qu'elle a adoptées sur la présente proposition de loi. Mais je réitère mes félicitations quant au travail accompli !

Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.

Debut de section - Permalien
Valérie Létard, secrétaire d'État chargée de la solidarité

Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je veux d'abord saluer la qualité du travail accompli par Mme Michelle Demessine, soutenue par son groupe politique, avec cette proposition de loi, qui contient cinquante-trois articles denses, touchant à tous les aspects de la prévention et de la gestion des risques professionnels.

Permettez-moi de saluer également la rapidité et l'efficacité du travail du rapporteur, Mme Sylvie Desmarescaux, et de la commission des affaires sociales.

Ce travail s'inscrit dans le contexte de la conférence sur les conditions de travail et rejoint la volonté du Gouvernement de renforcer le dialogue social, car c'est en impliquant davantage les acteurs de l'entreprise que nous pourrons améliorer durablement la santé et la sécurité au travail.

Dans ce contexte, la proposition de loi de Mme Michelle Demessine et de son groupe intervient-elle trop tôt ou trop tard ? À vous de le dire, mais, en tout cas, elle nous offre l'occasion de tenir un débat sur des sujets essentiels pour des millions de salariés.

Elle intervient sans doute trop tôt, car elle précède plusieurs processus de réforme récemment mis en place : je pense au FCAATA, à la médecine du travail, ou encore aux négociations lancées à la suite de la conférence du 4 octobre dernier sur les conditions de travail.

Elle intervient aussi trop tard, car elle intervient sur certains sujets qui ont déjà fait l'objet de la signature d'accords par les partenaires sociaux dans le cadre de la gestion de la branche AT-MP.

Pour toutes ces raisons, sur lesquelles je reviendrai dans un instant, je partage l'avis de la commission des affaires sociales, qui conclut au rejet de la présente proposition de loi. Cependant, je le répète, nous devons profiter de l'occasion offerte par la discussion de ce texte pour avancer sur les solutions à mettre en oeuvre, étant donné l'ampleur des pistes que vous ouvrez, madame Demessine.

Les auteurs de cette proposition de loi ont d'ores et déjà obtenu satisfaction sur plusieurs sujets.

Il en est ainsi de la suppression des exonérations de cotisation AT-MP, proposée à l'article 2, suppression qui a d'ores et déjà été opérée par l'article 22 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2008.

Debut de section - PermalienPhoto de Michelle Demessine

Notre proposition de loi a été déposée avant l'examen de la loi de financement !

Debut de section - Permalien
Valérie Létard, secrétaire d'État

En effet, madame le sénateur.

Nous sommes d'accord avec ce qui motivait cette proposition : il ne faut pas exonérer les employeurs de leurs responsabilités et se priver de l'effet incitatif que la tarification peut avoir sur la prévention, vous avez raison.

Tel est aussi le cas des sanctions sous forme de cotisations supplémentaires imposées aux employeurs qui ne respectent pas leurs obligations de santé et de sécurité, dont il est question à l'article 4 de la proposition de loi. En effet, les contrôleurs de sécurité disposent déjà du pouvoir d'imposer des cotisations supplémentaires dans le cas d'un risque exceptionnel ou d'un risque avéré résultant d'une infraction aux règles de sécurité.

Il en est de même de la possibilité pour l'inspecteur du travail d'imposer la création d'un CHSCT, dans les établissements de moins de cinquante salariés en raison de la nature des travaux ou de leur agencement.

Quant aux CHSCT de site, vous savez qu'il existe aujourd'hui des CHSCT élargis pour les entreprises à haut risque de type « Seveso ». Ce dispositif sera prochainement étendu aux installations nucléaires de base. Un projet de décret en ce sens est actuellement examiné par le Conseil d'État.

S'agissant de la transmission du document unique d'évaluation des risques professionnels, le code du travail prévoit d'ores et déjà qu'il est mis à la disposition des membres du CHSCT. Cette disposition nous semblant suffisante pour assurer les droits à l'information du CHSCT, il ne paraît pas nécessaire de prévoir une remise en main propre de ce document.

Quant à la proposition, qui est faite à l'article 19, de mettre en place dans chaque caisse primaire d'assurance maladie un service chargé de l'accueil et de l'accompagnement des victimes d'AT-MP, elle a déjà rencontré un écho favorable au sein de la branche. La convention d'objectifs et de gestion de la branche AT-MP prévoit en effet diverses expérimentations dans le but de « mettre en place une procédure d'accompagnement des victimes dans leurs démarches relatives à une maladie professionnelle ».

Il nous paraît donc préférable d'attendre les résultats de ces expérimentations, actuellement menées en Bretagne et en Normandie depuis le mois de septembre dernier, avant d'en prévoir la généralisation.

Sur d'autres sujets, les partenaires sociaux ont déjà négocié des accords qu'il n'est pas souhaitable de remettre en cause.

Tout d'abord, concernant la gouvernance de la branche AT-MP, vous proposez de remettre en cause sa gestion paritaire. Or, en mars 2006, les partenaires sociaux ont adopté un accord aux termes duquel ils ont précisément rappelé leur attachement au maintien d'un paritarisme strict au sein de la branche.

C'est également le principe de la réparation forfaitaire, qui, je le rappelle, est la contrepartie de la présomption d'imputabilité dont bénéficient tous les accidents du travail et maladies professionnelles.

Vous proposez le basculement en faveur d'un dispositif de réparation intégrale. Mais, en 2004, un rapport de l'Inspection générale des affaires sociales, l'IGAS, a démontré que ce système ne serait pas systématiquement plus favorable que la réparation forfaitaire actuelle et qu'il y aurait même des perdants potentiels, parmi lesquels les victimes de maladies professionnelles avec faible taux d'incapacité et les victimes de maladies professionnelles retraitées.

Il n'en reste pas moins qu'il est possible, et même souhaitable, de faire évoluer les règles d'indemnisation en matière d'AT-MP.

C'est justement ce qu'ont voulu les partenaires sociaux en signant les accords d'avril 2007, dans lesquels ils proposent une indemnisation forfaitaire qui soit davantage personnalisée pour mieux tenir compte, par exemple, du préjudice professionnel.

Dans ce cadre, la semaine dernière, Xavier Bertrand et moi-même avons missionné la direction de la sécurité sociale pour qu'elle étudie, avec les partenaires sociaux et les associations de victimes, les possibilités de transposer ces dispositions, parmi lesquelles celles qui visent à une réparation « personnalisée et améliorée ».

Dans un autre domaine, il est proposé à l'article 5 de subordonner la décision d'octroi de ristourne sur les cotisations à l'avis du CHSCT.

Madame Demessine, je vous rappelle qu'aujourd'hui les ristournes sont accordées sur décision de la CRAM après avis du CHSCT, ou bien, à défaut, des délégués du personnel, et sur avis favorable des comités techniques où siègent les partenaires sociaux. L'implication de ces derniers nous paraît donc suffisante dans ce dispositif.

Mais les partenaires sociaux se saisiront prochainement d'autres sujets, à la suite de la conférence sur les conditions de travail.

Vous proposez une série de réformes afin, d'une part, d'étendre les compétences des CHSCT, de modifier leurs possibilités d'intervention et, d'autre part, de revoir les dispositifs d'alerte.

Or c'est justement le thème des prochaines négociations sociales que Xavier Bertrand a demandé aux partenaires sociaux de mettre en place à la suite de la conférence sur les conditions de travail du 4 octobre dernier. Un document d'orientation en ce sens leur a été adressé le 22 novembre dernier et une réponse sur l'ouverture prochaine de ces négociations est attendue, de leur part, à court terme.

Enfin, la proposition de loi aborde des sujets pour lesquels une procédure de réforme est actuellement en cours. Je pense à la médecine du travail et au FCAATA.

Madame Demessine, vous proposez une réforme d'envergure des services de santé au travail et du régime de l'aptitude. Or vous n'ignorez pas qu'une réforme de la médecine du travail a été engagée en 2002, qui a donné naissance aux services de santé au travail et a permis de moderniser les missions et les modes d'intervention des médecins du travail en les orientant davantage vers une culture de promotion de la santé en milieu de travail.

Tous les acteurs se sont mobilisés pour faire vivre cette réforme et je tiens à leur rendre un hommage particulier.

Les services de santé se sont ainsi engagés dans la voie de la pluridisciplinarité en s'élargissant aux intervenants en prévention des risques professionnels, les IPRP. D'ores et déjà, plus de 1 750 spécialistes ont été habilités, qu'ils soient ergonomes, ingénieurs sécurité, psychiatres, psychologues, toxicologues ou épidémiologistes.

Jusqu'à cette réforme, pour nombre d'entreprises, surtout les plus petites, la médecine du travail était assimilée à la seule visite médicale et aux cotisations annuelles. Avec la réforme, le médecin du travail peut aujourd'hui apporter aux entreprises et à leurs salariés une aide à l'évaluation des risques professionnels, à la formation et à l'information en matière de prévention.

Dans un contexte où la démographie médicale est particulièrement défavorable, il était donc important d'effectuer rapidement une première évaluation du dispositif issu de la réforme. Cette mission a été confiée à un groupe pluraliste composé de représentants de l'IGAS, de l'IGAENR, c'est-à-dire l'Inspection générale de l'administration de l'éducation nationale et de la recherche, et de deux professeurs de médecine du travail, les professeurs Conso et Frimat.

Le 5 novembre dernier, Xavier Bertrand et moi-même avons rendu public leur rapport.

Par ailleurs, d'autres réflexions ont été engagées : l'une sur l'aptitude, avec le rapport Gosselin, remis en janvier 2007, et l'autre sur la pluridisciplinarité, au sujet de laquelle un rapport d'audit a été transmis aux partenaires sociaux la semaine dernière.

Un grand nombre de propositions ont été formulées dans ces rapports. Le cabinet de Xavier Bertrand conduit actuellement une série de consultations avec les acteurs de la médecine du travail et les partenaires sociaux afin de faire des propositions d'orientation pour la poursuite de la réforme des services de santé d'ici à la fin du présent trimestre.

Xavier Bertrand s'est engagé à ce que ces propositions fassent l'objet d'une vaste concertation à l'occasion d'une seconde conférence sur les conditions de travail, au printemps prochain.

C'est dire si le problème de l'avenir de la médecine du travail, le rôle qu'on souhaite lui faire jouer au service de la prévention et de la protection des salariés, est étudié avec sérieux et avec le souci d'écouter chacun des acteurs.

Mais il ne faut pas préempter ces discussions en cours. De surcroît, madame Demessine, vous proposez une piste radicale consistant à étatiser la médecine du travail en créant une agence nationale de santé au travail. Or il n'est pas certain que la transformation des médecins du travail en agents publics leur permettrait d'agir avec plus d'efficacité dans les entreprises ; ce statut risquerait même de rompre le lien de confiance indispensable que le médecin doit établir à équidistance entre les salariés et l'employeur.

Mme Michelle Demessine s'exclame.

Debut de section - Permalien
Valérie Létard, secrétaire d'État

Par ailleurs, la création d'une agence ne saurait répondre, à elle seule, aux enjeux de la modernisation des services de santé au travail et de la définition de leurs missions et des moyens qui leur sont consacrés.

S'agissant du FCAATA, le Fonds de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante, Xavier Bertrand a installé hier matin un groupe de travail présidé par Jean Le Garrec et composé de quatre parlementaires - dont MM. Dériot et Vanlerenberghe pour le Sénat - et de représentants des employeurs, des syndicats, des associations de victimes, de la CNAMTS et de l'État.

Grâce, notamment, aux excellents rapports d'information de Gérard Dériot et de Jean-Pierre Godefroy, pour le Sénat, et de Jean Le Garrec et de Jean Lemière, pour l'Assemblée nationale, vous connaissez tous les dysfonctionnements du dispositif existant et les difficultés auxquelles se heurte son application.

Xavier Bertrand a donc demandé à ce groupe de travail d'élaborer des propositions de réforme du FCAATA, notamment dans le but de recentrer ce fonds sur les personnes ayant été réellement exposées à l'amiante.

La réforme proposée devra respecter trois principes : l'équité, la faisabilité - en particulier concernant les modes de preuve de l'exposition à l'amiante - et la soutenabilité financière de l'ensemble.

Par ailleurs, plusieurs de vos propositions, madame Demessine, méritent d'être davantage examinées. Je prendrai deux exemples.

Ainsi, vous proposez, à l'article 1er de votre proposition de loi, un changement du mode de financement du fonds de prévention des AT-MP. Une telle modification nécessiterait une consultation préalable des partenaires sociaux, puisqu'en triplant le budget de ce fonds vous modifieriez sensiblement la marge de manoeuvre de la branche AT-MP sur d'autres dépenses.

Debut de section - PermalienPhoto de Michelle Demessine

C'est cela, la prévention, madame la secrétaire d'État !

Debut de section - Permalien
Valérie Létard, secrétaire d'État

Il n'est pas dans mes intentions de rejeter d'emblée vos propositions, madame Demessine. Cependant, je considère qu'elles méritent d'être précisées et retravaillées.

Second exemple, à l'article 6, vous proposez de revoir la clé actuelle de répartition du coût des AT-MP entre les entreprises de travail temporaire et les entreprises qui recourent à leurs services, à savoir deux tiers pour les premières et un tiers pour les secondes, pour rendre égales les contributions des unes et des autres.

Là encore, une consultation des partenaires sociaux paraît souhaitable. Il n'est pas certain que la révision de cette clé de répartition soit la meilleure solution ; nous croyons davantage à des actions de coopération entre l'entreprise utilisatrice et l'entreprise de travail temporaire, à la formation et au suivi médical adapté des salariés en intérim.

C'est ce à quoi vise la charte de bonnes pratiques pour la prévention des risques professionnels, qui a été adoptée par l'ensemble des professionnels de l'intérim, des services et des métiers de l'emploi, le PRISME, en présence de Xavier Bertrand, le 28 novembre dernier.

Cette charte prévoit notamment une analyse approfondie des postes de travail avec les entreprises utilisatrices, la remise d'un livret d'accueil sécurité, mais aussi la formation et la sensibilisation des intérimaires, en mettant l'accent sur le rappel de certains de leurs droits essentiels, tels que le droit de retrait, lorsqu'ils font face à un danger grave et imminent pour leur vie ou leur santé.

Mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement a lancé plusieurs chantiers qui, tous, visent à l'amélioration de la santé et de la sécurité des salariés. Cela passe par des réformes en profondeur, qui doivent prendre le temps du dialogue et de la concertation.

Il ne nous paraît donc pas opportun que l'État vienne perturber les évolutions en cours par des initiatives unilatérales et non concertées. C'est pourquoi nous préférons ne pas retenir cette proposition de loi, tout en nourrissant notre réflexion de certains éléments qui la sous-tendent en vue des prochaines étapes de réforme dans le domaine de la santé et de la sécurité au travail.

Enfin, madame Demessine, je tiens encore une fois à saluer le travail important que vous-même et votre groupe avez accompli. Il nous a permis d'appréhender de manière très complète les différents aspects de ce vaste chantier qui nous attend dans les semaines et les mois qui viennent.

Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Marie Vanlerenberghe

Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, madame le rapporteur, mes chers collègues, nous comprenons fort bien l'émotion et les motivations qui ont conduit Mme Demessine et ses collègues à déposer cette proposition de loi. Mais les raisons du rejet décidé par la commission des affaires sociales nous apparaissent tout aussi clairement.

Comme l'a très bien fait remarquer Mme le rapporteur, notre excellente collègue Sylvie Desmarescaux, certaines des mesures portées par ce texte sont satisfaites. Tel est le cas, par exemple, de la suppression ou du conditionnement des exonérations de cotisations dans le champ de la branche AT-MP.

D'autres articles, tel celui qui tend à revenir sur le paritarisme de la branche AT-MP, semblent aller à l'encontre de ce qu'ont récemment décidé les partenaires sociaux dans leur accord du 28 février 2006 sur la gouvernance de cette branche.

Mais, surtout, la plupart des thèmes abordés au fil des articles de ce long texte font actuellement l'objet d'une concertation entre les partenaires sociaux. Et, en matière de santé au travail, il est bien évident que la priorité doit, autant que faire se peut, être donnée au dialogue social !

Il semble effectivement préférable de ne pas trancher dans la précipitation des questions aussi importantes que la traçabilité des maladies professionnelles, le droit de l'inaptitude, la question de la réparation intégrale ou forfaitaire des AT-MP ou encore la prévention des risques, dans laquelle prend place la réforme du droit des CHSCT.

Pour autant, le texte dont nous sommes aujourd'hui saisis a un immense mérite : il soulève une question fondamentale, celle de l'avenir du système AT-MP et, plus généralement, du droit de la santé au travail après le drame de l'amiante.

Votre proposition de loi, madame Demessine, s'appuie sur un exposé des motifs auquel je ne peux qu'adhérer. Même si, nous l'avons compris, l'objet du présent texte dépasse largement la seule question de l'amiante, son exposé des motifs, lui, reprend pour une large part les observations faites par la mission « amiante » de notre assemblée.

C'est pourquoi, dans la suite de mes développements, je me concentrerai surtout sur la question de l'amiante. C'est un sujet autour duquel se cristallise aujourd'hui tout le débat des réformes du droit de la santé au travail. D'ailleurs, nombre d'articles de votre proposition de loi, madame Demessine, lui sont spécifiquement consacrés.

Tout le monde le sait aujourd'hui, le drame de l'amiante aurait pu être évité. La dangerosité de l'amiante a été mise en évidence en 1906. Dans ces conditions, comme le faisaient remarquer nos corapporteurs de la mission « amiante », Gérard Dériot et Jean-Pierre Godefroy, il était impossible de se retrancher derrière les incertitudes des effets de l'amiante sur la santé : tout était connu. Néanmoins, le lobby de l'amiante a fait son oeuvre en parvenant à maintenir l'utilisation dans notre pays de ce matériau jusqu'en 1997, alors que la Grande-Bretagne avait adopté des mesures dès 1931 et les États-Unis dès 1946 !

Résultat ? À ce jour, en France, 35°000 personnes sont mortes d'une maladie de l'amiante entre 1965 et 1995. Et le pire est encore à venir : entre 50°000 et 100°000 décès sont encore attendus d'ici à 2025.

Mais il y a encore plus grave : comme l'a fait Mme Demessine dans l'exposé des motifs de sa proposition de loi, la mission « amiante » a, dans ses conclusions, souligné que, en dépit de l'interdiction de l'amiante en 1997, la question de l'amiante « résiduel », omniprésent dans les bâtiments construits dans les années soixante-dix et quatre-vingt, en particulier dans les établissements hospitaliers et les bâtiments scolaires et universitaires, n'était pas résolue.

D'importantes populations sont encore exposées à l'amiante. Il s'agit des professions de « second oeuvre » dans le bâtiment, des personnels de maintenance et d'entretien et, bien entendu, des ouvriers des chantiers de désamiantage.

Par ailleurs, la mission « amiante » avait, elle aussi, relevé que les mesures prises à partir de 1998, avec la création de la « préretraite amiante », financée par le Fonds de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante, le FCAATA, puis avec l'institution du Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante, le FIVA, n'avaient pas donné entièrement satisfaction.

Ce constat, nous le partageons pleinement. Nous espérons qu'il y aura un avant et un après amiante. Nous devons tirer toutes les leçons de cette catastrophe sans précédent.

C'est à ce stade que ma position diverge de celle des auteurs de la proposition de loi, ce qui n'a rien d'étonnant puisque, au sein de la mission « amiante », nos collègues du groupe CRC, aujourd'hui cosignataires du texte dont nous débattons, étaient les seuls à s'être abstenus, après avoir participé activement et intelligemment, je le souligne, à un travail collectif qui était consensuel.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Marie Vanlerenberghe

Ces observations, qui figurent dans les annexes du rapport, constituent aujourd'hui le substrat de la présente proposition de loi.

La mission « amiante » avait identifié plusieurs axes prioritaires de réforme des dispositifs existants.

Ainsi, plutôt que d'ouvrir le bénéfice de l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante, l'ACAATA, à des catégories déterminées de salariés, comme le prévoit l'article 47 de la proposition de loi, la mission a préconisé de compléter le système actuel d'accès à l'ACAATA par une voie d'accès individuelle qui permettrait aux salariés exposés à l'amiante, mais dont l'entreprise ne figure pas sur les listes du FCAATA, de bénéficier néanmoins de la préretraite.

Dans cette optique, afin d'identifier plus facilement les droits de chacun, des comités de site rassemblant l'ensemble des parties concernées pourraient mettre en commun les informations et témoignages dont ils disposent.

La mission propose également une revalorisation progressive de l'ACAATA.

Autre priorité identifiée par la mission amiante, la majoration de l'indemnisation versée par le FIVA, en accordant aux victimes le bénéfice attaché à la reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur. Il s'agirait de désengorger les tribunaux et de permettre au FIVA de consacrer ses moyens aux seuls recours subrogatoires. Mais qu'en est-il de ces recours, madame la secrétaire d'État ? Les fonds peuvent-ils les exercer et la jurisprudence le leur permet-elle ?

Un point, qui nous semblait aussi capital, est abordé par la proposition de loi, mais pas de manière frontale : il s'agit de la trop forte mutualisation des dépenses d'indemnisation.

La mission a proposé de mettre de l'ordre dans la mutualisation en définissant une clé de répartition des charges entre l'État et la sécurité sociale.

Nous proposions que 30 % des dépenses du FCAATA et du FIVA incombent à l'État, ce chiffre permettant de tenir compte de sa responsabilité en tant qu'employeur, mais aussi en tant que puissance publique, puisqu'il n'a pas su prendre en temps utile les mesures de prévention nécessaires.

Par ailleurs, nous pensons qu'il faut restreindre la mutualisation des dépenses d'indemnisation. La création, par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2005, d'une contribution à la charge des employeurs dont les salariés perçoivent l'ACAATA a déjà atténué cette mutualisation.

Mais nous estimons qu'il faut aller plus loin en individualisant davantage la tarification des accidents du travail et des maladies professionnelles.

La proposition de loi va dans ce sens lorsque son article 52 prévoit de déplafonner la contribution due par les entreprises ayant exposé leurs salariés à l'amiante.

Bien entendu, comme les auteurs de ce texte, la mission a aussi formulé une série de propositions visant à protéger les salariés ayant été exposés à l'amiante sans être malades ainsi que ceux qui sont encore exposés à ces produits.

La proposition de loi prévoit la périodicité annuelle de la visite médicale obligatoire pour tous. Nous n'y sommes pas défavorables, mais nous préconisions plus spécifiquement de renforcer le suivi médical postprofessionnel des anciens salariés de l'amiante afin de détecter plus précocement d'éventuelles pathologies qui lui seraient liées. Nous devons réaliser un important effort d'information en direction des salariés potentiellement concernés.

La mission allait beaucoup plus loin que la proposition de loi en direction des publics encore exposés. Elle proposait de procéder au recensement national des salariés des entreprises de désamiantage et des bâtiments amiantés, d'établir une liste nationale de tous les chantiers de désamiantage, de réduire les plages horaires journalières d'exposition des salariés concernés, de renforcer la qualification des agents chargés du diagnostic amiante, de renforcer les garanties pour les salariés du BTP travaillant sur les chantiers amiantifères ou encore d'interdire les fibres céramiques réfractaires. Certaines de ces propositions ont été prises en compte, mais il faut poursuivre l'effort.

Je le disais, l'amiante doit nous servir de leçon. Comme cela est précisé dans l'exposé des motifs de la proposition de loi de Mme Demessine, jamais un tel drame ne doit pouvoir se reproduire.

C'est pourquoi l'utilisation massive dans l'industrie des produits chimiques dits cancérigènes, mutagènes et reprotoxiques est des plus préoccupantes.

Une fois encore, la mission « amiante » avait envisagé la question en proposant l'institution d'une autorisation de mise sur le marché des produits chimiques, mais aussi des produits minéraux, organiques et biologiques, inspirée de la procédure en vigueur pour les médicaments et s'inscrivant dans le cadre du règlement européen REACH, qui vient d'être adopté.

Ainsi, nous souhaitons que les propositions de la mission « amiante » du Sénat soient prises en compte au plus vite. Elles seront susceptibles de s'insérer dans le cadre d'un droit de la santé au travail rénové en profondeur, auquel votre proposition de loi apporte une contribution intéressante, ma chère collègue.

Aussi, pour voir se dessiner les contours de cette rénovation structurelle, nous attendons avec impatience, madame la secrétaire d'État, l'avis du Conseil économique et social sur la médecine du travail et l'aboutissement, à l'issue du premier semestre de 2008, des négociations engagées entre partenaires sociaux, ainsi que les conclusions du groupe de travail sur l'ACAATA qui a été mis en place hier.

Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Godefroy

Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, madame le rapporteur, mes chers collègues, je voudrais tout d'abord remercier les membres du groupe CRC d'avoir produit cette proposition de loi très importante et de l'avoir fait inscrire à l'ordre du jour du Sénat. Mes félicitations iront également à notre rapporteur, ...

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Godefroy

...même si nous sommes en désaccord en partie sur le fond, notamment sur certaines des réponses apportées.

Les questions de la santé au travail et de la prévention des risques professionnels sont trop peu abordées par nos assemblées, en dehors du traditionnel examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale. Et, même dans le PLFSS, les dispositions ad hoc sont de plus en plus minimales, le plus souvent réduites ces dernières années à des mesures strictement financières ; cette année, l'application stricte de l'article 40 de la Constitution a même empêché le débat sur les amendements que nous avions déposés, ce qui est tout à fait dommageable.

Ce texte est donc le bienvenu, et je suis heureux qu'il nous permette d'aborder des sujets aussi importants que la prévention des risques, la médecine du travail, le régime des AT-MP et l'amiante. Sans entrer dans le détail des cinquante-trois articles, je dirai que nombre d'entre eux me paraissent très pertinents.

D'abord, en ce qui concerne la prévention des risques, les défis sont importants.

Aujourd'hui, on peut légitimement se demander si le travail, synonyme officiellement d'accomplissement de soi et d'intégration sociale, n'est pas en train de devenir synonyme de souffrance physique et psychique pour un nombre croissant de salariés.

Un sondage récent a montré qu'un peu plus de 25 % des travailleurs de l'Union européenne s'estiment exposés à des risques pour leur santé et leur sécurité. En France, en 2005, les inspecteurs du travail ont relevé près de 760 000 infractions, dont la majorité concernait la santé et la sécurité au travail. Environ 10 000 procès-verbaux ont été transmis au parquet, plus de 7 000 mises en demeure ont été signifiées, dont 96 % relatives à la santé et à la sécurité, et un peu plus de 4 000 arrêts de travaux ont été ordonnés.

Les chiffres des accidents du travail et des maladies professionnelles sont tout aussi révélateurs du défi auxquels nous devons faire face. Leur coût ne cesse de s'accroître, alors même que l'on sait que les AT-MP sont largement sous-déclarés, comme l'atteste d'ailleurs le reversement annuel de la branche AT-MP à la branche assurance maladie. La sous-déclaration atteint d'ailleurs des formes de sophistication très élaborées dans certaines entreprises, et même parfois recommandées, comme cela a pu être révélé par la presse. Nous avons eu l'occasion d'en débattre au moment de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2008 ; je n'y reviendrai donc pas.

Un drame tel que celui de l'amiante ne doit plus se reproduire. Le rapport produit en 2005 au nom de la mission commune d'information du Sénat sur le bilan et les conséquences de la contamination par l'amiante a permis, comme l'a rappelé son président, notre collègue Jean-Marie Vanlerenberghe, d'identifier les responsabilités et les lacunes de notre système de santé au travail.

Aujourd'hui, ce sont quantité d'autres produits qui doivent retenir notre attention. Les dangers sont connus, qu'il s'agisse de l'amiante résiduel, des produits de substitution tels que les fibres céramiques réfractaires, mais aussi des CMR, les cancérogènes, mutagènes reprotoxiques comme les éthers de glycols, des dioxines, des produits phytosanitaires, pour n'en citer que quelques-uns. Si l'on veut éviter de nouvelles catastrophes du type de l'amiante, il faut aller plus vite et ne pas laisser passer à nouveau quinze ans entre l'identification des risques et l'interdiction des produits dangereux.

À cet égard, le dispositif français d'expertise souffre incontestablement d'un manque de moyens, qu'il s'agisse de l'Agence française de sécurité sanitaire et du travail, l'AFSSET, de l'Institut national de veille sanitaire, l'INVS, du plan Santé au travail ou du plan national Santé-Environnement. C'est un sujet que j'ai d'ailleurs déjà abordé lors de l'examen des crédits de la mission « Travail et emploi » du projet de loi de finances pour 2008. Je n'y reviendrai donc pas non plus.

En ce qui concerne les dispositifs de prévention en vigueur dans les entreprises, je considère, comme nos collègues du groupe CRC, qu'il est particulièrement nécessaire de renforcer les moyens et les missions des comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail, les CHSCT.

À ce propos, je m'arrêterai un instant sur l'article 14 de la proposition de loi, qui comprend des dispositions relatives au regroupement des entreprises de moins de cinquante salariés pour créer un CHSCT. En effet, on sait aujourd'hui que c'est dans les petites et moyennes entreprises que l'effort doit être amplifié.

Je considère moi aussi qu'il est nécessaire de prévoir la constitution de CHSCT interentreprises, regroupant des entreprises soit situées sur un même bassin d'emploi ou une même zone d'activités, soit, et c'est encore mieux, relevant d'une même branche professionnelle, soit présentant des problématiques de sécurité identiques.

J'en viens à la médecine du travail, qui revêt aujourd'hui une importance primordiale : elle est l'institution clé pour la prévention des risques professionnels.

Or force est de constater qu'elle est bien mal en point aujourd'hui. Elle a notamment été la grande absente de la conférence nationale sur les conditions de travail organisée au mois d'octobre 2007. Pourtant, elle devrait être au coeur du dispositif.

Dans son dernier rapport, l'IGAS, dresse un bilan sévère de la réforme de 2004. On peut y lire que « le dispositif de santé au travail n'est pas en mesure de relever les défis à venir » qu'il s'agisse du suivi médical des travailleurs précaires, des risques à effet différés ou de l'intensification du travail.

Madame la secrétaire d'État, ce rapport, qui vous a été remis en octobre dernier par les professeurs Conso et Frimat, dresse un constat sévère des dysfonctionnements et des défaillances de la médecine du travail. La réforme de 2004 qui visait à renouer avec la prévention, n'a pas atteint son but du fait, entre autres, d'« une offre déconnectée des besoins, une procédure d'habilitation qui tourne à vide, un contrôle de l'État sans véritable point d'ancrage, un temps médical insuffisant pour faire face aux missions qui incombent aux services de santé au travail - les SST -, des praticiens mal formés... ».

Comme le précise ce rapport - et comme l'indiquait, en 2004, celui de M. Gosselin - les médecins du travail sont trop isolés et enfermés dans une logique d'aptitude à l'emploi, qui diffère d'une vraie logique de santé. La médecine du travail reste trop repliée sur une approche formelle axée sur les moyens plutôt que sur les résultats. Le maintien du régime d'aptitude limite les capacités d'évolution du dispositif de santé au travail vers une logique de prévention collective. De ce point de vue, les propositions de nos collègues me semblent réellement pertinentes.

Une réforme à la hauteur des enjeux actuels ne peut se concevoir sans la création d'un grand service public de la santé au travail. Il reste à déterminer sous quelle forme.

À ce titre, j'adhère aux propositions qui sont présentées dans le présent texte. Je regrette que Mme le rapporteur ne partage pas mon appréciation. Cela fait partie de nos points de désaccord.

Un service public permettrait de définir une politique globale de la santé au travail. Une agence nationale, créée sous la forme proposée par nos collègues, constituerait un outil pour en améliorer le pilotage, en confiant à un opérateur unique des missions et des moyens aujourd'hui éparpillés entre l'Agence française de sécurité sanitaire de l'environnement et du travail, l'AFSSET, l'Institut national de veille sanitaire, l'INVS, le plan Santé au travail, le PST, et le plan national Santé-Environnement, le PNSE.

Je crois sincèrement que, au moins dans sa forme actuelle, la gestion patronale des services de santé au travail a vécu et il me paraît nécessaire que les pouvoirs publics exercent un contrôle plus efficace.

La médecine du travail doit revoir son fonctionnement et, surtout, son mode de gouvernance, dans lequel les employeurs ont actuellement un pouvoir disproportionné.

Il ne s'agit pas de rompre complètement, loin s'en faut, le lien entre les services de santé au travail et les entreprises. Je considère toutefois que la gestion des services de santé au travail devrait être paritaire, car les représentants des salariés y ont selon moi toute leur place. À tout le moins, il me semble urgent d'assurer l'indépendance des médecins du travail et de clarifier leurs responsabilités par rapport à celles de l'employeur.

Puisque cette proposition de loi ne semble pas devoir aller plus loin que le débat d'aujourd'hui, nous attendrons avec impatience les propositions que feront les partenaires sociaux dans ce domaine et les conséquences qu'en tirera le Gouvernement.

Je dois avouer que je nourris quelques inquiétudes à ce sujet. C'est en effet ce gouvernement qui, dans la dernière loi de financement de la sécurité sociale, a fait voter la disposition contestable qui confie aux employeurs le contrôle médical des arrêts de travail normalement assuré par la sécurité sociale.

J'ai tenté de convaincre le Sénat de la dangerosité d'une telle mesure, en particulier lorsqu'elle s'applique aux accidentés du travail et victimes de maladies professionnelles. Il existe en effet un conflit d'intérêt pour l'employeur qui fait contrôler par un médecin qu'il rémunère la validité de l'arrêt de travail causé par un accident du travail ou une maladie professionnelle dont il est responsable !

Parmi les mesures proposées par nos collègues du groupe communiste républicain et citoyen, je souscris à la création, au sein du dossier médical personnel, le DMP, d'un volet spécifique dédié à la santé au travail. Le groupe socialiste avait soutenu cette disposition lors de l'examen de la réforme de 2004. Ce sujet devrait être intégré dans les travaux en cours de préfiguration du DMP.

Selon Mme le rapporteur, ce projet pose un problème de faisabilité. En fait, je crois bien que c'est l'ensemble du DMP qui pose un problème de faisabilité !

M. le président de la commission des affaires sociales sourit.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Godefroy

Dans ces conditions, intégrer cette proposition ne ferait pas perdre beaucoup plus de temps. La création de ce volet constituerait en outre une réelle garantie pour l'avenir des salariés et une information précieuse pour le médecin traitant.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Godefroy

En ce qui concerne le régime des AT-MP, tout le monde s'accorde, depuis plusieurs années, à reconnaître la nécessité d'une réforme de cette branche, du point de vue tant de sa gouvernance que de son financement. (M. le président de la commission des affaires sociales s'exclame.)

Comme le démontrait parfaitement Pierre-Louis Bras dans le rapport de l'IGAS rendu en 2004, le système de mutualisation sur lequel repose le financement de la banche AT-MP a vécu. La tarification actuelle est peu lisible, peu individualisée et peu réactive. Elle n'est pas incitative et n'encourage pas les efforts de prévention.

Aujourd'hui, si les modalités font encore débat, l'individualisation de la tarification est semble-t-il devenue consensuelle. Il est urgent de s'engager concrètement dans cette voie. Je suis quelque peu réservé sur certaines des propositions de nos collègues du groupe communiste républicain et citoyen, mais au moins elles existent et elles mériteraient d'être débattues.

Mme Michelle Demessine approuve.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Godefroy

D'autres mesures proposées dans le présent texte ont retenu mon attention. Ainsi en est-il de la réparation intégrale des AT-MP.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Godefroy

Sur ce sujet, je suis, si je puis dire, sur la même longueur d'onde que mes collègues du groupe CRC, même si j'ai bien conscience des contraintes financières qui s'imposent à nous dans ce domaine.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Godefroy

L'indemnisation forfaitaire personnalisée, qui a été évoquée et par Mme le rapporteur et par Mme la secrétaire d'État, mériterait une étude approfondie dont nous pourrions débattre.

Bien entendu, la réforme du régime des AT-MP ne pourra se faire sans les partenaires sociaux. Mais, comme j'ai déjà eu l'occasion de le rappeler, les deux accords conclus par ces mêmes partenaires sociaux en février 2006 et mars 2007 semblent loin de faire l'unanimité et comportent en fait bien peu d'avancées. Le Gouvernement a d'ailleurs renoncé à les transposer dans une loi, ce qui est compréhensible, en l'état. Donc, à un moment donné, le Gouvernement et le Parlement devront « prendre leurs responsabilités », pour employer une expression très à la mode.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Godefroy

Non, c'est en encouragement. En tout cas, si j'ai bien compris, ce n'était pas une menace dans la bouche du Gouvernement !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Godefroy

M. Jean-Pierre Godefroy. Pourquoi voudriez-vous que nous en fassions une menace ? Ce sont des encouragements auxquels vous ne pouvez, me semble-t-il, que souscrire !

Sourires

Debut de section - PermalienPhoto de Nicolas About

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Bien sûr !

Nouveaux sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Godefroy

Je suis également tout à fait favorable aux dispositions des articles 44 et 45 visant à exonérer les victimes d'AT-MP de l'application du forfait de un euro et des franchises médicales.

Madame la secrétaire d'État, mes collègues du groupe CRC comme moi-même et l'ensemble du groupe socialiste contestons vivement le choix de les assujettir à ces franchises. Ce faisant, et c'est un aspect fondamental, le Gouvernement nie leur statut de victimes !

Bien que Conseil constitutionnel n'ait pas fait droit à notre recours, nous continuons de penser que le traitement inégal des victimes est tout à fait anormal et qu'il mérite d'être reconsidéré. Je n'insisterai pas, mais, du fait des franchises, les victimes d'AT-MT ne pourront pas prétendre à la même indemnisation que les autres victimes : elles feront l'objet d'un traitement particulier, et défavorable.

Le dernier volet de mon intervention sera consacré à l'amiante.

C'est un sujet qui, vous le savez, me tient à coeur. Mme Demessine a évoqué la situation du nord de la France. Permettez-moi de penser à mes camarades des constructions navales et d'avoir une pensée particulière pour les habitants de Condé-sur-Noireau, village situé dans ce que l'on appelle désormais la « vallée de la mort » ! Imaginez la portée d'une telle appellation, tout cela à cause de l'amiante et de ses ravages, mais aussi à cause d'un manque de prévoyance. C'est un débat que nous avons déjà eu au sein de la mission commune d'information.

Au sujet de la cessation d'activité et de l'indemnisation des victimes de l'amiante, je rejoins la plupart des propositions formulées par nos collègues, propositions qui s'inscrivent d'ailleurs dans la droite ligne du rapport de la mission commune d'information ainsi que des amendements que mon groupe dépose à l'occasion de la discussion de tous les projets de loi de financement de la sécurité sociale, même si, cette année, pour les raisons que j'ai rappelées au début de mon propos, nous n'avons pas pu les étudier.

J'en viens au Fonds de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante, le FCAATA. Tout le monde s'accorde à reconnaître qu'il existe des dysfonctionnements dans le régime de la cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante, notamment en ce qui concerne la procédure d'inscription des établissements sur les listes ouvrant droit à l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante, l'ACAATA.

C'est pour cette raison que nous proposons de compléter le système actuel par une voie d'accès individuelle au FCAATA qui permettrait aux salariés exposés à l'amiante, mais dont l'entreprise ne figure pas sur les listes, de bénéficier néanmoins de la préretraite.

Nos collègues du groupe CRC proposent d'en confier la gestion aux caisses régionales d'assurance maladie, les CRAM. Pour ma part, je penche, comme M. Vanlerenberghe, pour la création de comités de sites afin d'identifier plus facilement les droits de chacun. Ces comités de site, qui rassembleraient l'ensemble des parties concernées - État, CRAM, employeurs, syndicats, médecins du travail - pourraient mettre en commun les informations et témoignages dont ils disposent.

C'est l'une des vingt-huit propositions de la mission commune d'information sur le bilan et les conséquences de la contamination par l'amiante.

Cette idée, et je m'exprime sous le contrôle du président de la mission, a été émise lors de notre déplacement à Cherbourg. Il s'agissait de permettre la reconstitution de carrière des personnes ayant fait le ménage dans les ateliers contaminés par l'amiante. Aujourd'hui, nombre d'entre elles ne peuvent faire valoir leurs droits faute de pouvoir reconstituer leur parcours professionnel, certaines entreprises ayant disparu. Le recours individuel et la reconstitution de carrière me paraissent donc indispensables. Les premières personnes à avoir « désamianter » les ateliers, ce sont les employés qui étaient chargés du ménage, mes chers collègues !

En ce qui concerne le Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante, le FIVA, je soutiens la proposition de nos collègues relative à la prescription trentenaire.

La loi de financement de la sécurité sociale pour 2001, qui a créé le FIVA, n'avait pas prévu de prescription pour les dossiers des victimes de l'amiante. C'est le conseil d'administration du FIVA, dont la composition originelle a été modifiée en cours de route par le gouvernement précédent, qui, par une délibération du 28 mars 2003, a voté une durée de prescription de quatre ans, en s'appuyant sur la durée de prescription des créances publiques.

Certes, le FIVA est un établissement public, mais, dans la mesure où sa fonction est de se substituer aux juridictions civiles pour réparer les dommages des victimes de l'amiante, il me semble logique d'appliquer au régime de la prescription les dispositions de l'article 2262 du code civil, lequel prévoit une prescription trentenaire pour toutes les actions en indemnisation.

Mme Michelle Demessine approuve.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Godefroy

L'adoption de cette durée de prescription aurait évité un encombrement accru du FIVA, fonds qui ne parvient déjà pas à respecter les délais de traitement des dossiers que lui imposent les textes.

Il en résulte une profonde injustice pour les victimes isolées qui n'ont pas encore engagé de démarches, mais aussi pour celles qui sont déjà indemnisées mais qui seraient fondées à demander un complément d'indemnisation. Plus de 4 000 dossiers sont recensés en France.

Je souhaite donc que le Gouvernement envisage sérieusement de faire évoluer le délai de prescription actuel. Aujourd'hui, il faut plus de quatre ans pour faire valoir ses droits, ne serait-ce que pour reconstituer sa carrière.

En ce qui concerne le financement des dépenses d'indemnisation, nos collègues n'ont pas repris la proposition de la mission commune d'information relative à la définition d'une clé de répartition des charges entre l'État et la sécurité sociale. Dans la mesure où je n'ai pas pu évoquer ce sujet lors de la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale puisque l'on m'a opposé l'article 40, vous me permettrez de m'y attarder un instant.

Sourires

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Godefroy

Nous considérons que 30 % des dépenses du FCAATA et du FIVA devraient incomber à l'État. Ce niveau permettrait de tenir compte de la responsabilité de l'État en tant qu'employeur, mais aussi en tant que puissance publique qui n'a pas su prendre, en temps utile, les mesures de prévention nécessaires. C'est l'une des recommandations de la mission commune d'information.

Je regrette que, depuis la parution des rapports du Sénat et de l'Assemblée nationale, le Gouvernement n'ait concrétisé quasiment aucune des propositions qui ont été faites par le Parlement.

Comme vous l'avez indiqué, madame le rapporteur, « le dossier amiante continue de poser de redoutables problèmes d'efficacité, d'équité et de financement auxquels il faut trouver des solutions ». Pourtant, vous rejetez vous aussi les propositions faites par nos collègues, alors même que vous les estimez intéressantes...

Madame la secrétaire d'État, j'espère que le débat qui s'est engagé aujourd'hui se poursuivra sous une autre forme et aboutira, à moyen terme, à une refonte globale de notre système de santé au travail. Je souhaite qu'un projet de loi aussi ample que le présent texte soit déposé rapidement, après consultation des partenaires sociaux. Il serait dommage que la proposition de loi qui nous est soumise ne trouve pas, dans quelque temps, une traduction gouvernementale aussi complète que possible.

Pour toutes ces raisons, madame le rapporteur, en dépit de la qualité de votre rapport, nous voterons bien évidemment contre vos conclusions négatives.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.

Debut de section - PermalienPhoto de Isabelle Debré

Madame la présidente, madame le secrétaire d'État, madame le rapporteur, mes chers collègues, je tiens tout d'abord à saluer sincèrement l'ampleur du travail accompli par nos collègues du groupe CRC, travail qui dégage certaines pistes de réflexion intéressantes sur un sujet particulièrement important et complexe.

Debut de section - PermalienPhoto de Isabelle Debré

Mes propos sont très sincères !

Je ne reviendrai pas sur l'ensemble du dispositif prévu dans la proposition de loi. Certaines suggestions me semblent intéressantes et pourraient permettre des avancées pour la protection de la santé des salariés. Toutefois, à l'image du rapporteur, notre excellente collègue Sylvie Desmarescaux, je soulignerai que le Gouvernement et les partenaires sociaux élaborent en ce moment même leurs propositions. Il est donc souhaitable d'attendre leurs conclusions.

L'exposé des motifs de la proposition de loi relève à diverses reprises l'inaction du Gouvernement ou l'absence de projet de ce dernier. Je m'attacherai à démontrer que ce constat est injustifié et que de nombreuses réformes sont en cours.

Premier point : la médecine du travail. Comme l'a indiqué Mme le rapporteur, le drame de l'amiante a mis sur la place publique les lacunes, pressenties depuis longtemps, du système de santé au travail. La médecine du travail est archaïque et doit donc être revue en profondeur.

Le récent rapport des professeurs Françoise Conso et Paul Frimat montre la forte implication de l'État et dresse un bilan des réformes intervenues dans la foulée de l'accord interprofessionnel de décembre 2000, de la loi de modernisation sociale de 2002 et de la loi relative à la politique de santé publique de 2004. Ainsi, nous sommes passés d'une logique de réparation à une logique de prévention.

Cependant, le rapport dresse un tableau assez noir de la médecine du travail. Le nombre de maladies professionnelles continue d'augmenter. L'image de la profession de médecin du travail est ternie et le nombre de postes diminue. La procédure d'aptitude voit son utilité préventive contestée en raison de son décalage lié aux transformations de notre système de travail. La réforme de l'inaptitude est également nécessaire.

Le gouvernement actuel souhaite donner une impulsion nouvelle. Le rapport, ainsi que celui dont a été chargé M. Hervé Gosselin sur les procédures de prévention des inaptitudes, ouvre de nombreuses pistes quant aux réformes à adopter.

Madame le secrétaire d'État, vous avez annoncé que la modernisation des services de santé au travail serait poursuivie sur la base de ces rapports d'évaluation. Le 4 octobre dernier, avec votre collègue Xavier Bertrand, vous avez présidé une conférence tripartite sur les conditions de travail animée par notre collègue Gérard Larcher. Différents points relatifs à la prévention ont ainsi été soumis à la négociation des partenaires sociaux. Un avis du Conseil économique et social est attendu d'ici à la fin février.

La proposition de loi comporte des dispositions intéressantes, concernant notamment la coordination des services de santé au travail ou la définition des missions de ces services. Néanmoins, dans le contexte que je viens de décrire, il ne me semble pas souhaitable d'anticiper les décisions qui seront prises.

Deuxième point : la prévention des risques. Le précédent gouvernement avait déjà affirmé sa volonté de faire de la lutte contre les risques professionnels une priorité. En février 2005, notre collègue Gérard Larcher, alors ministre délégué aux relations du travail, lançait le plan « Santé au travail », qui couvre la période 2005-2009 et comprend vingt-trois mesures s'articulant autour de quatre objectifs : développer les connaissances des dangers, des risques et des expositions en milieu professionnel ; renforcer l'effectivité du contrôle ; refonder les instances de concertation du pilotage de la santé au travail ; encourager les entreprises à être acteur de la santé au travail. C'est en effet sur le terrain, au quotidien et dans les entreprises, que les risques professionnels peuvent reculer.

La mise en oeuvre de ce travail ambitieux est poursuivie.

De plus, les partenaires sociaux sont saisis de ces questions, conformément aux objectifs fixés par la conférence tripartite sur les conditions de travail que je viens d'évoquer.

Il s'agit de promouvoir le rôle des comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail, dont il est nécessaire d'améliorer le fonctionnement et de moderniser les capacités d'expertise. En effet, le domaine de la santé et de la sécurité au travail se complexifie considérablement depuis quelques années en raison des évolutions liées à l'organisation du travail, aux changements technologiques, aux risques à effet différé, ou encore à l'identification de risques nouveaux tels les risques psychosociaux. Seront ainsi examinées les questions comme la durée du mandat des membres du comité, leur formation, la simplification de l'exercice de leurs missions.

Par ailleurs, les modalités d'alerte sur les conditions de travail seront redéfinies dans le cadre de la conférence tripartite, afin qu'un dispositif d'alerte soit accessible quelle que soit la taille de l'entreprise, notamment lorsque cette dernière n'a pas de représentation du personnel.

Enfin, les travaux du Grenelle de l'environnement devront également être pris en compte.

On le constate donc, les partenaires sociaux travaillent déjà sur les questions posées dans la proposition de loi. Aussi, je rejoins les conclusions du rapporteur, qui recommande de laisser ces négociations...

Debut de section - PermalienPhoto de Isabelle Debré

... aboutir.

Troisième point : le régime des accidents du travail et des maladies professionnelles. Le rapport de la commission indique qu'en 2006 le nombre des accidents du travail avec arrêt - plus de 700 000 - a augmenté de 0, 2 % par rapport à 2005. Il se stabilise, après avoir été divisé par deux en vingt ans. Il est néanmoins nécessaire d'améliorer une situation qui reste inacceptable.

Pour faire respecter la réglementation, un renforcement des moyens de l'inspection du travail est indispensable. Pour ce faire, le Gouvernement a lancé un plan de développement et de modernisation de l'inspection du travail qui s'est traduit par 180 recrutements en 2007 ; 170 autres sont programmés en 2008. Dans le cadre de ce plan sont prévues des actions de sensibilisation, puis des campagnes de contrôle.

Les travaux de la conférence tripartite visent également à sensibiliser les entreprises à une évaluation a priori des risques et à améliorer la formation des représentants des salariés ainsi que le travail en réseau des différents acteurs de la prévention.

La proposition de loi traite de la gouvernance et des ressources de la branche accidents du travail, et modifie les modalités de la réparation, posant notamment le principe d'une réparation intégrale des accidents du travail et des maladies professionnelles. Sur ces sujets complexes, on doit à mon avis laisser le processus de négociation se poursuivre également.

Dernier point, et non le moindre : le dossier de l'amiante.

Il existe une réglementation détaillée visant à assurer la protection des travailleurs susceptibles d'être exposés à l'amiante. Dans le cadre du plan « Santé au travail », des campagnes de contrôle ciblées ont été réalisées sur les chantiers de désamiantage. En 2006, ces contrôles ont révélé des anomalies sur 76 % des chantiers. Les campagnes successives ont permis de mesurer les progrès de l'application de la réglementation. Les agents de contrôle ont appliqué les instructions du ministre : ils ont systématisé les sanctions en cas d'entorse à la réglementation et ont renforcé leur niveau d'exigence. La situation s'est améliorée. Par exemple, des progrès ont été constatés en matière de protection respiratoire : le choix des équipements est désormais adapté au risque dans 93 % des cas pour les chantiers de retrait de canalisation.

Ces résultats encourageants montrent que les vigoureuses campagnes de contrôles organisées depuis 2004 ont permis une réelle prise de conscience.

Il faut bien évidemment poursuivre ces actions, et les mesures de prévention envisagées dans la proposition de loi pourraient utilement compléter le dispositif existant. Je pense notamment à la possibilité qui serait donnée à l'inspecteur du travail d'interrompre un chantier en cas d'absence de communication des dossiers techniques, ou à la limitation du rythme des interventions sur les sites de désamiantage.

Debut de section - PermalienPhoto de Isabelle Debré

En revanche, les mesures proposées au sujet du régime de cessation anticipée d'activité des salariés de l'amiante demandent une expertise ou ne sont pas toutes appropriées ; l'une d'elles a été écartée lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2008.

Il est sage d'attendre les conclusions du groupe de travail qui vient d'être mis en place en vue de la réforme du dispositif et dont les propositions pourront être intégrées dans le prochain PLFSS.

Je soulignerai en conclusion que, sur l'ensemble des thèmes évoqués, il paraît plus prudent et plus cohérent de ne pas entraver le processus en cours en légiférant trop tôt. Nous pourrons profiter du travail approfondi du groupe communiste républicain et citoyen pour préparer le débat que nous serons appelés à mener dans quelques mois.

C'est pourquoi le groupe UMP, tout en saluant sincèrement la qualité du travail accompli, approuve le rejet du texte par la commission.

Applaudissements sur les travées de l'UMP, ainsi que sur quelques travées de l'UC-UDF.

Debut de section - PermalienPhoto de Michèle André

Mme la présidente. Mes chers collègues, je vais maintenant laisser le fauteuil de la présidence à mon collègue Adrien Gouteyron afin de pouvoir assister dans les salons Boffrand à la réception donnée en l'honneur de Mme Marcelle Devaud, qui fête ses cent ans. Elle fut la première des très rares femmes qui ont assuré la vice-présidence de notre assemblée lorsque celle-ci s'appelait encore Conseil de la République.

Applaudissements

Debut de section - PermalienPhoto de Michèle André

Je la saluerai en votre nom et ne manquerai pas de souligner que, cet après-midi, une femme siégeait au banc du Gouvernement, une autre était rapporteur, une autre encore était sur le point d'intervenir, et que nombreuses étaient les femmes présentes en séance.

Debut de section - PermalienPhoto de Adrien Gouteyron

M. Adrien Gouteyron. N'oubliez pas les hommes !

Sourires

Debut de section - PermalienPhoto de Michèle André

Pour autant, je ne manquerai pas de la saluer aussi au nom des hommes de notre assemblée !

Debut de section - PermalienPhoto de Nicolas About

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Laissez-les vivre !

Sourires

Nouveaux sourires.

M. Adrien Gouteyron remplace Mme Michèle André au fauteuil de la présidence.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Christine Blandin

Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, je commencerai par souligner une autre particularité de ce débat. Si l'auteur de la proposition de loi est une femme, le rapporteur une femme, le secrétaire d'État siégeant au banc du Gouvernement une femme, elles ont également en commun, ainsi que deux intervenants dans la discussion générale de ce texte, d'être du Nord-Pas-de-Calais, où l'expérience en matière de contamination est, hélas ! partagée.

La proposition de loi dont nous débattons a le mérite de nous mobiliser sur un ensemble de droits acquis essentiels pour la santé publique, en particulier pour celle des travailleurs, mais aussi de nous rappeler qu'en novembre 2007, à l'occasion de la refonte du code du travail, ces droits ont subi une importante érosion sous ordonnance.

Chacun s'accordait sur la nécessité d'une simplification qui aurait conservé l'esprit qui prévalait jusqu'alors et faisait du code du travail un instrument au service du droit et de la justice, au service des salariés et de leur protection.

Dans un jeu de kaléidoscope, le code du travail a été récrit et la protection des salariés s'est mutée en responsabilité partagée. Vivrions-nous dans un monde idéal dépourvu d'employeurs indélicats ? Le terme de « patrons voyous » a pourtant été forgé par la majorité, et non par de dangereux gauchistes !

Dans un contexte de « dialogue social » qui retarde le contrat durable et facilite le licenciement, ce n'est vraiment pas le moment d'exonérer les employeurs de leur responsabilité !

Si le port d'un casque sur un chantier ou d'un masque dans une scierie ne se discute pas, le confinement étouffant d'un scaphandre de désamianteur exige des pauses sanitaires rémunérées. Un simple exemple : dans le cadre de la mission commune d'information sur le bilan et les conséquences de la contamination par l'amiante, nous avons interrogé le directeur santé-sécurité de l'entreprise Arcelor sur l'éradication de l'amiante dans les usines du Brésil. La réponse, malgré tout ce que l'on sait, fut : « Non, car là-bas ce n'est pas obligatoire ».

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Christine Blandin

C'est donc la loi, ses décrets, et le contrôle de son application qui sont garants de la protection et non pas la « responsabilité partagée ».

Un recours a été déposé devant le Conseil constitutionnel sur la forme - le Gouvernement a agi par ordonnance - et sur le fond, en raison de nouveaux articles permissifs.

Une disposition prévoit que « les instructions de l'employeur précisent les conditions d'utilisation des équipements de travail des moyens de protection, des substances et préparations dangereuses » ; mais un alinéa 2 ajoute que cette disposition échappe au principe de responsabilité de l'employeur.

Il faut savoir, par exemple, que des seuils qui s'imposent pour les produits fabriqués - 0, 5 % pour certains éthers de glycol - ne s'appliquent pas pour les travailleurs si la substance est manipulée dans le cadre d'un process de fabrication et ne sort pas de l'entreprise.

Le temps minimal dévolu à la prévention sur les lieux de travail est laissé à l'appréciation et est fonction des disponibilités : il y aura désormais une visite médicale tous les deux ans au lieu d'une par an. Le temps minimal par salarié dont disposait le médecin du travail a disparu. En revanche, le médecin du travail se voit confier un secteur.

Les modalités de la mise en demeure faite par un inspecteur du travail, en cas de constatation d'un danger grave et imminent, sont renvoyées à la parution d'un décret.

Les modalités d'étiquetage des substances dangereuses sont également renvoyées à un décret. Pour la mise sur le marché et l'utilisation des substances et des préparations dangereuses, le nouveau texte ne précise plus que les décrets d'application « peuvent prévoir les modalités d'indemnisation des travailleurs atteints d'affections causées par ces produits ».

De toute façon, les employeurs peu vertueux et récidivistes voient les dispositions dissuasives de doublement des sanctions disparaître du nouveau code.

Tout cet environnement plaide en faveur des propositions du groupe CRC.

Et pourtant, la France n'est pas au sommet de l'exigence.

Quand elle transpose l'annexe 1 de la Directive européenne « cancérogènes et mutagènes », elle ne retient pas certaines filières reconnues par le Centre international de recherches sur le cancer, dont - excusez du peu - les fonderies de fer et d'acier, les métiers de la peinture, l'industrie du caoutchouc !

La santé au travail, déjà mise à mal, devient alors peau de chagrin.

Que sont devenues les propositions du rapport Conso et Frimat en vue de moderniser le dispositif de santé au travail pour mieux prévenir les risques ?

Comment sera anticipé le départ à la retraite d'ici à cinq ans de 1 700 médecins du travail, alors que seuls 370 auront été qualifiés à la même période ?

Quelle formation aujourd'hui et demain pour faire face aux nouvelles connaissances - contaminations et faibles doses - et aux transformations du système productif qui amènent stress et souffrance ? On compte les morts accidentelles et les morts par désespoir.

La proposition de loi nous sort d'une logique purement administrative et comptable qui obère toute chance de refonte d'une médecine préventive du XXIe siècle.

Simultanément, le Président de la République vante la précaution à l'occasion du Grenelle de l'environnement. Il déclare : « Nous allons créer un droit à la transparence totale dans l'information environnementale et de l'expertise ».

Il évoque « un principe de vigilance et de transparence », « un principe de responsabilité », et il dit ceci : « Nos décisions ne doivent pas dégrader la situation des plus démunis. Au contraire, ils doivent en être les premiers bénéficiaires ».

Est-ce pour cela que soixante-trois tribunaux de prud'hommes sont voués à la disparition ?

Est-ce pour cela que la commission des affaires sociales du Sénat a renoncé à la proposition de loi de Mme Demessine, ...

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Christine Blandin

...renvoyant certes à un groupe de travail ?

En la matière, le travail a été fait longuement, scrupuleusement : je pense aux rapports de l'Assemblée nationale et du Sénat sur l'amiante et aux soixante-dix auditions. Ces dernières ont révélé un scandale total, une faillite éthique, des négligences impardonnables, ...

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Christine Blandin

...et l'amiante n'est que la partie émergée de l'iceberg : triste privilège d'une fibre qui signe son méfait, contrairement à nombre de cancérogènes.

Les conclusions et les propositions apportées rencontrent les attentes de milliers de victimes et de familles endeuillées.

Collectivement, nous avons dit : « Plus jamais ça ». Humblement, certains ont ajouté : « Nous avons avancé à la mesure de ce que nous savions ».

Nous avons exploré tous les mécanismes de la connaissance et de la décision, constaté la nécessité absolue d'indépendance et de moyens accrus pour la médecine et l'inspection du travail.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Christine Blandin

Ce n'est pas quand il y a mise en examen « pour mise en danger de la vie d'autrui » qu'il faut réagir et mettre à la retraite anticipée ce médecin du travail de Condé-sur-Noireau, par ailleurs membre du Fonds de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante, le FCAATA. C'est avant, si la mission est défaillante ou sous influence.

L'indemnisation du nombre croissant de victimes par le Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante, le FIVA, et les contentieux en justice nécessitent, contrairement à l'évolution des textes, une responsabilisation claire des employeurs.

Je rappelle que le principal employeur poursuivi à ce jour et condamné à maintes reprises par les juridictions de sécurité sociale de Brest, Toulon, Cherbourg, n'est autre que le ministère de la défense. Que pensent les ouvriers amiantés de la construction navale des autorités françaises qui ont proposé un désamiantage du Clemenceau en Inde ?

Travailler à la réparation, évaluer son coût humain et financier devraient nous obliger à d'autres choix. Les bons choix d'aujourd'hui seront la réduction des déficits publics de demain. Quand on nous dit que les caisses sont vides, nous faisons appel au bon sens de la ménagère et à l'intelligence des sciences de la précaution : il faut revitaliser en urgence les filières de formation des écotoxicologues et des épidémiologistes qui nous manquent tant ; sinon, avec qui, demain, la France assumera-t-elle sa part d'évaluation selon les nouvelles règles de la directive REACH applicables au 1er janvier 2008 ?

La santé des populations mérite une architecture nouvelle, celle d'un ministère de la santé qui ne se limite pas aux soins et rétablit sa vocation première de protection, de prévention, de précaution.

En matière de prévention, nous n'avons pas été au rendez-vous puisque ce sont des milliers de personnes qui demandent légitimement réparation pour contamination, les uns par l'amiante, les autres par le plomb, les métaux lourds, dans un contexte de grand sous-équipement des pôles juridiques de santé publique.

L'édifice n'est pas satisfaisant ; nous ne savons pas anticiper.

Je prendrai trois exemples.

S'agissant des nanomatériaux, 700 sont déjà en circulation, et les préventions sanitaires sont inexistantes. La transparence meurt sous le secret industriel.

Les éthers de glycol, certes bien différents les uns des autres, gardent dans leurs rangs des suspects pouvant être substitués.

Quant aux fibres céramiques réfractaires, alors qu'elles sont déjà dénoncées par ceux qui les manipulent comme par certains toxicologues, le professeur Brochard a déclaré ceci devant nous : « Le recul n'est que de trente ans, il faut au moins cinquante ans pour évaluer l'effet sur la population ». Cinquante ans et combien de victimes ?

Nous devons, pour sortir de l'impasse, prendre pleinement la mesure des dangers et des risques.

Nous devons passer de la prévention à la précaution. Ainsi, nous ne devons plus attendre qu'un danger soit prouvé, avec son cortège de drames humains, pour prendre des mesures. Il s'agit parfois simplement de veiller à tenir à l'écart des cibles particulières ou de passer de la notion de protection de la « femme enceinte » à celle de protection de la « femme en âge de procréer », au contact des substances reprotoxiques ou mutagènes.

Notre démocratie se doit de donner aux lanceurs d'alerte, qu'ils soient experts, scientifiques, chercheurs, victimes, ouvriers ou simples citoyens mobilisés sur l'intérêt commun, des espaces pour se faire entendre, et leur assurer la protection quand ils sont menacés.

Combien, hier taxés d'oiseaux de mauvais augure, voient leur diagnostic se confirmer et combien, attentifs à la juste précaution du doute, ont vu leur vie professionnelle basculer, frappés par l'ostracisme, l'interdiction d'exercer ou de s'exprimer, ou simplement la fin de leurs financements ? C'est un inspecteur du travail qui dénonçait déjà l'amiante en 1906. Un statut doit protéger ces lanceurs d'alerte.

Nous pouvons aussi faire preuve d'écoute et d'humilité devant les connaissances accumulées par les travailleurs exposés aux métaux lourds, aux solvants. Ils sont trop souvent réduits au silence par le chantage à l'emploi un temps, puis licenciés, malades, sans perspective de reclassement : qui embaucherait un ancien salarié d'Alstom privé de son certificat d'exposition à l'amiante ? Quel employeur prendrait ce risque ? Le tribunal des prud'hommes de Lannoy devra statuer en février après trois ans de procédures, simplement pour faire appliquer la loi.

En attendant, les itinéraires de vie, les drames sont autant de leçons dans les méandres administratifs, sanitaires et judiciaires. Ce sont les anciens salariés d'Alstom qui alertent les pouvoirs publics sur l'utilisation des chaudières collectives Dravo qu'ils ont construites : elles sont tapissées d'amiante et elles sont présentes encore aujourd'hui dans de nombreuses salles de sports et de nombreux lieux collectifs.

M. Douste-Blazy, interpellé par moi-même ici sur ce risque sanitaire majeur, notamment pour les enfants, avait répondu qu'il n'était pas favorable à ce que l'on attire l'attention sur un équipement particulier, et que cette tâche incombait aux propriétaires. Ce sont les veuves de l'amiante qui organisent aujourd'hui bénévolement l'accompagnement administratif, sanitaire et psychologique des victimes. Ce sont elles qui nous alertent sur l'utilisation pernicieuse de la loi Fauchon.

Associer plus systématiquement l'expertise d'usage des salariés, donner des formations et des moyens aux CHSCT, créer des unités santé-environnement en lien avec la sphère hospitalière et en son sein, décentraliser l'expertise, la veille environnementale et sanitaire en créant des agences régionales de la santé environnementale et professionnelle, sont des pistes nécessaires pour que la santé au travail s'inscrive dans un cadre solide.

C'est aujourd'hui qu'il faut sortir de la frilosité de nos prédécesseurs qui n'ont pas su donner à l'AFSSET les moyens et le cadre réglementaire à la hauteur de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments, l'AFSSA.

Pour toutes ces raisons, pour que l'on ne protège pas plus les marchandises que les hommes au travail, les sénateurs Verts pensent qu'un texte inspiré des réflexions de Mme Demessine doit être discuté sans tarder.

Si nous attendons les travaux des partenaires sociaux, évoqués par Mme Desmarescaux et Mme la secrétaire d'État, le texte ne devra pas se contenter de charpenter à nouveau une protection fragilisée de la santé au travail ; il devra tirer toutes les conséquences des drames passés et nous donner les moyens de passer d'une surveillance insuffisante à une véritable précaution.

J'ajouterai en conclusion, devant cette assemblée prompte à s'émouvoir de dépenses en perspective, que la précaution est affaire de confort humain mais aussi d'économies budgétaires.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.

Debut de section - Permalien
Valérie Létard, secrétaire d'État

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, pour conclure ce débat sur la proposition de loi présentée par Mme Michelle Demessine, je répondrai aux différents orateurs qui se sont exprimés.

Monsieur Vanlerenberghe, la loi donne au FIVA la possibilité d'engager des recours pour faute inexcusable, mais, faute de moyens suffisants en personnels, il n'a pu jusqu'à ce jour faire usage de ce droit.

Conscient de ce problème, le Gouvernement a décidé de renforcer significativement les moyens du fonds, pour lui permettre d'engager un recours chaque fois que la victime y a intérêt : 7 postes ont ainsi été créés en 2007, et 5 autres le seront en 2008, ce qui portera l'effectif du FIVA à près de 60 personnes.

Sur les contrôles de chantier de désamiantage, comme vous le savez, en 2005 et en 2006 ont été organisées des campagnes de contrôles sur tous les chantiers de retrait d'amiante et de démolition. Celles-ci ont été marquées par une forte mobilisation des agents : en 2006, 936 chantiers ont ainsi été contrôlés.

Pour 2008, nous avons veillé à ce que toutes les directions régionales du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle inscrivent dans leurs budgets opérationnels des actions sur l'amiante mettant l'accent sur le contrôle non seulement des opérations de retrait et de confinement de l'amiante mais aussi des activités et des matériaux susceptibles d'émettre des fibres d'amiante.

Debut de section - Permalien
Valérie Létard, secrétaire d'État

Au sujet de la réforme du FCAATA, vous êtes favorable au fait de compléter le système actuel d'accès à ce fonds par une voie individuelle.

Comme j'ai pu le dire précédemment, le groupe de travail sur la réforme du FCAATA a pour mission de proposer un nouveau dispositif qui soit davantage centré sur les individus ayant été exposés à l'amiante.

Une question se pose : pourra-t-on cumuler un système d'inscription par liste avec un système individuel ? C'est à ce groupe de travail, dont vous êtes membre, qu'il appartiendra d'y répondre, en veillant à garantir l'équité, la faisabilité technique et administrative et la soutenabilité financière de l'ensemble du nouveau dispositif.

S'agissant du suivi post-professionnel des personnes ayant été exposées à l'amiante, la Haute Autorité de santé travaille actuellement à l'élaboration des référentiels en matière de suivi post-exposition.

Monsieur Godefroy, à propos de la sous-déclaration des accidents du travail et des maladies professionnelles, il ne faut pas confondre deux phénomènes distincts.

Il s'agit, d'une part, de la sous-déclaration par un certain nombre de professionnels de santé, en raison d'une méconnaissance des risques professionnels auxquels ont pu être exposés leurs patients. Songez que seulement huit heures d'enseignement sont consacrées à la médecine du travail dans le troisième cycle des internes en médecine générale ! Il importera donc de remédier à cet état de fait.

Il s'agit, d'autre part, du fait que certaines entreprises ne déclareraient pas une partie des accidents du travail subis par leurs salariés. Le Gouvernement est déterminé à sanctionner de telles pratiques, qui sont véritablement inacceptables. Vous-même avez fait implicitement référence à une grande entreprise du secteur de l'automobile. Vous le savez, l'inspection du travail a rendu un rapport à ce sujet ; l'instruction se poursuit.

Vous avez également évoqué les CHSCT de site. Il convient, à mon sens, de laisser les partenaires sociaux nous faire des propositions puisqu'ils doivent négocier sur les moyens d'améliorer l'intervention des CHSCT et de mettre en place, dans les très petites entreprises et dans les petites et moyennes entreprises, le cadre approprié d'un dialogue social sur les conditions de travail.

Quant aux médecins du travail, qui seraient, selon vous, trop « enfermés », le but de la pluridisciplinarité est justement d'enrichir le travail du médecin en lui permettant de recourir à des compétences techniques diverses, notamment celles des IPRP, les intervenants en prévention des risques professionnels. Il faut donc poursuivre dans cette voie.

En ce qui concerne le FIVA, il est inexact d'affirmer que l'indemnisation versée est soumise à une reconstitution de carrière. Le fonds propose en effet des indemnisations à toutes les victimes de l'amiante, y compris à celles dont l'origine de la maladie est environnementale, ainsi qu'à leurs ayants droit.

À propos des services de santé au travail, je partage votre point de vue, car il faudrait améliorer le contrôle social en leur sein. Nous avons d'ailleurs entamé une réflexion sur ce point.

Madame Debré, vous avez insisté sur la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles.

Il importe non pas seulement de contrôler le respect de la réglementation par nos services d'inspection, mais de développer surtout une véritable culture de la prévention auprès de toutes les entreprises, au premier rang desquelles les plus petites.

Pour ce faire, il faut coordonner l'action de tous les « préventeurs » : les services de santé au travail, les CRAM, l'ANACT, l'Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail, ainsi que son réseau régional, et les OPPBTP, les organismes professionnels de prévention du bâtiment et des travaux publics.

Madame Blandin, les propositions du rapport Conso-Frimat sont actuellement étudiées et font l'objet d'une concertation avec tous les partenaires sociaux et les acteurs des services de santé.

Parmi les solutions qui permettraient de résoudre le problème de démographie médicale chez les médecins du travail, il faut certainement augmenter, par étapes, leur quota. En attendant, il convient sans doute de rétablir les passerelles en faveur des médecins généralistes désireux de changer de voie à la suite d'une formation technique et pratique.

Vous avez en particulier fait allusion à des dispositions légales sur les risques chimiques, qui auraient disparu du code du travail. Vous le savez, ce dernier a été totalement réorganisé. À l'évidence, les dispositions que vous avez évoquées ont « basculé » dans la partie réglementaire.

En conclusion, je souhaite réitérer mes remerciements à Mme Desmarescaux, rapporteur de la commission des affaires sociales, qui nous a présenté de façon remarquable une analyse détaillée de la proposition de loi très complète de Mme Demessine et plusieurs de ses collègues, éclairant ainsi le débat de ce travail de fond. Je tiens à saluer une nouvelle fois la qualité du travail réalisé dans le cadre de ce texte. Ces éclaircissements nous seront à toutes et à tous très utiles, notamment en vue de ce qui nous attend dans les mois à venir.

Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.

Debut de section - PermalienPhoto de Adrien Gouteyron

Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...

La discussion générale est close.

Debut de section - PermalienPhoto de Adrien Gouteyron

Avant de mettre aux voix les conclusions négatives du rapport de la commission des affaires sociales tendant au rejet de la proposition de loi, je donne la parole à Mme Anne-Marie Payet, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Anne-Marie Payet

Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, mon intervention sera brève dans la mesure où j'insisterai uniquement sur un point précis, à savoir la gestion du risque « alcool ».

La présente proposition de loi nous donne en effet l'occasion d'ouvrir les débats sur ce problème, qui est loin d'être pris en compte dans les entreprises.

La consommation d'alcool entraîne de nombreux dysfonctionnements, notamment la baisse de la performance et de la productivité ainsi que la multiplication et l'aggravation des situations conflictuelles. Elle est responsable de 20 % des accidents du travail, qu'on a parfois du mal à expliquer. Un professeur de médecine avait d'ailleurs l'habitude de dire à ses étudiants : quand vous ne connaissez pas la cause, cherchez l'alcool.

Mes chers collègues, les employés passent parfois relativement vite du stade de « bons buveurs », de « bons vivants », en quelque sorte de « porteurs sains », à celui de la dépendance alcoolique et de la maladie. Les jeunes apprentis qui arrivent dans une entreprise doivent souvent subir un rite initiatique : accepter de boire de l'alcool pour montrer qu'ils sont des hommes, des vrais.

Pourtant, sous l'emprise de l'alcool, les conducteurs de véhicules et d'engins perdent rapidement les facultés psychomotrices et sensorielles requises en termes de vigilance, de réflexes, d'appréciation des distances, de champ visuel et de sensibilité à l'éblouissement.

Dans son rapport sur la prévention et la lutte contre l'alcoolisme, Hervé Chabalier propose notamment de faire du monde de l'entreprise un acteur de la prévention. Plusieurs pistes sont envisagées : la formation de l'encadrement ; l'établissement d'un règlement intérieur concernant la consommation d'alcool ; la création d'un protocole de gestion des « pots » ; la mise en place d'un groupe « alcool » pour travailler sur les facteurs de risques et pour aider les personnes en danger ; l'instauration d'un taux « zéro alcool » au travail pour les postes de sécurité, qu'il s'agisse des forces de l'ordre ou de certains salariés du BTP et des transports routiers et de voyageurs ; surtout, la suppression de l'alcool dans les cantines d'entreprise.

Dans ce cas précis des cantines d'entreprise, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, l'outil législatif existe déjà. Il suffirait de le réactualiser et, avant tout, de veiller à sa stricte application sous peine de sanction.

L'article L. 232-2 du code du travail précise en effet qu'il est interdit de distribuer et de consommer dans les entreprises « toutes boissons alcooliques autres que le vin, la bière, le cidre, le poiré, l'hydromel ».

Pendant longtemps, on s'est obstiné à faire une différence entre les alcools « forts » et ceux que l'on qualifie de « légers ». Mais les récentes campagnes de prévention ont fait comprendre aux Français que, dans un verre de whisky, de rhum, de bière ou de vin, il y a la même quantité d'alcool pur.

Madame la secrétaire d'État, par souci de cohérence, nous devons rapidement modifier cet article L. 232-2 du code du travail.

Mes chers collègues, je suivrai les conclusions de la commission des affaires sociales pour toutes les raisons qui ont été exposées par notre excellent rapporteur, tout en soulignant que la discussion de ce texte aurait été l'occasion idéale pour faire adopter un amendement en ce sens. J'attendrai donc une autre occasion !

Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées de l'UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Adrien Gouteyron

La parole est à Mme Michelle Demessine, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Michelle Demessine

Vous l'aurez compris, mes chers collègues, et vous l'avez souligné, madame le rapporteur, le texte que nous venons d'examiner, certes au pas de course, ...

Debut de section - PermalienPhoto de Michelle Demessine

... a donné lieu à un débat de très grande qualité.

Debut de section - PermalienPhoto de Michelle Demessine

Je tiens donc à mon tour à m'en féliciter, d'autant que cette proposition de loi s'est nourrie de mois, d'années de luttes, de rencontres, de réflexions communes entre élus et salariés, associations et syndicats.

Pour autant, nous nous doutions bien, en portant cette proposition devant la Haute Assemblée, qu'elle ne ferait pas d'emblée l'objet d'un consensus concret.

Je me félicite néanmoins de ce que ces questions de santé au travail, énoncées au travers des 53 articles du texte, aient pu constituer l'amorce d'un débat sérieux au sein de notre hémicycle, débat qui prolonge opportunément - cela a été dit plusieurs fois - les conclusions du rapport sénatorial. Je regrette d'ailleurs qu'une telle discussion n'ait pu avoir lieu à l'Assemblée nationale, où un texte similaire a été déposé par notre ancien collègue Roland Muzeau, qui continue à se battre sur ce sujet en tant que député.

Je ferai une remarque au passage. Les uns et les autres, en particulier Mme la secrétaire d'État, ont évoqué les divers groupes de travail, missions ou commissions mis en place et auxquels participent d'ailleurs certains de nos collègues. Je salue cet effort, tout en regrettant que l'enceinte de notre assemblée ne soit pas suffisamment utilisée pour approfondir ces questions essentielles.

Madame la secrétaire d'État, comme vous avez pu le constater, il y a ici un nombre important d'expertes et d'experts de grande qualité, légitimés par le suffrage universel.

Mme la secrétaire d'État acquiesce.

Debut de section - PermalienPhoto de Michelle Demessine

Cela étant dit, pour expliquer mon vote, j'aimerais m'arrêter sur les principales objections qui viennent d'être formulées.

Tout d'abord, pour certains, les principales mesures de ce texte devraient être conditionnées aux résultats du dialogue social.

Vous connaissez tous l'attachement de mon groupe aux négociations conduites par les partenaires sociaux. Pour autant, je souhaite rappeler avec force que, du point de vue de la santé au travail et compte tenu de la dégradation continue des conditions de travail dues à la course effrénée à la rentabilité immédiate, la nation, l'État, et donc le Parlement conservent en ce domaine une responsabilité de premier plan.

En effet, la santé au travail ne saurait se résumer à un arbitrage déséquilibré entre les intérêts financiers des entreprises et la santé des salariés. Il s'agit, comme j'ai pu le développer à plusieurs reprises, d'un enjeu de santé publique qui, en tant que tel, appelle des mesures et une ambition à la hauteur de la population qu'elles concernent, à savoir les 15 millions de salariés de notre pays.

Ainsi, compte tenu du bilan du drame de l'amiante et des drames qui, comme cela a été dit, se profilent en raison du grand nombre d'autres substances toxiques, notre pays a besoin d'un cadre législatif explicite et volontaire pour que la prévention de tous les risques professionnels entre dans la réalité de l'entreprise. C'est pourquoi, loin de nier l'importance et la portée du dialogue social, nous avons souhaité graver dans le marbre un certain nombre de principes fondamentaux et respectueux de la vie de nos concitoyens.

Une autre objection est évoquée de façon récurrente. Notre proposition d'une tarification adaptée aux risques et de sanctions supplémentaires envers les entreprises qui contournent les règles de sécurité ne fait pas l'unanimité, au motif que ces mesures viendraient obérer la profitabilité de ces entreprises.

Plus que jamais - nous le vivons au quotidien -, le travail des salariés sert de variable d'ajustement pour toujours plus de rentabilité à court terme, portant à son extrême son intensification, sa flexibilité et sa précarisation.

Pis encore, se développe de plus en plus aujourd'hui l'externalisation des productions à risque vers les entreprises sous-traitantes et d'intérim et les pays dits « à bas coût ». C'est d'ailleurs ce qui me fait douter de la possibilité d'une réelle coopération entre les entreprises majeures et les sous-traitantes, comme cela nous est proposé.

D'ailleurs, de grands groupes, et non des moindres, n'hésitent pas, pour atteindre les objectifs précités, à adopter des attitudes délictueuses et particulièrement cyniques que je voudrais rappeler.

Ainsi, les responsables de la firme Arkema, dans une circulaire destinée aux différentes directions des ressources humaines, détaillent toutes les mesures à prendre pour contourner les procédures de reconnaissance des maladies professionnelles, au motif que celles-ci pèsent sur la charge financière des AT-MP de l'entreprise !

L'attitude du groupe Alstom est tout autant condamnable. Je me permettrai de citer l'avocate générale près la cour d'appel de Douai, dont les réquisitoires sont très instructifs : elle rappelait ainsi en décembre dernier que la direction du groupe, au travers d'une note destinée aux actionnaires, argumentait que, en matière d'amiante, il n'y avait pas de risques de perte de rendement de leurs actions puisque les réparations dues aux victimes seraient prises en charge par la sécurité sociale. Madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, n'est-ce pas absolument scandaleux ?

Quant aux PME-PMI, je souhaite attirer votre attention sur ce point, mes chers collègues : nous avons pris la précaution de mesures adaptées à leur réalité économique.

J'en viens à la troisième objection, selon laquelle nombre d'articles de cette proposition de loi ont déjà fait l'objet d'une lecture lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale. Cela indique pour le moins, vous en conviendrez, une certaine persévérance de notre part !

Cette objection me permet aussi d'évoquer le rôle et le poids que devrait avoir, chaque année, le projet de loi de financement de la sécurité sociale.

À la suite des deux missions parlementaires relatives au drame de l'amiante, nous aurions pu nous attendre à une plus large prise en compte de la branche accidents du travail et maladies professionnelles au sein du projet de loi de financement de la sécurité sociale.

Or le débat se concentre uniquement autour de trois articles de financement, qui concernent le budget du FCAATA, celui du FIVA et le montant de la réversion de la branche accidents du travail et maladies professionnelles à la sécurité sociale, au lieu de s'élargir à toutes les grandes questions posées par les rapports parlementaires. Ce n'est, convenez-en, qu'au détour des amendements déposés par notre groupe, ainsi que par nos collègues socialistes et Verts, que nous avons pu jusqu'alors continuer à susciter un débat public sur ce sujet. Malheureusement, et permettez-moi encore de le regretter, le nouveau règlement du Sénat relatif à la discussion des amendements en séance ne nous permettra plus de le faire, puisque ceux-ci vont disparaître, sanctionnés par l'article 40 de la Constitution dès le dépôt en commission.

Madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le débat d'aujourd'hui a tout de même permis de revenir sur cette grave question et de lui donner une nouvelle résonnance devant le Parlement.

Même s'il faut accorder importance et légitimité à la négociation entre partenaires sociaux, je tiens à dire encore une fois que la responsabilité de la représentation nationale doit rester fortement engagée dans le domaine de la santé au travail. Mme Blandin vient de le rappeler fort justement, en évoquant la réponse cynique faite par le directeur de l'usine Arcelor de Dunkerque à une question posée par la mission sénatoriale.

Je souhaite simplement citer, pour qu'il résonne dans nos têtes, le jugement du Conseil d'État de mars 2004, qui a confirmé la responsabilité de l'État et a condamné ce dernier à indemniser les victimes de l'amiante sur le fondement de la faute pour carence de l'action de l'État dans le domaine de la prévention des risques liés à l'exposition professionnelle à l'amiante. Ces manquements sont constitués par l'absence de réglementation spécifique avant 1977, puis par une réglementation insuffisante et trop tardive par la suite. Est ainsi sanctionnée, aux termes de ce jugement, l'inapplication par l'État des principes de prévention et de précaution.

Je tiens à remercier notre rapporteur, Mme Sylvie Desmarescaux, pour la qualité de l'examen réservé à notre proposition de loi, Mme la secrétaire d'Etat pour ses réponses et l'appréciation qu'elle a faite de notre travail, ainsi que l'ensemble de nos collègues pour la qualité de leurs interventions, leurs apports au débat et les réflexions nouvelles dont ils ont été les auteurs. Je ne peux néanmoins suivre les conclusions du rapport. Je voterai donc, avec mon groupe, contre les conclusions négatives du rapport de la commission des affaires sociales sur ma proposition de loi.

Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Sylvie Desmarescaux

Je souhaite saluer l'intervention d'Anne-Marie Payet.

Je connais, ma chère collègue, le combat que vous menez contre l'alcool dans le monde du travail, entre autres, combat que nous avons pu observer sur le terrain, lors d'un déplacement à la Réunion. Bien que votre intervention ne porte pas directement sur le sujet du présent débat, elle le concerne de façon indirecte.

Madame Demessine, ce fut pour moi un grand honneur de travailler sur votre proposition de loi. Je crois que nous ne l'avons pas examinée « au pas de course ». Tous les orateurs ont pris la peine d'approfondir le contenu de leurs interventions, dont la richesse a été à la mesure de ce texte.

Cette proposition de loi ne restera pas sans suite. Elle sera, d'une certaine façon, « gravée dans le marbre », pour reprendre votre expression, grâce au travail considérable que vous avez réalisé, et parce qu'elle concerne tous les salariés et tous les travailleurs.

Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Adrien Gouteyron

Personne ne demande plus la parole ?...

Je mets aux voix les conclusions négatives du rapport de la commission des affaires sociales sur la proposition de loi n° 47.

Les conclusions sont adoptées.

Ordre du jour réservé

Debut de section - PermalienPhoto de Adrien Gouteyron

L'ordre du jour appelle la discussion de la question orale avec débat n° 9 de M. Jean Puech à Mme la ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales sur la création d'un véritable statut de l'élu local.

Cette question est ainsi libellée :

« M. Jean Puech interroge Mme la ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales sur les perspectives de création d'un véritable statut de l'élu local. La mise en place de ce statut répondrait à des attentes fortes de la part des élus locaux à l'heure où la relance de la démocratie locale implique de susciter des vocations dans les divers milieux professionnels, notamment dans le secteur privé et parmi tous les talents que l'on trouve dans la société.

« Un sondage réalisé l'année dernière par l'institut TNS-SOFRES, sur l'initiative de l'Observatoire sénatorial de la décentralisation, auprès d'un échantillon représentatif de 500 exécutifs locaux, révélait la profonde insatisfaction des élus sur plusieurs questions majeures : le « statut » proprement dit (58 % de mécontents), la protection sociale (55 % de mécontents), le régime de responsabilité pénale (62 % de mécontents), les conditions de travail (66 % de mécontents), les possibilités de reconversion (58 % de mécontents)... N'est-il pas temps d'engager aujourd'hui le débat, à quelques semaines de l'arrivée dans nos communes d'une nouvelle génération d'élus municipaux ?

« C'est pourquoi il souhaiterait connaître la position du Gouvernement sur ces sujets ainsi que les suites qu'il pourrait donner aux dix propositions formulées par l'Observatoire dans son rapport publié le 7 novembre 2007 sur l'émancipation de la démocratie locale. Parmi celles-ci figure, en particulier, la création d'un régime statutaire spécifique adapté aux nouvelles responsabilités des exécutifs locaux, et notamment des maires des grandes villes et des présidents des conseils généraux et régionaux, afin de mettre un terme à une situation qui n'est plus conforme aux exigences d'une démocratie moderne et décentralisée. »

La parole est à M. Jean Puech, auteur de la question.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Puech

Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, ce sont les Français qui le disent : à chaque fois qu'ils sont interrogés, ils soulignent tout l'attachement qu'ils portent à leurs élus locaux, ces élus de terrain, ces élus qu'ils côtoient, ces élus qui savent prêter l'oreille à leurs souhaits, dialoguer, débattre.

Le comble serait que ce soit la République qui oublie ses élus locaux !

Dans le contexte actuel de réformes institutionnelles, voulues par le Président de la République, il est temps de leur donner toute la place qu'ils méritent. Il est temps de réfléchir aux perspectives de création d'un véritable statut de l'élu local.

Les attentes sont fortes. Des évolutions rapides sont nécessaires. Nos concitoyens le souhaitent. Les élus les attendent. L'Observatoire sénatorial de la décentralisation le rappelle chaque jour.

Ce domaine conditionne largement le fonctionnement de notre démocratie.

À la demande de l'Observatoire sénatorial de la décentralisation, l'institut TNS-SOFRES a effectué une enquête auprès d'un échantillon représentatif de 500 exécutifs locaux - maires de petite commune, de grande ville, présidents de conseil général, présidents de conseil régional - sur la mise en oeuvre de la décentralisation ainsi que sur l'évolution des relations entre l'État et les collectivités territoriales.

Les conclusions de cette enquête sont claires. On note une adhésion massive des élus au principe de décentralisation. Mais, en même temps, ceux-ci parlent d'une crise de légitimité, d'une crise de confiance entre les élus et l'État, ainsi que d'une grande inquiétude quant à l'avenir du financement des collectivités locales.

Près de 80 % des élus se déclarent attachés au principe de la décentralisation et, au même moment, expriment une profonde insatisfaction quant à leur « statut », à leur reconnaissance, à leur légitimité, à leur protection sociale, à leur régime de responsabilité pénale, à leurs conditions de travail. Selon eux, c'est l'absence de statut qui constitue leur statut !

Lors de la préparation de notre rapport sur l'émancipation de la démocratie locale, l'Observatoire a pris la mesure du retard français en matière de décentralisation et d'autonomie locale. L'étude des expériences européennes, ainsi que les contacts directs noués sur place, en province, avec des élus allemands, italiens et espagnols, ont montré le chemin que la France a encore à parcourir.

La route est encore longue. Cette route est à la mesure du temps qu'il a fallu à la France pour ratifier la Charte européenne de l'autonomie locale qu'il faut maintenant mettre en oeuvre.

Je rappelle que j'ai dû intervenir au nom de l'Observatoire, et à plusieurs reprises, pour que cette ratification ait lieu au mois de mai 2007, près d'un an après la loi du 10 juillet 2006 autorisant la ratification, et ce alors que notre signature du traité datait du 15 octobre 1985, soit près de vingt-deux ans auparavant !

À qui cette charte faisait-elle donc si peur ? Les tenants du jacobinisme ne veulent décidément rien lâcher !

Cette charte, signée par la quasi-totalité des États membres du Conseil de l'Europe, indique notamment que l'autonomie locale est « le droit et la capacité effective pour les collectivités de régler et de gérer, dans le cadre de la loi, sous leur propre responsabilité, et au profit de leurs populations, une part importante des affaires publiques ». Quels obstacles insurmontables !

Ces responsabilités locales doivent être « exercées par des conseils ou des assemblées, composés de membres élus au suffrage libre, secret, direct et universel et pouvant disposer d'organes exécutifs responsables devant eux ».

Il nous a fallu vingt-deux ans pour accepter définitivement ces textes ! Cela montre combien sont grandes les réticences s'agissant de l'adhésion à ces principes fondamentaux.

Nous avons donc maintenant entre nos mains des outils, un état des lieux et des expériences comparées. Le moment est venu de réformer.

Je me permettrai de rappeler les principales propositions formulées par l'Observatoire sénatorial de la décentralisation.

En ce qui concerne la clarification des compétences entre les collectivités territoriales, la question « qui fait quoi ? » n'a toujours pas trouvé de réponse évidente pour les élus et, a fortiori, pour nos concitoyens, qui continuent à patauger dans le maquis des administrations.

La poursuite de la clarification des compétences de chaque niveau d'administration locale apparaît donc comme une nécessité. Il est essentiel que les citoyens puissent, notamment, mieux identifier le rôle de chacun des exécutifs. Cet effort de simplification devrait également s'accompagner d'une stricte limitation des financements croisés, qui entretiennent la confusion sur les responsabilités de chacun. Ces incertitudes brouillent l'image et affaiblissent la légitimité des élus.

Or il convient de renforcer la légitimité des exécutifs locaux en recourant à un mode plus direct de désignation.

Avec la décentralisation, les exécutifs locaux exercent des responsabilités lourdes. Ils en assurent les risques avec courage et compétence. Ils les assurent dans des conditions difficiles, devant une opinion publique prompte à réagir, souvent sans bien connaître les difficultés de l'élu dans la conduite de plus en plus difficile des dossiers - j'ai cette expérience et ce recul ! -, avec un État plus enclin, aujourd'hui, à contrôler qu'à accompagner.

Le renforcement de la légitimité des élus pour leur permettre d'exercer pleinement leur mission est indispensable. Cette évolution serait dans la logique de la Ve République.

Dans un cadre qui repose, pour l'essentiel, sur l'élection du Président de la République au suffrage universel direct, les exécutifs locaux sont actuellement désignés selon des modalités qui se rattachent plus aux usages et moeurs de la IIIeou de laIVe République.

Sur le terrain de l'administration locale, la France a une République de retard. Elle risque, du coup, de ne plus être en phase avec le pays réel.

Si une telle réforme était envisagée, deux branches d'une alternative s'offriraient à nous : l'élection au suffrage universel direct des exécutifs et la désignation automatique dans le cadre du scrutin de liste.

La première solution consisterait, comme en Allemagne, en Italie, bientôt en Espagne et dans la plupart des pays de l'Union européenne, à élire les exécutifs locaux au suffrage universel direct. Les électeurs seraient ainsi amenés à voter deux fois : une fois pour élire l'exécutif et une autre fois pour élire les conseillers de l'assemblée délibérante. Une telle distinction entre les modalités d'élection de l'exécutif local et des membres du conseil élu pourrait constituer une première étape d'une séparation des fonctions exécutive et délibérative.

En France, le président du conseil général et le président du conseil régional, élus au scrutin uninominal, pourraient être désignés selon ce mode direct, comme on le fait dans les provinces en Espagne, dans les Kreise en Allemagne, dans les comtés au Royaume-Uni, et pratiquement dans tous les pays de l'Union européenne. Bien évidemment, pour les départements, la circonscription cantonale resterait le cadre de l'élection des conseillers. On reproduirait au niveau départemental ou régional ce qui se passe au niveau national dans le cadre de la Ve République.

La seconde solution - la désignation automatique dans le cadre du scrutin de liste -, retenue par quelques pays, consisterait à préserver notre traditionnel scrutin de liste aux élections municipales et régionales en prévoyant, comme dans certains pays, que la tête de liste gagnante deviendrait automatiquement maire ou président du conseil régional.

Par ailleurs, pour éviter de refaire une élection en cas de démission de l'exécutif, il pourrait être utile et plus clair, dans cette logique, de prévoir que l'exécutif local démissionnaire soit remplacé par le suivant de la liste. Pensez à ce qui s'est passé dans certaines villes du Sud, à Toulouse, à Montpellier et à Bordeaux... Les électeurs ont-ils été consultés quand le maire s'est retiré ? Effectivement, à Bordeaux, on a remis les choses au clair. Sans développer, je dirai qu'il s'est passé un certain nombre de choses sans que personne réagisse. Pour moi, ce sont de vrais problèmes auxquels il faut quand même apporter une réponse.

J'en viens au cumul d'une fonction exécutive locale avec une fonction ministérielle.

Les Français sont de plus en plus conscients qu'il n'est pas possible pour une même personne d'assumer deux charges aussi importantes que celle de membre du Gouvernement et celle d'une importante fonction exécutive locale. Voilà pourquoi le non-cumul pourrait être proposé.

Quant à la pratique du cumul entre des fonctions exécutives qui requièrent une mobilisation à temps plein et un mandat de parlementaire, les progrès de la décentralisation ont radicalement changé la nature même de la mission des exécutifs locaux.

Il ne s'agit nullement de transformer les parlementaires en élus « hors sol », tant il est bon qu'un sénateur ou un député ait l'expérience du mandat local que procure un mandat de conseiller municipal, général ou régional.

En revanche, il ne me semble plus possible, comme je viens de le dire, de cumuler des mandats nationaux ou européens avec des fonctions exécutives locales - maire d'une grande ville, notion dont le seuil reste à déterminer, président de conseil général ou président de région - qui doivent être exercées maintenant à temps plein.

Tout cela, je l'ai personnellement un peu vécu. Avant la décentralisation, j'ai en effet été élu président du conseil général du « petit » département de l'Aveyron.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Raffarin

M. Jean-Pierre Raffarin. Petit ? Pas si petit que cela !

Sourires

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Puech

M. Jean Puech. Je vous remercie ! J'attendais votre réaction !

Nouveaux sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Puech

Cela remonte à plus de vingt-cinq ans : trente-trois ans très exactement ! Fraîchement élu président du conseil général, j'ai été félicité par le préfet, auquel j'ai demandé un collaborateur. Il m'a fallu presque pleurer pour l'obtenir, après m'être entendu dire qu'il ne fallait pas me tracasser, qu'on s'occuperait de tout... C'est ainsi que les choses ont commencé. Dans l'Aveyron, les services départementaux comptent maintenant 1 800 personnes. Certains départements emploient 4 000 à 5 000 personnes.

Pour ma part, je ne sais pas tenir deux pleins temps à la fois. Les journées ont vingt-quatre heures, et il n'y a pas d'inflation à cet égard ! Tous pétris de la même pâte humaine, nous devons très honnêtement en tirer les conclusions.

Il convient d'assurer aux exécutifs locaux un véritable régime statutaire adapté à leurs nouvelles responsabilités. Trop souvent, la pratique du cumul des mandats apparaît comme une réponse à la précarité du « statut » des titulaires de mandats électifs. Cette situation ne convient plus à une démocratie moderne.

Il pourrait être créé un régime statutaire - couverture sociale, formation, reconversion, rémunération... - mieux adapté pour les maires, les présidents de conseil général et de conseil régional qui exerceraient leurs fonctions à temps plein et même à temps partiel, pour aller vers une véritable professionnalisation de la fonction de l'élu.

Dans cette perspective, il conviendrait de modifier l'article L. 2123-17 du code général des collectivités territoriales, qui prévoit encore que « les fonctions de maire, d'adjoint et de conseiller municipal sont gratuites », alors que, pour nos concitoyens, convaincus que les élus locaux s'enrichissent, cette rectification a déjà eu lieu depuis longtemps !

Conforter la démocratie territoriale, c'est assurer aux élus des conditions satisfaisantes d'exercice de leur mandat et se préoccuper de l'après-mandat, c'est-à-dire susciter des vocations, en particulier dans la jeunesse, dans les divers milieux professionnels et chez tous les talents que l'on trouve dans la société.

Et là, le rôle des associations d'élus apparaît incontournable. On estime que nous assisterons, à l'occasion des élections municipales et cantonales de mars prochain - vous devez avoir quelques données à ce sujet, madame le ministre - à un très important renouvellement, plus que les fois précédentes en tout cas.

Ne nous y trompons pas : les informations qui nous parviennent du terrain traduisent la réelle difficulté, dans de très nombreuses communes, à trouver des candidats représentatifs de la composition de notre société.

Il faut susciter des vocations. L'État et les collectivités locales doivent accompagner les actions de communication mettant en valeur la place des élus locaux dans la vie de la cité.

Il importe que l'État poursuive ses tentatives de réforme et de modernisation. Il ne peut le faire qu'en tenant compte de ses partenaires. Cette réforme, il doit la conduire en étroite concertation avec les collectivités territoriales. On décentralise, ce qui suppose qu'on déconcentre. Il faut que cela aille de pair, et il faut discuter.

Par ailleurs, il convient de renforcer les passerelles entre la fonction publique de l'État, la fonction publique territoriale et la fonction publique hospitalière - l'exercice n'est pas interdit, mais quasiment inédit - pour permettre la valorisation des métiers, la mobilité et la promotion des agents tout au long de leur carrière. Une période de mobilité, en cours de carrière, entre les trois fonctions publiques pourrait être rendue obligatoire dans tous les statuts et pour toutes les catégories.

On pourrait même aller plus loin : l'École nationale d'administration et l'Institut national des études territoriales pourraient, par exemple, avoir un « tronc commun », avec des spécialisations distinctes.

En fait, le rapprochement des fonctions publiques conditionne aussi le succès de la réforme de l'État et de la décentralisation.

Il convient que l'État respecte les nouveaux domaines d'attribution des collectivités territoriales.

Alors que les réformes engagées dans de nombreux pays européens ont eu pour effet de limiter drastiquement ses compétences sur le plan local, de réduire ses moyens d'action et, souvent, de supprimer même le pouvoir de tutelle - cela existe ailleurs -, il apparaît nécessaire, en France, que l'État, dans son action déconcentrée, tire toutes les conséquences des lois de décentralisation.

La décentralisation, c'est la décentralisation, et la déconcentration, c'est la déconcentration. La décentralisation, ce n'est pas la délégation des compétences, qui reviendrait facilement, si l'on n'y prenait garde, à faire de l'État le décideur, alors que les collectivités locales seraient les débitrices. À cet égard, il nous faut à mon avis être très attentifs et extrêmement clairs.

La mise en place d'un nouveau statut pour les élus est indissociable d'une relance de la démocratie locale, base de notre système républicain et de son esprit citoyen.

Les possibilités offertes par la réforme constitutionnelle de 2003, qui a fait de la France, rappelons-le, « une République décentralisée », sont loin d'avoir été toutes utilisées. Je vous en épargnerai ce soir l'inventaire.

Force nous est de mesurer que nous avons tout de même avancé. De grands espoirs sont nés du nouvel élan donné au mouvement de décentralisation sous l'impulsion de Jean-Pierre Raffarin, fort de sa grande expérience du terrain et d'une véritable volonté de mise en oeuvre. Je suis heureux de le féliciter. En effet, on se rend compte que, pour faire bouger les choses, il lui a fallu beaucoup de détermination et de compétences. Cela représentait un travail tout à fait considérable.

Nous pensions alors que le processus engagé était irréversible. Mais l'actuelle conjoncture nous montre, mes chers collègues, que la décentralisation est loin d'être acquise une fois pour toutes.

La culture jacobine, les pesanteurs administratives et les réflexes centralisateurs regagnent bien vite du terrain lorsque la volonté politique semble s'estomper. C'est un euphémisme que de le souligner entre nous, la décentralisation n'a été au centre de la campagne de 2007 en vue de l'élection présidentielle pour aucun des candidats : on n'a pratiquement pas parlé de cet aspect des choses. La volonté de réforme et de rupture des Français s'est pourtant nettement affirmée à l'occasion des scrutins des 22 avril et 6 mai 2007.

Notre République décentralisée devrait profiter de ce contexte réformateur pour approfondir son processus de décentralisation.

Je souhaite préciser que la France décentralisée d'aujourd'hui, si elle veut avancer, ne peut plus s'en remettre aux seules commissions d'experts, si éminents soient-ils. Il ne s'y trouve souvent aucun élu du suffrage universel pour décider de l'avenir de son organisation territoriale ! Vous voyez, j'imagine, à quelle commission je fais allusion...

M. Éric Doligé s'exclame.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Puech

Alors, comme vous l'avez compris, les propositions de la commission Attali tendant notamment à la suppression des départements et à la disparition d'un certain nombre de communes apparaissent comme totalement déconnectées des réalités. Loin d'incarner la modernité, elles ne font d'ailleurs que reprendre de « vieilles lunes ». Ces propositions ont été qualifiées de « loufoques » par un ancien Premier ministre. Il reste qu'elles témoignent d'une époque que nous pensions révolue.

Aussi serai-je un peu sévère à l'égard de ces mandarins, issus de la haute fonction publique, qui travaillent dans le huis clos des vie et viie arrondissements de Paris, qui ne font pas confiance à la démocratie locale et qui ignorent à ce point tout de la province que je les crois devenus hémiplégiques !

Sourires

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Puech

Mais, madame le ministre, il faut en permanence avoir à l'esprit que, selon la formule bien connue, les ministres passent, les concierges restent...

Nouveaux sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Puech

La partie n'est donc pas gagnée d'avance. C'est à nous, les élus du suffrage universel sur le plan national et sur le plan local, de nous faire respecter, en faisant surtout respecter le mandat qui nous a été confié par nos concitoyens.

Dans ce mandat, les Français ont aussi mis l'attachement qu'ils portent à leur commune, à leur département, à leur région, parce qu'ils connaissent la place que ces collectivités tiennent dans leur vie quotidienne.

Vouloir donner l'illusion que tout est possible autrement, c'est ne pas admettre la réussite des politiques de proximité.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Puech

Ne laissons à personne d'autre le soin d'imaginer pour nous les contours d'une vraie démocratie locale toujours plus démocratique et toujours plus performante. La modernité se trouve là, et pas ailleurs ! C'est la démocratie locale activée, animée, avec ce lien très fort que souhaitent nos concitoyens.

Un véritable statut pour l'élu local, une organisation territoriale plus performante, la réforme de notre mode de gouvernance et la modernisation de notre démocratie locale sont des sujets dont nous devons impérativement nous saisir nous-mêmes.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Puech

Ils font partie des questions à traiter dans le futur acte III de la décentralisation qu'il faut rédiger en urgence. Voilà où réside la vraie modernisation de la démocratie locale.

Ces propositions de réforme doivent être adaptées aux réalités d'un terrain que nous connaissons mieux que quiconque. Nous en sommes directement issus. Nous remettons régulièrement en jeu nos mandats. Tous les « conseilleurs » aujourd'hui ne peuvent pas en dire autant !

Mes chers collègues, ce sont les principes fondamentaux de la République qu'il nous faut défendre ardemment !

Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE et du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Patrice Gélard

Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, je rappellerai d'entrée de jeu que le sujet que vient d'aborder Jean Puech est d'une actualité permanente ; peut-être peut-on regretter qu'avant chaque élection le débat sur le statut de l'élu local soit relancé sans que rien n'avance jamais beaucoup...

Non seulement, comme l'a dit avec beaucoup de talent Jean Puech, nous avons dans ce domaine « une République de retard », mais nous ne parvenons pas à modifier les choses en profondeur.

Songeons en effet qu'il est encore affirmé que les fonctions des élus locaux sont « gratuites », un peu comme si ces derniers étaient tous des bénévoles ! Je crois que l'on se trompe complètement et qu'il faut, au nom de la transparence, décrire la réalité telle qu'elle est. Nos électeurs savent d'ailleurs bien que ces fonctions ne sont pas tout à fait « gratuites », s'agissant notamment des maires et des responsables des départements ou des régions.

Aussi le rapport remis par notre ami Jean Puech le 7 novembre 2007, au nom de l'Observatoire sénatorial de la décentralisation, rapport qu'il a largement repris dans son exposé, est-il tout à fait admirable. Je conseille à chacun de s'y reporter, car l'on y trouve de nombreux éléments fort intéressants.

Premier élément, ce rapport contient une remarquable documentation sur le fonctionnement des collectivités locales dans plusieurs pays de l'Union européenne, documentation que je me permets, cher Jean Puech, de compléter en indiquant que la Roumanie et la Bulgarie, qui ne figurent pas au nombre des pays cités, entrent parfaitement dans le modèle décrit, notamment avec l'élection séparée de l'exécutif et du délibératif.

Deuxième élément, le rapport met en lumière le caractère hétérogène des situations des différents élus locaux et des règles qui leur sont applicables, dont certaines sont d'ailleurs mal ou peu connues des élus : je pense par exemple à celles qui concernent la formation pendant la durée du mandat.

Un troisième élément fort intéressant est constitué par les résultats de l'étude d'opinion réalisée sur le degré d'insatisfaction des élus locaux. Qu'il me soit permis, après avoir fait une étude dans treize pays européens, de souligner que la situation est la même dans les autres pays de l'Europe : l'élu local espagnol, italien, grec, allemand n'est pas satisfait de son sort.

C'est un phénomène général et, madame le ministre, je vous suggère d'entreprendre sur ce point une action avec l'ensemble de vos collègues européens pour faire en sorte que l'image des élus locaux soit valorisée, et non pas dévalorisée en permanence, ou du moins ressentie comme l'étant par un très grand nombre d'entre eux, tout cela parce leur statut, ou ce qui apparaît comme tel, manque de transparence.

Si l'on veut savoir quel est exactement le statut de l'élu local - savoir, par exemple, à quoi il a droit, notamment en matière de retraite, ou quelle est sa couverture sociale s'il a arrêté de travailler -, il est effectivement très difficile de s'y retrouver, et il me semble qu'un minimum de transparence permettrait de démythifier certains des comportements des élus locaux parfois décrits comme des errements dans la presse people...

Après ces remarques générales, qu'il me soit permis de revenir sur plusieurs des éléments que Jean Puech vient de brillamment développer.

Tout d'abord, il a souligné qu'une réforme du statut de l'élu local était impossible sans une réforme de nos structures territoriales, point de vue que la commission des lois partage et qui doit en somme nous conduire à repenser, à clarifier l'ensemble du problème de la décentralisation.

Un autre aspect de la réforme, qui apparaissait peut-être moins dans l'exposé de notre collègue, réside dans la nécessité d'effectuer des distinctions, dans le statut, en fonction de l'origine socioprofessionnelle, car, en définitive, nous ne sommes pas égaux face aux élections locales.

À l'évidence en effet, au regard de la possibilité de devenir un élu local et d'assumer la totalité des responsabilités du mandat, il n'y a pas égalité entre un fonctionnaire et un membre des professions libérales ou un agriculteur, un salarié et un retraité.

Un maire me disait récemment que, heureusement, il y avait dans son conseil municipal des femmes retraitées, car, sans elles, il ne pourrait pas trouver d'adjoints. C'est une question de disponibilité. Ainsi, il est extrêmement difficile à une jeune mère de famille d'être élue locale si elle ne peut prévoir la garde des enfants. Il s'agit, très simplement, d'un problème d'ordre matériel ; il n'est pas résolu, ce qui oblige parfois à jongler avec les emplois du temps et les horaires pour trouver des solutions.

Un des buts que nous devons nous assigner est donc de rechercher l'égalité entre les citoyens pour permettre à tous d'arriver à des fonctions et à des responsabilités locales.

Jean Puech a par ailleurs soulevé un très important problème qui doit être approfondi, celui de l'élection au suffrage universel direct des exécutifs locaux.

Comme il l'a très justement souligné, c'est le cas dans la quasi-totalité des pays européens. Il y a donc une séparation entre la fonction délibérative et la fonction exécutive, situation assez proche de celle que l'on a connue lorsque c'était le préfet qui, sous l'ancien statut, était l'exécutif dans le département.

Il faut cependant souligner deux éléments.

Premier élément, le statut du maire, ou celui du président de conseil général, n'est absolument pas comparable à ce qu'il était en 1947 ; les fonctions ne sont plus du tout les mêmes, les charges à assumer sont totalement différentes et beaucoup plus lourdes. Nous ne sommes plus dans l'esprit des lois de 1871 ou de 1884 : être maire en 2008, ce n'est pas être maire en 1884 !

Nous devons prendre en considération cette donnée et réfléchir à cette élection de l'exécutif au suffrage universel direct, mais en gardant en mémoire qu'il y a un effet pervers.

Lorsqu'ils seront élus, les chefs des exécutifs départementaux ou régionaux, à qui il faudra d'ailleurs trouver une autre appellation - pourquoi pas la formule, un peu galvaudée, de « gouverneur » utilisée dans certains pays ? - puisqu'il faudra les distinguer des présidents des assemblées, auront besoin, comme les maires, d'une équipe. Il faut savoir que cette équipe sera constituée non d'élus mais de professionnels qui, un peu à l'image de nos assistants parlementaires, seront choisis pour aider l'élu. Ainsi, dans la plupart des pays, ce sont des fonctionnaires ou des collaborateurs recrutés à cet effet qui assistent le chef de l'exécutif. On peut évidemment penser que quelques-uns des élus du conseil quitteront leurs fonctions pour venir assister ce dernier, mais il n'en reste pas moins que c'est un élément très complexe auquel il faut réfléchir.

Deuxième élément, tout aussi complexe et que n'a pas abordé Jean Puech, je veux parler de l'intercommunalité et du statut de ses responsables, dont on dit souvent - c'est un autre « serpent de mer » - qu'ils devraient être élus au suffrage universel direct, mais sans aller plus loin, car les obstacles sont tels que nous ne sommes pas encore parvenus à les surmonter.

Que l'on me permette d'aborder aussi la question du changement d'exécutif.

Certes, il est envisageable de prévoir que le suivant sur la liste prendra la place du précédent si celui-ci s'en va, par exemple pour devenir ministre ; mais il y a un petit problème qui tient au fait qu'à l'heure actuelle nous appliquons la règle de l'alternance homme/femme. Peut-être le premier de liste ne souhaitera-t-il pas nécessairement que son second de liste, qui n'est d'ailleurs pas forcément son premier adjoint, devienne son éventuel remplaçant...

Sourires

Debut de section - PermalienPhoto de Patrice Gélard

Par parenthèse, c'est un problème que nous avions soulevé lors de l'examen de la loi tendant à promouvoir l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et aux fonctions électives. Nous aurions préféré la solution de la parité globale à la solution du « un sur deux » qui a été retenue et qui aboutit parfois à des blocages, comme les prochaines élections municipales le font apparaître.

Je conclurai comme Jean Puech en disant que les 500 000 élus que compte la France - ils devraient d'ailleurs être 600 000, puisque le nombre d'habitants est maintenant de 63 millions et que la règle était d'un élu pour cent habitants - sont un des éléments essentiels de notre démocratie.

C'est grâce à ce maillage très serré d'élus implantés au sein de ce qu'il y a de plus profond dans notre pays que la démocratie française peut vivre ; c'est grâce à tous ces élus anonymes, conseillers municipaux, conseillers généraux, conseillers régionaux, maires, qui se dévouent au service de la population et de l'État, qu'elle a toujours pu durer et se maintenir.

C'est cela qu'il faut saluer, et c'est cela qu'il faut conforter.

Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE et du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Goulet

Mme Nathalie Goulet. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, il n'est pas facile de prendre la parole après M. Gélard !

Sourires

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Goulet

Mon intervention me permettra de marquer un anniversaire : voila sept ans, presque jour pour jour, puisque c'était le 18 janvier 2001, étaient examinées dans cet hémicycle différentes propositions de loi, dont l'une émanait de notre éminent collègue Alain Vasselle et une autre de Jean Arthuis, sur un excellent rapport de Jean-Paul Delevoye, alors président de l'Association des maires de France. La discussion portait sur le statut de l'élu.

Qu'avons-nous réglé depuis lors ? Je ne le sais pas avec précision, mais, si j'en juge par la désaffection de nos compatriotes pour le prochain scrutin municipal, il est grand temps de redorer le statut de l'élu local.

Il n'est pas étonnant que dans le département dont je suis l'élue, c'est-à-dire l'Orne, qui compte 293 000 habitants et 505 communes, on trouve peu de candidats pour les prochaines élections municipales et que, d'ores et déjà, d'après les annonces qui sont intervenues, presque 30 % des maires ne brigueront pas un nouveau mandat en mars prochain. On peut d'ailleurs les comprendre !

Mes chers collègues, je vous livrerai en vrac quelques pistes, que vous pourrez retrouver dans l'excellent Journal officiel du 18 janvier 2001. Certaines mesures, qui figuraient dans des amendements proposés par Daniel Goulet - comme vous le voyez, dans la famille, nous avons de la suite dans les idées ! -, avaient d'ailleurs été adoptées par le Sénat.

Tout d'abord, organisons la protection des candidats. M. Gélard a très justement souligné tout à l'heure que tous n'étaient pas égaux devant l'élection. En 2001, Daniel Goulet avait défendu un amendement, qui avait d'ailleurs été adopté par le Sénat, visant à assurer aux candidats aux élections locales, afin d'éviter qu'ils ne soient pénalisés par leurs employeurs, une protection similaire à celle dont bénéficient les candidats aux élections professionnelles. Avec une telle mesure, on aurait favorisé la diversification des candidats, et donc l'ouverture des élus à la société civile ; cette mesure serait allée dans le sens de plus de démocratie et de moins de cumuls de mandats.

J'insisterai ensuite sur la formation des élus. En effet, compte tenu du nombre et de la complexité des procédures et des instances, le Centre de formation des élus, qui existe sur le papier, semble inaccessible dans les faits.

Il y a sept ans, Daniel Goulet avait proposé une formation « volante » au sein des intercommunalités, car il lui semblait évident que c'était à la formation d'aller au devant de l'élu, et non à l'élu de se déplacer vers les centres de formation.

Comment les maires ruraux pourraient-ils suivre l'actualité juridique ? Ces dernières années - depuis les dernières élections municipales environ -, 133 décrets ont été adoptés, opérant 2 399 mouvements sur la partie réglementaire du code général des collectivités territoriales. Dans le même temps, 163 textes législatifs ont été votés, réalisant 3 210 modifications sur la partie législative du même code, dont 778 articles organiques ont été affectés.

Comment voulez-vous que les élus ruraux se retrouvent dans ce maquis réglementaire et législatif, qui se complexifie chaque jour davantage en raison de ce mille-feuille des compétences que nous dénonçons tous ?

Cette question est de toute première importance, car une meilleure formation éviterait aux jeunes élus des angoisses bien compréhensibles, favoriserait sans doute les vocations et limiterait les dépendances des élus à l'égard d'une administration certes extrêmement compétente, mais souvent surchargée.

Madame le ministre, la réflexion à venir devra aussi porter sur la question des couvertures de risques.

Là encore, l'évolution législative et réglementaire suscite un strabisme divergeant - le contraire eût été étonnant - entre les compétences et les responsabilités, car, si les premières sont souvent déléguées aux intercommunalités, les secondes demeurent aux maires.

C'est pourquoi, à titre personnel, j'ai toujours été hostile à l'attribution de la compétence scolaire aux intercommunalités ; en effet, si un accident survient dans une école, c'est le maire qui sera responsable, alors que les mesures à prendre, qu'elles relèvent de la prévention ou de la réparation, reviennent à l'intercommunalité.

Les élus exercent donc de plus en plus de responsabilités, y compris pénales, mais les polices d'assurance sont mal adaptées, tant pour les maires que pour leurs adjoints.

Madame le ministre, depuis les travaux de la commission Mauroy sur la décentralisation et le livre blanc de l'Association des petites villes de France, nous souhaitons redynamiser la démocratie locale et laisser à tous une chance de s'exprimer. Il me paraît donc extrêmement urgent de remettre en chantier le texte qui avait été adopté au Sénat en 2001.

À défaut, nous découragerons les courageux - de préférence des retraités et des célibataires, en raison du caractère chronophage des mandats et de la « réunionite » subséquente - et favoriserons le cumul des mandats, qui constitue, nous le savons, un frein aux réformes et un encouragement aux féodalités toujours bien vivaces, surtout dans nos territoires ruraux.

Quels sont les kamikazes qui, dans cette maison, applaudiront à la suppression des départements suggérée par le rapport Attali ? Seuls ceux qui ne cumulent pas de tels mandats pourront le faire, mais au risque de voir leur popularité écornée pour toujours.

Dans le mille-feuille des compétences que j'évoquais et qui est la cause de bien des problèmes, la question de l'échelon cantonal se pose tout particulièrement.

Voilà quelques années, Daniel Goulet avait réalisé une étude très simple, qui fut communiquée à l'actuel Président de la République, qui occupait alors vos fonctions, madame le ministre, puis à M. Thierry Breton. Il en résultait qu'en France 672 cantons élisent un conseiller général alors qu'ils comptent moins de 4 000 habitants.

Franchement, à l'heure de la rationalisation des politiques publiques, des économies financières, mais aussi des économies d'échelle, et alors que la France est couverte à près de 100 % par l'intercommunalité, ne peut-on envisager un redécoupage des cantons ?

Dans le beau département de l'Orne, qui compte 293 000 habitants, dont beaucoup de résidents secondaires, trente conseillers généraux pourraient sans doute travailler aussi bien que les quarante qui existent actuellement. Sur un mandat, cette mesure permettrait de réaliser une économie de 1 297 000 euros, car l'indemnité de chaque conseiller s'élève à 1 802 euros ; cette somme serait sûrement mieux employée pour rechercher des infirmières et assurer les soins à domicile d'une population qui, même si elle vit au bon air de la Normandie, n'en reste pas moins vieillissante.

Puisque nous supprimons des services publics et des tribunaux, pourquoi hésiter à revoir cette organisation pesante et dispendieuse, qui remonte, pour sa part, à 1790 ? La loi du 11 décembre 1990, qui prévoyait un redécoupage électoral des cantons, attend encore ses décrets d'application. Et je ne mentionnerai que pour mémoire la rupture d'égalité entre les candidats aux élections selon que le canton dans lequel ils se présentent dépasse ou non le seuil des 9000 habitants.

Il est donc grand temps de réfléchir sérieusement au statut de l'élu, et cela, comme le soulignait M. Gélard, dans le cadre d'une administration territoriale repensée ; mais ce serait là, mes chers collègues, une victoire de l'optimisme sur l'expérience, comme disait Henri VIII lors de son sixième mariage !

Sourires

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Goulet

Je le répète, si nous voulons conserver une démocratie de proximité vivante et ouverte, il nous faut adopter un véritable statut de l'élu local dans un système allégé et modernisé.

Madame le ministre, si vous décidez de réunir un groupe de travail sur ce sujet essentiel au bon fonctionnement de notre démocratie locale, vous pourrez compter sur mon soutien indéfectible. Et si vous en décidez autrement, il en sera de même !

Applaudissements sur les travées de l'UMP et du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Boyer

Cher Jean Puech, vos responsabilités d'élu d'un département rural vous ont très justement inspiré pour cette question, qui intéresse un grand nombre d'entre nous.

Au cours de cette discussion, la ruralité doit être prise en compte dans la mise en place d'un statut propre aux élus, car elle concerne non seulement des hommes mais aussi des territoires.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Boyer

L'attachement, la détermination que nous vous connaissons à exercer votre engagement dans votre Aveyron natal nous amènent, ce soir, à nous interroger et à aborder la création d'un véritable statut de l'élu local, longtemps promis, toujours repoussé, malgré des avancées certaines et reconnues par tous.

Le Sénat, expression de toutes les collectivités locales, souhaite plus que toute autre assemblée apporter une contribution constructive dans l'obtention de ce statut de l'élu, qui constitue non pas un privilège, mais une parité indispensable.

Il faut que cette réflexion s'intègre dans le contexte naturel de l'évolution de notre société, où le service public est devenu un service au public. Notre débat d'aujourd'hui ne doit pas seulement porter sur des questions matérielles ; il doit aussi, plus que jamais, viser à ce que des hommes de bonne volonté continuent à assurer un service de proximité irremplaçable, celui de relayer les habitants.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Boyer

Demain, y aura-t-il toujours des hommes engagés dans les 36 000 communes que compte notre pays et qui constituent une richesse humaine, administrative et collective ? Mes chers collègues, il faut agir avant qu'il ne soit trop tard.

Nous avons la chance de bénéficier de ce formidable maillage où la République est présente, partout, dans tous les territoires, y compris dans la France profonde qu'un élu de Haute-Loire bien connu d'Adrien Gouteyronaime appeler « le coeur de la France ».

Aujourd'hui, il n'y a pas de commune sans élu ; toutefois, demain, n'y aura-t-il pas des territoires sans hommes, sans responsables engagés ?

Quelle que soit notre appartenance politique, nous savons tous que nos mairies sont, chacune à leur niveau, le coeur d'un territoire, l'âme d'un pays, la raison d'être d'une commune. Elles constituent aussi les archives des moments forts de la vie d'un homme, puisqu'elles gardent les actes de naissance, de mariage et malheureusement de décès. C'est aussi cela la vie d'un élu, en particulier dans le monde rural où les hommes vivent, souffrent et partagent ensemble.

Les mairies sont également les lieux où ceux qui ont reçu la confiance des électeurs font tout ce qu'ils peuvent pour apporter de la vie, mais aussi les équipements minimaux nécessaires à la société actuelle.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Boyer

Être élu aujourd'hui n'est plus un titre, c'est une mission. II faut être un homme de bonne volonté pour s'y engager, en sachant qu'on y trouve des satisfactions et l'épanouissement personnel, mais aussi, parfois, l'ingratitude, individuelle ou collective. Toutefois, mes chers collègues, nous avons choisi cette voie, et nous y persévérons.

En effet, il faut savoir répondre présent. « L'avenir ne se prévoit pas, il se prépare », comme le disait si bien le philosophe Maurice Blondel. Dans la mission qui est la nôtre auprès des élus, nous savons combien ceux-ci savent anticiper, rechercher, questionner, écouter, avant d'agir.

Voilà encore quelques années, le maire d'une commune rurale était souvent un agriculteur ou un artisan. Aujourd'hui, l'un et l'autre peuvent difficilement assurer ce mandat, car les exigences d'une exploitation agricole ou d'une entreprise artisanale ne permettent guère une disponibilité optimale.

II ne faudrait pas, demain, fonctionnariser cette belle mission. C'est pourquoi un véritable statut de l'élu, un statut protecteur, permettant de concilier vie professionnelle et vie municipale constitue l'une des réponses à apporter.

La jeunesse doit pouvoir prétendre à l'évolution de la vie locale. Nous devons éviter de réserver les mandats locaux aux seules personnes disponibles, qui se trouvent souvent en fin d'activité professionnelle.

La tâche d'un maire ne se résume pas à présider un conseil municipal ou à décider d'un projet communal. Elle est toute autre, aujourd'hui ; elle demande une présence, une écoute, une attention, une compréhension, un relais. Le maire est un « associé-viager » pour les hommes qui vivent dans sa commune.

En cas de difficulté, il est aussi le responsable trop facilement désigné. La mission de l'élu d'une commune rurale n'est pas facile, car il n'existe ni filtre ni barrière : le maire est directement livré aux observations, aux demandes, voire aux critiques de citoyens dont certains sont devenus très exigeants, voire excessifs. Trop nombreux sont ceux qui aspirent aujourd'hui à bénéficier d'une parité sans effort. Or, si le citoyen a des droits, il a aussi des devoirs, y compris en termes de civisme communal.

Or le mot « civisme » se dilue, se dégrade. On regarde l'intérêt personnel et pas assez l'intérêt collectif. On n'attache pas suffisamment d'importance à la sauvegarde d'un service public, d'une école ou d'un équipement. On préfère trouver par soi-même une solution ailleurs.

Madame le ministre, votre forte personnalité, votre classe, votre détermination rassurent les élus. Merci de votre présence et de votre action, qui sont reconnues et appréciées de tous.

Un maire ne sera jamais un responsable comme les autres. Il ne doit pas être exclusivement un homme de papier, de dossiers. Il ne doit pas être seulement un gestionnaire, ni même un bâtisseur. Il doit être, je le répète, un « associé-viager » pour ceux qui vivent autour de lui, dans sa commune ; et il en va de même pour un conseiller général, dans son canton.

Nous ne sommes pas et ne devons pas être des spécialistes. Nous sommes avant tout des généralistes qui compensent parfois leur manque de connaissances par une volonté très forte, afin de pouvoir apporter des réponses à leurs concitoyens.

Très souvent, nous le faisons avec le langage du bon sens et de la vérité, langage adapté aux réalités.

Mes chers collègues, la finesse de l'élu local, son intelligence, sa bonne connaissance du terrain ne s'apprennent pas dans les livres, mais se forgent au quotidien, dans les contacts les plus divers.

Oui, madame la ministre, il nous faut collectivement réfléchir à la création d'un véritable statut de l'élu local.

Aujourd'hui, nous sommes dans une société où les réunions sont très fréquentes, trop peut-être : elles se superposent, se complètent, mais parfois aussi se chevauchent.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Boyer

Nous avons voulu accroître l'empilement des structures, mais, concrètement, la répartition des compétences s'est transformée en un labyrinthe indéfinissable.

Un maire ou un conseiller général doit souvent être aussi membre d'une communauté de communes, voire d'une communauté d'agglomération. Tout cela exige beaucoup de temps et d'investissement personnel.

Les élus en ont conscience : ils sont responsables, car ils savent, pour reprendre l'expression de Saint-Exupéry, que « nul ne peut se sentir, à la fois, responsable et désespéré ».

S'« il y a un temps pour bâtir », comme il est écrit dans l'Ecclésiaste, il faut également un temps pour regarder ce que l'on a bâti. De nombreux maires s'apprêtent à mettre fin à leur mandat engagé depuis plusieurs décennies, époque à laquelle les indemnités de fonction étaient très faibles. Certains l'ont même déjà fait. Ces anciens maires, qui recevaient des indemnités de fonction ridicules, ont aussi droit à une reconnaissance de la nation.

Puisque, dans quelques semaines, certains d'entre nous devront subir la loi des urnes, je terminerai mon propos en citant Jules Claretie : « Tout homme qui dirige, qui fait quelque chose, a contre lui ceux qui voudraient faire la même chose, ceux qui font précisément le contraire et surtout la grande armée des gens d'autant plus sévères qu'ils ne font rien du tout. »

Madame la ministre, mes chers collègues, je vous remercie de m'avoir écouté. Monsieur le président du conseil général de l'Aveyron et ancien maire de Rignac, vous avez pris une bonne initiative en posant cette question orale et en engageant cette recherche de parité pour les élus locaux. Nous ne voulons pas un statut de la fonction publique territoriale : nous voulons un statut des hommes de bonne volonté !

Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF, de l'UMP et du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre-Yves Collombat

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je commencerai par remercier Jean Puech d'avoir posé cette question orale, tout particulièrement d'avoir osé parler de « statut », terme devant lequel tous les gouvernements ont jusque-là reculé, même si la guerre de tranchées menée par les élus locaux a incontestablement permis à ces derniers de gagner du terrain.

Il leur aura fallu attendre la loi du 24 juillet 1952 pour que soit instauré le premier, mais miséreux, régime indemnitaire, et vingt ans de plus pour bénéficier d'une maigre retraite d'agents non titulaires des collectivités, grâce à la loi du 23 décembre 1972.

Malgré le rapport de Marcel Debarge et la loi fondatrice du 2 mars 1982, les élus locaux patienteront vingt ans de plus pour voir la loi du 3 février 1992 relative aux conditions d'exercice des mandats locaux réaliser d'autres progrès en matière de disponibilité, de couverture sociale et de formation.

Après encore dix ans d'attente, la loi du 27 février 2002 relative à la démocratie de proximité permettra de franchir une nouvelle étape, en instaurant à la fois : le régime des autorisations d'absences, des crédits d'heures et des congés pour cause d'élection ; le régime des remboursements de frais et des indemnités, ces dernières étant soumises à une fiscalisation, ce qui a, incidemment, créé une recette pour l'État ; un régime de formation ; la facilitation du retour à la profession en fin de mandat, mais cela seulement pour les maires et adjoints des communes d'au-moins 20 000 habitants - les autres attendent - ; une couverture sociale. Un grand vide demeure : la retraite.

Le métronome de la réforme étant réglé sur dix ans, voire sur vingt ans, devrons-nous attendre 2012, sinon 2022, pour que soit enfin créé un « véritable statut de l'élu local » ?

En ce qui concerne les obligations, la loi organique du 5 avril 2000 relative aux incompatibilités entre mandats électoraux a réduit les possibilités de cumul des mandats. Mais elle a laissé les mandats intercommunaux - dont l'importance n'est plus à démontrer -, les présidences de tous les conseils d'administration - société d'économie mixte, organismes para-municipaux -, les mandats de maire des communes de moins de 3 500 habitants hors de son champ d'application, ce qui a permis bien des accommodements avec les principes.

Cet ensemble de mesures, non négligeables mais disparates, constitue-t-il pour autant « un véritable statut de l'élu local », pour reprendre les termes de la question orale de Jean Puech ? Évidemment non.

D'ailleurs, il n'est question de « statut » dans aucune loi. Le projet Galland de 1987, resté inabouti, parlait de « charte », la loi de 1992 « de conditions d'exercice des mandats locaux », celle de 2002 de « démocratisation des mandats locaux ».

Bien d'autres termes ont été utilisés dans les débats qui ont précédé ou accompagné l'adoption de ces textes. Ainsi, la résolution du 69ème congrès de l'Association des maires de France évoque les « règles d'exercice du mandat municipal ».

Ces palinodies sémantiques ne sont pas innocentes. Elles renvoient à l'absence de définition précise du statut juridique des collectivités locales. La nature juridique des collectivités locales n'étant pas claire, le statut de leurs élus ne peut l'être. On contourna donc la difficulté.

Toute la question est de savoir si les collectivités locales - je pense surtout aux communes - sont de simples organes administratifs - certes, un peu particuliers - ou si elles ne sont pas, d'abord et fondamentalement, les « cellules de base de la démocratie », c'est-à-dire, qu'on le veuille ou non, des entités politiques d'un certain type.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre-Yves Collombat

C'est alors seulement que la reconnaissance de l'autonomie locale, qui a mis vingt-deux ans à être assumée, ainsi que l'a rappelé Jean Puech, et la création d'un véritable statut pour leurs élus prennent un sens.

En dehors de cela, le problème n'est que fonctionnel et se limite à définir le moyen le plus efficace d'administrer. Décentralisation signifie alors simplement déconcentration, quelle que soit la gymnastique intellectuelle à laquelle on se soumet pour faire le départ entre les deux notions.

Personne n'ignore que, depuis leur création à la Révolution, les communes sont des entités politiques. Nous connaissons tous cette phrase de Tocqueville : « C'est dans la commune que réside la force des peuples libres. Les institutions communales sont à la liberté ce que les écoles primaires sont à la science ; elles la mettent à la portée du peuple ; elles lui en font goûter l'usage paisible et l'habituent à s'en servir. Sans institutions communales, une nation peut se donner un gouvernement libre, mais elle n'a pas l'esprit de la liberté. »

On continue cependant à penser ces communes dans les termes du jacobinisme de stricte observance, qui est lui-même issu d'une conception absolutiste de la souveraineté. Ne pas le reconnaître, c'est s'interdire de régler deux questions essentielles : celle des indemnités et celle de la responsabilité pénale des élus.

Si la collectivité locale est une simple entité administrative, l'élu ne peut recevoir une indemnité lui permettant de se consacrer à plein temps à son mandat sans devenir une sorte de fonctionnaire ou de « contractuel », selon le terme même du rapport de Pierre Mauroy.

Michel Giraud, lorsqu'il était président de l'AMF, l'a affirmé clairement : « Qui dit statut dit fonctionnarisation. » D'ailleurs, le code général des collectivités territoriales le confirme indirectement en disposant, à l'article L. 2123 - 17, que « les fonctions de maire, d'adjoint et de conseiller municipal sont gratuites ».

Pourtant, certaines de ces fonctions gratuites sont indemnisées. De quoi sont-elles alors la contrepartie ? Nul ne le sait. En outre, pour ajouter à la confusion, ces indemnités sont fiscalisées, signe qu'elles constituent bien un revenu !

Certes, les contradictions juridiques n'empêchent pas de vivre. Elles peuvent cependant être gênantes. En effet, en refusant de reconnaître que l'élu local exerce une fonction éminemment politique de représentant de ses concitoyens, au nom desquels il agit, on s'interdit de lui réserver le statut pénal correspondant à sa situation réelle.

D'un côté, on tient compte de la spécificité de sa fonction pour aggraver les peines qu'il encourt en cas de délits intentionnels en rapport avec sa fonction ; de l'autre, on ne veut pas en entendre parler quand il s'agit de reconnaître qu'il n'est pas un professionnel recruté au mérite, à la compétence, au diplôme ou sur liste d'aptitude, en cas de délit non intentionnel pour des fautes non détachables du service.

Il n'est pas non plus question de lui concéder qu'il agit non pas en son nom propre ou au nom d'un intérêt particulier, mais au nom de la collectivité et de l'intérêt général.

Au motif de l'égalité devant la loi sont mis sur le même plan le maire responsable de tout et le citoyen responsable seulement de lui-même !

Sauf à limiter son ambition à compléter le catalogue des dispositions déjà en place, la loi qui créera le « véritable statut de l'élu local » que nous appelons de nos voeux, devra trancher ce débat difficile. Cela ne signifie nullement qu'elle devra ignorer les mesures concrètes qui permettront de parfaire le dispositif existant.

Je vous livrerai donc quelques propositions auxquelles les plus maltraités des élus - je pense aux élus ruraux -...

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre-Yves Collombat

... tiennent particulièrement, en les regroupant autour de trois principes.

Premièrement, le principe de disponibilité : il conditionne la possibilité même de l'action de l'élu et l'autonomie de ses décisions. Il suppose des indemnités et une liberté temporelle suffisantes.

Le montant des indemnités doit être suffisant, quelle que soit la taille de la commune. Sur ce point, je suis en désaccord total avec Jean Puech. Contrairement à ce qu'il affirme dans son rapport, à la page 55, aucune « logique » ne justifie que « le régime des indemnités de fonction [dépende] des seuils de populations ».

L'argument financier ne tient que si l'on accepte l'existence d'une démocratie à plusieurs vitesses et que l'on refuse que cette démocratie puisse avoir un coût, qui soit éventuellement supporté par l'ensemble de la collectivité nationale.

L'argument de la proportionnalité des charges de la fonction à la taille de la collectivité tient encore moins. Si la charge est proportionnelle à la taille de la commune, elle est aussi inversement proportionnelle aux moyens dont le maire dispose pour y faire face.

La « logique » voudrait donc, d'une part, que soit déterminé un seuil minimum de moyens d'exercice du mandat municipal en deçà duquel il serait impossible de descendre, d'autre part, que soit resserré l'éventail des strates de communes dans l'appréciation de ces charges.

Par ailleurs, les indemnités ne devraient pas être laissées à l'appréciation des conseils mais devenir des dépenses obligatoires. Indexer les indemnités sur la grille de celles des parlementaires, comme le proposait déjà le rapport Debarge, serait une manière symbolique de reconnaître que les élus n'appartiennent pas au personnel administratif, même non titulaire, de la collectivité.

La création d'une indemnité compensatrice ou d'un crédit d'impôt pour charges de familles faciliterait l'accès des femmes actives aux fonctions électives, problème que plusieurs de mes collègues ont déjà évoqué.

La disponibilité temporelle doit être entendue comme la possibilité de consacrer suffisamment de temps à son mandat. Les mesures permettant d'y parvenir devront être aussi diverses que les situations et les professions. Elles sont relativement simples à définir pour les fonctionnaires et les salariés des grandes entreprises, mais sont beaucoup plus difficiles à mettre en oeuvre pour les cadres des petites entreprises ou les artisans, par exemple.

Deux volets complémentaires sont donc à mon sens nécessaires : l'augmentation des crédits d'heures, notamment pour les petites communes, et le financement des pertes de revenu résultant de la réduction d'activité professionnelle, éventuellement dans la limite d'un plafond.

La disponibilité temporelle suppose également la limitation du nombre de mandats. Le bon sens voudrait qu'un mandat de parlementaire ne soit pas compatible avec les fonctions de maire, quelle que soit la taille de la commune, celles d'adjoint, à partir d'un certain seuil, ou celles de président d'établissement public de coopération intercommunale, à partir d'une taille à définir. La participation des parlementaires aux assemblées locales devrait en revanche être encouragée, pour qu'ils ne soient pas des élus « hors sol », comme cela a déjà été souligné. C'est en fonction de la charge à assumer, plus qu'en fonction de la nature juridique du mandat, qu'il conviendrait de raisonner.

Deuxièmement, le principe de sécurité : il doit permettre d'assurer aux élus, responsables de tout - je pense en particulier aux maires -, un minimum de sécurité, en matière juridique et sociale et en cas de cessation du mandat, qu'il s'agisse d'un départ à la retraite ou d'une reprise d'activité.

En ce qui concerne la sécurité juridique, il conviendrait de réaffirmer que, dans l'exercice de sa mission, l'élu agit non pas à titre personnel, mais au nom de la collectivité, qu'il n'est ni un décideur privé ni quelqu'un agissant au nom d'une compétence de type professionnel.

En cas de délits non intentionnels et non détachables du service qu'il pourrait commettre, c'est la responsabilité pénale de la collectivité qui devrait être mise en cause en premier, celle de la personne physique ne pouvant intervenir que s'il apparaissait qu'une faute grave a été commise.

Il conviendrait aussi de revenir sur la notion de délit formel et sur celle de prise illégale d'intérêt, la notion perdant tout son sens lorsqu'il s'agit d'intérêt moral.

Par ailleurs, il serait opportun d'améliorer la couverture sociale, particulièrement le régime de la retraite obligatoire, s'agissant notamment des indemnités les plus basses, et d'étendre les dispositions facilitant le retour à la vie professionnelle - droit à une formation qualifiante et à une indemnité de fin de mandat - dans les communes de moins de 20 000 habitants.

Troisièmement, le principe de responsabilité.

L'amélioration significative de la situation des élus locaux a pour corollaire un renforcement de leurs obligations en matière de formation, de transparence et de démocratie. La meilleure manière de combattre l'idée fausse selon laquelle la démocratie dite « participative » perfectionnerait la démocratie qualifiée de « représentative » et de renforcer vraiment la démocratie locale consisterait à créer les conditions du débat démocratique à l'intérieur des assemblées locales.

L'institution des discussions d'orientation budgétaire partait d'un bon sentiment. Mais force est de constater que l'objectif n'est pas atteint, la discussion se déroulant généralement à un niveau stratosphérique. La présentation de documents plus lisibles que les budgets ou comptes soumis au vote des assemblées et auxquels presque personne ne comprend rien est d'une absolue nécessité.

Debut de section - PermalienPhoto de Charles Revet

Vous êtes un peu dur pour les élus locaux !

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre-Yves Collombat

J'ai une certaine expérience, mon cher collègue !

Il en est de même pour la présentation d'un rapport annuel retraçant les opérations principales réalisées, leur impact financier et les principaux ratios de gestion.

D'une manière générale, de la vitalité des oppositions dans les assemblées dépend celle de la démocratie locale. Tout ce qui permet un débat, à partir d'une information complète et objective, est bon pour la démocratie. Il en est ainsi de l'obligation de communication de l'ensemble des documents intéressant la collectivité, des moyens en matériels et en personnels administratifs, du droit d'interroger le personnel communal, des possibilités d'expression, etc.

Corrélativement, on peut se demander s'il ne serait pas utile d'étendre, avec bon sens, certains des droits dont bénéficient les titulaires de fonctions exécutives aux représentants des groupes d'élus, lorsqu'ils existent.

Je le répète, c'est non pas à l'extérieur mais au sein des assemblées que doit fonctionner le contre pouvoir, sans lequel la démocratie reste un mot vide.

Cela me paraît plus important - sur ce point, mon analyse diffère de celle de Jean Puech - que le fait de changer le mode de désignation des exécutifs locaux, lequel n'est pas remis en cause par la population, ou de faire disparaître des départements et certaines communes, idée routinière pour feuilletonistes politiques !

Ces dispositions auront bien évidemment un impact financier évident, que les collectivités les plus petites n'auront pas les moyens d'assumer seules, à moins que nous n'acceptions de les laisser au bord du chemin, ce qui viderait le futur statut de la part essentielle de sa substance. Il faudra donc bien créer un fonds pour y faire face.

On peut envisager qu'il soit financé par l'État, par une contribution des collectivités en fonction de leur richesse et par les organismes qui sollicitent régulièrement le concours des collectivités ; je pense, par exemple, à certaines chambres consulaires.

Comme vous pouvez le constater, mes chers collègues, ce ne sont ni les problèmes ni les propositions qui manquent ! Je remercie de nouveau Jean Puech de nous avoir permis d'en débattre, et j'espère que nous nous retrouverons avant dix ans.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Raymond Couderc

Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, au nom du groupe UMP du Sénat, je me félicite de l'organisation de ce débat sur la création d'un véritable statut de l'élu local. Je me félicite surtout de la manière dont cette question a été abordée par notre collègue Jean Puech, dans le rapport qu'il a présenté le 7 novembre dernier, au nom de l'Observatoire de la décentralisation, qu'il préside avec beaucoup de compétence.

Ce rapport ne se limite pas aux questions statutaires. Il souligne aussi et surtout la montée en puissance des responsabilités des exécutifs locaux et pose la question en termes de gouvernance et d'autonomie locales, sans oublier la réforme de l'État qui en constitue l'indispensable corollaire.

Les exemples étrangers cités dans le rapport montrent que cette problématique est non seulement française, mais aussi européenne. Chaque pays a cherché à la résoudre à sa façon. En France, cette question nous apparaît indissociable de celles de la décentralisation et de la réforme de l'État.

Les deux vagues de décentralisation ont en effet modifié en profondeur l'organisation politique et administrative de notre pays. Les collectivités territoriales disposent aujourd'hui de compétences importantes dans des domaines essentiels de l'action publique tels que la formation professionnelle, les transports, le logement, la culture, l'éducation, l'aide sociale et la politique de solidarité.

Cette décentralisation des compétences et cette plus grande proximité répondent aux attentes des élus locaux. Nombre d'entre eux se montrent néanmoins inquiets, voire découragés, par l'ampleur et la complexité des missions qui leur ont été confiées. S'ils approuvent la décentralisation dans son principe et sa finalité, ils se montrent souvent préoccupés par ses modalités de mise en oeuvre, notamment financières.

La loi constitutionnelle du 28 mars 2003 et la loi organique du 29 juillet 2004 ont mis fin aux dérives constatées en matière de compensation des transferts de compétences. Elles garantissent l'autonomie financière des collectivités territoriales, visent à éviter de nouvelles diminutions de la part de leurs ressources propres, notamment fiscales, et précisent en particulier que tout transfert de compétences de l'État doit s'accompagner de l'attribution de ressources équivalentes.

Nous avons ouvert ainsi une nouvelle ère dans les relations entre des collectivités locales aujourd'hui mieux respectées et un État plus attentif à leurs préoccupations et à leur situation globale.

Par ailleurs, les élus locaux ont aussi le sentiment que leur marge de manoeuvre se réduit de jour en jour, du fait de la multiplication de normes et de procédures juridiques de plus en plus contraignantes.

À cet égard, les membres du groupe UMP se félicitent de la création, le 4 octobre dernier, de la Conférence nationale des exécutifs, la CNE. Cette instance constitue un lieu de concertation privilégié avec l'État et les collectivités territoriales et permettra notamment à ces dernières d'être mieux associées à l'élaboration des normes qui les concernent.

Enfin, et surtout, les élus locaux doivent faire face à une charge de travail croissante, liée à l'inflation normative, mais aussi à l'enchevêtrement des compétences entre l'État et les différents échelons de collectivités locales et entre ces différents échelons eux-mêmes. Cette confusion et cette dilution des responsabilités sont source d'augmentation de la dépense publique et de perte de temps. J'ai déjà eu l'occasion d'évoquer ce point dans le cadre des travaux de l'Observatoire de la décentralisation et je souhaite aujourd'hui m'y attarder quelque peu.

Je ne pense pas que nous ayons réellement à redouter l'absence de vocations pour l'exercice des mandats électifs. J'estime, en revanche, que nous devons nous attaquer sérieusement au problème de la charge de travail pesant sur les élus locaux. De moins en moins d'actifs ont la disponibilité nécessaire pour exercer leur mandat, ce qui risque de couper les conseils municipaux de la « vie active ».

Aujourd'hui, les élus sont surchargés par la multiplication des réunions en sous-préfecture, dans les DDE et dans maints autres services déconcentrés de l'État qui, pour de bonnes ou mauvaises raisons, ne cessent d'intervenir dans le processus de décision locale.

Ils doivent aussi participer à la foule de structures de concertation qui ont été mises en place. Certes, ces structures correspondent à la volonté d'être plus à l'écoute de nos concitoyens, mais elles sont à tel point chronophages qu'il n'y a plus guère que des retraités pour être suffisamment disponibles. La démocratie a un coût mais elle est aussi dévoreuse de temps.

Dans son rapport, notre collègue Jean Puech souligne qu'un véritable statut de l'élu local « devrait permettre de concilier l'exercice d'une activité professionnelle et un mandat local, en donnant à l'élu salarié le temps nécessaire à l'accomplissement des taches liées à son mandat, sans porter préjudice à sa vie professionnelle ». Il rappelle les aménagements apportés par le législateur en ce sens, comme les autorisations d'absence, les crédits d'heures ou le congé électif. Il reconnaît, néanmoins, que ces dispositions statutaires n'intéressent, en définitive, que les salariés ou les personnels de la fonction publique. Aucun mécanisme de compensation n'est prévu, par exemple, en faveur des membres des professions indépendantes.

Or, si l'on veut que tous les actifs - commerçants et chefs d'entreprise comme salariés et fonctionnaires - puissent s'impliquer dans la vie locale, il faut leur permettre de dégager du temps. Je souhaiterais que vous puissiez nous faire part, madame le ministre, de l'état de votre réflexion sur cette question essentielle, qui conditionne l'accès de tous les citoyens à la fonction d'élu ainsi qu'une représentation socioprofessionnelle équilibrée dans les assemblées délibérantes.

Cette question du temps est étroitement liée à celle des compétences. L'un des meilleurs moyens d'optimiser le temps de travail des élus est, en effet, de limiter les doublons institutionnels et de simplifier les processus de décision. Si chaque niveau institutionnel veut s'occuper de tout, y compris hors de ses compétences légales, les processus de décision s'empilent au lieu de se compléter.

La suppression d'un niveau institutionnel, en l'occurrence des départements, que propose le rapport de M. Jacques Attali, n'est pas la bonne méthode : elle ne correspond ni à la réalité sur le terrain ni aux attentes de nos concitoyens. Nous devons raisonner à partir non pas de chaque niveau d'administration locale, mais des politiques publiques, comme le suggère notre collègue Alain Lambert dans le rapport sur la clarification des compétences entre l'État et les collectivités locales qu'il a remis au Premier ministre le 7 décembre dernier.

Au niveau local, les collectivités territoriales doivent s'adapter à l'évolution de leurs nouvelles missions, prendre en compte le développement de l'intercommunalité et rechercher les moyens de rationaliser leurs interventions respectives, dans un souci d'efficacité et de lisibilité.

Au niveau national, l'État doit tirer pleinement les conséquences de la décentralisation et cesser d'intervenir dans des domaines ne relevant plus de sa compétence.

La création d'un régime statutaire spécifique adapté aux nouvelles responsabilités des exécutifs locaux, que propose notre collègue Jean Puech, nécessite une clarification préalable de ces responsabilités.

Avant de décider quoi faire, pour qui, nous devons préciser qui fait quoi, au plan local comme au plan national. La clarification des compétences, la simplification des procédures et le renforcement de l'autonomie financière sont les clés d'une plus grande efficacité des politiques publiques et d'une plus grande responsabilisation des acteurs concernés.

C'est dans cet esprit que les membres du groupe UMP soutiendront les réformes structurelles engagées par le Gouvernement, en particulier la réforme de l'État, afin, notamment, que les élus locaux puissent exercer leurs compétences de manière plus libre, plus efficace et plus simple, au plus près des attentes et des besoins de nos compatriotes.

Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.

Debut de section - PermalienPhoto de Josiane Mathon-Poinat

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, notre collègue Jean Puech nous soumet aujourd'hui une question qui devient désormais récurrente à la veille d'élections municipales et cantonales, celle du statut de l'élu.

Elle est récurrente car elle n'a jamais été véritablement réglée. Pourtant, ce n'est pas faute d'initiatives parlementaires en la matière : les élus communistes s'en préoccupent depuis presque une vingtaine d'années, notre groupe ayant déposé, dès 1989, une proposition de loi sur les fonctions électives.

Par la suite, que ce soit à l'Assemblée nationale ou au Sénat, nous n'avons eu de cesse, en déposant de nouveau la même proposition de loi, de tenter d'améliorer le dispositif que nous proposions, afin de le rendre toujours plus conforme aux attentes des élus et des citoyens.

L'élaboration, ou plutôt l'ébauche, d'un statut de l'élu a été réalisée par la loi du 3 février 1992, qui a permis aux élus locaux d'acquérir un certain nombre de droits, notamment des autorisations d'absence et des crédits d'heures pour les élus salariés, le droit à une formation adaptée à leurs besoins, des indemnités de fonction ou encore un droit à pension. Nos propositions vont cependant plus loin que les dispositions de la loi de 1992 ou des lois ultérieures.

Les échéances municipales ont en effet l'avantage de donner un regain d'intérêt à la question du statut de l'élu. Aux mois de janvier et de février 2001, nous avons étudié une proposition de loi sur le statut de l'élu et la proposition de loi de notre collègue Jacqueline Fraysse sur les fonctions électives locales. Dans les deux cas, la navette parlementaire a été interrompue et aucun de ces deux textes n'a abouti.

La loi relative à la démocratie de proximité, de février 2002, a permis de répondre en partie à certaines attentes - les droits des élus locaux ont été renforcés et les conditions d'exercice du mandat ont été améliorées afin de faciliter l'articulation de ce mandat avec leur activité professionnelle - mais non de créer un véritable statut.

Depuis, et malgré tout, les problèmes subsistent. Mes collègues du groupe communiste républicain et citoyen et moi-même avons proposé de faire adopter des propositions lors de l'examen du projet de loi sur la parité de décembre 2006, et ce lien n'est pas neutre.

Le statut de l'élu doit en effet favoriser aussi l'égal accès des femmes et des hommes aux fonctions électives. Des mesures purement quantitatives sont bien insignifiantes, voire méprisantes, si l'on se prive d'une réflexion sur ce qui entrave l'engagement politique des femmes.

Malheureusement, la loi de décembre 2006 ne fait dépendre l'accès des femmes aux mandats locaux et aux fonctions électives que de mesures législatives favorisant la parité. Toutes les propositions que nous avions formulées furent à nouveau refusées.

Pourtant, chacun d'entre vous, mes chers collègues, le sait : la fonction d'élu local, notamment de maire, suscite de moins en moins de vocations. Le champ des responsabilités des maires ne cesse de s'accroître au fil des lois : je citerai ainsi la loi relative à la prévention de la délinquance ou bien encore la loi à venir sur les chiens dangereux. Les nombreux transferts de compétences organisés depuis la loi Raffarin de 2003 mettent les élus locaux, notamment les élus départementaux, face à d'insolubles problèmes d'équilibre financier.

La disparition progressive des services publics dans nos campagnes, outre le fait qu'elle encourage la désertification et l'appauvrissement des communes rurales, n'aide pas non plus les élus à satisfaire les demandes toujours plus fortes de nos concitoyens en matière de solidarité et d'actions locales.

Face à cet accroissement des responsabilités, il n'est pas étonnant que l'absence d'un véritable statut de l'élu se fasse d'autant plus ressentir.

C'est, d'ailleurs, ce que traduit parfaitement le sondage TNS-SOFRES cité par notre collègue Jean Puech. Nombreux sont les découragements, les lassitudes exprimés par les élus locaux.

Certes, dans ce contexte, nul ne peut nier qu'il est urgent de nous remettre à travailler sur la question de la création d'un statut de l'élu.

Cependant, nous ne pouvons nous contenter d'une simple question orale, dont le dépôt d'ailleurs prouve bien qu'à force de repousser le véritable traitement du problème ou d'y apporter des réponses partielles, nous n'avons guère progressé depuis 2002.

En effet, la mise en place d'un statut doit favoriser le renouvellement, contribuer à diversifier les appartenances socioprofessionnelles des élus. Aujourd'hui, malgré les incitations législatives en direction des élus salariés, force est de constater que la grande majorité des élus sont issus de la fonction publique ou sont retraités. La situation est pire s'agissant des professions indépendantes.

Il est toujours aussi difficile de concilier sa vie professionnelle avec son mandat électif. Et je ne parle pas de toutes ces femmes qui veulent s'investir en politique ou tout simplement dans leur commune.

La situation est en l'espèce quelque peu paradoxale, car la loi prévoit - reconnaissons-le - un certain nombre de droits en faveur des élus locaux. S'ils bénéficient d'autorisations d'absence pour participer aux réunions liées à leur mandat, de crédits d'heures pour leur permettre de disposer du temps nécessaire à l'administration de la collectivité, d'un congé électif pour préparer la campagne, d'un droit à une formation adaptée, ainsi que d'indemnités de fonction et de quelques remboursements de frais, l'ensemble de ces droits ne suffit toutefois pas à sécuriser les élus déjà en poste ou à attirer des candidats potentiels.

D'une part, si les fonctionnaires sont davantage représentés, c'est essentiellement parce que, malgré les droits et protections accordés par la loi, le rapport de force joue en défaveur des salariés, qui sont rarement en position de négocier des disponibilités et sur lesquels pèse, malgré tout, la peur du licenciement ou, plus simplement, de la mise au placard.

D'autre part, la loi de 2002 relative à la démocratie de proximité n'a pas assez renforcé les droits des élus locaux, plus particulièrement en ce qui concerne leur retour dans la vie professionnelle à la fin de leur mandat ou en cas de perte de celui-ci.

De nombreuses propositions ont déjà été formulées par notre groupe. Je citerai, par exemple, le versement aux élus de l'intégralité de leur salaire lors de leurs absences autorisées, le remboursement des frais de garde d'enfant et de personne dépendante, la reconnaissance de la compétence acquise au cours de l'exercice du mandat afin de favoriser le retour à l'emploi des élus, ou encore le maintien des indemnités en cas de chômage et de non-exercice d'un autre mandat, et ce pendant six mois à compter de la fin du mandat.

Cependant, il ne faudrait pas imaginer faire peser le financement de toutes ces propositions par les seules collectivités locales. Ces garanties accordées aux élus ont un coût : c'est pourquoi nous avions proposé, en 2001, la création d'un fonds, alimenté par les entreprises au-delà d'un certain seuil de salariés, qui servirait à prendre en charge les périodes d'absence des salariés élus du fait de leur mandat.

De même, il serait peut-être opportun de réviser le régime de la dotation « élu local », destinée à compenser leurs dépenses obligatoires liées aux dispositions législatives relatives aux autorisations d'absence, aux frais de formation des élus locaux et à la revalorisation des indemnités des maires et des adjoints, car son champ d'application est trop restreint et son montant trop faible. En effet, elle n'est versée qu'aux petites communes de moins de 1 000 habitants et son montant est aujourd'hui de 2 617 euros. Pourquoi ne pas en réévaluer le montant et la verser sans considération démographique à toutes les communes ?

L'État a également sa part de responsabilité dans la démocratisation de la vie politique locale.

Le statut de l'élu, envisagé dès les premières lois de décentralisation comme un pilier indispensable à leur mise en oeuvre, s'affirme aujourd'hui comme une exigence démocratique : tout citoyen doit pouvoir être candidat à une élection politique. Il doit bénéficier d'une sécurité matérielle et professionnelle, d'une formation et d'une clarification de son statut juridique comme de ses responsabilités : telles sont les conditions indispensables à l'émergence d'un tissu électif diversifié, à l'image de la société.

M. Puech a évoqué le mécontentement et les inquiétudes des élus. Ce constat appelle un certain nombre de réformes, afin de lever les obstacles qui conduisent trop de salariés et de femmes à renoncer à être candidats, trop d'élus à ne pas pouvoir assumer correctement leur mandat ou à devoir renoncer à se représenter en raison des difficultés trop grandes qu'ils ont rencontrées.

Si rien n'est fait pour renforcer les garanties accordées aux élus, cette situation risque de s'aggraver, en raison du transfert de compétences non compensé et de la responsabilité des élus vis-à-vis de leurs administrés, qui s'accroît au fil des lois votées ; le malaise ira grandissant.

Avec cette question orale, l'occasion nous est donnée de vous demander, madame la ministre, à la veille des élections municipales, ce que vous entendez mettre en oeuvre pour renforcer, voire créer, un véritable statut de l'élu.

Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Adrien Gouteyron

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt-deux heures quinze.

La séance est suspendue.

La séance, suspendue à vingt heures dix, est reprise à vingt-deux heures quinze, sous la présidence de Mme Michèle André.