Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le périmètre de la mission « Écologie, développement et mobilité durables » et des comptes spéciaux associés est si vaste qu’il est difficile, pour ne pas dire impossible, de porter un avis détaillé sur l’ensemble des crédits dans le temps imparti. Mon intervention portera donc simplement sur deux points qui ont suscité des débats animés au sein de notre assemblée lors du vote de la première partie du projet de loi de finances et encore cet après-midi.
Je commencerai par la fiscalité sur l’eau. Le financement de l’Office national de l’eau et des milieux aquatiques, l’ONEMA, à hauteur de 108 millions d’euros, puis de 145 millions d’euros, par un prélèvement sur les taxes fiscales perçues par les agences de l’eau auprès des usagers de l’eau, pouvait se comprendre puisque cet organisme, créé en 2007, venait appuyer les services de l’État et ceux des agences de l’eau pour mettre en œuvre la politique de l’eau. Les deux principes fondamentaux de la politique de l’eau – « l’eau paie l’eau » et « pollueur-payeur » – étaient respectés.
La création de l’Agence française pour la biodiversité, l’AFB, en 2017, avec la fusion de l’ONEMA dans la nouvelle structure, et l’extension du périmètre d’intervention des agences de l’eau à la biodiversité terrestre et marine, deux propositions inscrites dans la loi sur la biodiversité de 2016, ont constitué une rupture. C’était la première étape d’un financement de la biodiversité par les usagers de l’eau et, en premier lieu, par les consommateurs d’eau potable qui acquittent plus de 80 % des taxes perçues par les agences de l’eau.
Le budget 2018 marque une nouvelle rupture : le Gouvernement a choisi de faire financer par les agences de l’eau, et donc par les usagers et les consommateurs d’eau, les subventions pour charges de service public qui étaient antérieurement versées à partir du budget de l’État aux organismes intégrés dans l’AFB. Cela peut s’entendre pour ce qui concerne l’ex-Agence des aires marines protégées, si l’on considère qu’il existe une continuité entre les eaux continentales et les eaux marines. En revanche, comment justifier que les subventions pour charges de service public versées à l’ONCFS et aux parcs nationaux, deux établissements publics qui n’ont pas grand-chose à voir avec l’eau, soient dorénavant financées par les agences de l’eau ? À l’évidence, il n’y a pas d’autre justification que la débudgétisation.
Cette décision marque un changement profond de philosophie dans la fiscalité de l’eau. En effet, la loi sur l’eau de 1964 a donné naissance aux premières taxes à visée environnementale, bien avant que l’on parle de fiscalité écologique. Ces taxes, telles qu’instituées par le législateur, avaient vocation à financer les agences de l’eau, charge à ces dernières de soutenir des actions permettant aux industriels, aux agriculteurs, aux collectivités de préserver la ressource en eau. Cette philosophie a été confortée par la loi sur l’eau et les milieux aquatiques de 2006 qui a donné un pouvoir de contrôle au Parlement sur ces taxes, ainsi que sur leur utilisation. Elle est aujourd’hui remise en cause. La débudgétisation prévue par le projet de loi de finances pour 2018 transforme ces taxes en un impôt de rendement. L’eau devient une assiette fiscale ordinaire, ce qui est contraire à la volonté constante du législateur.
Si l’on veut faire financer la biodiversité par les agences de l’eau, il faut mettre en cohérence l’origine de leurs recettes avec la nature de leurs dépenses. En application du principe « pollueur-payeur », il faut diversifier les assiettes contributives et mettre à la charge des activités qui dégradent la biodiversité terrestre le financement des mesures qui assurent sa protection et sa restauration. Voilà un chantier concret de fiscalité écologique pour éviter de faire du consommateur d’eau une simple vache à lait. Nous invitons le Gouvernement à nous faire des propositions concrètes en ce sens pour les prochaines lois de finances.
Dans un autre domaine, la fiscalité sur les produits énergétiques pose également question. La forte hausse de la contribution climat-énergie décidée par votre gouvernement, au-delà de la trajectoire explicitement définie dans la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte du 17 août 2015 et dans la loi de finances rectificative pour 2015, va augmenter significativement les recettes de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques. En effet, une taxe carbone de 10 euros par tonne de CO2 induit des recettes de TICPE de 2, 3 milliards d’euros, qui se montent à près de 3 milliards d’euros en tenant compte des recettes de TVA.
Nous ne nions pas le rôle incitatif que peut jouer une fiscalité punitive sur la consommation de ressources énergétiques. Nous pensons cependant que les recettes de cette fiscalité doivent être fléchées vers des actions en faveur d’une modification des comportements, d’une mitigation des nuisances sur l’environnement. Dans le budget 2018, le compte n’y est pas !
La croissance de 3, 7 milliards d’euros des recettes de TICPE se traduit seulement par une augmentation de 100 millions d’euros de l’enveloppe de la prime à la conversion et de 80 millions d’euros des crédits alloués au chèque énergie qui s’est substitué aux tarifs sociaux. Le gain net pour l’État est donc de 3, 5 milliards d’euros ; 3 milliards d’euros, soit le montant des exonérations de taxe d’habitation ! Votre gouvernement ne serait pas le premier à utiliser la fiscalité sur les produits énergétiques pour financer d’autres politiques. En 2016, la croissance de la TICPE a largement contribué au financement du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi.
Pour autant, les besoins de financement en faveur de l’environnement existent. Déjà en 2016, les sénateurs avaient attiré l’attention du Gouvernement sur le manque de ressources financières des régions et des EPCI pour mettre en œuvre les schémas environnementaux, dont ils ont désormais la responsabilité, ce transfert de compétence ne s’étant pas accompagné d’un transfert de moyens.